Travail scientifique, Mont des arts (1907)/Descamps

De Histoire de l'IST

L'organisation du travail scientifique au XXe siècle et le Mont des arts et des sciences

Discours du Baron Descamps


 
 

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Avant propos

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Discours du Baron Descamps


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Discours de M le baron Descamps,

Ministre des Sciences et des Arts,
Président d'honneur de l'Institut International de Bibliographie (i).

Mesdames, Messieurs,

Aux remerciements que je tiens à vous adresser pour votre accueil si cordial et pour l’hommage que vous avez la bonne grâce de me faire, je veux ajouter l’expression de la très vive joie que j’éprouve, comme Ministre des Sciences et des Arts, d’assister à l’inauguration de ce local destiné à vos bibliothèques réunies et nouvellement approprié par le Gouvernement au travail scientifique.

L’assemblée des représentants de tant de sociétés savantes me rappelle bien agréablement que j’ai moi-même consacré les meilleures années de ma vie au culte désintéressé de la science. Croyez bien, Messieurs, que les travaux de la politique qui sont venus plus tard, et les occupations gouvernementales du moment n’ont altéré en rien mon prime attachement aux grands intérêts que je m’honore d’avoir servis dans une sphère plus sereine, selon la modeste mesure de mes forces.

Des progrès scientifiques

Si je salue avec bonheur tous les progrès scientifiques quels qu’ils soient et d’où qu’ils viennent, j’applaudis avec une particulière fierté à ceux qui procèdent du labeur de mes compatriotes. Je garde la plus haute idée des bienfaits que ce labeur est appelé à procurer à mon pays. Je crois avoir la claire conscience de la mission de plus en plus féconde qu’ont à remplir les travailleurs de la pensée au temps où nous vivons. Et j’ai la bonne volonté, dans les fonctions où m’a placé


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la confiance royale, de mettre une part vive des forces gouverne mentales au service de cette merveilleuse ouvrière — la Science — qui vit avant tout de liberté, je le sais, mais dont les efforts peuvent et doivent être secondés par tout Pouvoir public soucieux de sa véritable vocation sociale.

La Science, Messieurs, embrasse aujourd’hui de ses ramifications les domaines les plus variés et elle y fait triompher la supériorité de ses méthodes. Les conquêtes scientifiques sont devenues le patrimoine commun de l’humanité. Des nations, dont il semblait que l’on n’eùt pas à escompter une collaboration bien active, s’en viennent enrichir ce patrimoine d’un remarquable contingent de découvertes. Et nous voyons fonctionner de par le monde comme un immense laboratoire où les esprits en quête de vérité s’attachent, par la division du travail et en suivant des disciplines librement consenties, à rendre moins imparfaite notre compréhension de nous-mêmes, de l’univers et de l’Auteur de la nature. A coup sûr, les découvertes et les inventions n’ont pas toutes la même valeur, et la libre recherche qui les a fait naître les soumet sans cesse à un sévère travail de révision.

Pourtant que de conquêtes stables dans le vaste champ ouvert à notre savoir ! Que de trésors entrés dans le patrimoine de notre race pour n’en sortir jamais ! Que de notions ancrées désormais dans le solide terrain de l’observation et de l'expérimentation, ou possédées dans la sereine lumière de la raison. Entre les sciences pures et les sciences d’application que de liens nouveaux démontrant par le fait qu’il n'y a plus aujourd’hui de science stérile. Et comme il est réconfortant pour les pionniers du savoir désintéressé, dans l’isolement de leur âpre labeur, de s’apercevoir par instants, sans quitter les sommets où se meuvent leurs investigations, qu’ils collaborent directement à un plus grand bien-être de l’humanité.

Des associations savantes

Mais l’homme est surtout puissant dans la réalisation des œuvres qui sollicitent son activité lorsqu’il unit ses efforts aux efforts d’autrui. L’union fait la force, dit excellemment notre devise nationale. Le grand levier de la productivité humaine, est l’association. C’est ce levier, Messieurs, que vous entendez mettre en mouvement en lui donnant un nouveau point d’appui. Votre initiative ne peut manquer d’être féconde.

En ce pays, où l’esprit traditionnel d’association est si développé et où il a créé des merveilles dans le monde économique et social, il est naturel que les sciences aient bénéficié de cette heureuse tendance au groupement qui décuple la puissance des efforts. De récents relevés ont permis d’enregistrer l’existence chez nous de plus de quatre cents sociétés, constituées en vue de poursuivre des buts de science, d’art ou de littérature. Presque tous les domaines ouverts à


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l’activité de la pensée sont aujourd’hui explorés par des associations permanentes; et parmi celles-ci, il en est plusieurs qui, ainsi que de vénérables aïeules, ont fêté un ou plusieurs jubilés. Le rôle qui leur revient dans notre organisation scientifique est aussi remarquable qu’il est nécessaire.

Les Universités demeurent nos grands foyers de science et de préparation aux carrières libérales. Les Académies groupent un nombre limité de savants en vue de consacrer leurs mérites, d’aviver leur confraternité et de mieux assurer leur collaboration aux travaux de haute culture scientifique. Les sociétés savantes réalisent, à leur tour, une œuvre qui s’adapte, en le complétant, au grand œuvre du Haut Enseignement et des Corps officiels. Elles établissent des liens permanents pour l’étude entre tous ceux qui par profession ou par goût s’occupent des mêmes problèmes; elles leur fournissent le moyen de faire connaître leurs travaux et d’échanger leurs idées grâce à des réunions périodiques et à des publications.

Ces sociétés rassemblent en une même confraternité intellectuelle ceux qui savent et ceux qui veulent apprendre, les maîtres et les disciples, les fonctionnaires attachés à nos établissements scientifiques, les membres des académies, l’élite du personnel enseignant à tous les degrés, et tous ceux qui ont senti s’éveiller en eux les curiosités du savoir et les joies de la découverte scientifique.

Il importe que les sociétés savantes poursuivent leur œuvre, la perfectionnent. Il entre dans leurs attributions de former des collections en rapport avec le but de leur institution et qui complètent les collections nationales, d’entreprendre les publications que comporte leur programme, d’organiser des congrès — ces grandes bourses aux idées où l’avoir national peut s’échanger, sans risque de perte, avec les richesses du dehors et où l’expérience de l’étranger peut être mise à large contribution.

On ne peut raisonnablement demander au Gouvernement dans ces ordres divers, ni de se substituer à l’initiative privée, ni de tout subsidier. Mais la bienveillance des pouvoirs publics, qui peut d’ailleurs revêtir des formes multiples, est acquise aux entre prises capables d’apporter un appoint sérieux à notre développement scientifique national.

Da la documentation

L’évolution progressive du mouvement delà Science dans toutes les sphères, l’accumulation des richesses intellectuelles, dont les savants doivent pouvoir tirer parti, les besoins croissants d’un public de plus en plus nombreux qui, sans vouloir faire œuvre scientifique propre ment dite, a souvent le plus grand intérêt à être bien renseigné sur tel ou tel élément acquis du savoir, réclament impérieusement de nos jours une organisation rationnelle de la documentation.


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M. Otlet l’ajustement remarqué, le besoin de l’information documentaire croît à mesure que les relations se multiplient, que les efforts s’internationalisent, que les conclusions des sciences sont davantage le résultat de recherches additionnées, que les entreprises deviennent plus lointaines, que la pensée générale s’assimilant toutes les pensées particulières devient plus universelle, que l’action sociale des indi- dus et des groupes se fait plus solidaire. L’utilité d’être documentés facilement, complètement, rapidement, actuellement, est égale pour tous les hommes i’études, pour ceux qui ont charge d’enseignement, ceux qui se livrent aux occupations professionnelles et économiques, ceux qui s’occupent des affaires publiques. Pour tous, il y a égale nécessité à connaître le dernier état des questions, de s’aider de la collaboration de ceux qui ont travaillé avant eux et de poursuivre leurs recherches à partir du point où elles ont été laissées. C’est l’indispensable condition de la division du travail et de la plus complète utilisation des résultats acquis.

Ici apparaît l’importance de l’œuvre poursuivie par l’Office international de Bibliographie et les liens qui rattachent naturellement cet Office à nos grands dépôts publics de livres et de périodiques. Le problème pratique à résoudre dans cet ordre me paraît, en somme, consister en ceci : il faudrait que toute personne désireuse d’étudier une question déterminée pût s’adresser à un organisme bien outillé dont la documentation serait tenue à jour, et qu’elle eût la certitude d’obtenir une réponse précise à cette double question :

I. Quels sont, sur tel sujet d’étude, durant telle période — par exemple pendant les dix dernières années — les travaux consignés, soit dans des livres, soit dans des périodiques, soit dans d’autres documents?
I. Quels sont ceux de ces travaux qui peuvent être consultés dans tel ou tel grand dépôt public déterminé ?

Je sais bien qu’en certains cas, sur certains points, une réponse satisfaisante peut parfois être donnée à ces deux questions. Mais je ne crois pas me tromper en disant qu’une solution généralement adéquate du problème posé n’existe pas encore.

C’est dans cette direction que l’Office International de Bibliographie — qui a déjà accumulé et classé tant de matériaux précieux — doit continuer à marcher en s’efforçant successivement d’être up to date, comme disent les Anglais, pour les principales branches qui relèvent de son activité.

Je suis heureux de constater qu’une place importante lui a été réservée en vue de remplir cette mission dans le futur Mont des Arts. Cette création aura des proportions vraiment grandioses, ainsi qu’en


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témoignent la maquette et les plans aujourd’hui terminés. Les vastes locaux qui seront mis à la disposition du Musée des Beaux-Arts, de la Bibliothèque royale, des Archives du Royaume, des Académies et autres institutions officielles permettront d’assurer le développement normal des collections et des services afférents à ces institutions.

Mon département a mis à l’étude les questions diverses qui concernent l’aménagement interne de ce monument ; sa tâche lui est facilitée par les conclusions de la commission instituée l’an dernier par M. le Ministre de l’intérieur et de l’instruction publique.

Je rechercherai volontiers, à cette occasion, les moyens de grouper les souvenirs destinés à honorer nos gloires scientifiques nationales, de rendre tangible la part prise par la Belgique dans le mouvement contemporain de la science, de donner satisfaction aux vœux des sociétés savantes belges comme aux désirs des associations inter nationales qui ont leur siège en Belgique. Celles-ci sont au nombre de plus de quarante, soit plus du tiers de l’ensemble des associations internationales dont l’époque actuelle a vu la création. Un remarquable mouvement d’expansion pousse les Belges à entrer en émulation pacifique avec les autres peuples dans tous les domaines de l’activité économique et de la pensée. A un tel mouve ment doit répondre, ce semble, un accueil particulièrement sym pathique, ménagé aux œuvres internationales qui élisent domicile dans le pays. Nous n’avons pas été oublieux de ce devoir dans le passé. Nous devons nous efforcer de le mieux remplir encore dans l’avenir. Et il est permis de souhaiter que nos institutions nationales assurent une place telle aux grandes institutions internationales, que nulle part ces dernières ne puissent mieux se développer que sur notre sol.

Un dernier mot. L’Institut International de Bibliographie a bien voulu me décerner le titre de président d’honneur. Trop de liens m’attachent à l’œuvre, que représente excellemment cet Institut pour que je n’accepte pas ce titre avec gratitude.

Vos suffrages ont porté à la tête de l’Institut M. Ernest Solvay, l’homme dévoué aux intérêts de la science, en qui l’œuvre nouvelle a trouvé un ami de la première heure et un sage conseil. Nul choix n’était mieux mérité et ne pouvait m’être plus agréable. D’autre part, le Roi, sur ma proposition, a désigné comme Président de l’Office International de Bibliographie mon éminent collègue du Sénat, M. Alexandre Braun. Créateur d’œuvres lui-même et par tisan des méthodes modernes de documentation, il travaillera énergiquement, j’en ai la confiance, au développement de l’œuvre confiée à son dévouement éclairé.


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Ainsi se réalisera dans l’avenir le dessein des fondateurs de cette œuvre : organiser en Belgique un centre de documentation d’une envergure mondiale, fournissant aux vaillants du labeur intellectuel un instrument de travail et des collections de premier ordre et con tribuant ainsi à servir la grande cause du progrès des sciences et du rapprochement fraternel des peuples.

Notes de l'article

(i) Discours prononcé en réponse aux discours de MM. Paul Otlet et Fernand Jacobs, reproduits ci-après.


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