La grippe ou influenza (1908) André/Épidémie de 1889-1890

De Wicri Santé

Épidémie de 1889-1890


 
 

Gallica 12148-bpt6k5713876s-f5.jpg
Chapitre
Épidémie de 1889-1890
Auteur
Gustave André
Extrait de
La grippe ou influenza (1908)
Visible en ligne
Sur Gallica
Chapitre précédant
Historique
Chapitre suivant
Bactériologie et Anatomie pathologique

Cette page introduit un chapitre de l'ouvrage
La grippe ou influenza,
rédigé en 1908 par Gustave André.

Avant-propos

Ce texte est une réédition numérique d'un document numérisé sur Gallica.

L'article initial ne contenait aucune note. Toutes les notes sont de la rédaction de Wicri/Santé.

logo travaux La correction de l'OCR n'est pas terminée


Éléments complémentaires

La carte de droite montre le démarrage de l'épidémie de grippe.

Ce chapitre situe son démarrage en mai 1888 en à Boukhara.

Puis elle atteint Tomsk le 11 octobre puis Saint-Péterbourg le 16.

L'Épidémie de 1889-1890

Cette partie introduit le texte original.


- 43 (G) -
L'Épidémie de 1889-1890.

Trois documents d'une haute importance sont à consulter sur la marche et la physionomie do cette étonnante épidémie :

  • le rapport général sur les maladies épidémiques en France, de l'année 1889, par le Professeur Ch. Bouchard ;
  • le rapport de mission du Professeur J. Teissier (l'lnfluenza en 1889-1890, en Russie) ;
  • le rapport général du Professeur Proust.

La grippe de 1889 a offert des ressemblances.


- 44 (G) -

frappantes avec celles des siècles antérieurs, notamment, comme nous l'avons précédemment relevé, avec celles de 1762, 1782 et 1837. Elle a marché, comme toujours, du Nord au Sud et de l'Est à l'Ouest, Où a-t-elle pris naissance en 1889? On a, tour à tour, signalé la Sibérie, la Perse, le Turkestan, C'est très vraisemblablement la Russie qui a été le foyer d'origine,

D'après le Dr Heyfeldcr, la maladie ne s'est pas développée à Saint-Pétersbourg, mais elle y a été assurément importée. La maladie proviendrait de Bokhara où, en 1888, de mai à août, sévissait une maladie épidémique qui présentait la symptomatologie de la maladie récente, sauf une plus grande fréquence des éruptions et l'absence de manifestations catarrhales. De Bokhara, la maladie se serait propagée par deux voies, par l'Occident et par l'Orient : le 11 octobre à Saint-Pétersbourg, le 16 octobre à Tomsk et dans toute la Sibérie.

A en croire le Dr Winocouroff, les premiers cas se seraient montrés à Saint-Pétersbourg au commencement d'octobre 1889, et la propagation se serait faite avec une rapidité excessive.

Celte question de l'origine première est d'ailleurs d'une importance secondaire. J. Teissier, en consultant les registres des hôpitaux de Saint-Pétersbourg et de Moscou, a péremptoirement établi que, tous les ans, aux mêmes époques, au


- 45 (G) -

printemps et à l'automne, de vrais cas de grippe sont très nettement observés dans ces deux villes.

D'après le Professeur Heydenreich, de Nancy, l'épidémie a procédé par groupes, frappant certaines agglomérations. Elle n'a aucun rapport ni avec la géographie, ni avec les grands courants atmosphériques. L'épidémie n'a pas éclaté simultanément sur toute l'Europe ; elle n'a pas marché régulièrement de l'Est à l'Ouest. Elle a frappé successivement et rapidement d'abord les capitales ; puis, de chaque capitale, elle a rayonné sur la province.

J. Teissier nous apprend que la grippe aurait revêtu dans les grands centres de la Russie des caractères insolites, particulièrement infectieux et singulièrement expansifs.' C'est ainsi qu'affectant une-marche spéciale et inattendue, elle a envahi tout d'abord les grandes villes échelonnées le long des principales voies ferrées, Cracovie, Vienne, Berlin, Paris, etc.

De chacun de ces grands centres, la maladie s'est ensuite propagée dans les villes moyennes pour gagner enfin les petites localités. C'est donc par les voyageurs que la grippe se disséminerait, et ce fait est généralement accepté aujourd'hui. 11 semble pourtant, d'après Talamon, que, dans quelques circonstances, ce mode de transmission ait pu être rejeté, notamment pour l'épidémie de mai 1890, en Angleterre, où, malgré l'existence


- 46 (G) -

des grandes voies do communication et l'absence de mesures d'isolement, la maladie n'a pas été exportée sur le continent.

Le Dr Parsons, dans un rapport pour le Local Governement Board, donne une description très complète de l'épidémie d'influenza do 1890 ; nous y relevons de très curieux renseignements. Dans la petite ile de Saint-Kilda, éloignée de 60 milles du groupe des Hébrides et comptant quatre-vingts habitants environ, l'arrivée d'un vaisseau détermine d'ordinaire parmi ceux-ci une affection analogue à l'influenza et qu'on appelle le stranger's cold, c'est-à-diro le catarrhe des étrangers. Les mômes phénomènes se produisent, dans les mômes conditions d'ailleurs, dans la petite île de Whurekaüei[1], située à 480 milles de la Nouvelle-Zélande.

On a prétendu, rapporte le Dr Parsons, que l'épidémie de 1889 avait pris son origine en Chine lors des grandes inondations.de 1888, mais il est impossible de donner une preuve de ce fait, les pays inondés étant très peu connus.

A propos de cette question si discutée de l'origine de la grippe, le Dr Fiessinger, d'Oyonnax, déclare que dans celte ville la grippe infectieuse a précédé d'un an la venue do l'influenza.

Pour Kelsch et Antony (Archiv. de Méd. milit., 1891), la grippe existe toujours à l'état de petits foyers isolés; ces foyers se ravivant,


- 47 (G) -

donnant naissance à l'influenza. D'après eux, celle maladie endémique est désignée dans l'ancienne nomenclature sous les rubriques de fièvre éphémère, synoque, fièvre muqueuse, fièvre herpétique

Le Professeur Proust (Acad. de Médecine, 19 avril 1902) affirme que l'épidémie de 1889-1890 a présenté des caractères tout à fait semblables à ceux des épidémies précédentes dont on possède l'histoire ; cela résulte des nombreux documents adressés à l'Académie à ce sujet, D'après les relevés faits dans divers pays, notamment par J. Teissier pour la Russie, par P. Roux pour la France et par Parsons pour le monde entier, la grippe serait venue d'Asie en Russie, de là, en Allemagne, puis en Autriche, en France, et, secondairement, dans les pays Scandinaves, la Belgique, la Grande-Bretagne, les rives de la Méditerranée, pour gagner enfin l'Afrique et l'Amérique,

La contagiosité de la grippe, selon l'opinion de Proust, est lo fait qui a lo plus frappé les observateurs. Le transport par l'air ou par l'eau est démenti par l'observation qui a montré la grippe marchant contre le vent et remontant le cours des fleuves; ces mouvements de recul, ces sauts rétrogrades ne trouvent pas leur explication en dehors do la contagion d'homme à homme. On a prétendu, dit encore l'éminent hygiéniste, que



- 48 (G) -

l'épidémie avait été importée par des marchandises venant de Russie; mais il a été établi qu'aucun objet n'était arrivé de Russie, depuis trois ans, dans le magasin qui parait avoir été frappé le premier à Paris.

Lancereaux estime, au contraire, que les courants atmosphériques jouent un rôle des plus importants dans la propagation de la grippe, En outre, il est à noter que c'est habituellement au moment des changements de température, au début des temps froids et sombres, précurseurs de la geléo, que la maladie fait son apparition.

Contrairement à l'opinion de Proust, J. Teissier croit à la propagation de la grippe par l'eau. Au cours de son enquête sur la marche de l'épidémie de 1890, à Saint-Pétersbourg, le savant Professeur de Lyon fut frappé de co fait quo les premiers foyers dûment constatés s'étaient développés au bord de la Neva (quartier de Vasili) et au bord de la Moïka (caserne de la Marine), dans des points où l'eau, presque stagnante, contenait des germes en très grande proportion. A Moscou, c'est sur les rives 'de la Moscova et de la Yazouza que la grippe s'est montrée tout d'abord et a exercé de sérieux ravages. Môme fait à Varsovie, sur les bords de la Vistule, et à Kiev, sur los rives du Dniéper. J. Teissier cite plusieurs autres exemples assez démonstratifs do cette apparition de la grippe le long dés cours d'eau.



- 49 (G) -

Il serait vraiment intéressant do pouvoir fixor exactement la date de l'apparition du premier cas de grippe dans une localité déterminée. Ch. Bouchard, malgré l'insuffisance des documents adressés à l'Académie de Médecine, a pu, néanmoins, grouper et commenter quelques renseignements utiles, Les dates sont comprises presque toutes pour les départements, l'Algérie et la Tunisie, entre le commencement de décembre 1889 et la fin de la première semaine de janvier 1890. A Paris, la grippe lit explosion le 26 novembre 1889, mais, dès le 20 novembre, elle régnait déjà à Saint-Sever, et elle s'était d'ailleurs montrée à Rouen à la fin d'octobre.

D'après le Dr Senut, cité par Ch. Bouchard, la marche de la grippe est complètement indépendante des conditions atmosphériques ; suivant cet observateur, cette marche dans l'armée aurait été vraiment significative. Les corps d'armée du Midi ne furent atteints qu'après ceux du Nord, avec une rapidité proportionnelle à l'importance de leurs relations avec Paris et avec certains chefs-lieux. Le Dr Carlier note que les officiers et les sous-officiers, qui ont plus de facilité pour voyager et surtout pour se rendre à Paris, ont, au commencement de l'épidémie, fourni proportionnellement plus.de malades que les simples soldats.

Le 14.décembre 1889, la grippe aurait été apportée au Mans par un voyageur venant de



- 50 (G) -


Paris. Mais nous aurons à revenir sur ce sujet à propos de la contagion.

Conditions météorologiques

Les opinions sur ce point sont très divergentes. L'ozone en excès qu'on incriminait volontiers autrefois est aujourd'hui bien déchu de son importance. Hayes, dans une expédition au pôle nord, a constaté que, dans les régions polaires, l'ozone est toujours à son maximum et, cependant, les affections bronchiques et pulmonaires y sont presque inconnues. A Paris, la quantité d'ozone est inappréciable et, cependant, la grippe y est fréquente (Hahn). Seitz. n'a pu observer, de 1853 à 1855, à Munich, aucune coïncidence entre la proportion d'ozone et les affections catarrhales (Catarrh und influenza, 1865). Nous avons recherché nous-môme, en collaboration avec le Dr Picou (Congrès international d'hygiène, Paris, 1889), les rapports de l'ozone avec les bactéries de l'air, et nous avons pu démontrer que chaque minimum d|ozone correspondait à un maximum de microbes, si bien qu'il est permis de considérer ces deux facteurs comme fonction l'un de l'autre.

Le Dr Hébert, d'Audierne, cité par Ch. Bouchard, a noté avec grand soin l'état hygrométrique de l'atmosphère, la pression barométrique et la direction des vents pendant toute la durée do l'épidémie de 1889-1890. Les conclusions qu'il tire


- 51 (G) -

de ses observations sont que l'humidité de l'air a une influence fâcheuse, quo les diminutions de la pression barométrique ont coïncidé avec l'aggravation de la grippe, et que celle-ci, dans sa marche extensive, se dirige très bien contre le vent. D'après cet observateur distingué, la grippe à forme catarrhale a régné surtout quand soufflait le vent d'est, et la forme nerveuse s'est montrée en même temps que le vent du sud-ouest.

D'autres signalent le froid et l'humidité, les brouillards, la diminution de l'ozone ; certains,' au contraire, n'attachent aucune importance aux conditions météorologiques,

Le Dr Frilet a vu précisément cesser l'épidémie de Sousse, au moment où commençaient des pluies d'une abondance inusitée. Certains auteurs parlent de bouleversements cosmiques ayant provoqué dans le micro-organisme de la grippé une virulence et une vigueur extraordinaires. On a tour à tour incriminé les dépressions barométriques persistantes, les températures d'une élévation insolite en hiver, l'état hygrométrique de l'air. Certains ont constaté l'influence favorable d'un froid vif, alors que d'autres ont pu accuser, au contraire, la rigueur de là température.

A propos de l'influence des saisons, on a dit que la grippe apparaissait surtout en hiver; mais on l'a observée au printemps, en automne et quelquefois en été.


- 52 (G) -


La souillure do l'eau potable peut-elle, comme pour la fièvre typhoïde, faire éclater l'influenza dans certaines régions? On aurait quelque tendance à admettre cette origine hydrique, car, dans plusieurs quartiers ou même dans quelques maisons de la contrée envahie, l'usage d'une eau potable de bonne qualité aurait conféré l'immunité à de nombreux habitants. On peut se demander si, dans ces cas, l'eau polluée n'aurait pas simplement déterminé dans l'organisme un état de réceptivité spéciale pour l'infection grippale.

L'influence des causes cosmiques reçoit un relief saisissant d'un fait cité par le Dr Duflocq et que nous considérons comme très probant. Il concerne une épidémie d'influenza qui se produisit, le 4 janvier 1890, dans un bourg de la Creuse. Après un orage violent coïncidant avec une chaleur excessive, et alors qu'il n'y avait dans cette localité que deux ouvriers grippés, venant de Paris, cent cinquante personnes furent contaminées dans l'espace de quelques heures.

L'action d'un froid vif nous parait aussi être une cause puissante de dissémination de la grippe. C'est ainsi, notamment, que les choses se sont passées à Toulouse, en janvier 1901; à l'occasion d'un abaissement considérable de la température, de nombreux cas do grippe infectieuse éclatèrent dans cette ville. Il s'agit là, très probablement, lorsque règne une épidémie d'intensité moyenne,


- 53 (G) -

d'une accentuation de la réceptivité chez des individus susceptibles d'être contagionnés,

D'après certains observateurs, c'est lorsque l'air est presque saturé d'humidité qu'on voit surgir les maxima des diverses poussées épidémiques. C'est ce qui s'est vraisemblablement passé dans quelques grandes villes où la grippe naissante coïncida avec une très notable augmentation de l'humidité atmosphérique. Ces faits résultant de recherches et d'enquêtes scrupuleuses, paraissent être en désaccord avec les observations très remarquables de Louis Masson dont nous allons parler, mais ces contradictions seraient plus apparentes que réelles.

L. Masson, ingénieur très distingué, dans un mémoire publié, en 1891, par la Revue d'Hygiène et de Police sanitaire, s'est appliqué à analyser et à étudier, avec le plus grand soin, les caractères spéciaux des phénomènes cosmiques qui sont intervenus dans toutes les manifestations générales de la grippe épidémique. Ces importantes recherches ont été très clairement résumées, par A.-J. Martin, dans un article de la Gazette hebdomadaire de Médecine et de Chirurgie (juin 1891).

De novembre 1889 à février 1890, la mortalité fut exceptionnellement élevée à Paris, frappant surtout les phtisiques, les cardiaques et les individus atteints déjà d'affections cérébrales. L'épidémie se montra particulièrement sévère dans la


- 54 (G) -

première semaine de janvier 1890, décimant surtout les quartiers pauvres. Pendant cette période, le baromètre indiqua une pression tout à fait anormale. Il faut, parait-il, remonter jusqu'en 1757 pour retrouver des chiffres aussi élevés ; le maximum absolu 779m,8 fut atteint le 20 novembre 1889. Par contre, la température s'abaissa parallèlement, sans cependant atteindre une rigueur extrême.

Concernant l'humidité de l'air, le fait remarquable consista dans la petite quantité d'eau tombée pendant la période de l'épidémie ; pourtant, celte humidité fut assez considérable, car l'état hygrométrique resta constamment élevé, dépassant même 0,80 au moment du maximum de l'épidémie.

D'après L. Masson, de juin 1889 à juin 1890, la pluie fut moins abondante à Paris qu'à l'ordinaire; il ne tomba, en effet, pendant ces douze mois^ que 0m,448 d'eau, tandis que la hauteur moyenne est de 0m,567. Pendant la période de l'influenza, on nota comme maximum 0m,0134 dans la quarante-huitième semaine, 0m,0266 dans la cinquantième, et 0m,0l34 dans la quatrième semaine de janvier 1890. Les vents «offrirent rien de particulier.

La radiation, c'est-à-dire le rapport entre les rayons lumineux reçus en un lieu et ceux qui seraient reçus si le ciel était pur de tout nuage, éprouva une baisse notable dès le début de



- 55 (G) -

l'apparilion delà grippe.. Le défaut de lumière solaire «e fit sentir pendant toute la durée do celle période,

Ces renseignements comparatifs se sont retrouvés, avec des caractères presque identiques, dans la plupart des stations météorologiques, et, notamment, dans les capitales des États européens. Les courbes do Vienne pouvaient se superposer à celles qui furent dressées pour Paris ; il en fut à peu près de môme à Berlin, à Bruxelles, etc. En Russie, par contre, sauf l'augmentation de l'humidité, la mortalité s'éleva alors que le baromètre descendait. A Saint-Pétersbourg, à Moscou, à Varsovie, l'épidémie cessa avec la réapparition du froid et le retour des hautes pressions. A quoi attribuer ces différences ? se demande A.-J, Martin, Peut-être à l'endémicité de la grippe déjà signalée et bien prouvée par le Professeur J. Teissier. La grippe, ainsi acclimatée, a pu s'adapter à des manifestations atmosphériques multiples et préparer plus aisément de nouvelles invasions.

En face d'un problème aussi complexe, le Dr A.-J, Martin ne se croit pas autorisé à émettre des conclusions. Comme le savant hygiéniste, on peut tout au moins admettre que les variations, les modifications plus ou moins profondes du temps, sans être capables de provoquer directe- ment les épidémies de grippe, peuvent exercer une influence excitatrice ou autre sur les manifestations de l'affection.



- 56 (G) -

Les graphiques et les cartes dressés par L. Mas- son démontrent que les zones de forte mortalité ont été enserrées en quelque sorte par les élévations de pression et presque toujours, quelle qu'ait été la région, sauf la Russie. A.-J. Martin n'ose formuler aucune conclusion dans une question aussi complexe, Il serait toutefois très disposé, avec Brochin, à accorder aux vicissitudes atmosphériques, ainsi qu'aux brusques variations du temps, une influence excitatrice ou modificatrice sur la marche et les caractères de la grippe,

On connaît, par des expériences répétées de laboratoire, l'influence des agents physiques tels que la lumière, la pression atmosphérique, le froid, la chaleur, etc., sur la virulence des microbes, Il est vraisemblable que les constitutions saisonnières sont régies par les oscillations météorologiques agissant d'une façon variable sur la vitalité des micro-organismes existant dans l'air ou sur quelques-unes de nos muqueuses.

Sans compter, dirons-nous nous-même, qu'il existe encore bien des mystères, au point de vue non seulement atmosphérique, mais tellurique, pour l'explication des constitutions saisonnières. Quelle est l'action des phénomènes électriques, des variations des gaz nouveaux découverts dans l'air atmosphérique, de la lumière, etc.? Que de


- 57 (G) -

surprises, à ces divers points de vue, l'avenir no nous réserve-t-il pas ?

La contagion

La question de la contagiosité de la grippe fut très discutée au début de l'épidémie de 1889. La diffusion rapide de la maladie, l'éclosion presque instantanée de nombreux cas dans une région étendue, la simultanéité de troubles identiques chez tous les habitants d'une môme localité, tout cela, à cette époque, faisait inévitablement songer aux effets d'influences morbigènes d'ordre météorologique. Les anticontagionnistes, comme le fait remarquer le Professeur Bouchard dans son rapport général, furent en majorité. L'éminent observateur avait lui-môme repoussé autrefois la contagion de la grippe; l'épidémie de 1889-1890 modifia de bonne heure son opinion. Comme il le fait remarquer, la marche de la grippe n'excède pas la rapidité des moyens de communication en usage de nos jours chez les humains.

Voici quelques opinions en opposition avec la contagiosité de la maladie, citées par Ch. Bouchard :

Malgré l'observation la plus rigoureuse, le Dp Lhomond, de Sajnt-Lô, n'a pu établir la certitude de la contagion de l'influenza.

Le Dr Garnier, du Mans, a vu

« la grippe atteindre des personnes qui gardaient la chambre



- 58 (G) -
depuis quinze jours et n'avaient eu aucun rapport suspect ».

Il a observé de nombreux cas où la contagion ne s'est pas développée et où, quelques semaines plus tard, le mal s'est produit spontanément. Les habitants d'une propriété, par exemple, étaient tous frappés simultanément; mais le village voisin, en rapports quotidiens avec eux, n'était envahi que quinze jours après.

Le Dr G. André[2], professeur à l'École de Médecine de Toulouse, cité dans le rapport général, déclarait, à cette époque, que la contagion lui paraissait très douteuse.

« C'est une épidémie planétaire, disait-il, et on ne peut s'expliquer l'instantanéité et la généralisation de cette affection qu'en supposant, que notre planète a dû traverser quelque milieu antipathique à notre organisme. »
Mais notre opinion ne tarda pas à se modifier.

En décembre 1889, L. Colin déclarait devant l'Académie de Médecine que l'épidémie naissante n'avait rien à voir avec les communications humaines. Parcourant avec la môme vitesse les mers ou les régions inhabitées, elle était comparable à ce point de vue aux agents physiques tels que la lumière et l'électricité.

Mais il ne faut pas insister sur une illusion qui pouvait s'expliquer dans les premiers jours do cette extraordinaire épidémie. Les faits qui démontrent la contagion sont nombreux et indiscutables.



- 59 (G) -

Brochin (Dict. encyclop. Se. médic.) rappelle qu'une ville d'Islande, jusque-là indemne do grippe, fut atteinte brusquement par la maladie, le lendemain du jour où le percepteur des impôts, qui en était affecté, y fut entré pour opérer des recouvrements. Le Professeur Grasset rapporte que le premier cas de grippe survint à Montpellier, le 9 décembre 1889. Il s'agissait d'un malade arrivé la veille do Paris, où il avait visité les Magasins du Louvre. L'explosion de la maladie à Montpellier eut lieu le 17 décembre; depuis lors, do nombreux cas se produisirent et la propagation s'effectua rapidement, surtout là où existaient de grandes agglomérations, Crédit lyonnais, Lycée, etc. Le début brusque était caractérisé par des frissons et de la céphalalgie ; puis survenaient des douleurs généralisées, de l'angine, des sueurs abondantes, etc. Dans un cas, il se produisit un érythèmo scarlatinifonne. Cela n'était pas sans analogie, déclare Grasset, avec la dengue.

L'éminent Professeur de Montpellier rapporte encore que, dans cette gronde épidémie, aucun cas ne s'était produit à Fronlignan jusqu'au jour où arriva de Paris une personne grippée; celle-ci dîna avec dix autres convives, parmi lesquels cinq contractèrent la maladie {une de ces personnes porta ensuite la grippe dans un village voisin indemne jusque-là.


- 60 (G) -

F. Widal, Barth, Ânlony relatent des épidémies intérieures d'hôpital, survenant après l'admission de malades venus du dehors.

Un passager du paquebot Saint-Germain s'embarque à Santander avec la grippe qu'il a contractée à Madrid, Quatre jours plus tard, le médecin du bord est atteint ; puis la maladie se généralise frappant cent cinquante-quatre passagers sur quatre cent trente-six (Proust).

Par contre, les communautés religieuses, les prisons, les asiles d'aliénés furent souvent respectés. Sur soixante-treize phares anglais, quatre seulement eurent des malades, et le personnel (413 sujets) aurait été complètement épargné, si huit employés n'avaient visité des localités contaminées (Netter).

Lo vaisseau l'Iphigênie, école d'application, arrivant de lu Martinique sans un seul cas de grippe à bord, mouille en rode de Cadix, en janvier 1890. L'influenza sévissait en ce moment dans celte ville. l'Iphigênie cingla vers Barcelone quelques jours après. En arrivant dans cette dernière ville, un matelot était déjà mort do l'influenza. Vers le 20 janvier, en entrant au port de Toulon, le nombre des malades était devenu si considérable que l'équipage dut être licencié,

Dans le rapport sur lu grippe de la Seine-Inférieure, rédigé par le Dr Brunon, d'après les réponses fournies par soixante-quinze médecins de ce


- 61 (G) -

département à un questionnaire uniforme, le Professeur Bouchard relève que, sur ce nombre, cinquante-huit affirmaient la contagion, huit seulement la niaient, neuf restaient dans le doute.

Le Dr Hébert, après avoir signalé des faits favorables à la contagion, a vu pourtant, dans deux villages, un cas isolé se produire sans qu'aucun autre habitant ait été atteint ultérieurement. Le mémo praticien cite encore un fait plus significatif, recueilli dans le rapport général. Il s'agit d'un petit foyer épidémique chez les trois personnes logées dans le sémaphore de Raz-de-Sein, sur une langue de terrain granitique, à deux kilomètres de toute habitation. L'eau que buvaient ces trois personnes était une eau do citerne très pure. Ne peut-on pas incriminer ici certains objets contaminés venus du dehors on no sait comment, ou môme les germes voyageant dans l'air, certaines poussières, etc.? Un colis déballé et arrivant d'un pays où règne la grippe peut fort bien être le point de départ d'une épidémie de maison. C'est de la sorte que, sur le vaisseau-école la Bretagne, la maladie put se propager en quelques jours, frappant vingt à quarante-cinq hommes par jour, le voisseau en cou tenant huit cent cinquante (Danguy des Déserts), Or, la grippe avait été apportée le 16 décembre par un des officiers du bord qui, lui-même, deux jours


- 62 (G) -

auparavant, avait été atteint, après avoir déballé deux caisses qui lui avaient été adressées par une Maison de Paris. C'est là un bel exemple de contagion médiale, comparable à celui d'un distingué, confrère qui contracta la grippe, un jour ou deux après avoir reçu des lettres arrivant d'une ville contaminée.

Ch. Bouchard avait repoussé autrefois la contagion de la grippe,

« L'observation do l'épidémie de 1889-1890, déclare-t-il, a modifié notre opinion, et les raisons que nous avions tenues pour bonnes jusqu'alors nous paraissent moins solides aujourd'hui. »

Comment expliquer, en effet, en dehors de la contagion, que lu grippe naissant à Saint-Pétersbourg se soit manifestée à Paris en si peu de temps, en respectant tout d'abord les points intermédiaires ? Ch. Bouchard fait observer très justement que l'apparition soudaine d'un grand nombre de cas, dans un pays, peut s'expliquer par la très courte durée de l'incubation de la grippe, qui serait de quarante-huit heures seulement. C'est ainsi que, huit jours après l'arrivée d'un premier grippé dans une grande ville, soixante-dix-huit mille personnes environ peuvent avoir contracté la maladie par contagion. A l'appui de ce raisonnement, on peut invoquer l'opinion de Netter qui affirme que, dès le début de l'influenza, avant lu disparition du catarrhe, le sujet contaminé est susceptible de


- 63 (G) -

transmettre l'infection et qu'il conserve ce pouvoir au cours de la convalescence.

Un autre argument péremptoire vient à l'appui de là théorie de la contagion : c'est la proportion très faible des cas dan.s les prisons et les asiles d'aliénés (Talamon),

Sur les quatre cents gardiens qui habitent les bateaux-phares ou les phares fixes échelonnés sur les côtes de la Grande-Bretagne, huit seulement ont été atteints par l'influenza. (Rapport adressé au Local Governemcnt Board.)

Dans le rapport du Dr Brunon, nous voyons que le Dr Roullet, à Rouen, a relaté le cas d'un homme habitant une maison isolée au milieu d'une forêt et qui ne fut atteint de la grippe qu'après avoir reçu chez lui sa fille, domestique en service à la ville, qui lui revenait avec cette maladie.

Sur les neuf cents pensionnaires de la prison do Rouen, il y eut seulement quelques cas, et un seul prisonnier dut être mis à l'infirmerie, Mais s'agissait-il d'un cas de vraie grippe? car, s'il en était autrement, il y aurait là un argument en faveur des non-conlugionnistes. Même objection pour le foit cité par le Dr Gondouin, d'Argentan, Ce praticien distingué affirme que les Bénédictines cloîtrées n'eurent que deux cas de grippe sur cinquante religieuses; quant à l'orphelinat, qui était sans aucune relation avec l'extérieur, il n'eut pus une seule malade,


- 64 (G) -

La contagion est donc réelle, irrécusable, et, sur cette question, le débat est aujourd'hui définitivement clos, Il n'en est pas moins bien établi, par des faits incontestés, que le rôle de cette contagion est loin d'être toujours apparent, surtout quand on envisage la marche générale d'une épidémie grippale. L. Colin, qui paraît avoir sur ce. point une opinion éclectique, fait observer avec raison (Encyclopédie d'Hygiène) que la rapidité de cette marche surpasse étrangement les moyens usuels de communication. En effet, des régions très vastes et très éloignées ont subi simultanément, en 1889, l'atteinte du fléau. La grippe a franchi l'Océan avec une rapidité déconcertante, sans l'aide des navires. Qu'une région soit très peu habitée ou qu'elle possède une population très dense, la maladie marche avec la môme vitesse. L. Colin parle de bâtiments atteints en pleine mer ou en rade, sans communication avec la terre ferme; c'est ainsi que les choses se se- raient passées à bord des Hottes anglaise et belge pendant l'épidémie de 1780.

Ce serait donc l'atmosphère qui engendrerait les épidémies d'influenza. L. Colin no voit, comme agent pathogène, autour de l'homme, que l'atmosphère qui, par sa mobilité, par son action générale, puisse correspondre aux allures des épidémies grippales, Quant à savoir comment s'exerce cette action, il est impossible,



- 65 (G) -

dans l'état actuel de la science, de pénétrer ce mystère.

La grippe est-elle transmissible de l'homme à l'animal ? Les faits rapportés par le Dr Aug. 01llvier tendent à admettre cette opinion. Il s'agit d'un chat qui avait avalé des morceaux de viande déjà mâchés par une malade fortement grippée. Trois ou quatre jours après, l'animal mourait après avoir présenté des phénomènes significatifs : toux, jetage, anhélation, amaigrissement notable.

En 1868, nu cours d'une épidémie de grippe, un chat malade se réfugia dans une famille où vivaient déjà cinq chats bien portants et mangeant lu môme pâtée. Au bout de six jours, le nouveuu venu succomba.

L'autopsie, pratiquée par Aug. Ollivier, révéla les lésions que l'on rencontre chez les sujets ayant succombé à la grippe et notamment des noyaux de pneumonie massive. Les cinq chats de la maison furent successivement pris de grippe et quatre moururent. L'autopsie donna les mêmes résultats.

Le Dr Czokor présenta, en 1890, à lu Société des Médecins de Vienne, les poumons d'un cheval mort de pneumonie infectieuse d'origine grippale, Il existait de nombreux noyaux mortifiés ayant laissé à leur place, en s'éliminant, de véritables cavernes. C'est le streptocoque qui fut rencontré dans-ce cas,


- 66 (G) -

La grippe se présenterait sous deux formes chez le cheval : l'une étant l'influenza ordinaire, l'autre portant le nom de pneumonie infectieuse.

En 1872, une grande épidémie d'infuenza aurait sévi sur tous les chevaux de l'Amérique du Nord, sans atteindre les hommes. Netter fait remarquer que la grippe coïncide quelquefois avec des épizooties. En 1693, elle fut précédée d'une affection des chevaux caractérisée surtout par du coryza; il en fut de même en 1732, en 1767, en 1775, etc. L'identité do celle affection chevaline avec l'influenza a été très discutée par les vétérinaires. Dans l'épidémie de 1889-1890, la grippe n'a pas été signalée chez les chevaux. D'autre part, il y a eu des épizooties d'influenza sans épidémie simultanée do grippe,

Morbidité

La diffusion de la grippe est dos plus remarquables ; peu de personnes sont réfraclaires, aussi la morbidité est-elle considérable. Les rapporteurs cités par Ch. Bouchard sont tous unanimes sur co point; les populations sont atteintes dans la proportion de 40 à 80 % et quelquefois davantage. Les chiffres varient d'ailleurs suivant les groupements spéciaux d'individus, comme cela résulte des documents importants contenus dans le rapport général fuilà l'Académie de Médecine en 1890. Les employés de chemins


- 67 (G) -

de fer sont, à ce point do vue, très intéressants, en raison do leur contact avec un plus grand nombre de personnes. Parmi les employés de l'exploitation, dans un certain parcours du chemin do fer de l'Ouest, le Dr Gondouin a relevé une morbidité de 48%; tandis quo, parmi les employés do la traction (chauffeurs, mécaniciens, etc.), il n'y eut quo 38 % do grippés, ces derniers n'ayant pas do rapports avec les voyageurs, Quant aux employés de la voie, la morbidité atteignit à peine 9 %.

Los hommes vivant on plein air, les travailleurs des champs notamment, fournissent moins de prise à la maladie ; il en serait de môme pour les soldats entraînés aux marches, contrairement à ceux qui restent dans los chambrées (Aubert). Les employés d'octroi seraient plus exposés que les collégiens, par exemple (Brunon), Le Dr Carlier note que les officiers et les sous-officiers, qui ont plus de facilités pour voyager, fournissent proportionnellement plus de malades quo les simples soldats. L'influence de l'âge n'est pas douteuse ; les enfants et les vieillards jouissent d'une immunité relative ; mais chez ces derniers, par contre, les manifestations sont ordinairement très graves. L'inlluenza serait très rare au-dessous d'un an.

Dans les asiles d'aliénés, le personnel serait atteint dans de plus grandes proportions que les


- 68 (G) -

pensionnaires. Le sexe masculin fournit un contingent supérieur à celui du sexe féminin. Les maladies chroniques constituent des causes pré-disposantes.

Nous avons déjà dit que, d'après Graves, la grippe ne compliquait jamais une maladie aiguë en voie d'évolution, mais l'immunité disparaîtrait au moment de la convalescence,

On a parlé de maladies antagonistes : la scarlatine, la variole, la fièvre intermittente feraient partie de c egroupe.Cette étude demande à être reprise.

Il ne paraît pas exister, quoi qu'on ait dit, d'affinité entre la grippe et le choléra ; les deux maladies ont une marche et une étiologio toutes différentes.

Dans l'épidémie do 1880-1890, les récidives ont été notées dans 1/7° des cas. Certains sujets sont atteints doux ou trois fois; mais la première atteinte serait la plus sérieuse.

La plupart des médecins sont d'accord sur le pouvoir qu'a la grippe de réveiller toutes les tares organiques (néphrite, dyspepsie, cardiopathie, lithiase biliaire, tuberculose locale, etc.).

L'influenza s'abat tout particulièrement sur les phtisiques, et, en temps d'épidémie, augmento notablement leur mortalité.

Les épidémies pourraient-elles subir aussi une sorte do réveil? Ce point nous parait bien difficile à établir; il faut, en effet, compter avec la



- 69 (G) -


grippe nostras ou endémique dont l'existence a été mise en relief par d'assez nombreux auteurs et notamment par le Dr Fiessinger.


Voir aussi

Notes
  1. L'ïle Chatham est bien située à 380 miles à l'est de la Nouvelle-Zélande. En maori cette ile est appelée Wharekauri
  2. Auteur de ce document et ici en auto citation.