Etude sur les sels de quinine (1872) Colin/Mode d'action

De Wicri Santé

Mode d'action de la quinine


 
 

logo travaux Document en cours de réédition numérique
Gallica bpt6k61364846 4.jpg
Chapitre
Mode d'action de la quinine
Auteur
Léon Colin
Extrait de
Les sels de quinine (1872)
Visible en ligne
Sur Gallica
Chapitre précédent
De l'influence antifébrile de la quinine dans les pyrexies et les maladies inflammatoires
Chapitre suivant
Conditions qui favorisent l'action des sels de quinine

Cette page introduit un chapitre de l'ouvrage Les sels de quinine, rédigé en 1872 par le docteur Léon Colin.

Mode d'action de la quinine


- 23 (G) -

Nous avons dit ailleurs combien différaient les auteurs sur la nature de l'action thérapeutique et même physiologique de la quinine, stupéfiante pour les uns, tonique ou excitante pour les autres ; peut-être ne pourrons-nous pas, à notre tour, déterminer par un seul mot le rôle de cet agent dans l'organisme ; nous pensons


- 24 (G) -

même qu'il y a quelque avantage à ne pas regarder comme unique son mode d'action, en faisant provenir la série des effets produits d'une impression subie exclusivement par tel ou tel organe ou appareil de l'économie. Nous verrons que tels phénomènes, d'origine similaire en apparence, le ralentissement de la circulation et l'abaissement de la température, ont cependant leur point de départ dans certaines modifications, organiques ou fonctionnelles, complètement différentes.

L'action directe de la quinine sur le cœur, constatée par M. Briquet, nous donnera la raison principale des modifications subies par le courant sanguin, tandis que ce sont les altérations subies par les mouvements de nutrition et de combustion organique qui nous indiqueront surtout l'origine de la diminution de la température.

Dans cette étude, nous aborderons parfois des questions où nous manquera l'appui soit de la clinique, soit de l'expérience personnelle ; on ne nous accusera pas cependant de nous hasarder trop légèrement loin des voies sûres et connues ; ayant rappelé dans notre Traité des fièvres l'histoire et les bases scientifiques de la médication quinique, qui est une des gloires les plus incontestables de la médecine française, nous croyons faire œuvre utile en éclairant cette question des résultats de travaux plus récents, qui ont été faits surtout à l'étranger.

§ I. — Action de la quinine sur les centres nerveux et circulatoire

Tout récemment encore (1), Cl. Bernard rappelait combien sont variées les sources de la calorification animale, à laquelle contribuent les tissus, les liquides et les appareils les plus divers de l'organisme : le sang, les muscles, le système nerveux, les glandes, etc. Aussi comprendra-t-on qu'en reconnaissant, comme principale propriété physiologique de la quinine, l'abaissement de la température, on a dû s'adresser successivement à bien des organes pour déterminer le mode et le lieu d'action de cette substance.

On sait, particulièrement depuis les travaux de Schlockow, Eulenburg et Simon, que la quinine à haute dose abolit, chez les grenouilles, les mouvements réflexes provenant de la moelle épinière ; on en a conclu que cette influence du médicament était due


(1) Cl. Bernard, Les Équilibres calorifiques, in Revue scientifique, 4 mai 1872.


- 25 (G) -

à son action excitante sur certains centres modérateurs de ces mouvements, centres qui siègent spécialement dans le cerveau, dont l'ablation donne en effet à la moelle la plus complète liberté dans l'exercice de cette puissance réflexe.

D'autre part, certaines expériences récentes ont semblé établir que le cerveau était le siège non-seulement de centres modérateurs de l'innervation motrice et sensitive, mais encore des centres modérateurs de l'innervation vaso-motrice et trophique ; on sait les faits cités à l'appui de cette dernière opinion par Tscheschichin, qui, sectionnant chez des lapins l'axe cérébro-spinal entre le pont de Varole et la moelle allongée, voit la température, la respiration et le pouls s'élever avec une extrême rapidité jusqu'au moment de la mort (1).

Bien que ces conclusions, généralement admises tout d'abord, aient été dans ces derniers temps ébranlées par les recherches de Heidenhain (2), elles ont été le point de départ des expériences de Naunyn et Quinck, qui, en coupant transversalement la moelle épinière, au-dessus de la première vertèbre dorsale, à des chiens vigoureux placés dans un milieu d'une température élevée, ont toujours constaté, immédiatement après cette section, l'ascension continue, graduelle de la température interne, du pouls et de la respiration jusqu'à la mort.

Il y avait là, dès lors, d'excellentes conditions pour constater si la quinine était anticalorifique par son excitation des centres modérateurs de l'innervation vaso-motrice et trophique, qui préside


(1) Dans la première demi-heure après l'opération, la température monte de 39°,4 à 40°,1 centigrades ; une heure après l'opération cette température atteignait 41°,2 ; une heure et demie après, 42°,1 ; deux heures après, 42°,6. (Reicherfs und Dubois Archiv, 1866.


(2) Suivant Heidenhain, l'élévation de température obtenue dans ces expériences n'est pas le résultat de la section de l'axe nerveux entre la moelle allongée et le pont de Varole ; cette section lui a toujours donné, au contraire, un abaissement de température ; il pense donc que l'imperfection du manuel opératoire de Tscheschichin n'entraînait qu'une section incomplète de l'axe nerveux, c'est-à-dire une excitation traumatique d'une région où toutes les irritations, piqûre d'aiguille, électricité, etc., ont pour résultat d'amener une ascension immédiate de la température générale, superficielle et profonde, de l'organisme. D'après Heidenhain, les centres régulateurs de la température siégeraient plutôt dans la moelle allongée ; ce qui, en somme, laisse toute leur valeur aux expériences que nous citons, et où la section de l'axe nerveux a été faite entre la septième vertèbre cervicale et la première dorsale.


- 26 (G) -

surtout à la production de la chaleur dans les tissus ; la quinine pourrait-elle diminuer cet appareil fébrile artificiel, tout rapport étant ainsi interrompu entre la moelle, source de cette innervation, et le centre modérateur intracrânien sur lequel on pensait que se concentrait l'action du médicament ?

Les recherches faites à cet égard par le professeur Binz ont prouvé que l'influence de la quinine était complètement indépendante de tout rapport avec ces centres. Dans plusieurs expériences, pour lesquelles il employa également des chiens vigoureux, placés dans un milieu dont la température élevée s'opposait à une déperdition périphérique de la chaleur interne de l'animal, cet observateur pratique la section de la moelle au-dessus de la première vertèbre dorsale et il constate que la quinine, administrée soit par l'estomac, soit par la méthode hypodermique, a pour effet à peu près constant de modérer l'ascension de la température, parfois même d'entraîner de légers mouvements de recul dans cette période ascensionnelle.

On remarque en outre une élévation remarquablement moindre de la température post mortem chez les animaux traités par la quinine après cette section de la moelle : tandis qu'en moyenne l'ascension thermique post mortem est de 1 degré centigrade, cette élévation se borne, en général, à trois ou quatre dixièmes de degré lorsque la quinine a été employée.

L'influence antipyrétique de la quinine semble donc indépendante de toute action du médicament sur ces prétendus centres nerveux modérateurs de la chaleur. Cette influence s'adresse-t-elle à d'autres points de l'axe cérébro-spinal ? agit-elle directement sur la moelle épinière, comme l'électricité par exemple, qui, après la section de cette moelle, produit le resserrement général des vaisseaux ?

C'est là une hypothèse dont nous nous défions à priori ; si la quinine donne lieu, parfois, à certains symptômes de stimulation cérébrale, elle n'a jamais, que nous sachions, produit sur la moelle que de faibles indices d'excitation soit motrice, soit sensitive ; son action semble plutôt stupéfiante, sédative, et M. Briquet cite des cas de myélite où l'emploi de la quinine, au lieu de produire la moindre irritation, fut suivi de la disparition de violentes douleurs siégeant dans les membres influencés par la maladie(1).


(1) Voir Briquet, loc. cit., p. 173.



- 27 (G) -

Il ne semble même pas que la quinine puisse produire, par une action tonique spéciale sur les extrémités périphériques du système nerveux vaso-moteur, cette contraction, ce resserrement des petits vaisseaux qu'on a considérés comme le point de départ de ses propriétés anticalorifiques. On sait que la section transversale de la moelle des animaux, que l'on abandonne ensuite à l'influence du milieu ambiant, sans enveloppe protectrice, est suivie d'une déperdition rapide de leur température ; l'animal à sang chaud est ainsi converti, dit Cl. Bernard, en animal à sang froid ; la perte de la chaleur est due tout autant à la cessation des mouvements musculaires qu'à la dilatation paralytique de tout le réseau capillaire, d'où transport plus complet et plus rapide de la masse sanguine vers la périphérie, et soustraction plus considérable, par rayonnement, de la température interne. Si la quinine était susceptible, par son passage dans le torrent sanguin, de stimuler les extrémités périphériques des nerfs vaso-moteurs, elle devrait, dans ces conditions expérimentales, entraver plutôt qu'augmenter la déperdition de chaleur ; il n'en est rien, et nous voyons, d'après les expériences faites dans un autre but par Levisky, que les injections de quinine, pratiquées chez des lapins dont on a coupé transversalement la moelle, ont au contraire accéléré le refroidissement (1).

Tous ces faits nous indiquent, en somme, qu'il ne semble pas que la quinine agisse par l'intermédiaire des organes, centraux ou périphériques, regardés le plus habituellement comme régulateurs de la température animale ; son action hypothermique semble être plus directe, consister dans une diminution de la production même de la chaleur au sein des tissus, et non dans une simple influence sur la déperdition ou la répartition de la température produite.

Il ne faut pas que l'importance accordée aujourd'hui à l'observation thermométrique fasse trop négliger la haute valeur d'un des résultats les plus constants produits par la quinine sur l'organisme : nous voulons parler de la diminution du nombre et de l'énergie des contractions cardiaques. M. Briquet a mis en évidence cette action directe de l'alcaloïde sur le centre circulatoire, et les expériences faites depuis n'ont que confirmé d'une manière absolue tous les résultats obtenus par lui : à une dose déterminée suivant la


(1) Voir Levisky, loc. cit.


- 28 (G) -

taille de l'animal, la mort survient toujours par l'arrêt du cœur en diastole, et les phénomènes toxiques sont d'autant plus rapides que le poison pénètre plus vite dans la circulation des vaisseaux propres du cœur, dans les artères coronaires.

Cette action directe sur le cœur lui-même a été mise encore plus complètement hors de doute par Levisky, qui a prouvé une fois de plus, par plusieurs séries d'expériences, que l'axe cérébro-spinal n'en était en rien l'intermédiaire.

C'est ainsi que la section de l'extrémité supérieure de la moelle et du grand sympathique au cou, c'est-à-dire des organes de transmission de l'activité cardiaque, n'empêche en rien la quinine de ralentir les mouvements du cœur ; elle n'agit donc pas en paralysant le centre cérébral de l'appareil nerveux moteur du cœur.

D'autre part, elle n'agit pas non plus en excitant le centre modérateur de l'activité cardiaque, puisque la section du nerf vague ne remédie en rien au ralentissement de la circulation entraîné par une injection de sel de quinine.

Il faut donc rechercher la cause de la paralysie cardiaque dans l'influence de l'alcaloïde sur les faisceaux mêmes, nerveux ou musculaires, du tissu du cœur ; le muscle cardiaque est celui qui meurt le premier, dans l'empoisonnement par la quinine ; il a perdu toute contractilité électrique, au moment où le courant électrique agit encore sur les autres muscles de l'organisme.

Est-ce la fibre musculaire qui est directement atteinte, à l'exclusion des fibres nerveuses de la paroi du cœur ? C'est probable ; Jolyet a prouvé que la quinine, appliquée sur les muscles, en abolissait, momentanément au moins, l'irritabilité hallérienne (1), c'est-à-dire la contractilité musculaire ; Nasse et Waldorf ont également prouvé que la solution de sulfate acide de quinine, placée sur la cuisse dénudée d'une grenouille, tout contact avec le nerf étant empêché, supprimait cette contractilité ; tandis que si l'on imbibe de cette solution le nerf lui seul, aucune paralysie n'est produite : il est donc probable que la paralysie cardiaque aussi est due au contact de la fibre musculaire avec l'agent toxique.

L'action de la quinine sur le cœur semble donc, comme son action sur la température, s'exercer sans aucun intermédiaire émanant soit de l'axe cérébro-spinal, soit du grand sympathique.


(1) Gubler, Commentaires thérapeutiques du Codex, p. 587.


- 29 (G) -

§ II. — Action de la quinine sur les éléments du sang et des tissus organiques

Les recherches modernes ont non-seulement démontré que l'origine principale de la chaleur animale devait être rapportée au contact et aux échanges qui ont lieu entre le sang et les tissus élémentaires, surtout pendant la période d'activité des organes(1) ; mais, de plus, certaines expériences, et spécialement celles de Naunyn, ont établi que dans la fièvre, produite par exemple par l'inoculation aux animaux de faibles doses de matières putrides, l'augmentation des échanges organiques, de la combustion des éléments, précédait toujours l'élévation de la température. Personne mieux que le professeur Hirtz n'a su faire ressortir ce rapport entre la combustion organique suractivée, dont témoignent les produits éliminés par les poumons et les reins, et le mouvement d'ascension thermique, d'effervescence consécutive de l'organisme(2). Plus haut déjà(3) nous avons mentionné l'obstacle apporté par la quinine à l'élévation de la température post mortem ; la cessation des mouvements musculaires et l'arrêt du courant sanguin indiquent que cette ascension post mortem n'a d'autre point de départ que la continuation des processus chimiques qui produisent la chaleur, au moment où cesse la déperdition de calorique par les surfaces pulmonaire et cutanée ; ces processus sont donc entravés par la quinine. Nous allons étudier son action analogue sur ces phénomènes intimes de la vie, phénomènes qui sont, on le sait, à leur maximum chez le fébricitant, puisqu'il est prouvé que ce dernier perd plus de son poids, consomme par conséquent plus de matériaux de son organisme, que l'homme en bonne santé soumis comme lui à la diète.

A. Action sur les globules blancs du sang, la nutrition et les sécrétions

L'influence de la quinine sur les corpuscules du sang a été plus spécialement étudiée par le professeur Binz et par son école ; les résultats obtenus par leur maître ont été confirmés


(1) Cl.Bernard, Rôle du sang dans les phénomènes calorifiques, in Revue scientifique, 4 mai 1872.


(2) Hirlz, in Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, article FIÈVRE.


(3) Voir p. 26.


- 30 (G) -

par plusieurs élèves, qui ont consacré à ces recherches spéciales d'intéressantes dissertations. Les globules rouges du sang possèdent à un haut degré une propriété que Schœnbein a constatée lui-même dans la plupart des liquides et des tissus organiques exposés à l'air, celle de fixer une certaine quantité d'oxygène électrisé, d'ozone en un mot, et de devenir par conséquent, à leur tour, des corps très-oxydants. On sait que le réactif habituellement employé par Schœnbein pour déceler l'ozone est la teinture de gayac, qui, en présence de ce corps, prend une couleur bleue caractéristique ; c'est par ce moyen que A. Schmidt a constaté la présence de l'ozone dans le sang fraîchement tiré, exposé au contact de l'air, dont il prend l'oxygène en cédant une certaine quantité d'acide carbonique ; dans le torrent circulatoire lui-même, le globule rouge est ozonisé, et celle propriété a été rapportée par M. Becquerel à l'influence des phénomènes thermo-électriques qui s'accomplissent dans l'intimité des tissus, et dont on connaît l'action spéciale sur la production de l'ozone.

Harley, qui a particulièrement bien étudié la manière dont se comportent les globules rouges dans le sang fraîchement tiré et laissé au contact de l'air, a remarqué qu'une série de corps, parmi lesquels plusieurs bases végétales, strychnine, morphine, atropine, ont la propriété d'entraver cette respiration des globules rouges soustraits au torrent circulatoire, d'empêcher, en un mot, ces corpuscules de fixer l'oxygène naissant et de céder en échange de l'acide carbonique. Mais aucune de ces substances n'a, sous ce rapport, une puissance comparable à celle de la quinine, dont une quantité minime (un douze-millième) suffit pour l'expérience. Cette influence de la quinine à l'égard des globules sanguins a été confirmée par une longue série de recherches expérimentales rapportées dans les thèses d'Adam Schulte(1) et de Ransoné(2). Il est important de noter que le mouvement d'échange des gaz, entre ces globules et l'atmosphère, est d'autant plus actif que la saignée a été plus récemment faite ; le maximum en a lieu au moment même où le sang vient d'être tiré : c'est alors aussi que la quinine s'y oppose le plus énergiquement ;


(1) Adam Schulte, Ueber den Einfluss des Chinin auf einen Oxydations-prozess im Blute. Bonn, 1870.


(2) R. Ransoné, Ueber einige Beziehungen des Chinin zum Blute. Bonn, 1871.


- 31 (G) -

il est donc probable, par cela même, qu'elle possédera encore cette influence antioxydante sur les globules dans le torrent circulatoire. Et en effet, si on examine le sang des animaux qui ont pris de la quinine, on constate au moyen de la teinture de gayac, que les indices d'oxydation, d'ozonisation de ces corpuscules sont beaucoup moindres qu'à l'état normal ; aux expériences du professeur Binz, Kerner en a ajouté de nouvelles : il a constaté qu'une injection de 1 gramme de sel de quinine dans les veines d'un lapin suffisait pour enlever au sang tiré à l'animal toute faculté ozonipare au contact de l'atmosphère(1).

Il est doué à présumer que les sels de quinine enlèvent aux globules rouges la propriété de se charger d'oxygène naissant dans le cours même de la circulation, surtout dans celui de la circulation pulmonaire ; ces globules deviendraient dès lors beaucoup moins aptes aux phénomènes d'oxydation, qui constituent leur rôle principal dans la nutrition et la respiration des éléments organiques.

Le corollaire obligé de cet amoindrissement d'action des globules rouges dans les échanges des tissus doit être une diminution des produits de désassimilation et de l'élimination des matières albuminoïdes, spécialement de celles qui représentent un maximum d'oxydation, comme l'acide urique.

Quelle que soit la valeur de cette explication, on sait aujourd'hui combien est incontestable l'influence de la quinine sur l'élimination des substances azotées ; Ranke a signalé la diminution notable de l'acide urique(2), tout en faisant observer que la quantité d'urée restait à peu près la même, comme l'a constaté aussi M. Rabuteau ; mais le même observateur ne mentionne pas les variations subies par les autres produits azotés renfermés dans l'urine.

Ces expériences, faites sur l'homme en santé, ont été reprisés par Kerner sur lui-même dans des conditions bien déterminées d'alimentation : la durée totale du temps d'expérimentation a été de dix-huit jours, comprenant six périodes distinctes de trois jours chacune. Pendant les deux premières périodes (1er au 6e jour), l'examen quotidien de la sécrétion urinaire, au point de vue physique et chimique, donne les éléments de contrôle pour les jours suivants ; pendant la troisième période (7e, 8e et 9e jour), l'auteur


(1) Kerner, loc. cit.


(2) Versucke über die Ausscheidung der Harnsaure beim Menschen, 1858.


- 32 (G) -

prend une dose quotidienne de 60 centigrammes de chlorhydrate de quinine ; pendant la quatrième (10e, 11e, 12e jours), cette dose est successivement portée à 1 gramme, lgr,50 et 2gr,50 ; enfin l'administration de la quinine est supprimée dès le treizième jour, et les deux dernières périodes (13e, 14e, 15e jour, et 16e, 17e, 18e jour) sont destinées à l'examen quotidien des urines pendant leur retour à l'état normal. Voici le résumé de ces séries successives d'observation :

logo travaux Tableau en cours de traitement
URINE NORMALE. (1er au 6e jour.) URINE APRèS DE FAIBLES DOSES DE QUININE. (7e, 8e, 9e jour.) URINE APRèS DE FORTES DOSES CROISSANTES DE QUININE. (10e, 11e, 12e jour.) URINE INFLUENCÉE PAR LA QUININE DES JOURS PRÉCÉDENTS. (13e, 14e, 15e jour.) URINE REDEVENANT NORMALE. (16e, 17e, 18e jour.)
a b c d e
Dose quotidienne de chlorhydrate de quinine / 0,60 1,66 / /
Quantité d'urine en 24 h 1526 c. c. 1576 c. c. 1770 c. c. 1713 c. c. 1553 c. c.
Poids spécifique 1,024 1,0189 1,0171 1,0190 1,0218
Acide sulfurique 2,464 2,256 1,509 1,952 2,352
Acide phosphorique 3,400 3,268 2,895 3,182 3,260
Acides libres 2,202 1,959 1,772 1,699 2,323
Urée 34,67 30,77 36,83 32,32 36,33
Acide urique 0,902 0,416 0,170 0,436 0,837
Créatinine 0,711 0,785 0,509 0,709 0,757
Quantité totale d'azote 18,334 16,170 13,979 17,014 19,070

On voit donc, tout d'abord, augmenter la quantité de l'eau des urines, et, comme M. Briquet a prouvé la diminution de la tension artérielle sous l'influence de la quinine, il ne faut pas chercher la cause de cette augmentation d'eau dans une pression mécanique sur le filtre rénal : il y a sans doute une excitation locale, une irritation des éléments de cet appareil, puis un relâchement consécutif ; ne peut-on trouver dans ce fait une explication de l'albuminurie passagère parfois produite par les sels de quinine ?

Cette augmentation d'eau peut tenir aussi à la diminution des sueurs, et à celle de l'exhalation pulmonaire, par ralentissement de la circulation ; la diminution du poids spécifique est naturellement à son minimum au moment où les urines sont le plus abondantes et les doses de quinine le plus élevées (colonne c).

On voit également que, d'après ce tableau, les variations de l'urée sous l'influence de la quinine sont plus sensibles qu'on ne l'admet généralement, puisqu'elle est réduite, à l'époque des doses maximales (colonne c), aux trois quarts de l'élimination normale. Mais la


- 33 (G) -

diminution la plus considérable est celle de l'acide urique, qui de 902 milligrammes (colonne a), chiffre de l'urine normale avant l'expérience, descend à 170 milligrammes (colonne c), c'est-à-dire au cinquième de sa quantité habituelle ; on voit que les variations de cet acide, pendant toute la durée de l'expérimentation, sont proportionnelles aux doses de quinine. Il faut noter de plus qu'après la cessation des doses (colonnes d et e), le chiffre quotidien de cet acide revient progressivement au niveau qu'il avait avant l'expérimentation, et que cependant il n'atteint pas encore tout à fait ce niveau six jours après la suppression de la quinine (colonne e), preuve évidente que la diminution de l'acide urique ne tient pas à sa rétention dans l'organisme par le fait du médicament, mais à la diminution absolue de sa production. Tel serait un des motifs de recommander la quinine dans le rhumatisme, où elle n'agirait pas seulement comme antiphlogistique, mais comme agent modérateur de la production urique.

Une influence analogue s'étend à l'ensemble des principes azotés, dont le total subit, pendant toute la durée de l'expérimentation, des variations parallèles à celles de cet acide ; il n'est pas jusqu'à l'acide sulfurique dont la diminution dans les urines n'accuse un obstacle à la désassimilation des tissus et à l'élimination des matières albuminoïdes.

Lorsque l'on songe à l'augmentation de ces processus chimiques de dénutrition chez les fébricitants, on peut entrevoir, à juste titre, l'influence protectrice de la quinine sur les tissus organiques comme agent déperditeur ; si elle n'a pas la vertu, malgré ses propriétés toxiques sur les organismes inférieurs, de détruire le principe des affections virulentes ou septiques, peut-être a-t-elle au moins la puissance d'entraver la combustion organique, si vivement surexcitée par le contact de tout élément pyrogène avec les tissus vivants.

Rappelons seulement ici, pour ne pas nous laisser aller à l'exagération des propriétés de la quinine, que ces expériences ont été faites sur des organismes sains, où l'action de l'alcaloïde sur les sécrétions s'accomplit toujours régulièrement, sans offrir ni ces oscillations ni parfois cette impuissance dont on a pensé trouver la raison dans sa transformation moléculaire(1).


(1) Voir plus haut.


- 34 (G) -

B. Action sur les leucocytes, l'inflammation et la suppuration

On sait quelle ressemblance existe entre les mouvements de certains infusoires et les mouvements amiboïdes ou sarcodiques découverts, en 1850, par M. Davaine, dans les leucocytes du sang de l'homme(1). Malgré leur différence et de nature et de milieu, ces deux variétés de protoplasmes, infusoires ou leucocytes, placés sur un porte-objet suffisamment chaud et humide, sont susceptibles, grâce à la contractilité de toute leur substance, de prendre les formes les plus diverses, depuis la configuration ovoïde ou sphérique jusqu'aux aspects les plus irréguliers, caractérisés par l'apparition de protubérances, de tentacules de locomotion, sur divers points de leur surface. C. Binz a reconnu que la quinine possédait sur les leucocytes la même influence toxique que sur les autres protozoaires ; elle en arrête les changements de forme et les mouvements, plus rapidement que certaines autres bases végétales, morphine et strychnine, sur lesquelles elle a, du reste, l'inappréciable avantage d'être facilement, et sans danger, applicable à toutes les exigences de la thérapeutique2). Des expériences confirmatives ont été faites depuis et relatées par C. Scharrenbroich3) ; sous l'influence d'une faible solution de quinine (un quatre-millième), on voit cesser immédiatement les mouvements amiboïdes des leucocytes, qui se précipitent en prenant un aspect sombre et grenu.

Par une nouvelle série de recherches(4), C. Binz modifie sensiblement les conclusions que, dès l'abord, on pourrait tirer de cette action de la quinine sur les leucocytes tout aussi bien que sur les infusoires d'origine végétale ; il constate, en effet, que la quinine arrête également bien les mouvements des molécules inorganiques provenant du règne minéral.

Prenez soit de la poudre d'encre de Chine pulvérisée, soit de la poudre de charbon chimiquement pur, soit du cinabre porphyrisé ; placez cette poudre sur le porte-objet, mouillez-la d'une goutte


(1) Voir Hayem et Hénocque, Sur les mouvements amiboïdes ou sarcodiques, in Arch. gén. de méd., 1666, t. VII et VIII.


(2) C. Binz, Ueber den Einfluss des Chinins auf Protoplasmabewegungen, in Schullze's Archiv, 1867.


(3) C. Scharrenbroich, Das Chinin als Antiphlogisticum (thèse inaugurale, Bonn, 1867).


(4) C. Binz, Weitere Studien über Chinin, in Berliner klin. Wochenschrift, novembre 1871.


- 35 (G) -

d'eau distillée : si la préparation a été mise à l'abri de toute évaporation, on verra le mouvement de ces fines particules, surtout celui des plus petites d'entre elles, se prononcer immédiatement, et former un tourbillon qui durera des heures, des jours, des mois entiers. Ces mouvements seront instantanément arrêtés par certains acides et par certaines bases puissantes ; mais, parmi les corps neutres, aucun n'agira plus vite et ne produira de précipité plus complet que la quinine ; elle agit même, suivant C. Binz, plus rapidement que l'alun, qui semble cependant jouir à cet égard d'une énergie toute spéciale(1).

Il y a donc quelque chose de physique dans cette influence sédimentaire de la quinine sur les particules douées d'un mouvement giratoire ; et l'on ne peut rattacher, dès lors, à une action toxique exclusivement l'arrêt subi, dans leurs transformations et leurs mouvements, par les leucocytes au contact de cet alcaloïde.

Il est surtout intéressant de suivre les recherches faites pour déterminer cette influence de la quinine dans les conditions morbides auxquelles les leucocytes semblent prendre principalement part.

Inflammation. — Depuis les travaux de Cohnheim, grand nombre d'observateurs admettent aujourd'hui que la formation du pus dans les organes n'est, dans la majorité des cas, que le résultat de la préformation dans le sang d'une quantité exceptionnelle de leucocytes et de leur émigration à travers les parois des petits vaisseaux ; le globule blanc du sang, grâce à ses variations de forme et à ses mouvements amiboïdes, accomplirait de lui-même cette émigration, et, par ce seul fait, deviendrait globule purulent. Pour essayer la vertu de la quinine contre les processus d'inflammation locale, on s'est mis dans les conditions d'expérimentation de Cohnheim ; on s'est servi de grenouilles, dont le mésentère a été placé sous le champ du microscope. Les expériences ainsi faites par Binz(2) et Scharrenbroich ont été plus spécialement rapportées par ce dernier(3). En voici le résumé : dans une première série d'expériences, la quinine ayant été injectée dès le début, on ne


(1) F. Sehulze, Die Sedimentœr-Erscheinung, etc., in Poggendorf's Annalen, p. 129.


(2) C. Binz, Experimentelle Untersuchungen über das Wesen der Chinin-wirkung. Berlin. 1808.


(3) C.Scharrenbroich, thèse inaugurale, Bonn, 1867.


- 36 (G) -

voit se développer aucun signe d'inflammation du mésentère ; il n'y a ni dilatation des vaisseaux, ni accumulation de leucocytes dans leur calibre, ni émigration de ces corpuscules, à travers leurs parois, dans le tissu cellulaire du mésentère. Dans une deuxième série d'expériences, la quinine n'est injectée qu'au moment où les vaisseaux sont distendus par un grand nombre de globules blancs, qui émigrent à travers leurs parois et progressent dans les tissus voisins, grâce à la persistance de leurs mouvements amiboïdes. L'injection de quinine a pour effet de diminuer rapidement la masse des globules entassés dans les vaisseaux mésentériques, d'en arrêter les mouvements et l'émigration ; mais il reste encore, en dehors de ces vaisseaux, une quantité considérable de leucocytes très-mobiles et très-vivaces ; il suffit d'imbiber le mésentère d'une goutte d'une solution très-faible (un cinq-centième) de quinine dans du sérum, pour que ces leucocytes extravasculaires perdent immédiatement tout mouvement et constituent une couche obscure contre la paroi externe du vaisseau(1).

Ces recherches ont été reprises par Martin(2), qui a fait toutes ses expériences en double pour permettre un contrôle immédiat, la quinine n'étant injectée qu'à l'une des deux grenouilles préparées pour le développement artificiel de l'inflammation du mésentère, en sorte que l'on pût établir par comparaison la puissance antiphlogistique locale de l'alcaloïde.

Rappelons que c'est à l'influence de ces travaux que sont spécialement dus certains essais thérapeutiques modernes, comme l'emploi des solutions de quinine contre les inflammations des muqueuses, spécialement contre la conjonctivite et la cystite.

Augmentation des leucocytes dans le sang. — Quand on se rappelle le nombre des maladies, aiguës et chroniques, dans lesquelles il y a augmentation du chiffre des leucocytes, on comprend


(1) Dans cette thèse, comme dans le travail de Kerner (Beiträge, etc.), sont représentées trois figures qui donnent une idée parfaite des trois principales phases observées dans ces expériences : 1° période d'activité et d'émigration des leucocytes ; 2° diminution du nombre des leucocytes renfermés dans les vaisseaux et retour à leur forme arrondie, sous l'influence d'une injection de quinine ; 3° arrêt, sous forme de stries noirâtres contre la paroi des vaisseaux, des leucocytes qui ont émigré et qui ont été arrêtés dans leur mouvement par une solution de quinine portée directement sur le mésentère.


(2) Martin, thèse inaugurale. Giessen, 1868.


- 37 (G) -

qu'il y ait intérêt à étudier l'action de la quinine sur ces corpuscules au sein même du torrent circulatoire.

Des expériences ont été faites par C. Binz(1) à l'effet de constater la diminution du nombre des leucocytes sous l'influence des sels de quinine ; ces expériences ont été répétées sur de jeunes chats par C. Scharrenbroich(2) ; deux de ces animaux étant choisis de taille et de poids identique, on leur fait prendre à chacun une certaine quantité de lait, pour favoriser la production des globules blancs ; on détermine alors le chiffre approximatif de leucocytes renfermés dans la même quantité de sang pour chacun d'eux, et l'on constate ensuite, par un nouvel examen comparatif du sang, l'influence produite, à cet égard, chez celui de ces animaux auquel la quinine a été administrée. Dans l'une de ces expériences, l'auteur établit que le chiffre initial des globules blancs a été chez l'un de ces chats de deux cent quatorze, et chez d'autre de deux cent quatre-vingt-quatorze ; c'est à ce dernier qu'on injecte une faible quantité de chlorhydrate de quinine (5 centigrammes), et chez lui le chiffre des leucocytes s'abaissa tellement, qu'au bout de quelques heures il en présentait huit fois moins ( :: 20 : 174) que le premier chat soumis au même examen par comparaison.

Les mêmes expériences faites sur des chiens par Martin ont donné les mêmes résultats(3).

Nous avouons que ces expériences nous semblent en généra devoir être contrôlées ; le traumatisme a parfois été grave chez les animaux auxquels la quinine a été injectée, ce qui diminue beaucoup à nos yeux la portée réelle de ces résultats.

Mais de nouvelles recherches sur les animaux viendraient-elles confirmer la réalité de ces faits expérimentaux, qu'il nous faudrait encore opposer une sage réserve aux conséquences que des esprits ardents voudraient en tirer relativement au mode d'action thérapeutique de la quinine chez l'homme malade. Nous avons tenu à donner avec quelques détails l'histoire de ces recherches, parce qu'elles ont un intérêt incontestable, parce qu'il n'est pas permis de les ignorer, mais nullement parce que nous avons la pensée qu'elles puissent déjà servir de base à des conclusions applicables à la clinique humaine.


(1) C. Binz, Experimentelle, etc.


(2) C. Scharrenbroich, thèse citée.


(3) Martin, thèse citée.


- 38 (G) -

Quand on voit la masse énorme de leucocytes qui se reproduisent chaque jour dans certains organismes atteints de vastes suppurations ou de fièvre purulente, sans que les sels de quinine en entravent le développement ; quand on considère l'impuissance à peu près absolue de ce médicament contre la leucémie ; quand enfin, aux doses les plus élevées, il modifie à peine l'état du sang dans la plupart des pyrexies où il y a également surabondance de globules blancs, on est bien obligé de reconnaître qu'avant les épreuves de pathologie et de thérapeutique expérimentales sur les animaux, il faut placer le nombre immense des faits recueillis sur l'homme lui-même ; ces faits permettent à peine, disons-le bien, d'espérer que la quinine soit appelée à remplir un jour, dans la thérapeutique, le rôle immense que semblent révéler tout d'abord les recherches que nous venons d'analyser.

Ce qui reste de mieux établi, c'est qu'à côté de sa vertu spécifique, qui lui est exclusive, contre les fièvres palustres, la quinine a la puissance de produire trois actions physiologiques non moins incontestables : sédation du mouvement du cœur, diminution de production de la chaleur animale, diminution plus marquée encore de la combustion des éléments organiques et de la dénutrition des tissus ; elle doit figurer, à ce dernier titre, parmi les agents antidéperditeurs de la matière médicale, et les recherches modernes la rapprochent chaque jour, à cet égard, de certaines autres substances, spécialement de l'alcool.


Voir aussi