Etude sur les sels de quinine (1872) Colin/Conditions

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Conditions qui favorisent l'action des sels de quinine


 
 

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Chapitre
Conditions qui favorisent l'action des sels de quinine
Auteur
Léon Colin
Extrait de
Les sels de quinine (1872)
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Mode d'action de la quinine

Cette page introduit un chapitre de l'ouvrage Les sels de quinine, rédigé en 1872 par le docteur Léon Colin.

Conditions qui favorisent l'action des sels de quinine


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La valeur thérapeutique de ces différents sels semble être en rapport : 1° avec la quantité d'alcaloïde qu'ils renferment ; 2° avec leur solubilité plus ou moins grande.

On peut dire qu'en France, depuis la découverte de la quinine, c'est le sulfate qui a été presque exclusivement employé, et sa puissance d'action est non-seulement établie par des expériences et des déductions chimiques, mais par les immenses services qu'il rend chaque jour, contre les fièvres pernicieuses, entre les mains de nos collègues de l'armée et de la marine.


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Voilà donc un agent dont la thérapeutique a consacré par des milliers de faits la valeur dans les affections les plus graves, et auquel nous devons certainement, pour notre compte personnel, les résultats les plus heureux de notre pratique.

On sait que le sulfate bibasique du commerce est très-peu soluble dans l'eau (:: 1 : 750), mais que l'addition d'une faible proportion d'acide sulfurique suffit à lui donner une solubilité suffisante pour que les doses efficaces puissent être prises sous un volume fort petit, résultat très-avantageux, vu l'amertume du médicament.

Nous avons rappelé, dans notre Traité des fièvres(1), que l'addition de l'acide sulfurique donnait aux solutions de sulfate de quinine l'inconvénient de se charger, au bout de quelques jours, d'un nuage constitué par une végétation parasitaire ; mais cet inconvénient n'altère en rien la propriété du fébrifuge, et peut être toujours évité quand la solution est préparée extemporanément, comme elle l'est habituellement.

Est-on cependant en droit d'affirmer que, parmi les sels de quinine, le sulfate soit celui qui possède la plus forte proportion d'alcaloïde, c'est-à-dire de principe actif ?

MM. Pelouze et Frémy(2), Trousseau et Pidoux(3) donnent pour formule du sulfate bibasique, de celui qui est usuellement employé en thérapeutique : (C20H12AzO2)2SO3, 8 HO ; cette formule est identique à celle du sulfate employé dans les hôpitaux militaires de France et d'Algérie(4), et il suffit d'une opération élémentaire pour constater, d'après ces formules, que ce sulfate renferme pour 100 :

Quinine 74,312
Acide sulfurique 9,174
Eau 16,51

Comme pour tous les sels cristallisés, la quantité d'eau peut varier dans certaines limites, suivant le degré de dessiccation éprouvée à l'étuve.

Si, au contraire, nous prenons la formule du chlorhydrate de


(1) L. Colin, Traité des fièvres intermittentes, p. 377.


(2) Pelouze et Frémy, Traité de chimie, t. IV, p. 579.


(3) Trousseau et Pidoux, Traité de thérapeutique, 8e édition, t. II, p. 478.


(4) Formulaire pharmaceutique des hôpitaux militaires, p. 133, 1870.


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quinine : (C20H12AzO2)2 HCl, 3 HO(1), la table des équivalents nous permet de calculer que ce chlorhydrate renferme une proportion de quinine supérieure à celle du sulfate, la proportion de 83,612 pour 100.

Cette différence de composition, toute au bénéfice du chlorhydrate, la plus grande solubilité de ce sel et la facilité de sa fabrication le font employer de préférence par nombre de médecins étrangers ; ne l'ayant pas nous-même essayé dans le traitement des fièvres pernicieuses, nous ne nous permettrions pas de le déclarer supérieur au sulfate par le fait seulement de la plus grande quantité de quinine qu'il renferme ; mais nous croyons que des recherches cliniques doivent être faites dans ce sens, et nous le croyons d'autant mieux qu'un médecin militaire russe, Toropoff, qui a eu à combattre, durant plusieurs années, les fièvres intermittentes dont cette armée est frappée dans le gouvernement du Caucase, nous fait savoir que le chlorhydrate de quinine lui a toujours révélé une puissance fébrifuge supérieure à celle du sulfate.

Ceux qui ont expérimenté sur eux-mêmes l'action physiologique du chlorhydrate lui attribuent au reste la même énergie qu'au sulfate pour la production du quinisme, la même rapidité d'absorption et d'élimination par les urines.

Des recherches modernes ont également permis de revenir de certaines erreurs sur la prétendue inertie de quelques autres sels de quinine ; nous avons nous-même cité les expériences personnelles de Kerner, à l'appui des observations récentes de M. Vulpian sur la réalité d'absorption et d'élimination du tannate de quinine(2). Le tannate est, il est vrai, des sels de quinine celui dont l'absorption se fait le plus lentement et le moins complètement ; mais en somme elle se fait avec la même régularité que celle des autres sels. Tandis que les diverses combinaisons de la quinine avec les acides chlorhydrique, sulfurique, carbonique, acétique pénètrent assez rapidement dans le torrent circulatoire pour que l'examen de l'urine en décèle l'élimination commençante trente minutes au plus, et quelquefois quinze minutes seulement après l’ingestion du médicament, il faut trois heures au tannate de quinine pour y apparaître


(1) Pelouze et Frémy, loc. cit., t. IV, p. 578.


(2) Séance de l'Académie de médecine du 5 mars 1872, in Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, p. 154, 1872.


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en faible quantité. Aussi ce sel n'arrive-t-il à son maximum d'élimination qu'au bout de vingt-quatre heures ; et l'on en retrouve encore des traces dans l'urine soixante-douze heures après son ingestion, tandis que les autres composés quiniques sont d'ordinaire complètement éliminés en quarante-huit heures.

Nous croyons utile, du reste, de placer sous les yeux du lecteur les conclusions de quelques expériences de Kerner sur la rapidité d'élimination de certains sels de quinine(1).

logo travaux Tableau en cours de traitement

Les chiffres indiquent la proportion de quinine éliminée par l'urine pour 100 parties de l'alcaloïde renfermées dans la dose employée.

DATE DE L'EXAMEN DE L'URINE

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Chlorhydrate de quinine

dissous dans de l'eau

gazeuse 14 4 8 15 19 30 12 2 1 » »

Bisulfate de quinine » 1 2 6 14 26 19 16 6 2 » .>

Sulfau* de quinine » 5 6 13 25 18 15 8 4 1 »

Carbonate de quinine... 1 4 4 10 12 22 15 la 10 3 » »

Acéiale de quinine 2 5 6 13 27 16 12 8 3 » »

Cilr.ite de quinine » 1 4 i 15 29 14 10 7 4 1 »

Tannate de quinine > » » » 1 2 9 28 14 4 2 2

(*) Au lieu du réactif de Bouchardat, Kerner utilise les propriétés fluorescentes des solutions de quinine pour en constater les plus minimes proportions dans l'urine.

Maintenant, est-on bien fondé à récuser l'action thérapeutique des dérivés de la quinine, tannate ou autres sels peu solubles, qui ne produiront pas ou peu les accidents du quinisme ? Nous croyons, avec M. Rabuteau(2), qu'on n'est pas en droit de préjuger ainsi la puissance médicamenteuse des divers agents de la matière médicale ; et certainement nous pensons qu'avant les déductions basées sur la composition chimique et l'action physiologique du tannate de quinine, il faut placer les conclusions cliniques très-favorables


(1) Kerner, loc. cit., p. 150.


(2) Gazette hebdomadaire, 1872, p. 131.


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auxquelles sont arrivés à son égard plusieurs praticiens, et tout récemment notre confrère M. Sistach(1) ; par cela même que ce composé ne produit aucun des inconvénients du quinisme, ne sera-t-il pas administré plus avantageusement à certains organismes, nerveux ou impressionnables ?

Il faut néanmoins, dans les cas graves, urgents, employer d'une manière exclusive les sels les plus riches en quinine et ceux qui en même temps sont le plus solubles. Il faut se rappeler même que chaque solution de ces sels aura chance de se réduire, en pénétrant dans un milieu alcalin, comme certaines sections du tube digestif (celles où prédominent le mucus intestinal, le suc pancréatique) et comme le sang lui-même ; il est donc rationnel d'administrer, en même temps que les sels neutres de quinine, diverses boissons acides qui en maintiennent ou en facilitent la solution dans le tube digestif. C'est dans ce but que Legroux faisait boire un verre de limonade après chaque prise de sulfate neutre qu'il donnait en poudre. La forme pilulaire est certainement, pour le sulfate, même bibasique, une de celles qui se prêtent le moins à l'absorption du sel par l'estomac ; comme il n'y a aucun excès d'acide dans cette préparation, la chance d'efficacité du médicament est réduite à son minimum, et cependant, pour la médecine militaire, ces pilules ont l'avantage réel d'être à la fois d'un transport extrêmement facile et de renfermer une dose bien déterminée de médicament ; pour qu'elles soient administrées utilement, il faut dans les cas urgents, les délayer dans un liquide acidulé, par du jus de citron par exemple, mais de préférence par un acide minéral. En Allemagne, on emploie fréquemment, comme véhicule des sels de quinine, l'eau gazeuse chargée d'acide carbonique, qui a non-seulement l'avantage d'agir comme dissolvant, mais d'augmenter la tolérance de l'estomac pour ces médicaments. Cette influence de l'acide carbonique sera utile surtout dans les conditions morbides où les acides de l'estomac, qui constituent un milieu favorable à la solution de la quinine neutre ou basique, seront eux-mêmes dominés dans leur action par une abondance exceptionnelle de la sécrétion hépatique ; les acides biliaires forment, en effet, avec la quinine, des composés très-peu solubles qui seront complètement inertes s'il n'a pas été


(1) Bulletin de l'Académie de médecine, 12 mars 1872, Voir, même Bulletin, la note de M. Lambron.


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prescrit simultanément une certaine quantité soit d'acides minéraux, soit d'eau gazeuse.

Quant au mode d'administration de la quinine dans les maladies, c'est une question que nous ne saurions aborder sans dépasser les limites du travail que nous nous sommes proposé dans cette étude ; nous avons, du reste, indiqué longuement ailleurs toutes les règles à suivre dans l'application de cette médication aux maladies contre lesquelles elle est souveraine : les fièvre intermittentes.

Paris. — Typographie A. HENNUYER, rue du Boulevard, 7.