La musique de film : une passion française (InfoNum2 2015-2016)

De Wicri Incubateur
Ce tableau de Albert Anker illustre une activité à caractère pédagogique sur une page Espace dédié à un travail pédagogique
IUT Charlemagne- InfoNum2 2015-2016



Photo extraite de la banque d'image de MC mag'[1]

Quatrième ! C'est la place de la France en tant que pays producteur de musiques de film, selon une étude de la Sacem sur les musiques à l'image parue l'an dernier. Avec 133 835 bandes originales recensées dans les bases internationales en 2013, notre pays se placerait juste devant l'Australie et après le Canada… Mais bien loin des États-Unis, dont les compositeurs ont donné naissance à plus de 1,7 million de partitions pour le grand écran.

LA FRANCE ET LA MUSIQUE DE FILM

À l'écran, nos compositeurs ont la cote et le succès des ciné-concerts va croissant. Un nouveau festival sur ce thème ouvre à La Baule aujourd'hui.

Il n'empêche. La musique de film, en France, aura rarement été autant plébiscitée. La semaine dernière, Toulon accueillait la 10e édition de son Festival international des musiques d'écran[1], dédié aux ciné-concerts et à l'accompagnement de films muets. Au début du mois, la capitale vibrait aux sons du modeste Festival des musiques à l'image, créé il y a trois ans. En mars, le 14e Festival international du film d'Aubagne, dans les Bouches-du-Rhône, mettra à l'honneur la création musicale sur grand écran. Enfin, dès aujourd'hui, La Baule prend des allures de Croisette de Loire-Atlantique en accueillant des stars de la musique et du septième art: Jean Becker, Alain Chamfort, Jean-Paul Rouve, Michel Blanc, Audrey Lamy…

La raison ? Le lancement d'un tout nouveau festival, baptisé simplement Cinéma et musique de film et coprésidé par le cinéaste Christophe Barratier, auteur notamment des Choristes. « Nous constatons depuis quelques années un engouement dans notre pays pour les ciné-concerts, dit-il. Cela nous conforte dans l'idée qu'il est temps de redonner sa place au dialogue entre image et musique par un grand festival. »

La musique de film, une passion française ? Le journaliste, scénariste et réalisateur N. T. Binh, coauteur de Musiques de films. Nouveaux enjeux (Les Impressions nouvelles), en est convaincu. « La première musique de film est l'œuvre d'un Français », rappelle-t-il. Et pas n'importe lequel: Saint-Saëns, en 1908, pour L'Assassinat du duc de Guise. « Depuis les débuts du parlant, le public français a beaucoup plébiscité la BO, que ce soit pour ses compositions originales ou ses chansons, parfois érigées en tubes populaires. »

Certes, les compositeurs pour le cinéma ne sont pas toujours en odeur de sainteté auprès de l'intelligentsia classique française. En témoigne la reconnaissance tardive par les orchestres de l'Hexagone de compositeurs phares comme Alexandre Desplat. « Mais cela a toujours été, poursuit Binh. Dès les années 1930, on accusait Georges Auric de s'intéresser à ce genre musical par pur appât du gain ! » Surtout, « les choses évoluent ». Cela se ressent dans l'appétit croissant du public pour les concerts de musiques de films, mais aussi « dans une volonté très nette des pouvoirs publics de favoriser la filière ». En témoigne le rapport Dupin du CNC, qui a permis dès 2011 de poser quelques-uns des nouveaux enjeux des musiques à l'image. Ou la création, l'an dernier, de la première classe de « musiques à l'image » au Conservatoire de Paris, sous l'impulsion de Laurent Petitgirard.

Ce nouvel élan, la France le doit en partie aux triomphes récents, à l'étranger, de compositeurs tels que Ludovic Bource (The Artist), Bruno Coulais (Les Choristes) ou Alexandre Desplat. À son actif, la musique de superproductions telles que Twilight, les derniers Harry Potter, les Monuments Men de George Clooney ou Argo, qui lui valut une nomination aux oscars en 2013. « Cela prouve l'adaptabilité de nos musiciens, mais aussi l'image positive de la musique française à l'étranger, notamment aux États-Unis où l'on pense que les compositeurs français sont moins dans l'illustration », détaille Binh.

C'est parfois aussi de la tension entre deux ego assez affirmés que sont nées les plus ­belles musiques de film  N. T. Binh, coauteur de Musiques de films.

Ce que confirme le compositeur américain John Williams. Lorsque nous l'avions rencontré il y a deux ans à Los Angeles, il nous avait longuement entretenu de l'importance des Français à Hollywood. Rappelant que lui-même avait été initié par Léo Arnaud, ancien élève de Ravel et d'Indy, et chef du Burbank Symphony Orchestra à l'époque où il y fit ses débuts: «C'est lui qui a remis le solfège au cœur de la formation musicale à Hollywood. C'était aussi un expert de l'instrumentation pour fanfares militaires françaises. Dans les studios américains, les cordes étaient alors quasi inexistantes. C'est en partie grâce à lui que les cuivres ont une place si importante dans ma musique.»

Une école qui est aussi celle de la prise de risque, et que revendique Desplat. Pour l'avant-dernierHarry Potter, il avait volontairement tourné le dos aux conventions en minorant l'importance des thèmes historiques de la saga. Outrage qui lui a valu les critiques de nombreux fans mais qui lui paraissait indispensable pour coller au montage final. Car «l'inspiration part toujours du film, explique-t-il. Je n'accepte que très rarement d'intervenir avant que le montage soit terminé». Ce goût de la prise de risque, il dit l'avoir hérité de sa collaboration privilégiée avec le réalisateur français Jacques Audiard. «À son contact, mon langage s'est affirmé autant qu'il s'est épuré», dit-il encore. «Contrairement à un Polanski qui, lui, dira juste “Étonne-moi” et n'utilise pas de musique temporaire pendant le montage, Audiard est très directif», confirme Binh, qui s'est intéressé aux relations entre les grands tandems compositeurs et cinéastes dans Cinéma et musique, accords parfaits. «C'est parfois aussi de la tension entre deux ego assez affirmés que sont nées les plus belles musiques de film», conclut-il.

DU CINEMA MUET AU CINEMA PARLANT

Introduction à la musique de Film

Chabadabada…, qui ne se souvient pas de cette rengaine de Françis Lai ? Qui ne s'est pas entendu la fredonner ? ; cet air s'est échappé du film Un homme, une femme. Les quelques notes de Jeux interdits ont connu le même succès, se sont accrochées à toutes les guitares. Des générations de musiciens en herbe les ont égrenées.

De la valse de Quatorze juillet qui fit danser nos grands-mères, à la musique de Il était une fois dans l'Ouest, froide et obsédante, de Jean Gramillon à Ennio Morricone, la musique de films a conquis un public de plus en plus nombreux et fidèle. Si être plébiscité par le public est une chose, être reconnu par ses pairs en est une autre. Ces derniers n'ont pas toujours été tendres à l'égard des musiciens liés au cinéma. Certains compositeurs se sont abstenus de figurer aux génériques (musiciens "dit sérieux" s'entend).

Préjugés, opinions fondées ou pas, force est de constater l'évolution de la musique de films, sans cesse croissante, tant sur un plan économique que médiatique. Une curiosité nouvelle se manifeste pour cette forme d'expression musicale. Des recherches fort savantes aboutissent à la réévaluation de musiques longtemps dénigrées parce qu'elles n'appartiennent pas à la tradition de nos élites ; mais surtout il est devenu habituel d'entendre la musique de films hors des salles de projection : au concert et chez soi grâce à la radio ou aux cd.

Cet engouement pour la musique de cinéma s'explique par l'intérêt du public pour l'imaginaire du film, ce monde énigmatique et passionnant, mais aussi par l'étonnante diversité des collaborations depuis les années 1920 qui se sont instaurées entre compositeur et metteur en scène.

AU TEMPS DU CINEMA MUET

Photo extraite de la banque d'image de Arte [2]

"Le seul intérêt de la musique de films est de nourrir son compositeur" disait Stravinski. Pourtant depuis la naissance du muet, de grands compositeurs ont prouvé le contraire.

Techniquement, le cinématographe d'antan ne vaut pas le ciné d'aujourd'hui. La musique lui est indispensable : il fallait masquer le bruit du projecteur qui trônait au milieu des spectateurs. Dès ces débuts, la musique de films apporte des effets stimulateurs à certaines séquences et les musiciens puisent dans les catalogues de théâtre, car les mises en scènes de cette époque s'en rapprochaient énormément, et de cette façon sont exploités les scènes de pluie, d'orages, de pleurs, etc.

Jusqu'aux années 1920, l'animation musicale est confiée principalement à un piano, voire un orchestre, si l'on voulait obtenir des effets plus saisissants. La plupart des musiques sécrétées devant les écrans du muet sont des schémas d'improvisation. Tantôt burlesque ou dramatique, l'instrumentiste choisissait des tempos et une ligne rythmique générale. Chaque rupture du dialogue que l'on devinait sur les lèvres des acteurs, chaque carton était l'occasion pour le musicien de réexposer la tonalité de l'œuvre.

Souvent le pianiste se contentait d'images stéréotypées telles que : gammes descendantes quand une personne descend un escalier, gammes ascendantes quand celle-ci monte un escalier, accords plaqués pour la fermeture d'une porte, etc.

En 1910, Erik Satie écrit la musique du film Relâche, adapté d'une pièce théâtrale en un acte du même nom et Entracte de René Clair en 1924. Satie sera d'ailleurs le premier à adapter la musique classique à l'écran avec Camille Saint-Saëns. Par la suite en 1930, Prokofiev sera sollicité à son tour pour écrire de la musique de film.

Le rythme des images apporte aux compositeurs de l'époque dits "sérieux", une autre façon de s'inspirer du réel. Même si la musique de films est dans sa construction encore liée à des principes issue de la musique classique, on remarque des combinaisons instrumentales et des durées inhabituelles. La véritable intrusion de la musique, de son écriture techniquement argumentée pour le cinéma sera pour plus tard.

Pendant toute la période du cinéma muet, on ne peut s'imaginer une seconde de silence. Les musiciens s'échinent à poursuivre le film de la première à la dernière image. Il y a des ratés, aussi cherche-t-on à perfectionner le système. En 1921, Henri Rabaud écrit la musique du film Le miracle des loups. Il fait coïncider les morceaux de sa partition avec la durée exacte de chaque bobine de film ; beaucoup de contraintes mais peu de résultats. La même année, Marcel L'Herbier compose une partition exécutée par 80 musiciens en utilisant un miroir dans lequel le film se reflète afin de coordonner du mieux possible le déroulement de la partition avec celui de la bande cinématographique. En 1926, Jean Grémillon réalise Tour au large, un film consacré aux pêcheurs. Il écrit la musique sur piano mécanique à rouleaux qui reproduit à lui seul l'ensemble de l'orchestre.

L'année 1927 voit les expériences se multiplier. Pour Félix le chat, le dessin animé, le compositeur Hindemith utilise pour la première fois un appareil fort savant de synchronisation : pendant la projection, le chef d'orchestre voit se dérouler sur son pupitre la partition musicale qu'il peut exécuter en parfait accord avec l'image. Aujourd'hui, c'est un procédé similaire qui est utilisé pour le doublage des œuvres étrangères (procédé bande rythmo).

LES PREMIERS PAS DU CINEMA PARLANT

Photo extraite de la banque d'image de Séance Radio [3]

Toutes ces tentatives ne se doublèrent pas obligatoirement d'un dialogue entre le compositeur et le réalisateur. Le film était une façon commode pour le compositeur de doter leur musique d'un potentiel de visualisation. Jusqu'à la fin des années 1930, de nombreuses illustrations musicales émanaient du répertoire classique :

  • Mozart
  • Beethoven
  • Wagner
  • etc...

C'était pour cet art nouveau, une façon de lui apporter de la respectabilité.

Avant la grande mutation du parlant, le cinéma forain a vécu. Des salles se développent, le cinématographe itinérant devient sédentaire. Selon les moyens, les directeurs de salles offrent au public une présence musicale qui va de l'instrumentiste unique, le plus souvent un pianiste, jusqu'au petit orchestre, placé sous la direction d'un des musiciens.

A la fin des années 1920, le cinématographe se met à bruire et à parler et il découvre une autre manière de paraître. Les auteurs pour le cinéma font parler leur personnage et les réalisateurs trouvent dans l'insertion possible de la musique sur la bande son, une possibilité de dramatiser, de galvaniser et d'exprimer, d'une manière tout autre, ce que le cadre de l'image et le montage ne peut traduire.

Le cinématographe est un art né sans passé. Il s'impose en foudroyant les influences tout en se les accaparant toutes. S'évadant dans les domaines de l'émerveillement naïf, il institutionnalise des formes de liberté. Il n'a d'autre fonction que d'assurer la continuité d'un art illusoire, conforté dans cette pérennité par l'acceptation ou le refus de ses spectateurs.

On considère Le chanteur de jazz (1927) comme premier film parlant. C'est par le truchement d'un disque que le chanteur Al Johnson fait entendre sa voix. Des encoches sur la pellicule déclenchent automatiquement le bras du pick-up. Il n'y a plus de piano, ni d'orchestre. Mais il reste encore un problème : les disques utilisés à cette époque étaient des 78 tours et ils ne duraient en moyenne qu'environ 4 minutes par face. Il faudra attendre 1930, pour qu'une piste sonore soit incorporée à la pellicule. Le "parlant" est né. Parallèlement le projecteur quitte la salle de spectacle, l'insonorisation réalise des progrès. Devant l'essor foudroyant du cinéma parlant, la musique n'est plus indispensable… elle triomphe. Deux camps naissent rapidement, les compagnies qui s'intéressent au cinéma et les autres qui s'y intéressent pour l'argent. L'industrie du cinéma s'est fortifiée et la musique ne peut plus s'exprimer avec la même insistance. La voix et les bruits viennent concurrencer la musique.

La collaboration avec le musicien est obligatoire, il devient un interlocuteur parfois sublimé ou bafoué et le dialogue avec le réalisateur implique une intrusion dans le domaine de l'autre.

On assiste à la naissance du "film d'art et essai". Le cinéma devient autre chose qu'une simple attraction et le spectateur est prié d'investir dans un peu plus que de l'étonnement. Le cinéma spectacle explose pour laisser place à un cinéma doté d'une complexité nouvelle, développant des thèmes plus élaborés et diversifiés. Une aristocratie de la mise en scène est née et les musiciens composent des partitions originales, uniquement liées à l'esprit et au rythme de l'œuvre donnée. La forme de musique de concert disparaît. La musique ne se présente plus dans son expression académique et Abel Gance, en France, devient un des premiers metteurs en scène à concevoir le cinématographe en terme de musique, en concevant un film comme une symphonie dans le temps et l'espace.

C'est au début des années 1930, qu'apparaissent les grands précurseurs, les premiers noms de la musique de films :

Maurice Jaubert France
Prokofiev Union Soviétique
Britten Grande-Bretagne

Si en France, le contexte est plutôt individualiste ou constitué d'équipes éphémères, aux Etats-Unis, la machine hollywoodienne est déjà en place et prête à fonctionner.


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NOTES

  1. Le Festival international des musiques d'écran (FIME) est un évènement totalement novateur et original qui allie cinéma et musiques actuelles. Durant les quelques jours que durent le FIME, vous aurez l’occasion de découvrir des projections de films muets accompagnés par des musiciens jouant au pied de l’écran. Jazz, musique pop ou encore électro sont au programme pour découvrir de grands classiques du cinéma muet avec un accompagnement musical unique. Ce festival replonge les spectateurs dans le passé, en les invitant à suivre les films muets tels qu’ils étaient joués au début du XXe siècle !


SOURCES

La musique de film : une passion française, texte repris de Le Figaro Histoire de la musique de film, texte repris de Pianoweb