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Grande Guerre 1914 - 1918. Le G.B.D. 68 (1920) Burbaud, 1 Mobilisation

De Wicri Lorraine
Burbaud Couverture.jpg   Cette page introduit le premier chapitre (de Morhange à Verdun) et regroupe les premières sections.
Mobilisation, Le Béquet, Le départ, Le voyage
 
Réédition du témoignage de l'abbé Burbaud par Jean-Claude L'Huillier.
Éditeur : Cercle d'histoire du foyer rural de Laneuvelotte

Texte original

Mobilisation

Mobilisation

Les quelques jours qui précédèrent la déclaration de guerre furent des jours pleins d'angoisse et de fièvre. Dans l'attente d'événements que tout le monde sentait graves on lisait avec avidité les dépêches.

Et voilà que le dimanche matin, 2 août 1914, des affiches, apposées sur les murs de la ville, appelaient à la guerre tous les hommes valides.

À partir de ce moment là ce fut un mouvement incessant de va et vient, intense, sans agitation désordonnée, sans cris, sans l'effervescence de l'enthousiasme mais froidement résolu. Chacun courait où l'appelait le devoir, pensant, malgré tout, à l'inévitable revanche de 1870. On oubliait tout ce qui divisait jusque là, pour s'unir fraternellement et marcher, d'un cœur unanime, contre l'ennemi commun. Un désir d'union sacrée animait les esprits, tout d'un coup apaisés ; tous s'organisaient pour prendre rang, partir à l'heure indiquée, décidés à tous les sacrifices, y compris le sacrifice suprême.

Je me reportais aux jours mémorables de mon enfance, lors de la déclaration de guerre de 1870. Le peuple, en ces temps-là, criait avec enthousiasme « à Berlin! à Berlin !... »

En 1914, ce n'est point ce délire qui préluda au départ de nos régiments. Plus réservé, plus sérieux, le peuple accomplissait un devoir patriotique : l'heure était décisive. Il s'agissait, en effet, entre la France et l'Allemagne, non d'une affaire de commerce, d'économie politique, d'industrie, d'agrandissement de territoire, c'était quelque chose de plus important, c'était une question de vie ou de mort.

Le chef de l'ennemi lui-même, au début, avait osé dire : vie ou mort, laissant entrevoir qu'un des deux adversaires, devait disparaître, ramenant ainsi la guerre à vingt siècles en arrière, guerre païenne, sans merci, barbare, guerre de destruction totale.

La mobilisation fut si parfaitement organisée que chacun trouva sa place, au jour, à l'heure, à l'endroit qui avait été indiqué.

Les officiers du service de santé, tandis que le bureau du recrutement était encombré d'engagés volontaires, pour la durée de la guerre, se rendaient à la Direction. C'est en plein vent, au milieu de la rue, que chacun choisissait ses compagnons de guerre. Les réquisitions avaient déjà commencé à fonctionner. Les automobiles étaient mises à la disposition du service de santé. On vit alors quelques médecins, les plus légers sans doute, oublieux de la gravité de la situation, s'en aller s'amuser dans les villes d'eaux voisines. Ce fut déjà une vraie débauche pour quelques uns, rares mauvais exemples qui contrastaient davantage avec la réserve et la bonne tenue générale.


Le Béquet

Le Béquet

Le « Béquet » au temps de paix, ancienne propriété de Jean-Jacques Bosc, était une annexe de l'hôpital militaire, peu à peu devenu le dépôt de tout le matériel de mobilisation du service de santé du 18ème Corps d'Armée.

C'est là que les infirmiers et les brancardiers de Corps et de Division devaient se rendre. C'est là que se trouvait le matériel roulant et de pansement pour chaque formation sanitaire.

Au moment de partir, certains officiers d'administration, très sérieux, cherchaient à apprendre ce qu'il était urgent de savoir ou à parfaire leur instruction sur leurs fonctions de guerre. Tous les jours, M. Dedieu, officier d'administration de 1ère classe, leur faisait des conférences et était harcelé de questions. C'était à en perdre la tête. Car, en outre, cet officier était l'organisateur et le distributeur tant du personnel que du matériel. Néanmoins, cet officier remarquable, toujours d'un calme saisissant, malgré la fièvre de tous, répondait à toutes les questions avec une compétence parfaite, et toujours avec une urbanité distinguée. Aussi les officiers ne tarissaient pas d'éloges mérités sur son compte.

Pendant ce temps de préparation immédiate, les soldats habillés ou encore à habiller devisaient joyeusement, couchés sur l'herbe, abrités par les ombrages du parc. Eux aussi cherchaient à ne pas se séparer ou d'un parent, ou d'un ami, d'un voisin, d'un pays. Ils pensent à tout, à ce moment-là les soldats. « Si quelque chose arrive, tu seras là, toi, au moins, pour écrire chez moi ». Déjà ils complotent, ils intriguent pour être ensemble, et, le plus souvent, leurs désirs sont ensemble, exaucés. Il y a aussi, parmi ces soldats qui attendent, toute une catégorie à laquelle les autres se mêlent peu, retenus qu'ils sont par le costume sévère qu'ils trouvent en face d'eux: ce sont les prêtres, les religieux accourus, eux aussi, avec les patriotes au secours de la France. Ils vont bientôt devenir, ces prêtres, leurs camarades. Mais quelques bienveillants que soient les prêtres, la vertu du Christ qui est en eux inspira, au moins au début un respect dont les soldats ne pourront se défaire, mal gré l'invite à une bonne et saine camaraderie. D'autres prêtres aussi sont là, à un titre différent, officiel cette fois-ci, ce sont les Aumôniers. Leur situation est avantageuse. Leur premier souci est de penser à leurs frères pour les utiliser : car il n'y a qu'un aumônier pour 25 ou 30 000 hommes.

Au milieu de cet immense désarroi, et malgré la gravité de l'heure, le côté comique ne manque pas. Tel aumônier ne sait où et comment se procurer une monture, tel autre a bien ce qu' il faut, mais redoute d'aller à cheval Aussi, voyez dans ce coin, un officier, déjà habile cavalier, essayer un cheval récalcitrant et difficile. Et l'aumônier part demain avec cette bête qui n'a jamais été montée ! C'est un cheval réquisitionné et qui, sans transition, de cheval de trait devient cheval de selle. Au contraire, voici, dans la plaine, tel autre aumônier essayant sa cavale et se montre déjà cavalier consommé. C'est un « Franciscain », d'origine aristocratique qui reprend vite ses habitudes d'enfance. Le voilà en effet qui passe, à côté de nous, dans une chevauchée endiablée.



Le départ

Le départ

Peu à peu les choses se tassent chacun finit par reconnaître sa place, les arrangements sont pris, les hommes choisis avec le cadre de gradés nécessaires. Mais si celui-ci préfère aller dans une autre formation, il n'y aucun inconvénient, celui-là viendra à sa place ; tel autre, au contraire aurait le plus grand désir de venir avec nous, on le prend, et on renvoie tel autre, avec plus ou moins d'adresse, et, au besoin d'autorité Sous ce rapport rien n'est prévu. Le chef choisit ses auxiliaires, au hasard des physionomies ou des aptitudes. D'ailleurs nous partirons tous sans trop savoir ce que nous aurons à faire.

I1 faut reconnaître que le hasard ou le choix fut très heureux : rares furent les formations sanitaires, et de brancardiers en particulier, aussi bien composées que la nôtre, Groupe de Brancardiers de la 68ème Division, G.B.D.- 68.

Médecin-chef, médecin-major de 1ère classe Duffau, en temps de paix, chef de service au 58ème d'artillerie ; Docteur Gentilhe, jeune médecin apprécié, finissant, après ses études médicales, son année de service militaire :

Six autres médecins auxiliaires à qui ne manquaient que le titre de docteur, puisque tous étaient internes des hôpitaux : M M Fauchey, Chenu, Cornet, Leuret, Boursier, Perruchot.

Comme officiers d'administration : MM. Seguin officier approvisionnement et l'adjudant Blaise, faisant fonction d'officier gestionnaire. Déjà les régiments de la garnison et ambulances, brancardiers de Corps, étaient partis, que nous n'étions pas encore formés. Pourtant on se hâte et le départ fut fixé au vendredi 14 août, à 21 h. 27, gare de la Bastide-Bordeaux.


Le voyage

Le voyage

Nous ne voulûmes quitter ni la ville, ni l'hôpital militaire, ni la garnison, sans attirer sur nous, sur l'Armée et sur la France, la bénédiction de Dieu. Aussi une messe fût-elle réservée au groupe, à l'hôpital militaire, de bonne heure. J'eus la consolation d'y voir beaucoup de soldats, d'officiers et leurs familles; plusieurs firent la sainte communion. Ce fut édifiant, simple, saisissant. On savait que l'on partait : mais qui reviendrait ? La guerre est si hasardeuse!

A l'embarquement la longueur inusitée du train nous étonne. C'est qu'avec nous partent aussi trois ambulances dont les chefs furent :

  • Ambulance 1-68 : le docteur Loustalot. Médecin-major de 1ère classe, à Tarbes ;
  • Ambulance 2-68 : docteur Andérodias, médecin-major de 2ème classe, professeur à la Faculté de Bordeaux ;
  • Ambulance 3-68: docteur Verger, médecin-major de 2ème classe, professeur à la Faculté de Bordeaux, et Me Barrère, avocat éminent de l'éminent barreau de Bordeaux, comme officier gestionnaire.

Nous avons la chance de trouver une voiture qui n'est pas trop mauvaise.

Bientôt, en prévision d'une longue nuit, chacun prend ses dispositions pour dormir le mieux possible. Déjà commencent des plaisanteries sur les « mauvais coucheurs », et mon voisin m'accuse, en tracassier que je suis, de lui labourer les jambes de coups de pieds. On voudrait essayer de me faire une mauvaise réputation qu'on ne s'y prendrait pas autrement.

De bonne heure, le matin, on se réveille. Déjà, pour moi, survient une préoccupation. C'est le 15 août, fête de l'Assomption, pourrai-je dire la sainte Messe? Comment m'y prendre ? Mille idées, chimères sans doute, passent par la tête; que de difficultés ! Dans le cours de la guerre, n'aurai-je pas la douleur de ne point célébrer parfois ? Or, puisque la chose doit, selon mes prévisions, arriver souvent, il est bien juste que mon premier jour de guerre commence par un pénible sacrifice. J'en étais là de mes réflexions, lorsque l'employé du chemin de fer nous annonce, à l'arrivée à Chatellerault, une heure d'arrêt. Vite, ma résolution est prise ; de la gare j'aperçois le clocher d'une église peu éloignée. Mais quelle foule ! Et recueillie ! Que de communions! Le sacristain a compris, en me voyant arriver en coup de vent, abrège toutes formalités, et j'eus, ainsi, la faveur insigne de célébrer la sainte Messe.

Néanmoins, quelque bonne volonté que l'on y mit, tout cela avait demandé beaucoup de temps; je ne m'apercevais pas que les aiguilles de l'horloge ne chômait pas. Tout essoufflé, j'arrive au bon moment pour monter dans le train qui s'ébranlait. Les plaisanteries couraient sur mon compte : mais j'avais réussi, j'avais pu satisfaire ma dévotion; j'étais heureux. A Les Aubrais - près Orléans - déjeuner frugal et agréable. Et le train marchait, à petite allure et même si lentement que, dans notre ardeur et notre enthousiasme, nous nous sentions capables de le dépasser de vitesse à pied. Il nous tardait de nous trouver, enfin, sur le champ de bataille !

Et où allions-nous ? Car nous nous étions embarqués sans connaître notre destination. Nous allions à la guerre, aux combats, c'était suffisant pour soutenir notre entrain. Nous aurions été toutefois heureux de savoir où nous allions. Notre Corps d'Armée s'était dirigé, disait-on, du côté de Châlons. C'est sans doute de ce côté que nous aussi, réserve de notre Corps d'Armée nous devions aller.

Passant à Courtenay, dans le Loiret, la population nous fit un accueil enthousiaste. La foule s'avançait jusqu'aux voitures pour donner à nos chers soldats un témoignage de son patriotisme, accompagné de dons en nature qui firent un très grand plaisir à nos chers voyageurs. Ces braves gens nous auraient donné leur fortune.

Parvenus, enfin, à la gare régulatrice de Bricon, on nous dirige sur Nancy. Mais voilà que sur les ponts, les viaducs, les bords de la ligne, nous rencontrons une foule de gens qui, voyant des soldats dans le train, nous envoyent des baisers, des fleurs, des vœux de victoire et de triomphe. Tout près de nous se dresse un vieillard portant à la boutonnière la médaille des vétérans de 1870. Il regarde, sympathique, ému. Que se passe-t-il dans son cerveau? Quels mouvements dans son cœur ? Il ne bouge pas : il nous suit du regard, il pleure. Ah! sans doute, il pense, se reportant quarante cinq ans en arrière, qu'autrefois lui aussi partait, enthousiaste, et il revoyait les défaites immérités, la guerre perdue, la France envahie, vaincue, humiliée. Dans son attitude, il n'y avait aucun abattement; ses pleurs étaient des larmes d'attendrissement et disaient ses espoirs de triomphe. Oui, oui, vieux patriote, réjouis-toi. Comme nos aînés, nous partons avec l'espoir d'arracher à notre France bien-aimée le bandeau de 1a défaite pour placer, sur son front rayonnant, la couronne de victoire. Cette victoire nous la voulons; cette victoire nous l'aurons. Nous avons foi dans la justice de notre cause, nous avons foi en la justice de Dieu. Nous savons pourquoi nous allons nous battre. C'est pour ce qui a toujours décuplé la force des peuples, « pro aris et focis, » pour nos foyers et nos autels, pour arracher les nations à l'asservissement du plus cruel tyran et donner au monde une fois de plus, la civilisation et la liberté.

Et le train marchait toujours, traversant de magnifiques plaines couvertes de moissons. Aucun de nous ne connaissait le pays, lorsque nous nous arrêtons, après deux nuits et presque deux jours de voyage, à Nancy, capitale et perle de la Lorraine. C'est midi, c'est dimanche, je vais dire la sainte messe à la Cathédrale. Pendant ce temps le débarquement s'opère avec lenteur sur les grands quais de la gare. J'arrive au moment où nous devons nous diriger sur Vandoeuvre.

Mais déjà les contre-ordres succèdent aux ordres. Nous avions à peine fait 3oo mètres, sur une belle avenue, qu'il nous fallut revenir en arrière pour aller à Art-sur-Meurthe.