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Empreinte militaire en Lorraine (12-2013) Laurent Jalabert

De Wicri Lorraine
Verdun au temps de Belle-Isle, ville de garnison et place forte.


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Auteur : Laurent Jalabert


En 1739, la ville de Verdun doit construire un corps de garde dans le cloître de la cathédrale et un autre sur la place d'Armes[1]. En 1745, la ville met aux onze emplacements de garde des plateaux peints portant l'indication de ces postes ; en 1746, elle fait installer des alignements dans le pavé de la place d'Armes afin de favoriser la manœuvre et l'exercice de la troupe[2]. Trois indices révélateurs de la vie d'une ville de garnison, où l'empreinte de l'armée est assez forte pour s'inscrire dans le paysage urbain, sans parler des fortifications elles-mêmes.

Cette vie de garnison n'est pas apparue instantanément après le voyage d'Allemagne d'Henri II. La protection du roi, « vicaire du Saint-Empire ès citez de Verdun, Toul et Metz[3] », ne se transforme que peu à peu en occupation effective, en réduisant et modifiant les droits des Verdunois[4], ainsi qu'en créant en 1641 le bailliage de Verdun[5]. Les premiers Bourbons, la guerre de Trente Ans et les conflits de la seconde moitié du XVIIe siècle achèvent de faire de Verdun une cité militaire, avec notamment les débuts de la construction de la citadelle. Verdun, sur le cours de la Meuse, constitue dès lors une pièce d'importance dans la stratégie des places, en regard du Luxembourg et des Pays-Bas espagnols.

Il s'agit de présenter, dans les lignes qui suivent, l'évolution de l'empreinte militaire dans cette ville qui compte peut-être environ 7 000 à 8 000 habitants à l'arrivée du comte de Belle-Isle lors de la prise du gouvernement des Trois-Évêchés, pour atteindre progressivement 10 000 habitants, sans compter les militaires[6]. Verdun, ville de passage de troupes et de garnison sur la Meuse, n'a pas eu la même place que Metz pour Belle-Isle, c'est un fait connu. Ce n'est qu'en 1736 qu'il y fait sa première entrée officielle[7], mais dans le respect dû à sa charge, son portrait figure dans une salle de l'hôtel de ville. À ce moment, le profil militaire de la cité verdunoise est déjà une réalité affirmée.

LA PRÉSENCE MILITAIRE : MILICE URBAINE ET GARNISON ROYALE

Avec l'occupation française, et surtout à compter du règne d'Henri IV, Verdun prend progressivement l'allure d'une ville de garnison, même si les débuts sont très modestes : à partir d'Henri II, le roi installe trois compagnies d'une centaine d'hommes. Jusque là, c'est la milice bourgeoise qui fait office de garnison, tout au moins de personnel de surveillance et de défense des remparts, soit une situation qui n'a rien d'exceptionnel encore au XVIe siècle. Parfois, en cas de danger pressant, il y a l'apport d'hommes venus du temporel de l'évêché et du chapitre, payés et nourris en partie par la ville[8].

Les affaires militaires sont alors dirigées par trois conseillers élus annuellement parmi les échevins et nommés les maîtres de guerre ; la défense est organisée autour de la partition en trois quartiers urbains, ceux de la porte Chaussée, de la porte Saint-Victor et de la porte de France - ou du Maisnil -. Les maîtres de guerre disparaissent des documents à compter de 1612[9], ce qui correspond à la chronologie de la prise en main effective de la défense de la ville par la monarchie. Celle-ci ne peut heurter de front la cité verdunoise, dont l'acquisition n'est d'ailleurs pas officiellement reconnue par un traité. C'est en octobre 1601 que les bourgeois jurent obéissance au roi et à son représentant, le gouverneur, entre les mains du président Viard, administrateur civil des Trois-Évêchés. Le renforcement du poids du gouverneur dans la défense urbaine s'effectue progressivement jusqu'à la construction de la citadelle et la fuite de l'évêque François de Lorraine[10]. Concrètement, cela se traduit par la perte, pour le magistrat, du contrôle de la défense de la ville.

La milice bourgeoise

En effet, à l'origine, les maîtres de guerre, ou aussi portiers, ont sous leur direction les trois compagnies bourgeoises : les arbalétriers, les couleuvriniers et les arquebusiers[11]. De ces compagnies, aux XVIIe et XVIIIe siècles, ne subsiste qu'une milice bourgeoise qui pratique entraînements et défilés. À Verdun, la défense est ainsi, a priori, assurée par la milice bourgeoise qui recrute alors les hommes à compter de l'âge de dix-huit ans, les assujettis devant payer leur équipement - corselet, morillon, hallebarde, pique ou arquebuse - ; mèches, balles et poudres - une livre au moins en 1628 - sont à leur charge, les plus pauvres se voyant offrir les armes par la ville. La monarchie entreprend aussi de fournir un minimum de poudre et de balles pour ces bourgeois, au moins au cours des troubles de la guerre de Trente Ans. De fait, la milice bourgeoise passe sous la direction du gouverneur et le Magistrat n'intervient plus. Le 8 mars 1664, la milice bourgeoise est dissoute sans pour autant être abolie : elle peut être appelée et employée pour la garde, en substitution d'une garnison royale affaiblie. D'ailleurs, les besoins militaires de l'armée de Louis XIV, notamment au cours de la guerre de la ligue d'Augsbourg, favorisent la restauration de la milice bourgeoise.

À la fin du XVIIe siècle, un nouveau règlement est instauré, indiquant entre autres que les miliciens ne peuvent être commandés par des officiers de la bourgeoisie[12]. En effet, un édit du mois de janvier 1694 instaure la charge d'officier de la milice, impôt urbain dissimulé, les charges étant vendues aux bourgeois, sauf celle de colonel réservée au premier échevin. Ces officiers prêtent serment entre les mains du lieutenant du roi et du maire. La milice s'organise autour de cinq compagnies - de 160 à 180 hommes[13], puis, en 1740, de deux bataillons de six compagnies commandées par des officiers, dont la charge n'est plus vénale et la promotion se faisant à l'ancienneté - capitaine, lieutenant, enseigne et sous-lieutenant -, et un état-major[14]. D'ailleurs, à compter de cette date, le service de garde est continu et le tour des officiers revient tous les huit jours[15]. Cette milice urbaine offre une réelle lisibilité et présence dans la ville, d'une part en raison de son service de garde, mais aussi à la Saint-Antoine, avec un défilé qui mène les officiers et un détachement, avec tambours et drapeaux - enseignes -, à l'église des Jacobins[16].

La garnison royale

La garnison royale s'organise, quant à elle, autour de compagnies qui sont, à l'origine, logées chez l'habitant. En 1576, la garnison compte 200 hommes. En 1609, la municipalité doit fournir vingt-cinq logis pour la compagnie de M. de Montigny. Toutefois, la garnison française augmente au gré de la mise en place de la citadelle, laquelle se comprend également comme un espace de « refuge » pour les soldats français : le logement de ces derniers, jusque là dispersés dans la ville, à l'intérieur de la citadelle, permet de pallier tous les coups de force.

Il n'est toutefois pas aisé, pour le XVIIe siècle, profondément marqué par les opérations militaires sur un théâtre allant du duché de Lorraine au Saint-Empire, de distinguer les troupes de garnison réelle et celles de passage. Quoi qu'il en soit, ce sont des régiments et non plus des compagnies que l'on trouve à Verdun, avec toutes les difficultés de logement que cela entraîne. Cependant, à la fin du XVIIe siècle, le profil de la garnison royale est stabilisé, soit un régiment de cavalerie - un peu plus de 860 chevaux - et un d'infanterie - environ 550 hommes -. À ces deux régiments, il faut ajouter le transit de troupes au XVIIIe siècle : en 1743 par exemple, du 15 mars au 26 avril, trente-trois bataillons de milices provinciales passent par Verdun avant d'être incorporés dans des régiments, le tout aux frais de la ville en ce qui concerne le chauffage[17].

L'IMPACT SUR LA VILLE ET DANS L'ESPACE URBAIN

L'existence d'une garnison engendre dans l'espace urbain et sa périphérie des empreintes qu'il s'agit d'observer. En effet, spatialement et économiquement, l'établissement de troupes a une incidence. L'économie[18], les finances sont fortement touchées, en particulier à la fin du règne de Louis XIV[19], mais à nouveau au milieu du XVIIIe siècle, en raison de nouvelles constructions et d'inondations dévastatrices.

La présence militaire s'étoffe avec celle de nouveaux corps militaires, même en nombre réduit. Il y a depuis 1648 un lieutenant du roi, qui remplace le gouverneur, puis un major (1672), un aide-major en 1692, accompagné en 1729 d'un sous-aide major ; des ingénieurs du roi aux fortifications à compter de 1679, des artilleurs après 1699. Un hôpital militaire (1709) avec un médecin et un chirurgien, la maréchaussée (1722) avec un lieutenant-prévôt, un sous-lieutenant et six cavaliers, ainsi qu'une école des mineurs implantée en 1755, sous la direction de trois capitaines, complètent le panel.

Le logement des officiers

Toutes ces personnes, de même que l'ensemble des officiers, doivent être logées et, pour ce faire, touchent de la ville des indemnités allant de moins de 100 livres à 600 pour le commandant de l'école des mineurs, voire 800 pour le lieutenant du roi[20] ; le logement du commissaire[21] et du gouverneur représente un coût : pour ce dernier, au moins jusqu'en 1660, date à laquelle il ne réside plus à Verdun, la ville verse alors une pension de 400 livres en compensation du droit de meubles[22]. Les officiers logent aussi chez l'habitant, normalement avec une aisance due à leur rang, soit deux chambres et le mobilier. Au XVIIe siècle, pour satisfaire cette demande, il est parfois nécessaire de procéder à des aménagements chez certains particuliers, qui concernent également les écuries. Avec la mise en place des casernes, on trouve désormais chambres et mobilier pour ces officiers subalternes - jusqu'à capitaine - et leurs valets. C'est Belle-Isle qui ordonne, en 1740, de faire loger les officiers dans les pavillons de la caserne Saint-Paul, jusque là occupés par huit compagnies d'infanterie qui doivent alors s'installer à la caserne Saint-Nicolas[23]. Tous ne semblent pas y loger car, en 1750, une grande maison est louée pour leur hébergement, en attendant la fin de la construction de la caserne[24].

Le cas des officiers supérieurs

Les officiers supérieurs se voient offrir des maisons de particuliers louées par la ville. À compter de 1755, c'est l'ancien hôtel du gouverneur, racheté par la ville, qui leur est destiné[25]. Originellement logés dans l'une des maisons du chapitre de Verdun, les gouverneurs occupent l'ancienne demeure d'un lieutenant au gouvernement, M. de Lieudieu, construite au bas de la rue Montgault près de l'abbaye Saint-Maur[26]. Ce sont les États et le chapitre de Verdun qui achètent cette maison en 1597.

Toutefois, la venue d'officiers extraordinaires de haut rang oblige la municipalité à trouver des palliatifs. Ce sont alors l'abbaye Saint-Paul[27] ou l’hôtel de ville, par exemple, pour accueillir en 1743, pendant près de deux mois, Lord Care et le comte d’Estrée, inspecteurs d’infanterie et de cavalerie[28]. La même année, passe le maréchal de Noailles qui va commander les armées du roi à Landau[29]. D'autres exemples existent : en 1754 et 1755, il faut loger M. de Saint-Pern et M. de Balincourt - colonels des grenadiers de France -, en 1765 le marquis de Vaubecourt, en 1768 le marquis du Châtelet. Des maisons louées accueillent également des personnages importants, comme le prince de Talmon, commandant le Royal-Pologne, en 1742[30]. Enfin, la ville contribue également au logement, à Metz, d'officiers supérieurs, tel un directeur des fortifications ou un commissaire provincial des guerres. L'un dans l'autre, le coût du logement du personnel militaire s'élève, à la fin du XVIIIe siècle, à 6 500 livres environ[31].

Le logement de la troupe

Bien entendu, le logement de la troupe reste le plus problématique. Celui-ci s'effectue par roulements entre les trois quartiers et cette situation dure jusqu'à la mise en place de casernes. En raison des désagréments parfois causés par le logement d'étrangers chez soi, l'exemption est activement recherchée, même si celle-ci n'est jamais absolue : en cas de fortes nécessités de logements, souvent seule l'exemption des magistrats municipaux subsiste.

Au cours de la première moitié du XVIIe siècle, ce logement engendre nombre de tensions importantes, en particulier entre le magistrat et le gouverneur, lequel refuse d'entendre les récriminations de la ville pour des raisons de nécessité. En effet, l'attribution du logement s'effectue normalement par l'intermédiaire d'un fourrier municipal et de billets de logements, mais cette règle n'est cependant pas toujours respectée par les autorités militaires. C'est pour cette raison qu'en 1665 apparaît un commissaire à la police des troupes, ayant la réalité du contrôle du logement militaire, mais en relation avec la municipalité, les billets étant délivrés par le seul fourrier municipal qui connaissait la réalité du logement possible. En 1685, on trouve même mention d'un commissaire des guerres[32]. Malgré ces tentatives de régulation, les interférences entre militaires existent tout de même. Louvois doit en effet défendre au sieur Descrochet, lieutenant du roi et commandant à Verdun, de se mêler du logement des troupes, dont les billets doivent être signés par ledit commissaire et les échevins[33].

Quoi qu'il en soit, le logement de troupes reste une donnée permanente tout au long du XVIIIe siècle, malgré l'érection de casernes, ce qui entraîne une course aux exemptions qui ne sont cependant jamais des garanties absolues. L'année 1743 est marquée par un afflux de troupes, lequel fait disparaître toutes les exemptions[34] et relance la quête de nouvelles dispenses dans les décennies suivantes[35]. Ainsi, en dépit des tentatives d'améliorer le système du logement des troupes, celui-ci est toujours vécu comme une corvée et un coût supplémentaire, d'où la décision des échevins, en 1724, de s'assembler tous les mercredis afin de recevoir les plaintes des bourgeois quant au-dit logement[36].

L'édification des casernes

La construction de casernes doit permettre de régler certaines difficultés[37]. L'idée apparaît en 1698, mais la ville n'y est pas, initialement, favorable en raison du coût supposé de l'opération. Toutefois, le Magistrat convoque, en septembre 1700, une assemblée des députés des paroisses où l'on décide de construire des casernes pour accueillir 3 800 hommes et 1 000 chevaux dans un délai de douze années, sans suivre le projet de Vauban concernant des casernes à Verdun, car celui-ci était considéré comme trop coûteux[38]. Cela étant, le projet urbain n'aboutit pas non plus et ce n'est qu'en 1729 que l'on parle à nouveau des casernes. Un arrêt du Conseil du roi, du 25 janvier, « sur la proposition des officiers municipaux et des différents corps de métiers », autorise la ville de Verdun à construire des casernes grâce à un financement multiple devant apporter 413 000 livres[39].

L'édification de la première caserne, Saint-Paul, débute par l'adjudication du marché le 5 août 1729 à Nicolas Henry ; la construction est en partie achevée à la mi-1732, pour une somme totale de près de 226 000 livres[40]. La construction de la caserne Saint-Nicolas, destinée à la cavalerie, commence après l'adjudication au même entrepreneur, le 28 février 1732 ; en 1734 et 1740, deux bâtiments sont élevés et les conduites d'adduction d'eau pour les latrines sont creusées, mais les travaux pour la seconde aile s'interrompent en raison de l'inondation du 21 décembre 1740 : les travaux ne se poursuivent qu'en 1763, les finances municipales ayant été fortement obérées par cet événement. D'ailleurs, ce n'est qu'en raison de l'insistance pressante de l'intendant que les travaux reprennent, mais pas avant 1766. La caserne n'est finalement achevée qu'en 1770, avec une capacité d'écurie de près de 890 chevaux. La construction des casernes a alors coûté certainement jusqu'à 800 000 livres à la ville, il est vrai aidée par la monarchie avec l'attribution d'octroi et l'exemption de la subvention au logement des troupes.

Un coût nouveau pour la ville

Il faut cependant voir que, pour la ville, ce logement nouveau engendre également des dépenses, jusque là assumées par la population par le logis à domicile. Ainsi, jusqu'aux casernes, la ville ne pourvoyait qu'au seul chauffage des corps de garde[41]. Il faut à présent fournir le chauffage et pourvoir à l'éclairage, au couvert et au lit de la troupe encasernée, pour un coût annuel d'environ 9 000 à 10 000 livres. Dès la mise en place de la caserne Saint-Paul, le 19 octobre 1733, il faut apporter ces fournitures[42], situation qui dure jusqu'aux arrêts du Conseil d'État des 1er janvier et 10 mars 1750 les exemptant de ces charges. Le chauffage passe alors aux frais de l'État, par adjudication, avec, pour Verdun, la seule obligation de fournir un magasin pour le stockage du bois, pour un coût de 70 livres. La fourniture de lits, linge et mobilier coûte à la ville, qui passe par des baux pour l'entretien des casernes. En fait, même pour les fournitures et l'entretien du mobilier, la ville utilise rapidement l'adjudication, en 1770, pour une somme d'environ 16 000 livres annuelles. Verdun devient ainsi une ville de garnison capable de loger dans ses casernes plus de 3 300 hommes et plusieurs centaines de chevaux, même si le logement chez l'habitant subsiste en cas de passage massif de troupes[43].

Il n'y a pas que le logement des hommes qui compte : la cavalerie suppose des écuries. Certes, on emploie celles des habitants des faubourgs, mais cette solution ne convient guère à une utilisation militaire efficace. En 1677, dans le cadre de l'extension des fortifications, des maisons de Glorieux et du Pavé sont détruites, ainsi que certaines écuries, ce qui entraîne la création du village de Regret. La ville décide de la construction de nouvelles écuries, dont une sur un ancien terrain cédé par les Jésuites, près de la porte Chaussée. En 1691, cinq écuries sont bâties, derrière les Jésuites, au bout de la rue des Capucins, sur le glacis de la porte de France et dans la rue du Pont-Neuf. Ces deux dernières ont été détruites sur ordre du maréchal de Belle-Isle en 1733, ainsi qu'une autre près des Récollets. La construction de la caserne de cavalerie entraîna la destruction des autres (avant 1766) et ne subsistent, à la fin de l'Ancien Régime, que les deux écuries à proximité de la porte Chaussée.

Bâtiments à vocation militaire

La présence de la garnison, ainsi que la proximité de la frontière pour cette ville-étape, engendrent la nécessité d'attribuer certains espaces aux magasins militaires[44], dont un est consacré à l'armement et à l'équipement de la milice bourgeoise (1748)[45]. Ces entrepôts sont disséminés dans la ville et se trouvent à sa charge : en 1696, la municipalité doit payer les particuliers qui ont accueilli dans leurs greniers les « avoines du roi[46]». Au temps de Belle-Isle, le Magistrat doit louer plus de quarante magasins – en fait, des granges et des greniers – pour environ 3 000 livres. La monarchie ne construit que tardivement, entre 1783 et 1785, de vrais entrepôts pour pallier les carences du système précédent.

D'autres bâtiments à vocation militaire parsèment l'espace urbain. Verdun possède un hôpital militaire. À l'origine, les blessés et malades sont dirigés vers l'hôpital Sainte-Catherine, aux frais du roi, mais en 1689 est achetée une maison sur la place du Marché (celle de M. de Hautoy), laquelle devient l'hôpital du roi, sous administration militaire, et dont l'existence perdure jusqu'en 1799. Enfin, avec la présence d'officiers nobles, sont mis en place des espaces de divertissement, comme un jeu de paume (1609, à la Carrière). La garnison et la présence de troupes de passage, qui comportent également des éléments protestants, nécessitent l'ouverture de lieux de culte, comme en 1709 et 1729.

L'enseignement militaire

L'enseignement militaire s'inscrit également dans le paysage urbain. Les officiers du régiment d'infanterie de la garnison doivent suivre des cours, ce qui implique l'attribution de locaux : en 1739, Belle-Isle donne l'ordre à la ville de fournir des salles pour des classes de dessin et de mathématiques au régiment du Royal-Infanterie en garnison à Verdun[47]. Enfin, il y a la présence d'une école de mineurs[48]qui ne semble pas fonctionner avant 1764, date de l'installation de M. de Gribeauval, inspecteur du corps royal d'artillerie et des mineurs[49]. C'est d'ailleurs à cette date que l'on trouve une lettre de M. de Bernage de Vaux aux officiers de la ville au sujet de l'ameublement de la maison du sieur Candau qui doit servir d'école aux mineurs du corps royal d'artillerie[50]. En 1766, c'est le sieur Le Brun fils qui est nommé « pour emplir la place de répétiteur de mathématiques et de maître de dessin à l'école du corps royal d'artillerie[51]».

Pour achever ce rapide panorama, il faut indiquer que la marque de Belle-Isle existe dans l'urbanisme de Verdun, comme c'est le cas pour la ville de Metz. En 1738, il impose l'alignement des rues de la ville-basse, une opération qui consiste en l'alignement de façades, afin de faciliter la circulation des troupes et discipliner les constructions privées.

Une place forte

Verdun possède encore une allure très médiévale au début du XVIe siècle, tant sur le profil que sur l'organisation : ce sont les maîtres de la guerre, issus du Magistrat, qui sont chargés de la surveillance et de l'entretien des remparts. Avec la réalité de l'intégration à la France, la monarchie prend désormais en main et en charge les fortifications[52] de Verdun, comme en témoignent les mémoires successifs de Vauban à compter de 1675[53]. Les ingénieurs du roi œuvrent à présent pour l'inspection, l'amélioration, les réparations et le financement des fortifications, tout en mettant de fait à contribution le Magistrat. D'ailleurs, depuis juillet 1665, l'ancien Magistrat est remplacé par un bureau de Ville nommé par le roi parmi une liste de notables[54].

La citadelle

La citadelle constitue certainement une marque essentielle du changement de visage de Verdun. S'il y a eu des premiers travaux au XVIe siècle (1554, 1567 et 1589-91), les choses se mettent en place après 1601 : en juin, des commissaires et ingénieurs sont envoyés par Henri IV pour « visiter et remarquer le circuit et projet de citadelle commencée » (circuit tracé en 1567, sous Charles IX). On reprenait en grande partie le projet du baron d'Haussonville, au profit de Charles III, mais qui n'avait pu aboutir. Les travaux ne sont pas engagés immédiatement, cependant la présence de troupes de Mansfeld dans la région relance le projet. Le maréchal de Marillac, lieutenant-général pour les Trois-Évêchés, reçoit l'ordre de Louis XIII d'entreprendre rapidement les travaux pour assurer la possession de la ville. Les travaux débutent en 1625 pour une dizaine d'années ; après 1635, ce sont les fortifications du front nord de la ville, qui mettent notamment à contribution la population, contrainte de travailler à une demi-lune dans l'urgence devant le pont de la porte Chaussée (1639). En ce qui concerne la citadelle même, de gros travaux sont encore entrepris en 1653 (deux demi-lunes). Les autres changements datent de Vauban, qui entend faire de Verdun une vraie place d'arrêt.

Malgré l'ancienneté des travaux de renforcement, l'ensemble des fortifications de la ville ne semble pas offrir à Vauban l'image de l'efficacité. Dans son Avis particulier sur la défense de Verdun (mars 1675), il souligne que « le plan des murailles est figuré comme il a plu au hasard [et] qu'elles ne sont ny terrasées ny mesme de force à pouvoir soutenir un rempart. Les vignes sont cultivées partout jusque sur les bords des fossez[55]. » D'importants travaux ont lieu au cours des années 1680 et d'autres sont envisagés après la guerre de la ligue d'Augsbourg, mais non réalisés[56]. C'est sous l'impulsion de Vauban que plus de 300 familles sont expulsées de la citadelle et des faubourgs, détruits en raison des travaux de fortification ; les habitants de Glorieux décident alors de s'installer un peu plus à l'ouest et fondent le hameau de Regret[57]. Ainsi, au temps de Belle-Isle, le visage de Verdun correspond en grande partie au profil souhaité par Vauban. Certains changements apparaissent cependant. Quelques années avant la nomination de Belle-Isle comme gouverneur des Trois-Évêchés, la poudrerie installée au sud-est en ville-basse, sur un bras de la Meuse, explose (1727)[58]. La poudrerie est alors éloignée de la ville pour être installée à proximité de Belleray à partir de 1732[59].

Redoutes

Enfin, il faut aussi compter, dans le paysage proche de la ville, un ensemble de fortifications provisoires que l'on peut observer. Sur les cartes de l'Atlas de Trudaine, on peut en effet voir des redoutes sur la route allant vers Metz, implantées à distance régulière l'une de l'autre, la première étant assez proche de la ville même. Au fil de la Meuse, au nord de Verdun, on retrouve aussi des redoutes, situées sur des gués, ainsi que des corps de garde ponctuant le cours du fleuve ; certaines des redoutes semblent ne plus être entretenues, à l'exemple de celle située à proximité du gué assurant le passage entre Cumières et Champneuville[60]. En fait, ces redoutes apparaissent dès le milieu du XVIIe siècle. Trente-six d'entre elles, en terre ou maçonnerie, sont mises en place entre Stenay et Saint-Mihiel, treize autres entre Verdun et Mars-la-Tour par Manheulles. C'est Mazarin qui a ordonné la construction de ces ouvrages (1646, sur les instances du maréchal Fabert), afin d'assurer surveillance et continuité des communications, mais l'idée serait à l'origine celle du gouverneur de Stenay, Thiébaud, dans un mémoire présenté à Mazarin en février 1644. Les dessins des premiers ouvrages sont réalisés par Pierre de Chastillon, le fils d'un autre ingénieur, Claude, qui a servi Henri IV[61].

DE VILLE DE GARNISON À VILLE-SYMBOLE

L'intégration dans le royaume de France et la création d'une place bastionnée située sur un axe important de circulation vers les frontières, mais aussi vers Metz, ont largement contribué à donner à Verdun son identité de ville de garnison.

Sous le gouvernement de Belle-Isle, la cité connaît un essor humain et économique réel, malgré les difficultés financières de la municipalité elle-même. L'accroissement de la population s'accompagne de métiers pour partie en lien direct avec la présence d'une garnison. Comme le souligne Alain Girardot, en 1788, marchands de vin, cabaretiers, cafetiers, limonadiers et autres débiteurs de boissons représentent 15% des actifs[62]. Il faudrait analyser l'emprise spatiale de ces activités et leur répartition dans l'espace urbain pour mieux appréhender cette réalité, comme aussi la présence d'autres métiers en lien avec la présence de la troupe et des officiers (produits de luxe).

Quoi qu'il en soit, voilà le témoignage du passage progressif d'une identité contrainte imposée par la France à celle d'une identité acceptée et assumée au XIXe siècle, celle d'une ville de garnison, avant de devenir une ville-symbole à la suite du premier conflit mondial.

NOTES

  1. A.M. Verdun, BB 26.
  2. Victor Petitot-Bellavène, « Verdun aux XVIIe et XVIIIe siècles. Affaires militaires », Mémoires de la Société philomathique de Verdun, 10, 1888, pp. 29-103, ici p.88.
  3. Alain Girardot (dir.), Histoire de Verdun, éditions Privat, Toulouse, 1982, p.131.
  4. Comme par exemple, en 1607, la fin des appels vers la Chambre impériale de justice de Spire pour les diriger vers le parlement de Metz.
  5. Alain Girardot, op. cit., p.146.
  6. Ibid., p. 157.
  7. A.M Verdun, BB 25.
  8. C'est le cas entre autres en 1588, 1589, 1622, 1652, 1653.
  9. Victor Petitot-Bellavène, art. cit., p.42.
  10. Ibid., p.45.
  11. Ibid., p. 40.
  12. A.M. Verdun, BB 18.
  13. Voir l'exposé sur l'état de la milice en 1738, A.M. Verdun, BB 26
  14. Nouveau règlement de la milice bourgeoise en 1739, A.M. Verdun, BB 26.
  15. Victor Petitot-Bellavène, art. cit., p.45.
  16. Cette fête a normalement lieu le 17 janvier, mais en 1739, elle est déplacée au premier dimanche après l'Ascension.
  17. Victor Petitot-Bellavène, art. cit., p.92.
  18. Il y a une réglementation des coûts des denrées destinées à pourvoir une partie de l'alimentation des troupes. Par exemple, en 1673, une ordonnance destinée aux bouchers de l'hôpital les invite à tuer toutes les semaines « pour les troupes de garnison et de passage, et défense de vendre la viande plus de 2 sols la livre pour le bœuf, 3 sols et demi pour le mouton et 3 sols pour le veau », A.M. Verdun, BB13.
  19. Alain Girardot, op. cit., p.155.
  20. A.M. Verdun, BB 20.
  21. En 1707, sur ordre de Chamillart, la ville doit prendre en charge la location de la maison qu'habite le sieur de la Brochetière, commissaire provincial, avec toute sa famille, A.M. Verdun, BB 20.
  22. Victor Petitot-Bellavène, art. cit., p.65.
  23. Règlement pour le logement des officiers de la garnison, A.M. Verdun, BB 26, 1739.
  24. A.M. Verdun, EE 20.
  25. A.M. Verdun, EE 20. À cette date, est projetée l'édification d'un corps de logis, derrière la mairie actuelle, pour y loger les colonels, lieutenants colonels et commandants de bataillon, A.M. Verdun, BB 30.
  26. A.M. Verdun, EE 22. Cette maison est ensuite devenue, entre autres affectations, caserne de gendarmerie.
  27. Pour le marquis de Rocozel, neveu du cardinal de Fleury (Victor Petitot-Bellavène, art.cit., p.66).
  28. Victor Petitot-Bellavène, art. cit., p. 92.
  29. A.M. Verdun, BB 26.
  30. Le prince de Guise en 1743, le marquis d'Hericourt, en 1768, lieutenant-colonel du régiment du roi, le duc de Coigny en 1782, le comte de Deux-Ponts en 1784.
  31. Victor Petitot-Bellavène, art. cit., p.68.
  32. Le sieur de Martigny de Chatillon, « pourvu de l'office de commissaire aux reveües et logements de guerre », doit signer conjointement avec le maire les billets des troupes qui passent, A.M. Verdun, AA 10.
  33. A.M. Verdun, BB 17.
  34. A.M. Verdun, BB 26
  35. A.M. Verdun, AA 6 (1747, 1758, 1765).
  36. A.M. Verdun, BB 23.
  37. Plusieurs dossiers aux Archives municipales de Verdun (EE 8 à EE 19).
  38. A.M Verdun, BB 19.
  39. Victor Petitot-Bellavène, art. cit., p.95.
  40. En 1734, est nommé un expert qui doit visiter la caserne Saint-Paul avant de procéder à la réception des travaux, A.M. Verdun, BB 25.
  41. Victor Petitot-Bellavène, art. cit., p.87.
  42. La première adjudication pour les fournitures aux casernes date de cette année 1733, A.M. Verdun, BB 25.
  43. Théoriquement pour 450 hommes et 600 chevaux, Alain Girardot, op. cit., p.161.
  44. A.M. Verdun, EE 29, qui contient des toisés de magasins de fourrage, ainsi que des états, avec emplacement, des lieux pouvant servir à stocker des vivres (après 1740).
  45. A.M. Verdun, EE 4. En 1782, un recensement fait état de 1 182 hommes capables de servir dans cette milice urbaine (EE 3).
  46. A.M. Verdun, BB 18.
  47. Est en effet produite une instruction sur le choix par la ville d'un lieu convenable « pour servir de salle en mathématiques où les maîtres que le roy paye pour enseigner les mathématiques et le dessin aux officiers de son régiment, puissent faire leurs démonstrations et les leçons journellement », A.M. Verdun, EE 31.
  48. La première compagnie de mineurs fut créée en 1679 à l'effectif de 80 hommes. Le roi en forma une deuxième en 1695 et deux nouvelles en 1706, toutes rattachées à l'artillerie et commandées par des officiers de cette arme. L'école d'artillerie est mentionnée également dans H. Cotty, Encyclopédie méthodique. Dictionnaire de l'artillerie, Paris, 1822, p.257, avec celles de Douai, Strasbourg, Metz, La Fère, Besançon, Auxonne et Grenoble, « les compagnies de mineurs continuèrent d'être rassemblées à Verdun, sous les ordres d'un commandant d'artillerie » (ibid., p.259). Une ordonnance du 1er mars 1778, concernant les troupes provinciales, affecta au corps de l'artillerie les régiments provinciaux de Châlons, Valence, Verdun, Colmar, Dijon, Autun et Vesoul, chacun à deux bataillons de 710 hommes.
  49. A.M. Verdun, BB 33.
  50. A.M. Verdun, EE 31.
  51. A.M. Verdun, EE 31.
  52. Renseignements sur des éléments de fortification dans Ludovic Robert, Évolution et organisation du paysage de défense de la ville de Verdun, 1552-1700, mémoire de maîtrise, Université Nancy 2, 1997.
  53. Bibliothèque d'études de Verdun, Ms. 876.
  54. Ce Bureau est constitué d'un maître-échevin, de quatre échevins, un syndic, un receveur, un secrétaire, ces trois derniers étant nommés à vie au contraire des premiers (pour deux années), Alain Girardot, op. cit., p.148).
  55. Archives du Service historique de la Défense, département de l'Armée de terre, dépôt des fortifications, 1 VH 1957.
  56. Alain Girardot, op. cit., p.154-155.
  57. Ibid., p.149-150.
  58. Les explosions des moulins et des magasins de poudre n'étaient pas rares – Metz en connut une en 1692 – et pouvaient entraîner d'importants dégâts et des pertes humaines élevées, à l'exemple de celle de Grenelle qui occasionna plus d'un millier de morts et de blessés, Thomas Le Roux, « Accidents industriels et régulation des risques : l'explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794 », Revue d'histoire moderne et contemporaine, 2011-3, p.34-62).
  59. Archives du Service historique de la Défense, département de l'Armée de terre, fonds artillerie 4W804, dossier sur la construction du moulin de Belleray. Archives départementales de Meuse, 139 Fi 21, pour une situation sur le cadastre de 1831. D'ailleurs, une partie du terrain de l'ancienne poudrerie de Verdun est destiné en 1740 à la construction d'une « maison de force » pour les filles de mauvaise vie, A.M. Verdun, BB 26.
  60. Plan de la bibliothèque d'étude de Verdun, acquisition récente, encore non coté.
  61. Archives nationales, KK 1069, fol. 88. Ludovic Robert, op. cit., p.52.
  62. Ibid., p. 160.


  Pour citer cet article :
Laurent Jalabert - Verdun au temps de Belle-Isle, ville de garnison et place forte - Projet Empreinte militaire en Lorraine
Consulté en ligne le <date du jour> - Url : http://ticri.inpl-nancy.fr/wicri-lor.fr/index.php?title=Empreinte_militaire_en_Lorraine_(12-2013)_Laurent_Jalabert

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