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Empreinte militaire en Lorraine (02-2008) Laurent Jalabert

De Wicri Lorraine
Les frontières dans l'espace lorrain : de la frontière militaire à l'intégration dans le royaume de France (1633-1766).


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Auteur : Laurent Jalabert

L'histoire des frontières du Nord-Est de la France a déjà attiré l'attention de nombreux historiens allemands et français, parmi lesquels Gaston Zeller, Jean-François Noël et Daniel Nordman, pour ne citer qu'eux. Cette histoire a toujours été observée, à raison, au travers de la problématique de la progression française vers le Rhin. En effet, à compter du règne de Henri II puis, surtout, du règne de Louis XIII, la France connaît une avancée progressive vers l'est, se heurtant ainsi à l'espace lorrain, mal maîtrisé et protéiforme, alors que la sécurité du royaume nécessite l'existence d'une marche lorraine sûre exigeant de verrouiller les axes Meuse-Moselle. En conséquence, les initiatives françaises se font de plus en plus pressantes à l'égard de la maison ducale et aboutissent à une absorption progressive de la Lorraine. Le présent article propose d'observer les matrices et les étapes de cette intégration en tenant compte des réalités spatiales propres à l'espace lorrain et auxquelles un homme tel que Vauban n'a pu être que sensible. Plus particulièrement, il s'agit de montrer comment nous sommes progressivement passés de la « marche », de la frontière militaire à un espace intégré progressivement, protégé par une double ligne fortifiée proche de la limite[1]. Au-delà, il s'agit de voir quels sont les changements spatiaux opérés en Lorraine en raison de l'influence française[2], étant entendu qu'en parlant de « Lorraine », nous évoquons en fait des ensembles bien distincts situés entre la Champagne et les Vosges : d'une part les Trois-Évêchés et, d'autre part, les duchés de Lorraine et de Bar, mais également des principautés ecclésiastiques et des enclaves d'Empire sur lesquelles nous n'insisterons pas.

LES FRANÇAIS ET L'ESPACE LORRAIN

À tout le moins, l'intérêt de la monarchie pour l'espace lorrain n'a jamais été absent de sa stratégie européenne ni de sa conception défensive. L'histoire du XVIe siècle le prouve assez largement : il n'est que d'évoquer l'affaire des Trois-Évêchés pour s'en convaincre. En effet, la conquête de Henri II, en 1552, de Toul, Metz et Verdun permet d'asseoir la puissance du roi de France au cœur des duchés et de regarder de plus près les affaires lorraines[3]. En fait, les premières alertes ont eu lieu quelques années auparavant : le renforcement de La Mothe et de Nancy a montré la nécessité de s'assurer davantage de la frontière orientale[4]. Avec l'affaire de La Mothe, le conflit est latent entre la France et la Lorraine, preuve que la monarchie considère déjà l'espace des duchés comme une large zone tampon, un confins où il lui est permis d'agir. En effet, des étapes importantes ont été franchies au cours du XVIe siècle quant à la perception de l'espace lorrain : en 1539, la mouvance du Barrois est réaffirmée[5], les duchés n'appartiennent officiellement plus à l'Empire (traité de Nuremberg, 1542), les Trois-Évêchés sont passés sous la tutelle française mettant ainsi du même coup fin au rêve des ducs de recréer une Lotharingie. En conséquence, la monarchie française voit les duchés comme partie intégrante de sa zone d'influence, une « marche » qu'il s'agit de maîtriser politiquement et militairement pour sa propre sécurité face aux Habsbourg. Il n'est certes pas encore question d'annexion mais la logique féodale de la protection joue en faveur d'une mainmise territoriale qui permet, à partir du temporel des évêchés, de prendre le pouls de l'espace.

L'intérêt des Bourbons pour la Lorraine est aussi à la hauteur de l'implication des Guises dans la politique du royaume et des prétentions lorraines à la couronne de France. Le contentieux est double : féodal et religieux. En effet, les Lorrains ont fomenté la Ligue catholique et voient dans la France un modèle de compromission religieuse en raison de l'attitude des Bourbons à l'égard des protestants du royaume et de l'Empire[6]. De plus, l'accession de Charles IV au trône ducal envenime la situation alors que la vulnérabilité de la frontière Nord-est du royaume est patente : dans les faits, cette limite se situe à l'est de la Champagne, reposant sur les villes de Vitry-le-François, Saint-Dizier, Ligny, Chaumont et Langres, le long des terres du duc de Lorraine. La frontière manque de cohérence militaire : évoquant la nécessité de protéger Paris, Vauban souligne à la fin des années 1680 que des victoires sur les frontières mettrait Paris à la merci des ennemis car « il n'y a pas là une seule ville capable des les arrêter trois jours parce qu'il n'y en a point dont l'enceinte ne soit ébréchée et ouverte »[7]. Or, le peu de fiabilité de Charles IV à l'égard de la France laisse la possibilité à l'ennemi d'utiliser la Lorraine comme base d'attaque contre le royaume ou de s'en servir comme axe de circulation pour les troupes espagnoles entre la Franche-Comté et le duché de Luxembourg. À la fin du XVIIe siècle, Vauban souligne derechef ce souci stratégique, lors des négociations devant mettre fin à la guerre de la Ligue d'Augsbourg :

« Un pont sur le Rhin et une place de la grandeur et de la force de Strasbourg, qui vaut mieux, elle seule, que le reste de l'Alsace, cela s'appelle donner aux Allemands le plus beau et le plus sûr magasin de l'Europe pour le secours de M. de Lorraine et pour porter la guerre en France. Luxembourg, de sa part, fera le même effet à l'égard de la Lorraine, de la Champagne et des évêchés »[8].

Louis XIII cherche ainsi à soumettre le duc par le jeu de l'hommage dû pour des fiefs liés aux évêchés lorrains mais tombés dans l'oubli afin de mieux s'assurer de la fidélité de Charles IV[9]. Le roi veut également en profiter pour faire valoir ses droits sur l'évêché de Metz : en vain car Charles IV esquive toute discussion et dénonce à l'empereur les tentatives de domination souveraine du roi[10]. Dans ce contexte de défiance durable, la protection du roi de France sur les évêchés lorrains se renforce et se transforme peu à peu en sujétion pour les habitants : à Verdun (1601) et à Toul (1602), ils jurent fidélité au roi de France alors que les évêques sont progressivement remplacés par des clients de la monarchie française, tel Henri de Bourbon-Verneuil - bâtard de Henri IV - à Metz en 1612. La France a bien tenté d'avoir la main sur cette maison de Lorraine peu sûre, notamment par une active politique de mariages, par le commerce et en tentant de régler les contentieux frontaliers (conférences de Toul en 1602 et de Nomeny en 1604)[11]mais rien n'y a fait. Ainsi, jusqu'au premier tiers du XVIIesiècle, la France ne progresse guère dans sa politique frontalière, hormis sa mainmise sur les évêchés lorrains qui lui assurent une position militaire prééminente dans l'espace lorrain.

Dans le contexte de la guerre de Trente Ans, la question lorraine gagne une dimension nouvelle : on passe d'une relation féodale à une sorte de commise de fief qui prend les allures d'une annexion au fil du temps et des guerres. En effet, dans la sphère d'influence française, avec l'affirmation progressive de l'absolutisme et le développement de l'État moderne, le temps n'est plus aux petites unités territoriales qui exercent sur les frontières des forces centrifuges. En fait, au-delà des préoccupations stratégiques, il est difficile de déterminer une politique annexionniste suivant un plan d'ensemble bien conçu. Au contraire, les événements semblent montrer que les annexions territoriales sont davantage tributaires du sort des armes et que la monarchie française est peu à peu passée de la volonté de créer une zone d'influence fiable à celle de s'annexer des territoires. Il n'y a donc pas eu de véritable politique expansionniste française comme certains historiens allemands de l'entre-deux guerres ont eu tendance à le dire, ni de volonté farouche des Français d'atteindre des « frontières naturelles »[12] au demeurant bien difficile à déterminer en certains secteurs. Quoi qu'il en soit, au début des années 1630, la donne change à l'égard des duchés lorrains : les occupations françaises successives les font passer progressivement d'une zone d'influence à un espace intégré.

MITAGE DE L'ESPACE LORRAIN : FORMATION DE LA FRONTIÈRE MILITAIRE

L'objectif des Français, dans un premier temps, est de donner de solides bases à la défense du royaume, de tenir éloigné le champ des opérations, bref de se constituer un système militaire frontalier cohérent en repoussant la frontière stratégique plus à l'est. L'espace lorrain constitue une menace pour la France car c'est une zone stratégique sans véritable barrière naturelle : bien au contraire, la topographie favorise les couloirs de passage et de pénétration nord-sud et est-ouest[13]. C'est face à cette réalité et dans le contexte de la guerre de Trente ans, que Richelieu jette les bases d'une politique rhénane où l'objectif n'est pas d'annexer les terres jusqu'au Rhin mais seulement « des passages pour s'y rendre »[14], « conception stratégique et non territoriale »[15]. L'idée du cardinal consiste également à éliminer les scories fortifiées dans un espace qu'il s'agit de maîtriser :

« il fault raser toutes les places qui ne sont point frontières, ne tiennent point les passages des rivières ou ne servent point de brides aux grandes villes mutines et fascheuses ; il faut parfaitement fortifier celles qui sont frontières, et particulièrement une place à Commercy […], penser à se fortifier à Metz et s'avancer jusqu'à Strasbourg, s'il est possible, pour acquérir une entrée en Allemagne »[16].

Quelle est la situation à l'heure de l'invasion française[17] ? Concrètement, l'espace lorrain est parsemé d'environ quatre-vingt places fortes d'importances diverses[18]. L'occupation des Trois-Évêchés permet à la France de posséder des places qui servent de bases d'action, soit les villes fortifiées de Verdun[19], Damvillers, Metz, Toul et Moyenvic, qui sont autant de freins à une éventuelle attaque ; de qualités variables, elles ont le mérite de fixer pour un temps l'ennemi qui ne peut laisser des garnisons françaises harceler ses troupes. Sur les sept places bastionnées de l'espace lorrain, la France en possède donc trois de première importance (les trois villes épiscopales). Au Nord, l'Espagne possède Montmédy et Thionville alors que le duc détient Nancy, La Mothe et d'autres places de moindre importance telles Saint-Mihiel sur la Meuse, Clermont-en-Argonne ou Marsal. À côté subsistent de nombreuses petites fortifications, héritage du Moyen Âge, peu à même de résister à une armée moderne mais conservant leur rôle de base militaire. Pour résumer, quelques grandes places fortes qui, d'un point de vu tactique, sont largement contournables en raison de la topographie lorraine d'où la nécessité pour la France de maîtriser l'ensemble du territoire lorrain.

Les événements de la guerre de Trente Ans démontrent cette nécessité et donnent l'occasion à la France d'asseoir son emprise sur la Lorraine ducale. Au début des années 1630, les Impériaux assiègent Vic et Moyenvic, situées sur le temporel de l'évêché de Metz, et Charles IV quitte ses États avec son armée pour aider l'empereur en Europe centrale. Les Français profitent de ce contexte pour agir : se plaçant en protecteur de l'évêque de Metz, Louis XIII fait envoyer des compagnies de Metz, Toul et Verdun pour reprendre Moyenvic (décembre 1631) alors que l'armée de Champagne prend place dans la Woëvre. Le 1er janvier 1632, Louis XIII touche les malades des écrouelles à Metz : acte des plus symboliques[20] qui n'est pas celui d'un chef de guerre mais bien celui d'un monarque, montrant aux yeux de tous que la frontière est en mouvement. Certes, elle ne forme pas un ensemble cohérent mais la mise sous tutelle lorraine est effective à compter du traité de Vic (6 janvier 1632). En apparence soumis, le duc s'engage à ne passer aucune alliance sans le consentement du roi de France, il cède pour trois ans la place de Marsal, accorde le libre passage aux armées françaises en leur fournissant vivre et ravitaillement, accepte de fournir 4000 piétons et 2000 cavaliers au roi[21]. Le traité de Liverdun (26 juin 1632) approfondit la domination française : le roi obtient Jametz et Stenay pour quatre ans, renonce à la ville et au comté de Clermont. Le morcellement lorrain est en cours, la frontière militaire française se déplace. Le comportement de Charles IV, qui continue de lever des troupes en faveur de l'empereur, pousse à nouveau le roi à l'intervention militaire[22]. Fin juillet 1633, Louis XIII rassemble ses forces à Châlons-sur-Marne et le 30 du même mois, le Parlement de Paris déclare la saisie féodale du Barrois mouvant pour lequel Charles IV n'a toujours pas prêté hommage. Prétexte, certes, mais qui montre que la Lorraine est bien sous dépendance française : lors de ces événements, Louis XIII explique au cardinal de Lorraine que l'occupation de Nancy par ses troupes n'est pas une conquête mais le gage de la sagesse que l'on attend du duc[23]. Le traité de Nancy-Charmes (6 et 23 septembre 1633) représente un moment particulier dans cette mainmise française : la ville de Nancy est occupée pour quatre années[24], le duché de Bar demeure en saisie mais on ne touche pas aux revenus du duc pour le duché de Lorraine. Si, comme le souligne Daniel Nordman, « le traité ne modifie donc ni les droits de souveraineté ni les limites »[25], il n'empêche que cette occupation donne une large assise militaire à la France. La prise par les armes des dernières places fortes - La Mothe et Bitche (1634) – s'accompagne de mesures destinées à purger l'espace militaire de scories fortifiées : Boulay et Briey perdent leurs remparts en 1633 alors que l'année suivante les fortifications d'Autun-le-Tiche, de Blâmont, Condé-sur-Moselle, Épinal, Faulquemont, Forbach, Hombourg-Haut, Lixheim, Mirecourt, Mousson, Neufchâteau, Saint-Dié, Sarralbe, Sarrebourg, Sarreguemines, Turquenstein, Vaudrevange et Ville-sur-Illon doivent être rasées. La défense stratégique française s'appuie de préférence sur des places plus conséquentes et mieux maîtrisées : Metz, Toul, Verdun, mais aussi Nancy, Moyenvic, Clermont-en-Argonne et La Mothe que la monarchie renforce en 1634-1635[26].

D'un point de vue militaire, la situation française au moment de s'engager dans « la guerre ouverte » est assez favorable : l'attitude de Charles IV lui a permis d'investir les duchés, d'asseoir sa suzeraineté, de sécuriser sa frontière orientale et de s'ouvrir des chemins aisés vers l'Empire et le duché de Luxembourg. L'occupation française se poursuit au cours des décennies suivantes mais n'entrons pas dans le détail. Au début des années 1640, la France à davantage la maîtrise des villes que du plat pays[27]; lors de la Fronde, des villes lorraines – telles Clermont ou Sainte-Ménéhould où l'on trouve le jeune Vauban[28] – passent bien temporairement aux mains de Condé et des Espagnols, mais là n'est pas l'important.

Avant la fin du XVIIe siècle, trois étapes importantes sont encore franchies à la faveur des Français et permettent la redéfinition de la frontière militaire. En premier lieu, la France prend un net ascendant dans la région lorraine avec la prise de Thionville et de Sierck (1643), puis de La Mothe (1645) : ainsi, les Français mettent la main sur des places fortes majeures pour la maîtrise stratégique de la porte de Champagne et de la Moselle. La frontière militaire est d'ores et déjà reportée sur un axe Moselle-Meurthe : en effet, la France compte bien conserver Thionville dont les habitants ont dû prêter serment de fidélité au roi[29] ; d'autre part, La Mothe est démantelée. La paix de 1648 ne change rien à la situation du fait de la perpétuation de la guerre avec l'Espagne auprès de laquelle se trouve Charles IV ; seule apparaît au traité de Munster la reconnaissance officielle de la cession des Trois-Évêchés à la France.

La seconde étape est franchie avec les traités des Pyrénées et de Vincennes. Lors de la paix des Pyrénées, la donne est très claire pour Hugues de Lionne : il faut conserver la Lorraine comme lieu de passage vers l'Alsace[30]. L'absorption d'une partie de l'espace lorrain semble acquise pour la monarchie française : le duc perd Clermont, Stenay[31], Dun[32], Jametz, Moyenvic ainsi que le duché de Bar ; il doit laisser le libre passage aux troupes françaises et accepter le démantèlement de Nancy. De leur côté, les Espagnols cèdent Montmédy et Thionville. La Lorraine est verrouillée par la présence française à l'ouest et au nord. Le duc Charles IV refuse de reconnaître ces clauses et un nouveau traité, signé à Vincennes (28 février 1661) lui restitue ses duchés amputés des villes cités précédemment auxquelles s'ajoutent Sierck (et trente villages)[33], la terre de Gorze qui assure le lien entre Verdun et Metz, Sarrebourg et Phalsbourg avec la route d'Alsace. Le démantèlement de Nancy est maintenu et effectué à partir de mai 1661[34]. À cette date, la France s'est assurée de la route vers l'Alsace, contrôle la Meuse de Verdun à Sedan, la Moselle de Thionville à Sierck. Les deux axes de pénétrations fluviaux sont ainsi maîtrisés.

De surcroît, la soumission du duc de Lorraine et de Bar est complète : il prête un hommage-lige pour le duché de Bar, à genoux et tête nue devant Louis XIV qui fait frapper une médaille commémorative de la scène[35]. La ville de Nancy participe même aux fêtes de France ; à la veille de la saint Louis 1661, le canon retentit en l'honneur du roi ; le 6 décembre de la même année, un ballet est organisé à l'occasion de la naissance du Dauphin[36]. Les choses ne s'arrêtent pas là car l'idée de réunir les duchés au royaume a fait son chemin avec Hugues de Lionne[37]. Charles IV signe le traité de Montmartre (6 février 1662) qui prévoit la cession des duchés au roi au décès du duc, la reconnaissance des membres de la famille ducale comme princes de sang et l'installation d'une garnison française à Marsal. Si le traité est abandonné rapidement, le traité de Marsal-Nomeny (1er septembre 1663) accorde au roi Marsal contre la restitution des duchés. Les troupes françaises quittent la Lorraine ducale mais, avant la seconde occupation, la monarchie a obtenu de réelles avancées territoriales et stratégiques : La Mothe a disparu, Nancy - place forte de premier ordre - n'est plus, l'espace militaire est verrouillé par la maîtrise de pôles et de couloirs (Meuse, Moselle, Sarre, route d'Alsace). À cela s'ajoute une idée forte : la Lorraine n'est plus indépendante dans de nombreux esprits.

Dernière étape : après 1670 et la seconde occupation, la mainmise française se renforce[38]. Les duchés sont intégrés dans le royaume dans le cadre de la politique des réunions[39] et la frontière militaire se déplace davantage vers le Saint Empire, tout en redonnant à Nancy ses fortifications que Vauban fait relever (1673-1679)[40]. L'ingénieur du roi travaille à renforcer les villes épiscopales – servant de seconde ligne - et à rationaliser le système défensif. À cet égard, il considère que le repositionnement de Nancy en tant que place forte permet de mettre hors-jeu Marsal, « un trou qui peut estre assiégé par deux redoutes, qui n'est à portée de rien, qui ne s'oppose à rien »[41]. Toutefois son avis évolue et il écrit à Louvois le 17 juin 1679 que la place de Marsal est « aussy bonne qu'elle estoit meschante il y a quatre ans »[42] car la possibilité d'inonder la Seille, à partir de la retenue du Lindres, permet de gêner fortement un siège de Metz. La défense des terres du roi s'appuie dès lors sur Sedan, Stenay, Montmédy, Longwy (reconstruite à partir de 1679), Thionville, Sarrelouis (1685), Bitche et Phalsbourg.

Ainsi, la ligne fortifiée du Nord-Est ne cesse de progresser vers le Saint Empire de 1663 à 1684 (carte 1) : en une vingtaine d'années, la ligne Montmédy-Thionville-Metz-Marsal-Phalsbourg-Brisach est doublée par celle Longwy-Thionville-Sarrelouis-Hombourg-Bitche-Strasbourg après la guerre de Hollande ; pendant les réunions, le système fortifié français s'appuie sur de nouvelles places, Luxembourg, Mont-Royal et Landau. Derrière cette ligne se dessine un terrain pour les manœuvres et les opérations militaires, ainsi que le contrôle du Rhin supérieur, de la Sarre et de la Moselle.

En 1697, la ligne fortifiée française est ramenée hors des terres de l'Empire : la France doit restituer Hombourg et Bitche (qui doivent être démantelées) et la plupart des places fortes situées au nord de la Sarre sont détruites mais Sarrelouis et Landau subsistent, formant ainsi deux points défensifs essentiels, s'appuyant sur les verrous meusiens, mosellans et sur Phalsbourg qui permet de surveiller le passage de Saverne et la vallée de la Sarre. Les efforts consentis pour la nouvelle frontière militaire ont donc été conséquents : trois villes fortifiées neuves (Longwy, Sarrelouis, Phalsbourg) et de sérieuses rénovations comme à Thionville.

À la suite de la guerre de Succession d'Espagne, la France renforce cette frontière militaire et marque son emprise sur l'espace lorrain. Au traité de Paris, le 21 janvier 1718, Léopold doit faire des concessions : Sarrelouis, Phalsbourg, Sarrebourg et Longwy restent françaises[43]. Le territoire de Sarrelouis est agrandi des villages de Lisdorf, Ensdorf, Fraulautern, Roden, Beaumarais, Vaudrevange[44]. Longwy voit également son territoire se compléter de nouveaux villages[45]. Ce traité confirme à la France des points d'appui fortifiés essentiels ainsi que la maîtrise de la route vers l'Alsace avec Phalsbourg. En échange, le duc Léopold obtient la châtellenie de Rambervillers et le titre d'Altesse Royale. Au XVIIIe siècle, la frontière militaire repose ainsi sur ces grandes places fortifiées (carte 2), auxquelles s'ajoutent Metz, qui voit son enceinte rajeunie, Thionville, où travaille Cormontaigne dès 1727[46], Marville, Bouillon, Sierck et Marsal qui dépendent du commandant en chef des Trois-Évêchés[47].

Parallèlement, de gros efforts de voiries sont faits pour mieux raccorder le royaume à l'Alsace (par l'axe Saint-Dizier-Ligny-Toul-Nancy), relier les places fortes (Sedan-Verdun, Thionville-Sarrelouis-Bitche) et accélérer les rotations militaires dans le quart Nord-est grâce aux rocades (comme celle de Verdun à Langres par Neufchâteau). Les nécessités militaires ont permis de verrouiller l'espace lorrain, de l'enserrer dans un carcan français au sein duquel la monarchie a imposé progressivement ses règles de fonctionnement avant de l'absorber définitivement en 1766. La frontière militaire est sise sur des pôles stratégiques qui assureront la défense du Nord-Est jusqu'au XIXe siècle : une première ligne repose sur Sedan, Montmédy, Longwy, Thionville, Sarrelouis et Bitche ; la seconde s'appuie sur Verdun, Toul, Marsal et Phalsbourg.

VERS L'INTÉGRATION DANS LE ROYAUME

Les faits sont connus : si l'intégration définitive des duchés de Lorraine et de Bar à la France date de la mort de Stanislas, dans la pratique, la Lorraine n'est plus vraiment indépendante depuis longtemps. À la suite du traité de Vincennes, des efforts sont certes effectués sur le terrain pour définir les limites entre les duchés et les terres d'obédience française ; des bornes portant l'écu de France et la croix de Lorraine sont plantées, en présence des représentants des communautés proches[48]. Il ne faut toutefois pas se méprendre sur cette définition frontalière : la séparation spatiale ne dure que jusqu'en 1670 pour renaître avec le règne de Léopold mais avec une réalité bien différente. En effet, l'assimilation est latente depuis les années 1660. Les occupations françaises et l'assise de la frontière militaire ont largement contribué à accélérer ce processus de francisation des terres lorraines. En effet, pour repousser les dangers et la frontière plus au nord et à l'est, il était nécessaire de donner une cohérence à l'arrière-pays ainsi formé où les Français tiennent fermement la Généralité de Metz (Trois-Évêchés). L'idée ne s'est pas imposée comme telle dès le XVIIe siècle mais bien vite l'obligation de la maîtrise spatiale des duchés est devenue une évidence. Pour cela, des outils ont été peu à peu élaborés et mis en oeuvre : l'outil militaire – avec ses garnisons et ses voies d'accès -, l'outil politico-diplomatique, les outils administratifs et juridiques.

Dès la première occupation (1633-1663), la monarchie française donne des signes de sa mainmise sur les duchés. Louis XIII dote dès février 1634 la Lorraine d'un gouverneur, d'un intendant et d'un conseil souverain installé dans le Palais ducal. Toutefois, l'idée première est bien de rétablir l'ordre en Lorraine. Elle met en place une architecture juridico-administrative qui s'installe parallèlement à celle préexistante et considérée comme illégale : les douze bailliages continuent de subsister, avec des baillis et fonctionnaires royaux alors que les anciens baillis lorrains prennent leurs ordres auprès de la Cour Souveraine de Charles IV. Les Français suppriment également les Assises des grands bailliages et les Grands Jours de Saint-Mihiel (1633-1635) pour les remplacer par un Conseil souverain (1635-1637) puis par le Parlement de Metz à partir de 1637[49]. Sur le terrain, les difficultés subsistent cependant en raison du fait que les Français ne maîtrisent pas complètement les duchés : partout où il n'y a pas de troupes françaises, la justice lorraine suit son cours ; le 20 juin 1651, le Parlement de Metz renouvelle d'ailleurs sa défense de reconnaître d'autres juges que les juges royaux et de porter les appels ailleurs que devant lui[50].

La seconde occupation va plus loin dans l'assimilation autoritaire : un édit du 22 décembre 1670 ordonne au Conseil privé du duc, aux Cours souveraines de Lorraine et du Barrois ainsi qu'aux Chambres des Comptes de « se séparer incontinent et de se retirer chacun chez soi »[51]. La mesure est rude, d'autant plus que jamais le roi ne donnera un tel ordre pour les territoires d'Empire réunis dans la province de la Sarre. Alors que les officiers lorrains restent en place dans les bailliages, la juridiction d'appel devient le Parlement de Metz pour les affaires judiciaires, l'intendant pour les affaires financières du duché de Lorraine et la Chambre des comptes de Paris pour celles du duché de Bar. A cela s'ajoute une mesure pratique et symbolique : le déménagement des archives ducales à Metz[52].

Au cours des deux occupations françaises du XVIIe siècle, les duchés de Lorraine et de Bar sont administrés par un intendant [53]. Le premier intendant prit ses fonctions le 26 octobre 1633 [54]. Quelques années plus tard, en mars 1640, l'intendance de Lorraine et Barrois s'accroît des Trois-Évêchés et ce jusqu'en septembre 1663. Après une courte interruption, l'intendant des Trois-Évêchés prend également la charge des duchés [55]. Lors de la création de la province de la Sarre, le bailliage de Bitche entre dans la juridiction du présidial de Sarrelouis. Le duché de Lorraine est en effet démantelé par les juridictions des Trois-Évêchés. Par exemple, Metz reçoit en plus du pays messin et de Thionville, les enclaves lorraines en terre germanophone, de même que les terres chevaleresques de Créhange et de Morhange. Les villes des évêchés lorrains sont élevées au rang de siège présidial alors que les villes de Longwy et d'Épinal sont ramenées à celui de simple bailliage. La province de la Sarre est rattachée au Parlement de Metz qui devient la dernière chambre d'appel ; parmi les sept sièges présidiaux du ressort du parlement, seul celui de Sarrelouis appartient à la province de la Sarre [56]. Cette seconde période ne s'achève qu'à la fin de 1697.

Les mesures prises par la monarchie à l'égard des duchés montrent que l'on glisse progressivement d'un État occupé à une région en cours d'assimilation qu'il convient de ne pas maltraiter. Aux côtés de l'intendant se trouve le gouverneur auquel revient les affaires proprement militaires, mais pas uniquement [57]. L'une des figures militaires de cette époque est, après La Ferté-Sénectère, Claude Thiard, comte de Bissy, gouverneur des Trois-Évêchés et lieutenant général du roi, véritable « patron » militaire de la région de 1679 à 1697, pour reprendre le mot de François-Yves Lemoigne [58]. Afin de limiter les débordements des troupes à l'égard de la population lorraine et d'assurer le ravitaillement des armées, Mazarin envoie des commissaires qui prennent des mesures pour éviter les violences. La Lorraine n'est plus vue uniquement comme un pays conquis : les habitants portent au roi des doléances telle celle des notables en 1645 à propos des frais d'étapes[59]. Il s'agit bien de placer l'autorité du roi au-dessus celle du duc. Dans le contexte du traité de Montmartre, l'intendant Colbert tente de rallier les nobles à Louis XIV : à Nancy, il les invite, boit tête nue à la santé du nouveau duc – le roi – et promet le maintien des privilèges. Les nobles restent cependant fidèles à Charles IV et lui adressent leurs requêtes où se mêlent revendications traditionnelles et « la défense de facto de l'identité lorraine »[60].

Rendus au duc Léopold en 1698, les duchés de Lorraine et de Bar demeurent indépendants officiellement jusqu'en 1737 ; dans les faits, la France est omniprésente militairement - ils connaissent une nouvelle occupation avec le maréchal de Belle-Isle de 1733 à 1736 - et politiquement : lorsque Léopold tente d'obtenir du Saint-Siège la création d'un évêché de Saint-Dié, la France s'y oppose ne voulant perdre de sa juridiction spirituelle en Lorraine, moyen essentiel de son implication dans la région. En 1736, les duchés sont remis au roi Stanislas Leszczynski mais des intendants français en assurent désormais l'administration[61]. Le Conseil d'État de Léopold est remplacé par un nouveau Conseil et un Conseil royal des finances et du commerce est créé[62] ; la Ferme générale de Lorraine (1737) prolonge celle du royaume et le statut fiscal des duchés est progressivement aligné sur celui des Trois-Évêchés. Ne subsistent de l'ancienne administration ducale que la Cour souveraine (juridiction d'appel au civil et au criminel) ainsi que les Chambres des comptes de Lorraine et du Barrois. L'intendant La Galaizière – également chancelier et garde des sceaux de Lorraine et du Barrois - s'attache en effet à veiller à la gestion des forêts, au ravitaillement des garnisons françaises, à soumettre les Lorrains aux corvées pour percer des routes par exemple. Les duchés sont soumis à une francisation rapide : en 1741, le duc se plie aux exigences françaises pour la levée d'une milice[63] (service de six années), un édit du 27 septembre 1748 interdit de passer des actes en langue allemande et un autre impose l'impôt du vingtième jusqu'alors inconnu aux duchés. En 1751, l'ancien cadre administratif et juridique lorrain vole en éclat. Les bailliages et prévôtés lorrains disparaissent au profit de dix-huit bailliages royaux, dix-sept bailliages ordinaires et sept prévôtés[64]. Un nouveau personnel se met en place, favorisant l'incorporation au royaume[65]. D'une manière générale, pour les familles de la noblesse, « faire carrière » signifie se mettre au service de la France, dans ses armées ou son administration. Il en est de même pour les artistes tels Georges de La Tour et Claude Deruet[66], Israel Silvestre[67]ou François Chéron (1635-1698). Ces artistes, en se mettant au service de la France, servent de vecteur de la propagande royale alors que d'autres comme Jacques Callot s'y sont refusés[68].

La propagande royale joue un grand rôle dans la justification de l'attitude de la France à l'égard des duchés lorrains. L'idée qu'ils reviennent de droit au roi de France est latente depuis le XVIe siècle. Pour Sully, la splendeur de la France passe par le recouvrement de pays « qui lui ont autrefois appartenu et semble être de la bienséance de ses limites, la Savoie, la Franche-Comté, la Lorraine, l'Artois, le Hainaut, les provinces des Pays-Bas, et enfin le Roussillon » alors que Richelieu a avancé l'idée qu'il fallait « mettre la France en tous lieux où fut l'ancienne Gaule »[69] : voilà l'idée de mettre le Rhin comme frontière, reprenant la notion césarienne qui veut que le fleuve sépare deux mondes. En dépit de ces affirmations, il ne faut pas voir là un programme comme le pensait Ernest Lavisse car c'est la guerre qui a bâti la politique des frontières et alimenté les ambitions françaises sur la Lorraine. À partir des années 1630 et du passage progressif de la guerre couverte à la guerre ouverte, l'objectif est d' « arrêter les entreprises continuelles du duc de Lorraine, veiller aux droits du Roy, établir entièrement son autorité en ces pays […], y établir une bonne justice. » (Richelieu). La monarchie française favorise alors le développement d'une littérature destinée à justifier les droits du roi sur les régions sises entre Meuse et Rhin. En 1632, Charles Hersant, chanoine de Metz, publie un traité intitulé De la souveraineté du Roy à Metz, pays messin, et autres villes et pays circonvoisins qui étaient de l'ancien royaume d'Austrasie ou Lorraine. Contre les prétentions de l'Empire, de l'Espagne et de la Lorraine et contre les maximes des habitants de Metz qui ne tiennent le Roy que pour leur protecteur. Cardin Le Bret, intendant des Trois-Évêchés depuis 1624, publie également en 1632 un autre plaidoyer en faveur des intérêts du roi[70]. Dans De la souveraineté du Roy (1632), Le Bret[71] en appelle au souvenir de l'ancienne Austrasie franque, justifiant ainsi les droits du roi sur les Trois-Évêchés, « reléguant le duc de Lorraine au rang d'usurpateur »[72]. Reste que l'Austrasie franque possède des frontières bien mouvantes : « L'Austrasie qui est la Lorraine, s'estendait jusques au Rhin, et ce Roy là avait sa maison royale à Metz, quelque fois à Aix, et comme ont dit aucuns, à Cologne. L'Austrasie comprenoit la Lorraine, le Brabant et toute la terre qui est enfermée de ces deux fleuves, le Rhin et la Meuse, depuis Cologne jusques au pays d'Alsace »[73]. Il serait d'ailleurs intéressant de voir si cette définition n'a pas bénéficié de précisions géographiques induites par les nouvelles conquêtes entre la première édition et cette huitième édition (1672). Il est du bon droit du roi de France de revendiquer les terres à l'Est de son royaume actuel car il en est resté le suzerain, ce que démontre Jacques de Cassan[74] par des pirouettes argumentatives : « la vieillesse de ces droits si anciens ne peut affaiblir ou diminuer leur vigueur ; au contraire cette profonde antiquité en augmente la force. Car les couronnes de France ne sont pas hommagères de la vicissitude du temps, mais la dignité royale […] conserve sa prérogative malgré la révolution des années »[75]. En 1656, le Parlement de Metz est ainsi chargé par la Couronne de faire rechercher les droits et territoires ayant appartenus aux seigneuries cédées à la France en 1648. Déjà en 1655 paraît un nouvel ouvrage, signé de Pierre Dupuy, qui s'inscrit dans cette logique : Traité touchant les droicts du roi très chrétien sur plusieurs Etats et seigneuries possédées par divers princes voisins et pour prouver qu'il tient à juste titre plusieurs provinces contestées par les princes étrangers. Recherches pour montrer que plusieurs provinces et villes du royaume sont du domaine du roi. Usurpations faites sur les Trois-Évêchés, Metz, Toul et Verdun[76]. Colbert de Croissy, chargé d'approfondir cette recherche, « tant en Alsace, que dans l'étendue de la généralité de Metz », présente en 1663 un rapport dans lequel il montre les « usurpations faites par les ducs de Lorraine et de Bar et autres puissants du Verdunois » sur les Trois-Évêchés[77]. Le 10 septembre 1663, il est ordonné à l'intendant Choisy et à Ravaulx, conseiller au Parlement de Metz, de poursuivre leurs investigations pour rassembler davantage d'archives lui permettant de faire valoir les droits du roi sur le temporel et le spirituel. Ces écrits[78]. Cet ouvrage, réédité au moins dix fois jusqu'en 1681, a certainement contribué à forger la géographie du jeune roi et ces phrases s'affichent comme un véritable programme de reconquête… et les recherches effectuées sur les « usurpations » préparent le terrain à la politique des réunions et, plus particulièrement, servent à justifier la politique lorraine de la France : il est du juste droit du roi de reprendre la main sur les territoires sur lesquels il jouit de la suzeraineté. C'est d'ailleurs ces terres que parcoure un fidèle du roi, Mgr de La Feuillade, évêque de Metz : en 1669, il entreprend une vaste visite de la partie orientale de son diocèse. Des portes se ferment et les officiers du duc de Lorraine refusent de céder à ce qu'ils considèrent comme une intrusion française. En 1680, une autre visite de l'évêque se déroule dans de biens meilleures conditions en raison de la présence des troupes royales. La Feuillade se rend dans des paroisses situées en terre d'Empire mais aussi dans les bourgs lorrains d'importance tels que Bouquenom ou Bitche[79]. L'affirmation de la puissance du roi s'inscrit ainsi dans le paysage par une frontière symbolique, tracée sur fond religieux. Autre symbole fort de l'avenir des duchés : le voyage de Louis XIV dans le Nord-Est. Si la ville ducale de Nancy n'a jamais fait l'objet de l'implantation d'une statue équestre de Louis XIV – image très forte de l'emprise royale[80] –, le roi s'est physiquement montré dans la région (par exemple à Nancy en 1657 et 1673), sur ces terres conquises, occupées. À partir du 26 mai 1683, le roi entreprend un périple qui lui fait parcourir la frontière militaire du royaume[81] : passant par Auxerre, Dijon, Besançon, Colmar, il visite Strasbourg-Kehl, puis part vers Molsheim, Bouxwiller, Petite-Pierre, Bouquenom avant de se rendre à Sarrelouis. Au soir du 30 juin 1683, Louis XIV entre à Bouquenom pour y séjourner six jours durant et assister à d'importantes manœuvres militaires : 28 bataillons totalisant 18000 hommes s'installaient devant la ville. En partant, le roi ordonne la reconstruction des halles de la ville à ses frais et fait rétablir le collège des jésuites. Le symbole est fort : le roi de guerre se montre auprès de la troupe (Bellegarde-sur-Saône[82], Molsheim, Bouquenom), dans les places fortes (Sarrelouis) et accorde de nouveaux droits en tant que suzerain (les halles, un pigeonnier à son hôte de Bouquenom). L'espace lorrain, alors contourné par le cortège royal, n'en est pas moins englobé par le trajet suivi qui trace une frontière.

Dernier outil pour l'intégration des duchés, celui qui résout in fine le contentieux entre la France et la Lorraine : la diplomatie, laquelle a toujours joué un grand rôle dans l'agrandissement du royaume depuis le Moyen Âge. À y regarder de plus près, les germes de l'intégration de la Lorraine sont présents dans les traités de 1648 où les diplomates français parviennent à laisser une large porte ouverte à toute revendication territoriale : concernant les Trois-Évêchés, ils obtiennent qu'au terme de districtus ne soit pas associé celui de temporalis[83]. De là à réclamer la suzeraineté des terres dépendantes spirituellement des évêchés lorrains, il n'y a qu'un pas – certes important – franchi avec la politique des « réunions ». Le traité de Montmartre (1662) semble régler la question lorraine dans la foulée des traités des Pyrénées et de Vincennes : à la mort de Charles IV, les duchés doivent revenir au roi de France. Mais voilà, les esprits ne sont pas prêts, tant du côté lorrain que du côté français pour des raisons de procédures et de règles féodales[84]. Cette première tentative de Louis XIV échoue donc ; la seconde n'est pas plus heureuse. Dans le cadre de la politique des « réunions », les duchés, à l'instar de nombreuses terres de la rive gauche du Rhin, sont intégrés au royaume mais doivent être restitués après la paix de Ryswick (1697). Le roi a bien perçu qu'il ne lui était pas possible de prétendre conserver les duchés, c'est pourquoi lors des négociations de Ryswick les plénipotentiaires français font savoir que le monarque est prêt à rétablir le duc « en la possession de ses Etats, tels que le duc Charles, son grand-oncle, les possédait en l'année 1620 »[85]. C'était perdre nombre d'acquisition - les arrêts de réunion sont en effet cassés par le traité - et notamment la route d'Alsace créée en 1661 mais la diplomatie française est pragmatique : il faut savoir céder pour mieux percevoir les gains, immédiats ou à venir.

Ainsi, l'échec de l'annexion par la force laisse la place à une diplomatie reposant sur l'échange et la politique matrimoniale. D'ailleurs, la succession d'Espagne du roi Charles II d'Espagne offre des perspectives, d'autant plus que le duc Léopold est un politique réaliste qui sait qu'il lui est difficile d'échapper à la France mais qui s'efforce de rester neutre dans le jeu international. En mai 1700, il est question de donner la Lorraine au Dauphin et en échange du Milanais pour le duc et Callières, l'envoyé français à Nancy, fait valoir les revenus bien plus élevés du Milanais (sept fois plus que ceux tirés des duchés). Tenté, le duc se doit cependant de ménager l'empereur[86]. Ces manœuvres n'aboutissent pas, notamment parce que Charles II choisit le duc d'Anjou comme successeur, et il faut attendre une nouvelle conjoncture internationale pour que la France parvienne à ses fins en Lorraine. Les affaires de Pologne et de la succession de l'empereur Charles VI se conjuguent avec la question lorraine : François-Étienne de Lorraine, élevé à la Cour de Vienne, devient duc sous le nom de François III en 1729 et épouse Marie-Thérèse d'Autriche en février 1736. Le spectre d'une Lorraine aux mains des Habsbourg revient en force au sein de la diplomatie française[87]. Alors que les duchés sont confiés à la régence de la princesse douairière Elisabeth-Charlotte qui parvient à maintenir leur neutralité - même si elle doit accueillir des troupes françaises -, la guerre de Pologne favorise le règlement définitif de la question lorraine[88]. Stanislas n'a plus guère d'espoir de retourner en Pologne et les Français souhaitent le remplacement de François III de Lorraine. Lors de l'hiver 1734-1735, l'idée de céder les duchés au roi de Pologne se fait jour. Le 3 octobre 1735, les Préliminaires de Vienne scellent le sort des duchés : Stanislas obtient le duché de Bar, celui de Lorraine devant lui être également cédé lorsque François III héritera de la Toscane ; au décès de Stanislas, les duchés reviendront à la reine de France, sa fille, mariée depuis 1726 à Louis XV. La convention secrète de Meudon (30 septembre 1736) n'octroie plus à Stanislas qu'une souveraineté nominale. Le troisième traité de Vienne (2 mai 1737) reconnaît la cession du duché de Lorraine au roi de Pologne et François III ne conserve que le comté de Falkenstein. Les duchés reviennent à la France sans que le duc ait été tenu informé des négociations ni que Stanislas ait eut quelque chose à dire[89]. La France parvient à ses fins grâce au jeu de dominos de la diplomatie internationale sans avoir joué la carte de l'annexion alors que ses troupes occupaient les duchés : elle met ainsi de côté de possibles avatars diplomatiques et ménage les susceptibilités lorraines.

Le rattachement à la France devient inéluctable : le serment lui donne toute sa réalité. Le 8 février 1737, au château de Bar, les représentants de François III de Lorraine délient de leur serment de fidélité les sujets et vassaux du duché de Bar ; en réponse, sous la direction de La Galaizière, les officiers reconnaissent pour « seul et légitime souverain eventuel Louis quinze […] promettant dez à present comme pour lors, qu'arrivant le deceds du Roy de Pologne Duc de Bar, nôtre seul et légitime souverain actuel, nous garderons et rendrons à Sa Majesté tres Chretienne la même fidélité, obéissance, et service dont nous sommes tenus, envers notre dit souverain seigneur actuel »[90]. Une semblable cérémonie est organisée pour le duché de Lorraine le 21 mars à Nancy engageant à jamais l'avenir des duchés avec la monarchie française.

À la mort de Stanislas, en février 1766, la Lorraine est intégrée au royaume et la France travaille toujours à rectifier sa frontière orientale par le jeu des échanges frontaliers[91]. Cependant, la frontière s'est largement déportée vers le Rhin et le cours moyen de la Sarre. L'espace lorrain est définitivement absorbé mais les enclaves ne seront éliminées qu'avec la Révolution française. La frontière est devenue une limite administrative, politique et militaire. Création royale, elle s'est concrétisée dans l'espace par le travail des militaires, des diplomates, des administrateurs, des ingénieurs et des arpenteurs. En germe depuis plus d'un siècle, l'annexion des duchés à la France s'est faite par étapes mais est vite devenue une évidence. La quête d'une frontière sécurisée a été un élément déterminant dans cette politique, facilitée par la structure même des duchés et par le rôle joué - involontairement ! - par Charles IV. Le règne de Léopold n'a pas permis de jouer réellement la carte de l'autonomie. La Lorraine, zone « tampon », prise dans la problématique de « l'entre-deux », entre France et Empire, entre Bourbon et Habsbourg, n'avait d'autre alternative que d'intégrer l'une des deux souverainetés. En fait, le premier acte de l'intégration se joue dès 1542, lorsque les duchés sont séparés officiellement du Saint Empire. Par la suite, la monarchie française a su jouer d'une cohérence structurelle relative pour prendre le pas sur l'Empire et s'emparer de la Lorraine.

ILLUSTRATIONS DE L'ARTICLE

La frontière militaire au XVIIe siècle. La frontière militaire au XVIIIe siècle.

Dislocation et absorption de l'espace lorrain (XVIIe - XVIIIe siècles).

NOTES

  1. Michèle Virol a fort bien résumé ces deux notions : « le terme de frontière est employé au XVIIe siècle pour désigner une zone qui peut se rétracter, s'élargir ou se déplacer au gré des modifications territoriales, car le terme appartient au registre de l'agression. Celui de limite, emprunté à la langue figurée, et utilisé pour nommer une ligne géographique plus précise que l'on veut définitive, et ce dans un registre de paix », Vauban, de la gloire du roi au service de l'État, Paris, 2007, p. 94.
  2. Pour les détails territoriaux, voir l'article de Stéphane Gaber, « L'évolution territoriale de l'espace lorrain (1477-1789) », Lotharingia, III, Nancy, 1991, pp. 251-296.
  3. « Henri II, sans qu'il l'eût voulu dans un premier temps, fut ainsi amené, et ses successeurs après lui, à tout faire pour garder Metz et à porter plus d'attention aux pays et aux problèmes d'entre Meuse et Rhin, en dehors de toute idée de « frontières naturelles » », cité d'après Guy Cabourdin, Histoire de la Lorraine. Les temps modernes. 1. De la Renaissance à la guerre de Trente ans, tome 1, Nancy, 1991, p.79.
  4. D'autres affaires sont en suspens, telle celle de la maîtrise du Clermontois et des portes de l'Argonne. Le retour de Stenay dans le giron lorrain incita François Ier à fonder Villefranche et à renforcer sa frontière orientale.
  5. La capitale du Barrois mouvant est Bar-le-Duc et cette terre appartient au système féodal français : le duc de Bar doit donc prêter serment au roi pour cette partie du duché de Bar (l'autre étant constituée par le Barrois non mouvant, avec Saint-Mihiel).
  6. Roland Mousnier, L'homme rouge ou la vie du cardinal de Richelieu (1585-1642), Paris, 1992, p. 420s.
  7. Cité d'après Michèle Virol, op. cit., p. 113.
  8. Lettre à Jean Racine, du 13 septembre 1696, citée d'après Michèle Virol, op. cit., p. 103.
  9. Dans un article, Georges Livet indiquait très clairement que « la politique du cardinal ne laisse au duc que le choix entre une alliance, le mettant à la discrétion de la France, et une résistance, vouée à l'échec en raison de la disproportion des forces », cité d'après « La Lorraine dans les relations internationales au XVIIIe siècle », in : La Lorraine et l'Europe des Lumières. Actes du colloque de Nancy (24-27 octobre 1966), Nancy, 1968, pp. 15-50, ici p. 19.
  10. En janvier 1625, il écrit : « puisque les Français s'étant agrandis dans toutes ces frontières […], il ne leur reste que l'évêché de Metz pour emporter facilement tout le surplus jusques au Rhin », cité d'après Mousnier, op. cit., p. 424.
  11. Philippe Martin, Une guerre de Trente Ans en Lorraine, 1631-1661, Metz, 2002, p. 22.
  12. Il n'est pas question ici de soulever à nouveau le débat sur les « frontières naturelles » dont les fondements sont avant tout anachroniques : il s'agit en grande partie d'une réinterprétation de l'histoire des XVIIe et XVIIIe à l'aune des passions territoriales du XIXe siècle. Voir à ce propos Daniel Nordman, « Des limites d'État aux frontières nationales », in Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire. Tome 1 : la République, la Nation, Quarto-Gallimard, Paris, p.1139, et Gaston Zeller, « La monarchie d'Ancien régime et les frontières naturelles », Revue d'histoire moderne, 8, 1933, pp.305-333.
  13. Le maréchal de La Force en fait le constat en 1631 à Richelieu : « par la recherche que jay peu fayre, tant par ceux du pays que par l'adresse des quartes et ce que j'en ay veu, je tiens que si auqunne armée estrangère peut estre en estat d'entrer en France, que la routte la plus favorable qu'ils pourroynt prendre est par la Lorrayne et le pays de Vauge, et venyr entre Cossy [Coiffy-le-Haut] et Vaucouleur, dont le pays est grandement spassieux, sans qu'ilz rencontrent rivyères ny places fortes, estans les rivyères de Mozelle et la Meurte presques en leur source en ses endroyts-là et ainssy fort petittes ; ils entrent dans l'Alzasse, la Vauge ou le Montbelliard sans passer auqunes montaignes facheuses, et peuvent venyr entre les rivyères de Marne et d'Ayne où le pays est fort spacyeux ; par ce chemin là ilz laissent Saint-Disyer et Vitry et Châlons à leur mayn gauche, et à leur mayn droite Sainte-Menehou et Reins […] », cité d'après Gaston Zeller, L'organisation défensive de la frontière du Nord et de l'Est au XVIIe siècle, Paris, 1928, pp. 34-35. La Force termine sa lettre au cardinal en présentant la nécessité de mettre la main sur Charleville afin de verrouiller la Meuse au nord.
  14. Hermann Weber ; « Richelieu et le Rhin », Revue historique, 239, 1968, pp. 265-280, ici p. 269.
  15. François-Yves Lemoigne, « Le royaume de France et « les marches de l'Est », Revue historique de l'armée, 1973-1, pp. 9-18, ici p.12.
  16. Cité d'après Gaston Zeller, L'organisation défensive, op. cit., p. 29.
  17. Opinion de Vauban sur cette frontière militaire dans Michèle Virol, Vauban, op. cit., p. 93s.
  18. Philippe Martin, Une guerre de Trente Ans, op. cit., p. 20 et 25s.
  19. En 1625, le maréchal de Marillac, lieutenant général du roi pour les Évêchés et gouverneur du roi à Verdun, fait refaire en hâte les fortifications de cette ville pour que la garnison puisse y accueillir plus de 5000 hommes. À titre de comparaison, l'armée ducale compte alors environ 15000 hommes.
  20. En 1633, le roi supprime également les sceaux des trois villes évêchoises et fait effacer l'aigle impérial des bâtiments publics.
  21. Martin, op. cit., p. 57 ; Daniel Nordman, Frontières de France. De l'espace au territoire, XVIe-XIXe, Paris, 1998, p. 194.
  22. Guy Cabourdin, op. cit., p. 190.
  23. Gaston Plasse, « Prélude à la réunion », L'armée à Nancy 1633-1966. Mélanges d'histoire militaire, collectif, Nancy-Paris, 1967, pp. 11-72, ici p. 17.
  24. Dès avril 1634, Brassac, gouverneur de Nancy, confie la construction d'une citadelle à Pierre de Conti d'Argencourt pour parer à un éventuel soulèvement de la ville.
  25. Daniel Nordman, Frontières de France, op. cit., p. 195.
  26. Philippe Martin, op. cit., pp. 105-106.
  27. Pierre Braun, “La Lorraine pendant le gouvernement de La Ferté-Sénectère (1643-1661)”, Mémoire de la Société d'histoire et d'archéologie lorraine, 1906, pp. 109-266, ici p. 122.
  28. Anne Blanchard, Vauban, Paris, 1996, p. 79s.
  29. Philippe Martin, op. cit., p. 279. Ce serment n'est pas anodin ni sans conséquences : en effet, Louis XIII avait envoyé aux galères des habitants de Saint-Mihiel qui ont résisté alors qu'ils lui avaient précédemment prêté serment de fidélité, Haussonville, op. cit., III, p. 264.
  30. Le 26 août 1659, Mazarin écrit à Hugues de Lionne : « pour ce qui est de la Lorraine il faut déclarer nettement qu'il n'y a rien à changer à ce qui a été arrêté là-dessus à Paris, et que le point de passage pour aller en Alsace est indispensable », cité d'après Haussonville, op. cit., III, pp. 26-27.
  31. Ces deux villes, cédées à Condé en 1648, sont reprises et les fortifications rasées en 1653-1654.
  32. Fortifications détruites en 1641.
  33. En fait, trente-sept villages auxquels s'ajoutent sur la Sarre Siersdorf, Fremersdorf et Montclair qui surveille la rivière, Guy Cabourdin, op. cit., tome 2, p. 19.
  34. Blanchard, op. cit., p. 109s.
  35. Daniel Nordman, Frontières de France, op. cit., p. 197.
  36. Plasse, op. cit., p. 41.
  37. Dom Calmet, Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine [Texte imprimé] : qui comprend ce qui s'est passé de plus memorable dans l'archevêché de Tréves, & dans les evêchez de Metz, Toul & Verdun, depuis l'entrée de Jules César dans les Gaules, jusqu'à la mort de Charles V. duc de Lorraine, arrivée en 1690. Avec les pieces justificatives a la fin. Le tout enrichi de cartes geographiques, de plans de villes & d'eglises, de sceaux, de monnoyes, de medailles, de monumens, &c. Gravez en taille-douce, tome III, Nancy : J.B. Cuson, 1728, col. 590.
  38. Les déclarations de la Diète d'Empire, à Ratisbonne, demandant la restitution de la Lorraine au duc (13 octobre 1670) n'aboutirent à rien.
  39. Voir carte ci-dessous.
  40. Blanchard, op. cit., p. 234.
  41. Ibid., p. 234.
  42. Cité d'après Guy Cabourdin, op. cit., tome 2, p. 49.
  43. Maurice Fallex, L'Alsace, la Lorraine et les Trois-Évêchés du début du XVIIe à 1789, Paris, 1921, p. 24.
  44. Vaudrevange (Wallerfangen) était l'ancien siège du bailliage d'Allemagne.
  45. À Longwy s'ajoutent les villages de Mexi, Hersange, Longlaville, Mont-Saint-Martin, Autrux, Piedmont, Tomain, Lexy et Réhon.
  46. Michel Parisse (dir.), Histoire de la Lorraine, Toulouse, 1977, pp. 333-335. Il travaille notamment à la construction de deux ponts-écluses dans le cadre des fortifications de la ville (1727-1752).
  47. En 1727, le comte de Belle-Isle est « commandant en chef des Trois-Évêchés et dans les prévôtés, villes et dépendances de Thionville, Montmédy, Marville, château de Bouillon, Longwy, Sierck et Marsal », cité d'après Guy Cabourdin, op. cit., tome 2, p. 178.
  48. Daniel Nordman, Frontières de France, op. cit., p. 205s et 223s.
  49. Braun, op. cit., p. 127. Emmanuel Michel, Histoire du Parlement de Metz, Paris, 1845.
  50. Ibid, p. 250.
  51. Guy Cabourdin, op. cit., tome 2, p. 44.
  52. Charles Hiegel, « Le transfert des archives du duc de Lorraine à Metz, 1670 », Annuaire de la société d'histoire et d'archéologie lorraines, LXXII, 1972.
  53. Le siège de l'intendance se trouvait à l'hôtel de Mouy, place de l'Arsenal à Nancy. En dehors de ses attributions en matière de justice, police et finance, l'intendant de Lorraine et Barrois étendait sa compétence aux domaines royaux, avec leurs bâtiments et leurs usines, aux affaires des villes et des communautés, à l'équipement routier, aux ponts et ouvrages d'art et à la navigation, aux problèmes économiques et aux prix, aux mines, aux questions sociales ainsi qu'aux affaires militaires, avec la levée de la milice, le stationnement et le passage des troupes.
  54. Les intendants sont les suivants : Louis Chantereau Le Febvre (octobre 1633-avril 1637) ; Anne Mangot de Villarceaux (avril 1637-novembre 1640) ; Nicolas Vignier de Ricey (novembre 1640-janvier 1646) ; Jacques Hector de Marie de Beaubourg (avril 1646-septembre 1651) ; Charles Lejay (fin 1651-milieu 1657) ; Jean-Baptiste Colbert de Saint-Pouange (octobre 1657-fin 1661) ; Charles-Colbert de Croissy (1662-1663).
  55. Jean-Paul de Choisy de Beaumont (septembre 1663 ; septembre 1670-juin 1673) ; Jacques Charuel (juillet 1673-novembre 1691) ; Jean-Baptiste Desmaretz de Vaubourg (fin 1691-fin 1697). Voir l'article de Marie-José Laperche-Fournel, « Être intendant en pays de frontière : l'exemple de Jean-Baptiste Desmaretz de Vaubourg, intendant de Lorraine et Barrois (1691-1697) », Annales de l'Est, 2003-2, pp. 323-345 ; la même, L'Intendance de Lorraine et Barrois à la fin du XVIIe siècle [Texte imprimé] : édition critique du mémoire « Pour l'instruction du duc de Bourgogne », Paris, 2006 ; Alain Lemaître, « L'intendance en Alsace, Franche-Comté et Lorraine aux XVIIème et XVIIIème siècles », Annales de l'Est, 2000-2, pp. 205-231.
  56. Laurent Jalabert, Catholiques et protestants sur la rive gauche du Rhin. Droits, confessions et coexistence confessionnelle de 1648 à 1789, Nancy 2, 2006, p. 170.
  57. M. de Brassac, gouverneur de Nancy et de Lunéville (1633) est également gouverneur pour toute la Lorraine à compter de décembre 1633. Il a notamment le droit de nommer à tous les bénéfices ecclésiastiques vacants, droits jusqu'alors réservés au duc lui-même.
  58. Dans Michel Parisse (dir.), op. cit., p. 298. Le fils du comte est évêque de Toul à compter de 1687.
  59. Braun, op. cit., p. 206.
  60. Daniel Nordman, Frontières de France, op. cit., p. 200 ; Haussonville, op. cit., p. 200.
  61. Antoine-Martin de Chaumont de la Galaizière, chancelier de Lorraine (1737-1758) ; Antoine de Chaumont de la Galaizière, fils du précédent (décembre 1758-septembre 1777) ; Jean-Baptiste-François Moulins de La Porte de Meslay (juin 1778-1790). Les bureaux de l'Intendance, d'abord installés à Lunéville, sont transférés à Nancy où ils occupent successivement la partie nord du Palais ducal (Vieille intendance) jusqu'en 1755, puis le palais situé au fond de l'hémicycle de la Carrière (Nouvelle intendance, aujourd'hui palais du Gouvernement) jusqu'en 1766, puis enfin le pavillon Alliot sur la place Royale (aujourd'hui Grand Hôtel de la Reine) jusqu'en 1790. Pour cette période, voir Michel Antoine, « L'intendance de Lorraine sous le règne de Stanislas », in : Droit privé et institution régionale : études historiques, offertes à Jean Yver, Rouen, 1976, pp. 15-25 ; Michel Pierson, L'intendance de Lorraine de la mort de Stanislas à la Révolution française, Thèse de droit, Nancy, 1958.
  62. Dans ces deux instances siège le chancelier… qui n'est autre que l'intendant français La Galaizière, in : Guy Cabourdin, op. cit., tome 2, pp. 153-154.
  63. Cette milice lève jusqu'en 1748 plus de 13000 hommes affectés en partie aux Régiments Royal-Lorraine et Royal-Barrois.
  64. Jusqu'en 1774, l'Intendance de Lorraine et Barrois compte 35 subdélégations, dont le siège coïncide avec celui des bailliages royaux créés par l'édit de Stanislas du mois de juin 1751 : Bar, Bitche, Blâmont, Boulay, Bourmont, Bouzonville, Briey, Bruyères, Charmes, Château-Salins, Châtel-sur-Moselle, Commercy, Gondrecourt, Lamarche, Longuyon, Lunéville, Mirecourt, Nancy, Neufchâteau, Nomeny, Plombières, Pont-à-Mousson, Remiremont, Rosières, Saint-Dié, Saint-Mihiel, Sarreguemines, Thiaucourt, Tholey, Vézelise, Villers-la-Montagne ; viennent s'y ajouter en 1774 celle de Rambervillers et, en 1785, celle de Saint-Avold. Sur les 37 subdélégations de la fin du XVIIIe siècle, onze ont leur siège dans des localités de l'actuelle Meurthe-et-Moselle : Blâmont, Briey, Longuyon, Lunéville, Nancy, Nomeny, Pont-à-Mousson, Rosières, Thiaucourt, Vézelise et Villers-la-Montagne. Deux autres subdélégations ont comme chefs-lieux des villes situées aujourd'hui en Moselle, mais incluses jusqu'en 1870 dans le département de la Meurthe : Château-Salins et Dieuze.
  65. Parmi ceux-ci, les subdélégués, en même temps lieutenants généraux des bailliages, qui assurent, d'une part, la transmission des requêtes des administrés et, d'autre part, la communication des ordres et instructions aux maires, aux échevins, aux consuls et aux syndics. Ils apportent encore leur aide à l'intendant pour percevoir les tailles et autres impositions.
  66. Claude Deruet (1588-1660), apprenti de Jacques Bellange, peintre officiel de la cour de Lorraine, est anobli en 1621, fait chevalier de l’ordre de saint Michel en 1645 par Louis XIII. C’est d’ailleurs chez le peintre que le roi séjourne lors de sa venue à Nancy en 1633.
  67. Israel Sylvestre (1621-1691),dessinateur ordinaire du Roi, Maître à dessiner du Dauphin et des pages des Grandes et Petites Ecuries, Conseiller du Roi en son Académie Royale de peinture et de sculpture. Il dessina et grava pour Louis XIV les Maisons royales, ainsi que les Fêtes données et les Places conquises sous son règne. On lui doit aussi : les Plaisirs de l’île enchantée, une grande vue de Rome. En 1670, il entra à l'Académie royale.
  68. Pour les questions de l'utilisation des artistes dans un but de propagande dans les rapports de la France avec la Lorraine, nous nous référons à l'article de Philippe Martin, « Guerre de siège, guerre de propagande », Annales de l'Est, 2003-2, pp. 99-117.
  69. Cité par Ernest Lavisse, Louis XIV. Histoire d'un grand règne (1643-1715), Paris, Collection Bouquins, 1989, p.561.
  70. Le travail de Le Bret s'appuie en partie sur l'enquête menée dans les Trois-Évêchés par Pierre Dupuy, lequel écrit également un traité paru en 1655, Traité touchant les droicts du roi très chrétien sur plusieurs Etats et seigneuries possédées par divers princes voisins et pour prouver qu'il tient à juste titre plusieurs provinces contestées par les princes étrangers… .
  71. Cardin Le Bret est avocat à la Cour des Aides, puis avocat général au Parlement de Paris de 1604 à 1604, date à laquelle il est nommé intendant des Trois-Évêchés. Le travail de Le Bret s'appuie en partie sur l'enquête menée dans les Trois-Évêchés par Pierre Dupuy, lequel écrit aussi de son côté un ouvrage sur ce thème en 1655.
  72. Joël Cornette, Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand Siècle, Paris, 2000 (2e éd.), p.139.
  73. Définition tirée du Dictionnaire théologique, historique, poétique, cosmographique et chronologique, édition de 1672, et citée par Joël Cornette, op. cit., n.91 pp.379-380.
  74. La Recherche des droits du Roy et de la Couronne de France : sur les Royaumes, Duchez, Comtez, Villes et Païs occupez par les princes étrangers, appartenans aux Roys très Chrestiens par conquestes, successions, achapts donations, et autres titres légitimes. Ensemble de leurs droits sur l'Empire et des devoirs et hommages deubs à leur Couronne par divers princes étrangers, Paris, F. Pomeray, in-4°1632.
  75. Cité par Marie-Odile Piquet-Marchal, La chambre de réunion de Metz, Paris, 1969, p. 37.
  76. Paris, A. Courbé, in-4°.
  77. Ernest Lavisse, Louis XIV Histoire d'un grand règne, Paris, 1989, p. 673 ; Georges Livet, L'intendance d'Alsace, op. cit., p. 234.
  78. Le jésuite Philippe Labbe (1607-1667), qui dédie à Louis XIV sa Géographie royalle (1646), écrit que le royaume de France « a succedé depuis Treize cens ans à l'Ancienne Gaule bornée du Rhin, des Alpes, des Pyrenées et des deux Mers Oceane et Mediterranée » et qu'« il ny a que du costé du Levant qui ait souffert beaucoup de diminution de cette premiere grandeur, puis que nous voyons que de cette partie du ciel elle est bornée de la Savoye, de la Comté de Bourgongne et des Suisses, de la Lorraine, du Luxembourg et autres provinces des Pays-Bas ou Allemagne inférieure… », cité d'après Daniel Nordman, Frontières de France, op. cit., pp. 100-101.
  79. Laurent Jalabert, Catholiques et protestants, op. cit., p. 162.
  80. Joël Cornette, op. cit., p. 267s.
  81. Après sa prise de pouvoir personnelle, en 1661, Louis XIV avait projeté de se rendre à Brisach, mais le projet avait été ajourné de crainte d'effaroucher les princes allemands. Par contre, il s'est déjà rendu à Metz, par exemple en 1673.
  82. Y sont réunis des milliers de cavaliers et de l'artillerie. À Molsheim, le roi passe en revue le Régiment Dauphin.
  83. « Ce point a été celui sur lequel il y a eu plus grande difficulté, les commissionnaires de l'empereur voulant excepter les fiefs, les ducs, princes, comtes, barons et gentilshommes, qui se trouvent enclavés dans les trois évêchés et qui ont été jusqu'ici en la sujétion immédiate de l'empire, voulant qu'ils y demeurassent. On a eu une autre difficulté sur le mot districtus, auquel les impériaux voulaient qu'on ajoutât « temporalis » ou « temporalis domini » ; mais après une longue contestation nous avons obtenu qu'il demeurerait comme il est, ce qui établit entièrement le droit du roi non seulement sur les dépendances du temporel des évêchés, mais encore sur les lieux où s'étend leur juridiction spirituelle », (Colbert de Croissy) cité d'après Herrmann Kaufmann, « Die Reunionskammer zu Metz », Jahrbuch der Gesellschaft für lothringische Geschichte und Altertumskunde, 11, 1899, p. 1-304, ici p. 56.
  84. Daniel Nordman, Frontières de France, op. cit., pp. 199-200. Voir Gaston Zeller, « Le traité de Montmartre (6 février 1662) d'après des documents inédits », Mémoires de la société d'histoire et d'archéologie lorraines, 62, 1912, pp. 5-75.
  85. Cité d'après Gaston Zeller, L'organisation défensive, op. cit., p. 21.
  86. Léopold a une attitude variable selon le succès des armes lors de la guerre de Succession d'Espagne. Il est un instant mobilisé par l'idée de faire de ses États, agrandis des Trois-Évêchés, de l'Alsace, voire de la Franche-Comté et du Luxembourg, une barrière pour l'Empire contre la France. Les traités d'Utrecht et de Rastadt ne lui apportent rien, si ce n'est un rappel à la prudence et la nécessité de se rapprocher encore davantage de l'empereur , voir Gaston Zeller, « La Lorraine dans les relations internationales », op. cit., p. 24s.
  87. Chauvelin, Secrétaire d'État aux affaires étrangères, déclare le 28 janvier 1733 : « nous ne souffrirons jamais la Lorraine et la couronne impériale dans la même maison » , cité d'après Lucien Bély, op. cit., p. 467.
  88. Lucien Bély, op. cit., p. 468s.
  89. Guy Cabourdin, op. cit., tome 2, p. 143.
  90. Cité d'après Daniel Nordman, Frontières de France, op. cit., p. 437.
  91. Laurent Jalabert, « Des confins aux limites », "Annales de l'Est, n°2-2003, p. 363.


  Pour citer cet article :
Laurent Jalabert - Les frontières dans l'espace lorrain : de la frontière militaire à l'intégration dans le royaume de France (1633-1766) - Projet Empreinte militaire en Lorraine
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