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Annales de l'Est (2-2003) Sébastien Wagner

De Wicri Lorraine
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Les fortifications de Metz sous la période française (1552-1870)


 
 

 
Annales de l'Est - 2003 - numéro 2
Titre
Les fortifications de Metz sous la période française (1552-1870)
Auteur(s)
Sébastien Wagner

Les sites stratégiques abondent dans notre région et ce colloque est là pour en témoigner. Cependant, sa capitale constitue l'unique exemple en Lorraine (et peut-être en France) d'une ville ayant possédé et conservé sa fonction stratégique, de l'Antiquité à nos jours, et ce, quelque soit l'environnement géopolitique. Un colloque de trois jours serait sans doute nécessaire afin d'aborder sereinement ces deux mille ans de poliorcétique messine. Hier matin, Pierre Thion a abordé le mur gallo-romain et mon homonyme Pierre-Edouard Wagner l'enceinte médiévale. Je limiterai donc volontairement mon propos à la période couvrant la domination française, s'étendant sur un peu plus de trois siècles, d'un siège à l'autre, de celui de 1552 portant Metz vers le royaume des lys à celui, funèbre, de 1870, arrachant Metz à la France.

Dans l'album Le Tour de Gaule des aventures d'Astérix, les deux célèbres héros gaulois recherchent les spécialités culinaires des principales cités de notre pays. À Metz, ils n'ont que le temps de faire connaissance avec la garnison locale. Cet exemple, puisé dans le 9ème art, témoigne de l'image militaire de la ville, legs de cette période française.

1552 : METZ CHOISIT LA FRANCE.

Le XVIe siècle sonne le glas de la République messine, qui gardait jusqu'à présent jalousement son indépendance face aux puissances limitrophes : Empire, royaume de France, duché de Lorraine et Bourgogne. La ville est toujours défendue par sa ceinture médiévale, l'exemple type du système défensif linéaire, qui s'appuie sur un bras de la Moselle, sur la Seille et, au Sud, sur le tracé du mur romain. Mais la fière cité, à l'orgueilleuse cathédrale à peine achevée (11 avril 1522), n'est plus que l'ombre d'elle-même. Les luttes du siècle précédent ont porté un coup fatal à sa prospérité commerciale. En déclin, la ville a déjà du faire face à la première révolution de l'artillerie à la fin du XVe siècle, le boulet métallique qui transperce les murs protecteurs, en adoptant diverses mesures[1].

Cependant, ces améliorations difficiles et coûteuses ne suffisent pourtant pas : il faut innover. Le rempart plus bas, plus épais, moins cher et supportant mieux les chocs, doit remplacer la haute muraille médiévale. Seulement, Metz ne peut entretenir décemment ses murailles, "boulevard, clef, entrée et issue des pays limitrophes", comme elle se plaît à le rappeler à l'empereur Charles Quint en 1522. Ce dernier se laisse convaincre et consent à accorder remises et délais de paiement sur la fameuse Turkenhilfe (l'impôt pour contenir les assauts ottomans contre le Reich oriental). La cité renforce alors son artillerie lourde et son enceinte Est et Sud, y ajoutant notamment des fausses-braies, la plus célèbre étant la Tour Dex, où l'artilleur de Metz est représenté dans une position insultante envers le futur agresseur. Cependant ces améliorations sont insuffisantes à sa défense.

En 1552, la rivalité entre Henri II et Charles Quint est à son comble. Henri II, volant au secours des princes luthériens allemands, entreprend le "voyage (= campagne) d'Allemagne" qu'il débute le 18 avril, par une entrée dans Metz, sans rencontrer de résistance : la ville était militairement indéfendable, l'entretien des murailles n'étant plus assuré depuis trente ans. Trois jours plus tard, le roi quitte la ville pour le Rhin et y laisse un gouverneur (le futur maréchal de Vieilleville, 1509-1571) et une garnison de 3 400 hommes (9% de son armée). En prise avec les progrès du luthéranisme, Charles Quint se doit de réagir à ce nouvel affront et déclare le 23 septembre "s'évertuer de prendre Metz par laquelle les Français ont le chemin ouvert […] jusqu'au Rhin et demeureront seigneurs absolus de la Lorraine [car] s'ils y achèvent [ce qu'ils y font] il ne faut plus espérer qu'il y ait moyen de la recouvrer".

Dès la fin juillet, François de Guise est chargé d'organiser la défense de Metz. Il constate d'entrée que l'enceinte médiévale dans son ensemble est inadaptée au progrès de l'artillerie. Au nord et à l'ouest, la Moselle la protège encore, mais la Seille n'est plus un obstacle suffisant à l'Est. En effet, des canons en batterie sur la colline de Bellecroix peuvent maintenant atteindre la ville, au niveau de l'enceinte Est. À cet endroit, le duc de Guise y met en application une nouveauté venue d'Italie et promise à un grand avenir : le tracé bastionné ; pour cela il "retranche" : c'est-à-dire fait détruire le quartier exposé aux tirs d'artillerie et construit une fortification d'un nouveau type. Il s'agit d'un rempart rectiligne relié à deux bastions, le tout en terre retenue par un mur de maçonnerie. En encadrant la courtine de deux bastions protecteurs, il permettait ainsi de battre l'angle mort créé par le fossé. Ce fameux "retranchement de Guise" au nord-est (situé au confluent de la Seille et de la Moselle) est la première manifestation d'architecture bastionnée à Metz. Ne laissant rien au hasard, il fait raser le quartier Nord-Est et, au Sud - front d'attaque probable - les faubourgs de Saint­ Thiébault et de Saint-Amour (y compris la prestigieuse abbaye, nécropole des rois carolingiens) pour dégager des champs de tir. Il arase le haut des tours d'églises pour créer des plateformes d'artillerie et récupérer des matériaux de construction. Par des achats en Lorraine et engrangeant toutes les récoltes du Pays messin, il y accumule de quoi survivre durant un an.

Travaillant jour et nuit, ces 6 000 hommes et un gros millier de pionniers, Messins pour la plupart, font le reste. Début novembre, Charles Quint investit Metz avec 50 000 soldats et 100 canons. Du 9 au 17 novembre, le duc de Guise colmate les brèches occasionnées par l'artillerie impériale entre les portes saint Thiébault et Serpenoise. Le 22 décembre, Charles Quint lève ce siège mémorable, "le plus beau qui fut jamais" pour Brantôme.

METZ DANS L'ORBITE FRANÇAIS.

Dans les années suivantes, le maréchal de Vieilleville organise la défense de Metz qui y perd 15% de sa surface urbanisée. Au Sud-Ouest, sous sa direction, on édifie de 1556 à 1564 une citadelle d'architecture bastionnée, sur les ruines de la porte Serpenoise et de 250 maisons (à ce sujet, on peut déplorer la destruction des bâtiments d'une commanderie de Templiers dont ne subsiste aujourd'hui que la chapelle du XIIe siècle, qui a survécu pour avoir été utilisée comme entrepôt militaire). Son rôle est de protéger le front Sud de la ville, le plus éprouvé et le plus vulnérable, et de contrôler la population qui vient de perdre son indépendance. La citadelle est constituée d'un vaste rectangle d'épais remparts de terre, soutenus par une escarpe maçonnée, ses angles sont renforcés de quatre bastions massifs à orillons, capables de résister aux tirs de l'artillerie ennemie et de supporter les canons des défenseurs, se substituant ainsi aux hautes tours médiévales. Les murs sont défendus par un parapet crénelé souligné par un cordon de pierres (dont il reste des vestiges boulevard Poincaré). La citadelle est isolée de l'enceinte par de larges fossés remplis d'eau. Une zone de tir est dégagée du côté de la ville pour prévenir un soulèvement éventuel de l'intérieur : c'est l'origine de l'actuelle place de la République. En outre, la citadelle reçoit un gouverneur particulier, 400 hommes de garnison et un immense magasin aux vivres (le plus grand de France)[2]. Ce dernier, construit en 1569, sert à entreposer les vivres de la garnison de Metz. Cette même année, le roi de France Charles IX peut visiter sa bonne ville de Metz, poste avancé des marches de l'Est. Il est imité par les Bourbons : Henri IV en 1603, Louis XIII en 1631. En 1648, le traité de Munster légitimise l'annexion des Trois-Évêchés, que Louis XIV érige en province.

"METZ DÉFEND L'ÉTAT".

Désormais, la mission imposée à Metz sera "de couvrir l'État". Metz ne vit plus pour elle mais pour la France. Six visites du Roi-Soleil (entre 1657 et 1683) consacrent ce rôle éminent de Metz, capitale des Trois Évêchés, dans l'édification du "Nouvel est" français. En juillet 1673, Louis XIV inspecte Metz pour la troisième fois et y découvre, six mois après Condé, le délabrement des fortifications, à l'abandon depuis l'achèvement de la Citadelle en 1564. Vauban est chargé d'y remédier en utilisant les vertus de son système bastionné qui assure un flanquement quasi idéal. L'architecture militaire devient avec Vauban (puis à Metz avec Cormontaigne au XVIIIe siècle) l'art de transformer les villes en places fortes bastionnées.

Sacrifiant de nombreux jardins et vignobles, Vauban s'active, dès septembre 1674, à renforcer par des demi-lunes et des fossés les fronts Nord-Est (Chambière), Est (porte des Allemands) et Sud, en avant de la porte Saint­ Thiébault, où la statue de Louis XIV détrône celle d'Hercule en juillet 1675. On relie par un large fossé Moselle et Seille. Cette dernière est désormais équipée, à son entrée en ville, d'une écluse. La fermeture de celle-ci provoquerait, le cas échéant, l'inondation des zones extra-muros avec l'appoint en 48 heures des eaux de l'étang de Lindre (à 60km au Sud-Est de Metz) dont Marsal, domaine royal depuis 1663, assure la garde.

Les grands desseins de Vauban pour Metz apparaissent dans ses lettres à Louis XIV : "si les places-fortes défendent chacune une province, Metz défend l'État !" et le 10 juillet 1675 : "c'est la plus heureuse situation qui soit dans le monde et à très peu de frais, j'espère d'en faire la meilleure place forte du royaume." et à Louvois, le 6 janvier 1677 : "… je puis vous dire sans crainte de me tromper que de toutes les places du royaume, ce sera assurément la meilleure et la plus forte ". La qualité d'une place ne dépend plus de l'épaisseur de ses murailles mais de l'art avec lequel celles-ci sont disposées. À la muraille linéaire se substitue une large bande fortifiée d'obstacles échelonnés dans la profondeur, qui évite le tir en enfilade. Conscient de l'instabilité internationale (Metz est souvent victime de raid, tel celui du duc de Lorraine en juin 1677), Vauban prévoit l'intensification des travaux en 1678. Malheureusement, la paix de Nimègue (septembre 1678-février 1679) en diffère l'exécution : on estime la sécurité de Metz assurée par la Franche-Comté et l'Alsace et le maintien de troupes françaises en Lorraine. De plus, Vauban est chargé de fortifier Longwy, Bitche, Sarrelouis (créé ex nihilo en 1680) et Phalsbourg, gardant la frontière septentrionale. Metz n'est plus en première ligne, sa mission change. Dans un tel contexte, la mission de Metz est autre. Un quart de siècle durant, Metz est la pièce maîtresse de la grande politique de Louis XIV. Sans jamais être en première ligne, elle en est assez proche et s'accommode d'une situation hybride où paix et guerre sonnent autrement qu'ailleurs. Toujours en alerte, elle vit une "guerre au ralenti", selon l'expression du Lorrain Fernand Braudel, et dont les servitudes surchargent les Messins. Ces derniers doivent, en outre, loger les soldats chez eux au titre de l'impôt dit du "logement des gens de guerre", et ce, plusieurs fois par an, au gré des allées et venues régimentaires. Ainsi, en septembre 1679, les Messins durent loger 13 000 fantassins et cavaliers, cette astreinte touche 2400 maisons sur 3014, tout en subissant nombre de désagréments, parfois même les pires violences[3]. Les travaux de fortification dévorent jardins et vignes sans la moindre indemnité jusqu'en 1686. La "guerre au ralenti" coûte cher aux Messins. La construction d'une caserne par la ville, quai Saint Pierre, pour 384 chevaux et 288 cavaliers (1691), d'écuries légères (340 chevaux) et d'une maison de l'Étape sur l'île du petit Saulcy allège un peu la charge des troupes de passage.

Après la paix de Ryswick (30 octobre 1697), où la France y a abandonné la place forte de Luxembourg, Metz est de nouveau en première ligne, les duchés lorrains retrouvent leur indépendance mais Bitche et Nancy sont démantelées. Quoique couverts par Longwy et Sarrelouis et une Alsace totalement française, les Évêchés se retrouvent dans la situation de 1661, entourés d'états parcourus de rancœur. La sécurité orientale du royaume dépend entièrement du glacis évêchois. Plus que jamais, "Metz couvre l'État". Il devient urgent de reprendre ses fortifications. Vauban écrit alors son deuxième mémoire sur Metz, Instructions abrégées des ouvrages qui restent à faire pour achever les fortifications de Metz (18 septembre 1698), dans lequel il reprend son projet général de 1678. Vauban y parle des fortifications, de leur coût, etc., et aborde aussi les problèmes agricoles, économiques. En effet, Vauban n'est pas seulement l'ingénieur du roi et le constructeur de fortifications. C'est aussi un aménageur d'espace et un économiste car, pour lui, la défense n'est pas uniquement militaire armée. Elle est aussi économique. Il s'agit de faciliter le commerce, peut-être aussi pour ravitailler les garnisons. Pour cela, il faut canaliser la Seille qui devrait faire de Metz "une des plus grandes villes du royaume", selon son expression. Et Vauban va plus loin : il entrevoit une liaison fluviale créant un véritable réseau et reliant la Meuse, la Moselle, la Seille et la Sarre. Ces liaisons se feront plus ou moins (Seille exclue) au cours des siècles suivants. Vauban y détaille d'autres travaux à faire : isoler la hauteur de Bellecroix du plat-pays par "un bon rempart spacieux" qui abriterait les ruraux et leurs bestiaux ou 10 ou 15 000 troupiers ; couvrir le bras majeur de la Moselle d'une double couronne qui délimiterait une "ville-neuve" ; terrasser les anciennes murailles ; entourer de quais l'île du petit Saulcy et doter la vieille Moselle d'un sas ; construire des casernes à Chambière, à la citadelle, en Ville-Neuve… Comme les deux projets principaux précédents de Vauban pour Metz (1675, 1680), celui de 1698, trop coûteux, est repoussé au profit de la modernisation de Toul et de l'édification de Neuf-Brisach.

À l'aube du XVIIIe siècle, malgré quelques travaux réalisés, l'essentiel des fortifications de Metz reste constitué par la vieille muraille du XIIIe siècle. Pourtant le danger est loin d'être écarté : la guerre de Succession d'Espagne (1702-1714) occasionnent à nouveau des raids dans le pays messin. À nouveau, Metz s'emploie à remplir sa fonction stratégique, confirmant ainsi le propos de l'intendant Turgot : "elle n'est jamais en meilleur état que pendant la guerre" (1699). Les traités de paix de 1713 et 1714 laissent Metz exposée et à l'étroit. Toujours aussi mal fortifiée face aux Pays-Bas, désormais autrichiens, et à une Lorraine très soucieuse d'indépendance et de développement économique, elle redoute leur éventuelle collusion.

LE SIÈCLE DE BELLE-ISLE.

C'est sous le règne de Louis XV que furent repris les projets inachevés de Vauban, sous l'impulsion du comte de Belle-Isle, arrivé par hasard à Metz le 9 avril 1727, après une carrière agitée. Il conçoit assez vite que Metz peut être un tremplin pour sa carrière. Nommé commandant des Trois-Évêchés en 1727, il en est gouverneur près d'un quart de siècle, de 1733 à 1753 et de 1758 à 1761. Durant cette période, il cumule sa charge avec celle de ministre de la Guerre. "La ville de Metz est ma maîtresse" confia-t-il peu avant sa mort, le 26 janvier 1761, a son successeur le maréchal d'Estrées, en précisant les tâches à mener à terme son projet de faire de Metz d'une ville fortifiée "une ville purement militaire ".

Pour cela, il a su convaincre d'Asfeld, successeur de Vauban, de la nécessité de terminer les fortifications de la ville. En utilisant "l'argument luxembourgeois", il obtient d'en transformer le système défensif dans l'esprit de Vauban, reprenant son projet de 1698, afin d'en faire "l'entrepôt général des armées du roi entre Flandres et Alsace […] capable d'arrêter toutes les forces de l'Empire réuni".

Cormontaigne.

Le comte de Belle-Isle fait alors appel à Louis de Cormontaigne, qu'il fait venir exprès de Landau à Metz en 1728. Vauban avait renforcé par des détails la valeur défensive de la ville, notamment le front de Chambière et le front Est de la citadelle par un ouvrage à cornes, mais l'argent manquait pour continuer ses projets de défense bastionnée. Cormontaigne[4] reprend les idées de son prédécesseur, notamment le projet de 1698 et fait construire une enceinte bastionnée avec ouvrages avancés, notamment la redoute du Pâté en 1735-1737 au-delà de la porte Saint-Thiébault, mais surtout deux forts avancés à double couronne permettant d'y installer l'artillerie :

  • La double couronne du Fort Moselle : Vauban prévoyait "de couvrir le bras majeur de la Moselle par une double couronne qui délimiterait une ville neuve". Derrière celle-ci s'abrite une véritable ville nouvelle militaire, construite de 1728 à 1732, et se développe au-delà de la Moselle. Elle réunit les trois éléments de la fortification des XVIIe et XVIIIe siècles : l'eau des fossés, la pierre du mur d'escarpe, obstacle vertical, et la terre du rempart, massif protecteur contre l'artillerie adverse. La ville militaire est composée d'un hôpital[5], regroupant un amphithéâtre d'instruction et de perfectionnement des officiers du corps de santé militaire, une caserne de cavalerie[6], qui peut loger 640 hommes et chevaux ; une église : Saint-Simon et Saint-Jude. Cette double couronne, édifiée sur la rive gauche, protège le front Saint-Vincent sur la rive droite, de l'île du Saulcy jusqu'au pont de Thionville : trois fronts bastionnés avec des fossés remplis d'eau, avec au nord la porte de Thionville et à l'ouest la porte de France. La fortification du Nord-Ouest, bordée par la Moselle, est reliée à l'extérieur par deux ponts (Tiffroy et des Morts) qui débouchent directement en pleine campagne.
  • La double couronne du Fort Bellecroix de 1731 à 1749 : ce formidable ouvrage défensif est construit sur la colline Bellecroix, point dominant à partir du quelle l'artillerie ennemie pouvait pu atteindre la ville. Contrairement à la double couronne du Fort Moselle, celle-ci est à fossé sec très profond de 7,15 m. Un réseau ramifié de 4 600 m de galeries souterraines, dites de contremines, renforce sa défense et interdit toute attaque par des galeries également souterraines dites galeries de mines. Ce système d'attaque et de défense des places avait fait l'objet de traités célèbres chez Vauban. Ces énormes ouvrages se détachent déjà de l'enceinte continue et constituent une succession d'ouvrages dans la profondeur, renforçant la protection naturelle, sur une large bade de terrain ; au mur continu rectiligne s'est substitué un tracé en zigzag pouvant occuper une bande de terrain de 800 mètres de large.

Ce système perfectionné par Vauban se renforce d'obstacles complémentaires (tenaille, demi-lune, lunette, etc.) dont la finalité était bien de rendre la place forte invincible à l'artillerie de l'époque.

"Une ville purement militaire".

La ville compte 22 000 habitants et 3 000 hommes en garnison. Pour mettre un terme au pesante contrainte du "logement des gens de guerre", le comte de Belle-Isle poursuit l'effort initié par l'évêque de Metz, Mgr de Coislin, qui offrit une caserne sur le champ à Seille en 1728, et fait construire de nombreuses casernes en reprenant le plan type élaboré en 1679 par Vauban[7].

D'autres équipements militaires voient le jour dont l'arsenal dont il ne reste que le magasin à poudre[8]. La présence nombreuse d'une armée devenue permanente incite le comte de Belle-Isle à mener avec vigueur un immense projet d'urbanisme, où le militaire est omniprésent. Ainsi, il fait agrandir la vieille place près la cathédrale en détruisant tous les édifices, religieux en majeure partie. La nouvelle place, achevée par son successeur, le maréchal d'Estrées, qui en confia la réalisation à l'architecte Jean­ François Blondel, est une place d'Armes, et non royale. Louis XV, lors de sa visite en 1744, voulait qu'elle manifeste le caractère de ville de garnison. Ainsi elle symbolise l'omniprésence du militaire dans la cité et s'y concentrent les quatre pouvoirs : religieux (cathédrale), militaire (corps de garde, actuel Office de Tourisme), municipal (Hôtel de Ville) et judiciaire (dernier bâtiment). Pour édifier la place de la Comédie, de 1738 à 1753, le comte de Belle-Isle fait surélever l'île marécageuse du "Petit Saulcy", suivant à la lettre Vauban. Cette nouvelle place est ornée d'un ensemble homogène, formé par la "Comédie" ou théâtre, encadré de deux pavillons, celui de gauche étant destiné au logement des officiers. Enfin le palais de justice, destiné au gouverneur des Trois-Évêchés, il est construit de 1778 à 1791 par l'architecte Clérisseau. Sa fonction militaire est encore rappelée dans les frontons au sommet des ailes : à gauche, le héros Hercule, avec ses armes, symbolise la force ; à droite, la déesse de l'intelligence, Minerve, évoque la science. Les deux trophées en haut relief rappellent la destination militaire de cette construction.

Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, les canons progressent très peu. Avec une portée utile de 500 à 700 m, ils ne constituent qu'un simple accessoire des armées en déplacement mais ils jouent un rôle important dans les sièges où ils modifient les enceintes fortifiées que les officiers de l'Ecole d'Application du Génie étudieront à Metz à partir de 1793 ; ils seront bientôt rejoints par les élèves de l'Ecole d'Application de l'Artillerie que disposent, d'un terrain d'exercice à ciel ouvert, regroupant tous les types de fortifications.

Les deux successeurs de comte de Belle-Isle, les maréchaux d'Estrées (1761 à 1771) et Victor de Broglie parachèvent son œuvre, notamment au Sud entre Moselle et Seille, le front le plus vulnérable de la cité. Cormontaigne y avait déjà édifié la redoute du Pâté. Entre 1791 et 1815 sont construites la lunette de Montigny ou d'Arçon au Sud de la citadelle et la lunette Rogniat à son Sud-Ouest, entre la lunette d'Arçon et le bras mort de la Moselle, qui sont des avancées de la citadelle. Dans le même esprit est bâtie la lunette Miollis au Nord-Est de l'île Chambière en 1814-1815, dans le polygone, au-delà de la fortification. Les fortifications du Moyen Age sont démantelées et, à partir de 1797, sur ordre du Directoire, les fronts intérieurs de la Citadelle "symbole de la puissance du roi de France", destinés à contrôler les habitants de Metz, ayant perdu peu à peu son rôle de réduit défensif, sont alors rasés.

Le 24 pluviose an II (12 février 1794), l'École du Génie est transférée de Mézières à Metz dans l'abbaye Saint-Arnould (la Révolution affecte aux casernements de nombreux édifices religieux)[9].

LE XIXe SIÈCLE.

Les hommes plutôt que les pierres.

D'une ère napoléonienne à l'autre, aucune modification majeure du système fortifié conçu par Vauban et Cormontaigne n'est apportée. Les réparations et l'entretien des fortifications se fait sporadiquement, en revêtant en maçonnerie des talus de terre, remaniant des parapets et des glacis, surtout lors de menaces extérieures : sièges de 1814 et 1815 et en 1840. Le Sud de la citadelle a ses glacis modifiés.

Une amélioration sensible des conditions de vie des militaires est à noter par la création d'écoles et de casernes, notamment celle du Génie (futur caserne Ney)[10] dans le quartier de la Citadelle, dont les deux faces tournées vers la ville ont été détruites. C'est sur ce nouvel espace rendu disponible qu'ont pu être construites, avec la place Royale et l'Esplanade, cette nouvelle caserne, ainsi que d'autres constructions militaires destinée au Génie et à l'Artillerie : un arsenal, l'École d'artillerie[11], face à la caserne Ney, logements du Directeur des fortifications et du chef du génie. Cette vague d'urbanisme militaire est symbolisée par la Porte Serpenoise détruite lors de l'érection de la citadelle. Elle ne sera rétablie qu'en 1851 pour donner accès à la gare construite sur les glacis, en dehors des fortifications[12]. Pour mettre à l'abri la gare, une nouvelle lunette dite du Sablon est édifiée de 1850 à 1853. On termine alors enfin entre 1820 et 1825 la lunette de la Cheneau (ou Fort Gisors) commencée en 1739, afin d'interdire le passage entre la Seille et Bellecroix. Malgré de petits aménagements de détails (on rabote le retranchement de Guise afin d'agrandir l'arsenal I[13]), les fortifications restent inchangés au cours du XIXe siècle.

Les servitudes.

Afin d'éviter de raser des quartiers entiers en cas de conflit comme ce fut le cas en 1552, des restrictions sont apportées aux constructions hors des fortifications. Ces servitudes défensives militaires sont créées dès le XVIIIe siècle afin de garder un espace dégagé autour des fortifications pour l'observation, pour le tir et pour éviter la prise de position es assaillants. La loi du 17 juillet 1819 réactualise l'ordonnance du 9 décembre 1713 qui avait interdit toute construction en maçonnerie dans un rayon de 250 toises (487 mètres). Trois zones concentriques, à partir des fortifications, se répartissent des contraintes décroissantes :

  • Zone I : l'interdiction de toute construction "dans l'étendue de 250 m autour des places de guerre de toutes les classes et des postes militaire". Ne sont tolérées que les "clôtures en haies sèches ou en planches à claire voie" ;
  • Zone II : l'interdiction de toute construction en maçonnerie de 250 à 487 m (250 toises), seules les constructions légères en bois et en terre sont tolérées à condition de les démolir sans indemnités hors de l'état de guerre ;
  • Zone III : de 487 à 974 m (500 toises) seuls des immeubles à colombage sont autorisés. Toutes les constructions devaient être détruites et déblayées aux frais du propriétaire lorsque les autorités militaires en faisaient la demande. Le décret impérial du 10 août 1853 en réglait les détails[14].

Les détachés de Séré de Rivières.

Les progrès de l'artillerie relance l'éternel bras de fer entre le boulet et la cuirasse. Vers 1860, le canon rayé apparaît en Europe ; sa puissance et sa portée permet de lancer des obus oblongs à près de 4 000 m avec une grand précision, au lieu des 800 m.

Cette deuxième révolution de l'artillerie, après celle de boulet métallique au XVe siècle, rend obsolète l'enceinte continue, qu'elle soit linéaire ou bastionnée. Seule la création d'un nouveau système de fortification éloigné de la portée des canons la ville peut la soustraire aux tirs ennemis et apporter une solution à ce nouveau défi : les forts détachés, s'appuyant sur les collines et distants de la portée des canons, se substituant au tracé linéaire. "Le mur de feu remplace le mur de pierre". Dès 1864, le Génie de Metz s'intéresse à un projet de forts détachés "coordonnés de manière à se donner un appui réciproque et à former un vaste camp retranché dans lequel une armée de défense trouverait tour à tour soutien et refuge", indiquant que quatre forts suffiraient : Queuleu, Saint­ Julien, Saint-Quentin et Plappeville. Pendant plus de trois ans, des discussions s'engagent sur le bien fondé de ces ouvrages. Sadowa et la montée en puissance de la Prusse n'accélère pas les choses. Pourtant, Metz est en première ligne.

Finalement, le 27 janvier 1868, les travaux peuvent débuter. Le lieutenant-colonel du Génie Séré de Rivières en est chargé de développer le système des forts détachés : une enceinte discontinue faite de forts d'artillerie, espacés de la portée des canons.

Ces quatre forts sont des ouvrages en maçonnerie au tracé polygonal simple et constituent de grosses batteries regroupant un nombre impressionnant de canons (105 à Queuleu, le plus grand fort) et une infanterie de soutien ; l'artillerie est toujours à ciel ouvert, les remparts sont défilés au trois-quart, les casernes sont abritées par une voûte maçonnée recouverte de trois mètres de terre. Ils regroupent artillerie et casernements sur lesquels s'appuient de hauts talus défensifs de terre formant de larges plateforme pour la mise en batterie des canons. La fortification commence à s'enterrer. La maçonnerie dépasse très peu au-dessus du fossé. Un épais massif de terre protège les forts des tirs directs. Début 1870, afin de protéger la gare, on décide la construction d'un cinquième fort, Saint-Privat, au Sud.

Le 14 août, lorsque l'armée ennemie s'approche de Metz, aucun fort n'est achevé.

Les Allemands compléteront cette ceinture fortifiée qu'ils achèveront en 1885, notamment le fort Ouest au Saint Quentin, prévu à l'origine par Séré de Rivières. Ils utiliseront les mêmes techniques, en maçonnerie classique, et en reprenant les mêmes dispositions que les plans français. Des batteries cuirassées sont aménagées dans les ouvrages ou dans les intervalles. La défense dans la profondeur prend alors tout son sens.

Conclusion.

Jusqu'à son intégration au royaume de France, Metz possède des fortifications pour défendre son indépendance. Vauban lui assigne la charge d'être la sentinelle des marches de l'Est. "Metz défend l'État". Alors la ville sacrifie sa fonction culturelle et commerciale pour remplir son rôle stratégique, qui ne va cesser de croître avec le temps. Tout pour et par le militaire. Les enceintes bastionnées de Vauban, les deux doubles couronnes de Cormontaigne, les infrastructures de comte de Belle-Isle et les casernes du XIXe siècle, ainsi que la première ceinture commencée par les Français et achevée par les Allemands, tout renforce cette idée. Après la période française, la période allemande, qu'abordera Rémy Fontbonne cet après-midi, lui permettra de devenir la plus grande forteresse du monde.


NOTES

  1. Augmentation de l'épaisseur des maçonneries, afin, notamment, de rendre la sape plus difficile ; protection de la base des murs par de larges plates-formes de terre soutenu par un mur qui permettent également aux assiégés d'installer leurs lourds canons, qui sont difficiles à mettre en batterie en haut des courtines : c'est la caractéristique fausse-braie (ou "boulevard") du front de Seille ; apparition de tours à canon (tour d'Enfer, tour des Sorcières) ; consolidation des accès en projetant les portes sur la rive opposée pour mettre l'enceinte hors de la portée des canons adverses.
  2. Sa réhabilitation s'achève : il deviendra un hôtel quatre étoiles l'année prochaine.
  3. Fin 1676, 52 bourgeois sont molestés, 43 femmes violées, 41 maisons saccagées, 8 personnes tuées ou blessées.
  4. Louis de Cormontaigne (1694-1752) est inhumé à Metz dans l'église Saint-Gengoult, détruite en 1791. Il réalise les fortifications de Thionville et dirigea aussi le siège de Phalsbourg et de Forbach comme maréchal de camp.
  5. Edifié en 1732, l'hôpital a fourni 700 chirurgiens aux armées du Premier Empire, ont les deux tiers succombèrent sur les champs de bataille ; il cessa ses fonctions d'enseignement le 1er mai 1850 mais resta jusqu'en 1912 l'hôpital de la garnison de Metz.
  6. Construite de 1736 à 1743, c'est aujourd'hui un centre de réadaptation appartenant au Secrétariat d'État aux anciens Combattants.
  7. Il comprend : un corps de caserne composé d'une juxtaposition de cellules avec cage d'escalier centrale, encadré à chaque niveau de deux chambres de chaque côté, des cheminées dos à dos sur le mur de refend longitudinal. En général, il y a trois niveaux, le rez-de-chaussée pavé et voûté servant d'écuries dans les bâtiments de cavalerie uniquement. Les combles sont utilisés comme entrepôt. Les pavillons d'officiers sont souvent placé aux extrémités et disposés en équerre, pour former une cour intérieure. Trois casernes sont prévues : infanterie, cavalerie et caserne de passage.
  8. L'épaisseur des murs, les contreforts et les évents de décompression devaient lui permettre de résister à une explosion intérieure. Les tonneaux de poudre reposaient sur un plancher pour les isoler de l'humidité.
  9. Cette école portera plusieurs noms : à sa création École du Génie et des Mineurs ; en 1796 : École Nationale du Génie militaire ; en 1797 : École du Génie ; de l'an VII à 1799 : École d'Application du Génie ; sous l'Empire : École impériale d'Artillerie et Génie ; en 1815 : École royale de l'Artillerie et du Génie ; en 1851 : École impériale d'Application d'Artillerie et du Génie. En 1870, l'école est transférée à Fontainebleau.
  10. Caserne du Génie : construite de 1833 à 1842 par l'ingénieur Parnajon, c'est une des réalisations les plus importantes entre la Révolution et 1870. Baptisée caserne Ney le 25 novembre 1935, elle abritait le 3ème Régiment du Génie en 1849. Les toits à l'origine, étaient en terrasse pour diminuer les risques d'incendie provoqués par les projectiles de l'artillerie adverse (excepté le bâtiment du milieu à double pente). Caserne du génie "à l'épreuve des bombes" (Cf. élévation: couverture en voûtes mettant l'édifice à l'épreuve des projectiles de l'époque). Symbole du Génie sur sculptures des deux pavillons de garde de l'entrée dessinée par Hussson en 1852 : la cuirasse (corset d'armes) et le "pot en tête" imposés par Vauban à ses ingénieurs pour en diminuer les pertes considérables durant les guerres de siège.
  11. Au fronton de laquelle on voit encore aujourd'hui canons et boulets.
  12. La Porte Serpenoise que nous connaissons aujourd'hui fut remaniée en 1892 et démolie en 1903 lors de l'arasement des remparts par les Allemands pour apparaître sous cette forme hybride.
  13. L'arsenal I est situé le long de la Seille, près de la confluence avec la Moselle. L'arsenal II se trouve alors dans la citadelle : il a été transformé en 1989 en auditorium de musique. L'arsenal III sera construit par les Allemands au nord de la ville, "hors les murs".
  14. Ce système sera repris et étendu par les Allemands avec la loi du 21 décembre 1871 : zone I : 0 à 600 m ; II : 600 à 975 m ; III : 975 à 2250 m.