La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Éclaircissements/2

De Wicri Chanson de Roland
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Le texte original

Naissance et enfances de Charlemagne

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1° Sa naissance.

La mère de Charles est connue, dans nos Chansons, sous le nom de « Berte au grand pied ». C'est la fille de Flore, roi de Hongrie, et de la reine Blanchefleur. Un jour Pépin la demande en mariage, et elle s'achemine vers la France. (Berte, poème composé par Adenet vers 1275, édition P. Paris, pages 7-9.) Mais l'étrangère est, dès son arrivée, circonvenue par toute une famille de traîtres : une serve, Aliste, se fait passer pour la reine de France, prend sa place auprès de Pépin et force la véritable Berte à s'enfuir au fond des bois, où elle pense mourir de froid, de peur, de faim. (Ibid., pp. 16-52.) Par bonheur, un pauvre homme du nom de Simon recueille l'innocente en sa cabane, où elle est, au bout de quelques années, reconnue enfin par son mari désabusé. (Ibid., pp. 64-132.) Quelques mois après naît Charlemagne [1] .

2° Ses enfances

De la fausse Berte, de la méchante Aliste, Pépin avait eu deux fils : Heudri et Lanfroi. Ils deviennent, comme il s'y fallait attendre, les ennemis acharnés du fils légitime, de Charles. (Charlemagne, de Girard d'Amiens; compilation du commencement du XIVe siècle. B. N., 778, f° 23, 24.) Donc, ils essayent de l'empoisonner, puis de l'égorger. (F 24-28.) Un serviteur fidèle, David, se charge alors de sauver l'héritier de France: il l'emmène avec lui en Espagne, et c'est à Tolède, c'est parmi les païens que va s'écouler l'enfance de Charlemagne. (F° 28-30.)

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 299.jpg[299] On n'y connaît pas, d'ailleurs, sa véritable condition, et c'est sous le nom de Mainet que le fils de Pépin se met au service du roi sarrasin Galafre. (F° 30, 31.) Pour premier exploit il se mesure avec l'émir Bruyant, qu'il tue. Mais Galafre a une fille, Galienne, de qui la beauté est célèbre et pour laquelle le jeune Français se prend soudain du plus vif, du plus charmant amour. Il la veut conquérir à tout prix, triomphe de Braimant, qui est un autre ennemi de Galafre, et épouse enfin sa chère Galienne, qui déjà s'est convertie à la foi chrétienne. (F° 32-50.)

C'est en vain que Marsile, frère de Galienne, essaye de faire périr Mainet : Charles, une fois de plus vainqueur, ne songe désormais qu'à quitter l'Espagne et à reconquérir son propre royaume. Il commence par délivrer une première fois Rome et la Papauté, menacées par les païens que commande Corsuble. (F° 55.) Il fait ensuite son entrée en France, où sa marche n'est qu'une série de victoires. Les deux traîtres, Heudri et Lanfroi, sont vaincus et châtiés comme ils le méritent. (F° 64-66.) Charles demeure le seul maître de tout le grand empire f° 67); mais sa joie est empoisonnée par la mort prématurée de Galienne [2]...

II - Expédition de Charles en Italie, Rome délivrée

Un jour, les ambassadeurs du roi de France sont insultés par le roi de Danemark, Geoffroi. Charles, plein de rage, s'apprête à faire mourir le fils et l'otage de Geoffroi, le jeune Ogier, lorsque tout à coup on lui vient annoncer que les Sarrasins se sont emparés de Rome. (Chevalerie Ogier de Danemarche, poème du XIIe siècle attribué à Raimbert de Paris ; édition de Barrois, vers 174-186.) Charles, tout aussitôt, part en Italie, traverse les défilés de Montjeu (Ibid., 191-222) où il est miraculeusement guidé par un cerf blanc (Ibid., 222-283), et s'avance jusque sous les murs de Rome. Le pape Milon, son ami, marche à sa rencontre et lui fait bon accueil. (Ibid., 315-329.) Corsuble cependant, le sarrasin Corsuble est maître de Rome, et n'aspire qu'à lutter contre les Français. (Ibid., 284-289 et 330-383.) Une première bataille s'engage. (Ibid., 384-423 et 448-467.) L'oriflamme va tomber au pouvoir des païens, quand Ogier intervient et relève, par son courage et sa victoire, la force abattue des Français.(Ibid., 468-681.)

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On l'acclame, on lui fait fête, on l'arme chevalier. (Ibid., 682-749.) C'est alors que les Sarrasins s'apprêtent à opposer, dans un duel décisif, leur Garaheu à notre Ogier. (Ibid., 851-961.) Le succès est un moment compromis par les imprudences de Chariot, fils de l'Empereur. (Ibid., 1075-1224.) Néanmoins le grand duel entre les deux héros se prépare, et l'heure en va sonner (Ibid., 1225-1537) : Gloriande, fille de Corsuble, en sera le prix. Une trahison de Danemont, fils du roi païen, retarde la victoire d'Ogier, qui est fait prisonnier ; (Ibid., 1538-2011.) mais les Français n'en sont que plus furieux. Un grand duel, qui doit tout terminer, est décidé entre Ogier et Brunamont, le roi de « Maiolgre ». (Ibid., 2565 et suiv.) Ogier est vainqueur (Ibid., 2636-3041); Corsuble s'éloigne de Rome (Ibid., 3042-3052), et Charles fait dans la grande ville une entrée triomphale.il a la générosité d'épargner Caraheu et Gloriande (Ibid., 3053-3073), et, chargé de gloire, reprend le chemin delà France [3] . (Ibid., 3074-3102.)


La Chevalerie Ogier nous a parlé fort longuement d'une première expédition en Italie. Aspremont, plus longuement encore, nous fait assister à une seconde campagne de l'Empereur par delà les Alpes... Charles, donc, tient sa cour un jour de Pentecôte. (Aspremont, poème de la fin du XIIe siècle ou du commencement du XIIIe, édit. Guessard, pp. 2 et 3.) Soudain, un Sarrasin arrive et défie solennellement le Roi au nom de son maître Agolant. (Ibid., p. 4.) Charles pousse son cri de guerre, et la grande armée de France se met en route vers l'Italie. La voilà qui passe à Laon. (Ibid., p. 11.) Or, à Laon était enfermé le neveu de Charles, qu'on ne voulait pas encore mener à la guerre : car il n'avait que douze ou quinze ans. Roland s'échappe, et rejoint l'armée. (Ibid., pp. 13-16.) Charles envoie Turpin demander aide au fameux Girard de Fraite, qui d'abord répond par un refus insolent, et veut assassiner l'Archevêque (Ibid., pp. 17-18); mais qui, sur les conseils pressants de sa femme, se décide enfin à marcher au secours de l'Empereur. (B. N. fr. 2495, f° 85 r° — 87 r°.) Alors toute l'armée franchit les Alpes et traverse l'Italie : car c'est la Calabre qui doit être le théâtre de la grande lutte. Agolant, le roi païen, a un fils nommé Eaumont, qui est destine à devenir le héros du poème. Eaumont lutte avec Charles et est sur le point de vaincre, quand arrive Roland, qui tue le jeune Sarrasin et s'empare de l'épée Durendal. (B. N., anc. ras. Lavall., 123, f° 41 v° — 43 r°.) La guerre cependant n'est pas finie : il faut que saint Georges, saint Maurice et saint Domnin descendent dans les rangs des chrétiens et combattent avec eux (Ibid., f° 64, v° — 65, r°);

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il faut que Turpin porte au front de l'armée le bois sacré de la vraie croix ; il faut que Dieu, par un miracle sans pareil, donne à ce bois l'éclat du soleil ; il faut, à côté de ces efforts célestes, tout l'effort humain de Charlemagne , de Roland et de Girard , pour qu'enfin les Sarrasins soient vaincus. {Ibid., f° 65, 2° et suiv.) Agolant meurt alors sous les coups de Claires, neveu de Girard (Ibid., f° 81, v°); Girard lui-même s'empare de Rise (Ibid.), et l'on donne le royaume d' Agolant à Florent, neveu du roi de Hongrie [4] . (Ibid., f» 81, v° —87.)

III - Luttes de Charlemagne contre ses vassaux

1° Girard de Viane

Garin de Montglane, avec ses quatre fils, Renier, Mile, Hernaut et Girard, est tombé dans une misère profonde. (Girars de Viane, poème du commencement du IIIe siècle, édition P. Tarbé, pp. 4-7.) Les Sarrasins entourent son château que baigne le Rhône ; mais ses fils le délivrent (Ibid., pp. 6-9) et se lancent dans les aventures. (Ibid., pp. 9-10.)

Girard arrive à Reims pour se mettre au service de Charles avec son frère Renier. (Ibid., pp. 11-20.) « Adoubés » par l'empereur (Ibid., pp. 20-21), ils lui rendent, en effet, mille services dont ils se font trop bien payer (Ibid., pp. 24-30), et Girard devient l'ennemi mortel de Charlemagne , qui lui avait d'abord promis la duchesse de Bourgogne en mariage et avait fini par l'épouser lui-même. La nouvelle impératrice, irritée contre Girard, lui fait baiser son pied, alors que le jeune vassal pense baiser celui de l'Empereur.

De là, toute la lutte qui va suivie. (Ibid., pp. 31-41.)

Une guerre terrible s'engage entre les fils de Garin et Charlemagne. (Ibid., pp. 51-56.) Les deux héros de cette guerre seront, d'une part, Olivier, fils de Renier, et neveu de Girard ; de l'autre, Roland, neveu de Charles. Aude, la belle Aude, sœur d'Olivier, devient la fiancée de Roland: nouvelle complication, qui donne un intérêt plus vif à cette légende héroïque dont le principal épisode est le siège de Vienne. (Ibid., pp. 66-105.) La guerre étant interminable, on se résout à l'achever par un combat singulier entre Olivier et Roland. (Ibid., pp. 106 et suiv.) Le combat est admirable, mais demeure indécis. (Ibid., pp. 133-154.) Bref, la paix est faite; Girard se réconcilie avec Charles; Aude est promise à Roland, et l'on part pour Roncevaux. (Ibid., pp. 155-184.)

2° Les Quatre Fils Aymon

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Charles tient cour plénière. Il se plaint de la rébellion de Doon de Nanteuil et de Beuves d'Aigremont : même, il s'apprête à rassembler contre ce dernier toutes les forces de son empire. (Renaud de Montauban, poème du XIIIe siècle, mais dont il a existé des rédactions antérieures; édit. Micbelant, pp. 1-3.) Aymon de Dordone, qui est un autre frère de Beuves, proteste courageusement contre la colère de l'Empereur.

Charles le menace, et Aymon se retire fièrement de la cour avec tous ses chevaliers. C'est ici que commence la lutte entre l'Empereur et le duc Aymon , qui est soutenu par ses quatre fils, Benaud , Alard , Guichard et Bichard. (Ibid., p. 3, v. 8-30.)

Le roi de France, pour mettre fin à cette guerre, envoie à Beuves d'Aigremont un ambassadeur que le rebelle met à mort. (Ibid., pp. 3-8.) Un second messager, qui est le propre fils de Charles, Lohier lui-même, est envoyé au terrible Beuves. Son insolence le perd, et Lohier meurt dans une bataille qui a pour théâtre le château de Beuves. (Ibid., pp. 8-16.) Désormais la guerre est inévitable; elle commence. (Ibid.. pp. 19-27.)

Le duc Beuves échoue devant Troyes, et une défaite de l'armée fédale suffit pour anéantir toutes les espérances des coalisés. (Ibid., pp. 30-37.) L'Empereur pardonne à ses ennemis, mais fait assassiner le duc Beuves, qui s'acheminait vers Paris. (Ibid., pp. 37-44.) Aymon, lui, fait la paix assez platement avec l'assassin de son frère. Doon de Nanteuil et Girard de Boussillon se soumettent pareillement. La guerre semble finie. (Ibid., pp. 44-45.) Là-dessus, les quatre fils Aymon viennent à la cour de Charles et y sont faits chevaliers. (Ibid., pp. 45-47.) Leur fortune semble assurée, quand certaine partie d'échecs vient tout changer. Le neveu de l'Empereur, Bertolais, joue avec Renaud : survient une dispute, et, d'un coup d'échiquier, Renaud tue son adversaire. (Ibid., pp. 51, 52.) Le meurtrier et ses trois frères s'enfuient au plus vite d'une cour où ils ne sont plus en sûreté. Leur père est le premier à les abandonner : leur mère, leur mère seule leur demeure fidèle. Ils se retirent dans la vieille forêt des Ardennes. (Ibid., pp. 52, 53.) C'est là qu'ils vont se cacher durant sept ans; c'est là que va commencer leur « grande misère ». Ils sont poursuivis par Charlemagne, qui fait le siège de leur château de Montessor. Un traître est sur le point de le livrer à l'Empereur, et les fils du duc Aymon, affamés, sont forcés de s'éloigner de ces murs où, pendant cinq années, ils ont arrêté l'effort de tout l'Empire. (Ibid., pp. 53-74.) Ils errent dans la grande forêt , et le cheval de Renaud , Bayard , leur vient en aide par sa force et son agilité merveilleuses. (Ibid., pp. 74-83.) Cependant la faim les éprouve de plus en plus: tous leurs chevaliers meurent ; ils vont mourir aussi. (Ibid., pp. 85-86.) Leur mère, qui a quelque peine à les reconnaître dans ce misérable état, leur offre en vain l'hospitalité. (Ibid., pp. 87-89.) Ils sont forcés de se remettre en route, chassés par leur père, et s'acheminent vers le Midi, où les mêmes aventures les attendent. (Ibid., pp. 89-96.)

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Le roi Yon, qui régnait à Bordeaux, les voit un jour arriver dans cette ville avec leur cousin, le fameux enchanteur Maugis. (Ibid., pp. 96-97.) Les nouveaux venus aident le roi de Gascogne dans sa lutte contre les Sarrasins, et délivrent une fois de plus la chrétienté envahie. (Ibid., pp. 97-107.) Charlemagne les menaçant toujours, ils se construisent un château (Mont des Aubains ou Montauban), où ils espèrent pouvoir résister à l'Empereur. (Ibid., pp. 107-111.) Renaud, en attendant la guerre probable, épouse la sœur du roi Yon. (Ibid.. pp. 111-114.)

A peu de temps delà, Charles, revenant d'Espagne, aperçoit le château de Montauban. Fou de jalousie et de rage, il en prépare le siège. Roland y prend part et rivalise avec Renaud. La lutte éclate, elle se prolonge, elle est terrible. (Ibid.. pp. 114-144.) Mais le roi Yon lui-même trahit les fils d'Aymon, et ils sont sur le point de tomber entre les mains des chevaliers de l'Empereur. Un combat se livre : Renaud y fait des prodiges. (Ibid., pp. 142-192.) Par bonheur, Ogier, chargé d'exécuter les ordres de Charles contre ses mortels ennemis, rougit de seconder une trainson, et Maugis délivre les quatre frères. (Ibid., pp. 192-219. ) Renaud, en vassal fidèle, ne désire, d'ailleurs, rien tant que de se réconcilier avec Charlemagne (Ibid., pp. 230-246); mais, hélas ! les ruses et les enchantements de Maugis ont irrité l'Empereur, et il exige qu'on lui livre le magicien. (Ibid., pp. 249-254.)

Sur ces entrefaites, Richard, frère de Renaud, tombe au pouvoir de Charles, qui le veut faire pendre ; mais les douze Pairs se refusent nettement à exécuter cette cruelle sentence (Ibid., pp. 254-267), et Renaud, averti par son bon cheval Bayard, délivre son frère. La lutte recommence avec une rage nouvelle. (Ibid., pp. 267-285.)

Nouvelles ruses de Maugis, nouvelles batailles : Charlemagne devient le prisonnier de Renaud, qui se refuse à tuer son seigneur. (Ibid., pp. 283-537.) L'Empereur ne sait pas reconnaître une telle générosité et assiège de nouveau Montauban, où la famine devient insupportable. Par bonheur, un mystérieux souterrain sauve les quatre frères. (Ibid., pp. 337-362.)

La guerre, néanmoins, est loin d'être finie. Il faut que Richard de Normandie soit fait prisonnier par les rebelles; il faut que les Pairs forcent l'Empereur à conclure la paix ; il faut qu'ils aillent jusqu'à abandonner Charles. (Ibid., pp. 362-398.)

Enfin la paix est faite, et elle est définitive. Renaud s'engage à faire un pèlerinage à Jérusalem, el arrive dans la ville sainte au moment même où elle est attaquée par les Sarrasins. 11 la délivre (Ibid., pp. 403-417), et refuse d'en être le roi. (Ibid., pp. 407, 408.) Il revient en France. Sa femme est morte, et ses fils sont menacés par toute la famille de Ganelon el d'Hardré; mais il a la joie d'assister à leur triomphe. (Ibid., pp. 418-442.) C'est alors que, dégoûté des grandeurs, il s'échappe un jour de son château et va, comme maçon , comme manœuvre, offrir humblement ses services à l'architecte de la cathédrale de Cologne. (Ibid., pp. 442-445.)

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Sa force et son désintéressement excitent la jalousie des autres ouvriers, qui le tuent (Ibid., pp. 445-450); mais Dieu fait ici un grand prodige : le corps de Renaud, jeté dans le Rhin, surnage miraculeusement au milieu de la lumière et des chants angéliques; puis, comme un autre saint Denis, il guide lui-même jusqu'à Trémoigne les nombreux témoins de ce miracle. (Ibid., pp. 450-454.) C'est plus tard seulement qu'on reconnut le fils du duc Aymon , dont l'intercession faisait des miracles. Et saint Renaud, canonisé populairement, reçut les honneurs dus aux serviteurs de Dieu. (Ibid., pp. 454-457.)

3° Ogier de Danemark

Ogier était le fils de ce roi de Danemark qui avait jadis outragé les messagers de Charles. Otage de son père, il avait été retenu prisonnier par l'Empereur, qui même voulut un jour le faire mourir. Nous avons vu plus haut comment il mérita le pardon de Charlemagne en combattant contre les Sarrasins envahisseurs de Rome, en luttant contre Caraheu et Danemont. (Chevalerie Ogier de Danemarche, poème attribué à Raimbert, XIIe siècle, 174-3102.)

Le Danois, vainqueur, se reposait depuis longtemps à la cour de Charlemagne ; mais il en est de lui comme de Renaud de Montauban, et une partie d'échecs va changer sa fortune. Son fils, Baudouinet, est tué par le fils de l'Empereur, Chariot, qu'il a fait échec et mat. (Ibid., vers 3152, 3180.) Ogier l'apprend ; Ogier veut tuerie meurtrier; mais, assailli par mille Français, il est forcé de s'enfuir et va jusqu'à Pavie demander asile au roi Didier, qui le fait soudain ganfalonier de son royaume. (Ibid., 3181-3541.) Charlemagne le poursuit jusque-là et réclame du roi lombard l'expulsion du Danois : Ogier jette un couteau à la tête de l'ambassadeur impérial. (Ibid., 4074-4288.) Charles veut se venger à tout prix. Les Lombards défendent Ogier : guerre aux Lombards. Une formidable bataille se livre entre les deux armées, entre les deux peuples. Didier s'enfuit: Ogier reste, avec cinq cents hommes, en présence de toute l'armée française. Sa résistance est héroïque, mais inutile. Il est forcé de se retirer devant cent mille ennemis. (Ibid., 4534-5883.) C'est pendant cette fuite, ou plutôt durant cette retraite, que, devenu tout à fait fou de colère, Ogier égorge lâchement Amis et Amiles. (Ibid., 5884-5891.) Mais la poursuite continue, continue toujours. Par bonheur, Ogier a un admirable» cheval, Broiefort, qui prend enfin son galop à travers ces cent mille ennemis et sauve son maître déjà cerné. Le Danois parvient à s'enfermer dans Castelfort : le siège de Castelfort va commencer. (Ibid., 5892-6868.) Dans ce château Ogier est seul, tout seul, et il a devant lui l'armée de Charlemagne. Son ami Guielin a succombé, tous ses chevaliers sont morts, et c'est l'Occident tout entier qui semble conjuré contre le seul Danois. (Ibid., 6689-8374.) Ne pouvant rien par la force, il essaye de la ruse, et fabrique en bois de nombreux chevaliers qui étonnent l'ennemi et l'arrêtent. Malgré tout, il va mourir de faim, et sort de cet asile. Il en sort avec le dessein d'égorger l'Empereur, et essaye en réalité d'assassiner Chariot, qui cependant s'est montré pour lui plein de générosité et de douceur.

Mais, de nouveau poursuivi, Ogier est enfin fait prisonnier, et le voilà captif à Reims. (Ibid., 8375-9424.) Charles veut l'y laisser mourir de faim; mais Turpin sauve le Danois, dont la captivité ne dure pas moins de sept années. L'Empereur le croit mort. (Ibid., 9425-9793.) La France cependant est menacée d'un épouvantable danger : elle est envahie par le Sarrasin Brehus. Ogier seul serait en état de la sauver, et c'est alors que Charles apprend que le Danois vit encore. (Ibid., 9793-10082.) L'Empereur tombe aux genoux de son prisonnier, de son ennemi mortel, et le supplie de sauver la France. Mais Ogier est implacable, et n'y consent qu'à la condition de tuer de sa propre main Chariot, auteur de la mort de son fils. (Ibid., 10081-10770.) Déjà, en effet, il lève son épée sur le malheureux fils de Charlemagne, quand un ange descend du ciel pour empêcher ce meurtre. On s'embrasse, on s'élance au-devant de Brehus. (Ibid.. 10870-11038.) Les Sarrasins sont battus, et Brehus est tué par Ogier, qui a vainement cherché à le convertir. (Ibid., 11039-12969.) Le Danois, décidément réconcilié avec Charlemagne, épouse la fille du roi d'Angleterre, qu'il a délivrée des infidèles. Il reçoit de l'Empereur le comté de Hainaut, et c'est là qu'il finit ses jours en odeur de sainteté. Son corps est à Meaux [5] . (Ibid . . 12970-13042.)

4° Jean de Lanson

Jean de Lanson est un neveu de Ganelon, un petit-fils de Grifon d'Autefeuille : il est de la race des traîtres. Il possède la Pouille, la Calabre, le Maroc, qu'il a reçus de Charlemagne. Tant de bonté n'a pas désarmé la haine qu'il porte à l'Empereur, et il ne cesse de conspirer contre lui. Il offre à sa cour un asile au traître Alori, qui a assassiné Humbaut de Liège. Cette dernière insulte met à bout la patience de Charles, et il envoie à Jean de Lanson les douze Pairs pour le défier. (Jehan de Lanson, poème du commencement du XIIIe siècle, Ms. de l'Arsenal, 3145; anc. B. L. F. 186, f° 108 et ss.) Les douze Pairs traversent toute l'Italie, et se voient menacés par les traîtres à la télé desquels esl Alori. (Ibid., f° 121.)

Par bonheur les messagers de Charles ont avec eux l'enchanteur Basin de Gènes, qui, autre Maugis, emploie mille ruses pour déjouer les projets d'Alori. (Ms. de la B. N. fr. 2405, f° 1-13, v°)

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C'est en vain que Jean de Lanson oppose Malaquin à Basin, magicien à magicien : Basin parvient à restituer aux douze Pairs leurs épées qui leur avaient été habilement volées (Ibid., f° 14, v°), et trouve, à travers mille aventures, le secret de pénétrer en France, à Paris, où il avertit l'Empereur de la détresse de ses messagers. (Ibid., f° 15-29.) Charles réunit son armée : il marche vers la Calabre, et, vainqueur dans une première bataille, met le siège devant Lanson. (Ibid., f° 29-55.) Encore ici, Basin lui vient en aide. Il endort tous les habitants du palais de Lanson et le duc Jean lui- même. Charles pénètre dans ce chcàteau enchanté, et délivre les douze Pairs depuis trop longtemps prisonniers [6] . (Ibid., f° 55-64 v°.)

IV. Avant la grande expédition d'Espagne

1° Charlemagne en Orient

L'Empereur est à Saint-Denis. Il se met la couronne en tête et ceint son épée :

« Connaissez-vous, dit-il à l'impératrice, un chevalier, un roi, à qui la couronne aille mieux? »
— « Oui », répond-elle imprudemment, « j'en connais un : c'est l'empereur Hugon de Conslantinople. »
(Vers 1-60 du Voyage à Jérusalem et à Constantinople, premier tiers du XIIe siècle.)

Charles, bridé de jalousie, veut aller voir ce roi si bien coiffé. Il part avec les douze Pairs, et va d'abord à Jérusalem pour adorer le saint Sépulcre.

Suivi de quatre-vingt mille hommes, il arrive dans la Ville sainte. (Ibid., v. 67-108.) Reconnu par le Patriarche, Charles reçoit de lui lu sainte couronne, un des clous, le calice eucharistique et du lait de la Vierge. L'attouchement de ces reliques guérit un paralytique, et leur authenticité est par là mise en lumière. (Ibid., 113-198.) L'Empereur quitte enfin Jérusalem et se dirige vers Constantinople, après avoir fait voeu de chasser les païens de l'Espagne. (Ibid., 221-232.) Charles traverse toute l'Asie et arrive enfin à Constantinople, où il est gracieusement accueilli par l'empereur Hugon. (Ibid., 262-403.) Par malheur, les barons français ne se montrent pas assez reconnaissants de cette hospitalité, et se livrent, pendant toute une nuit, à des plaisanteries, à des gabs où l'empereur et l'empire d'Orient sont fort insolemment traités. Ces forfanteries sont rapportées à Hugon, qui s'irrite contre les Français et les met en demeure de réaliser leurs gabs. (Ibid., 446-685.) C'est alors que Dieu envoie un ange au secours de Charles, fort embarrassé; c'est alors aussi que les plaisanteries des douze Pairs reçoivent, malgré leur immoralité, un commencement d'exécution. Hugon se déclare satisfait et tombe aux bras de Charles. (Ibid., 686-802.) Bref, la paix est faite, et Charles peut enfin partir en Occident. Il rapporte en France les reliques de la Passion [7]. (Ibid., 803-859.)

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Cependant Olivier avait eu un fils de la fille de l'empereur Hugon. C'est ce fils, du nom de Galien, qui se met plus tard à la recherche de son père et le retrouve enfin sur le champ de bataille de Roncevaux, au moment où l'ami de Roland rend le dernier soupir[8].

2° Charlemagne en Bretagne

« Acquin, empereur des Sarrasins, » s'est rendu maître de la Petite-Bretagne. Il habite le palais de Guidalet ; mais Charlemagne, lassé de la paix, s'apprête à marcher contre les envahisseurs norois. (Acquin, poème de la fin du XIIe siècle, conservé dans un manuscrit du XVe, R. N. fr. 2233, f° 1, r°.) Charles arrive à Avranches et s'installe à Dol. « Commençons la guerre, » dit l'Archevêque. (Ibid., f° 1, v° — 3, r°.) La situation des chrétiens est difficile. Une ambassade est, sur le conseil de l'archevêque de Dol, envoyée à Acquin par Charlemagne. Les messagers de l'Empereur, insolents comme toujours, sont sur le point d'être tués par les Norois ; mais la femme du roi païen intercède en leur faveur. (Ibid., f° 37° — 7, v°.) Naimes est d'avis de commencer immédiatement la guerre et de mettre le siège devant Guidalet. Dans une première bataille, les chrétiens sont vainqueurs. (Ibid., f ,J 7, v° — 16, r°.) Leurs pertes sont d'ailleurs considérables, et le père de Roland, Tiori, meurt sur le lieu du combat.

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Malgré tout, les Français s'emparent de Dinart et investissent Guidalet. Le siège est long et rude. Même un jour, l'armée de Charles est surprise et vaincue. (Ibid., r° 17, 7° — 30, r°.) Naimes n'échappe à la mort que grâce à un miracle. (Ibid., f° 31-33.) Mais Guidalet tombe enfin au pouvoir des Bretons et des Français, et Gardainne est miraculeusement anéantie par un orage envoyé de Dieu. (Ibid., f° 33-50, v°.) Un duel de Naimes et d'Acquin parait terminer la Chanson [9] . Acquin meurt, et sa femme est baptisée. (Ibid., f° 50-55.)

3° Fierabras et Otinel

Charles est, une fois de plus, en guerre avec les païens ; même il vient de leur livrer une bataille longuement disputée. (Fierabras, poème du XIIIe siècle, éd. Krœber et Servois, v. 24-45. M. Grœber a publié dans la Romania une première branche de Fierabras qui a pour titre La Destruction de Rome, et où est racontée en effet la prise de la ville des Papes par l'émir Balant et les Sarrasins.) Un géant sarrasin, haut de quinze pieds, défie un jour tous les chevaliers de Charlemagne. Or c'est lui, c'est Fierabras qui a massacré les habitants de Rome et qui, maître du saint sépulcre et de Jérusalem, possède toutes les reliques de la Passion : le baume avec lequel Notre-Seigneur fut enseveli, l'enseigne de la croix, la couronne et les clous. (Ibid., v. 50-06.) Au défi du païen, c'est Olivier qui répond.

Le duel terrible va commencer : il s'engage. (Ibid., 93- 368.) Le géant a trois épées, et le baume divin, dont il emporte avec lui plusieurs barils, guérit en un instant toutes les blessures qu'il peut recevoir. Cependant Olivier ne recule point devant un tel adversaire, cherche à le convertir, s'empare des barils miraculeux, qu'il jette dans la mer, et porte au Sarrasin un coup vainqueur. Fierabras s'avoue vaincu et demande à grands cris le baptême. (Ibid., 369-449 et ss.) Pendant qu'Olivier emporte le géant blessé, il est cerné par les païens et tombe en leur pouvoir. (Ibid., 2631-1862.) Fierabras, baptisé, devient soudain un tout autre homme: il se fait l'allié des Français et s'apprête à combattre son propre père, l'émir Balant. (Ibid., 1803-1994.) Quant à Floripas, sa sœur, elle ne rêve que de se marier avec Gui de Bourgogne. (Ibid., 2255.) Mais les événements ne tournent pas à l'avantage des chrétiens, et Balant se rend maître de Gui, de Roland, de Naimes et des premiers barons français. (Ibid., 2256-2712.) Floripas entreprend de les délivrer, et y réussit. (Ibid., 2713-5861.) Balant lui-même est fait prisonnier, et, plutôt que de recevoir le baptême, va au-devant de la mort. C'est Floripas elle-même qui, fille dénaturée, se montre la plus impitoyable pour son père: Balant meurt. (Ibid., 5862-5991.)

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Floripas épouse enfin Gui de Bourgogne et apporte à Charlemagne les reliques de la Passion, qui sont l'objet, le véritable objet de toute cette lutte. Dieu atteste leur authenticité par de beaux miracles.

C'est trois ans plus tard que Ganelon trahit la France et vend Roland [10]. (Ibid., 5992-6219.)


Au commencement d'Otinel (xni c siècle), l'Empereur tient cour plénière à Paris. (Édition Guessard et Michelant, vers 23 et ss.) Survient un messager païen du roi Garsile : « Abandonne ta foi , dit-il à Charles, « et mon maître daignera te laisser l'Angleterre et la Normandie. » (Ibid., 137 et ss.) C'était ce Garsile qui avait pris Rome, et son mes- sager lui-même, Otinel, l'y avait singulièrement aidé. (Ibid., 91 et ss.) Roland s'irrite d'un message aussi insolent, et défie Otinel. (Ibid., 211-216.) Entre de tels champions, c'est un duel terrible. Le Ciel y intervient, et, au milieu du combat, Otinel s'écrie : « Je crois en Dieu. » On le baptise, et Charles va jusqu'à lui donner sa fille Bélissent en mariage (Ibid., 262-659); Otinel devient alors l'appui de la chrétienté et l'ennemi de Garsile. (Ibid., 660-1915.) Au milieu de cette guerre, Ogier est fait prisonnier, mais parvient à s'échapper. (Ibid., 1916-1945.) La grande et décisive bataille est à la fin livrée : Otinel tue Garsile, et l'on célèbre joyeusement ses noces avec Bélissent [11] . (Ibid., 1948-2132.)

V. L'Espagne

Charles se repose de tant de guerres, et, au milieu de sa gloire, oublie le vœu qu'il a fait jadis d'aller délivrer l'Espagne et le « chemin des Pèlerins ». Saint Jacques lui apparaît et lui annonce que le temps est venu d'accomplir son vœu. (L'Entrée en Espagne, poème du commencement du XIVe siècle renfermant des morceaux du XIIIe. Mss. fr. de Venise, xxi, f° 1, 2.)

L'Empereur n'hésite pas à obéir à celte voix du ciel ; mais il n'en est pas de même de ses barons, qui prennent trop de plaisir à la paix et s'y endorment : Roland les réveille. (Ibid., f° 2-7.)

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Marsile est saisi d'épouvante en apprenant l'arrivée des Français. Par bonheur, il a pour neveu le géant Ferragus, qui va défier les douze Pairs, lutte avec onze d'entre eux et, onze fois vainqueur, les fait tous prisonniers. (Ibid., 7-31.) Mais il reste Roland, et celui-ci, après un combat de plusieurs jours, finit par trancher la tète du géant, qu'il eût voulu épargner et convertir. (Ibid., 31-79.) L'action se transporte alors sous les murs de Pampelune, et elle y demeurera longtemps.

Une première bataille se livre sur ce théâtre de tant de combats : Isoré, fils de Malceris, roi de Pampelune, s'illustre par d'admirables mais inutiles exploits. Il est fait prisonnier, et, sans l'intervention de Roland, Charles eût ordonné sa mort. (Ibid., 79-121.) La guerre continue, terrible. Une des plus grandes batailles d'Espagne va commencer : Roland est relégué à l'arrière-garde, et s'en indigne. (Ibid., 212-162.) Voici la mêlée: on y admire à la fois le courage de l'Empereur et celui de Ganelon. (Ibid., 162.) Quant à Roland, il commet la faute très grave de déserter le champ de bataille avec tout son corps d'armée. Il est « vrai qu'il s'empare de la ville de Nobles; mais il n'en a pas moins compromis la victoire des Français. L'Empereur le lui reproche cruellement, et va jusqu'à le frapper. Roland s'éloigne, et quand Charlemagne, apaisé, envoie a sa recherche, il n'est plus possible de le trouver. (Ibid., 162-220.) Roland s'embarque, et arrive en Orient; il se met au service du « roi de Persie », délivre la belle Diones, organise l'Orient à la française et fait le pèlerinage des saints lieux. (Ibid., 220-275.) Mais il se hâte de revenir en Espagne, et tombe, tout en larmes, aux pieds de l'Empereur. (Ibid., 275-303.)

La réconciliation est faite, mais la grande guerre est loin d'être finie : Pampelune, en effet, est toujours défendue par Malceris et Isoré, son fils. Leur cou- rage ne parvient pas à sauver la ville, et Charlemagne y entre. (Prise de Pampelune, premier quart du xrv e siècle, éd. Mussafia, vers 1-170.) Par malheur, les chrétiens ne restent pas unis dans leur victoire, et une épouvantable lutte «date entre les Allemands et les Lombards. C'est Roland qui a la gloire de les séparer, et de faire la paix. ( Ibid., 170-425.) Il reste à régler le sort du roi Malceris, et Charles, si cruel tout à l'heure contre les Sarrasins, devient tout à coup d'une générosité ridicule. Il veut faire de Malceris un >\os douze Pairs ; mais aucun d'eux ne veut c('<\i'v sa place au nouveau venu : tous préfèrent la mort. (Ibid., 465-561.) Malceris, furieux de ce refus, parvient à s'échapper de Pampelune; (Ibid., 561-759.) mais le fils du fugitif, Isoré, est demeuré fidèle à Charles et aux chrétiens. Il en vient, pour ses nouveaux amis, jusqu'à méconnaître la voix du sang et à lutter contre son père, qui, par aventure, échappe une seconde fois aux mains des Français. (Ibid., 760-1199.) Charles cependant ne perd pas l'espoir de conquérir l'Espagne, et c'est ici que commence une nouvelle série de batailles sanglantes, où il joue véritablement le premier rôle.

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A la tête de ses ennemis est encore Malceris, type du païen farouche et intraitable; près de Malceris est Altumajor. Ce ne sont pas de petits adversaires. Dans la mêlée, le roi de France se voit tout à coup cerné par les troupes païennes, et serait mort sans l'aide providentielle de Didier et de ses Lombards. (Ibid., 1199-1953.) Enfin, les païens sont vaincus. Altumajor, forcé de devenir chrétien , remet à l'Empereur Logrono et Estella. (Ibid., 1830-2474.) Devant les Français victorieux, il ne reste plus guère que Marsile et ce sera désormais le grand adversaire de Charles et de Roland. On agit d'abord avec lui par la diplomatie, et, sur la pro- position de Ganelon, on lui envoie deux ambassadeurs, Basin de Langres et son compagnon Basile. Ils sont pendus sur l'ordre de Marsile, et cette violation du droit des gens sera plus tard rappelée avec horreur dans la Chanson de Roland. (Ibid., 2597-2704.) Un tel crime ne déconcerte d'ailleurs ni Ganelon ni Charlemagne, et l'on décide d'envoyer une seconde ambassade à Marsile. Guron est choisi : il est surpris par les païens , et n'a que le temps , après une résistance sublime, de venir expirer aux pieds de Charles, qui le vengera. (Ibid., 3140-5850.) La rage s'allume au cœur de l'Empereur, et la guerre recommence. Les Français, après une éclatante victoire sur Malceris, entrent tour à tour dans Tudela, Corclres, Charion, Saint- Fagon, Masele et Lion. (Ibid., 3851-5773.) Le poème se termine en nous montrant l'armée chrétienne maîtresse d'Astorga. Charles possède l'Espagne, toute l'Espagne..., à l'exception de Saragosse.

Suivant une légende, ou plutôt suivant une imagination différente de tous nos autres récits, Charles ne serait pas resté sept années, mais vingt-sept ans en Espagne. Cette version n'est consacrée que par le poème de Gui de Bourgogne (seconde moitié du xn e siècle.) L'au- teur suppose que l'Empereur et ses barons ont vieilli de l'autre côté des Pyrénées, et tellement vieilli, que leurs fils, laissés par eux au berceau, sont devenus, en France, de beaux jeunes hommes pleins d'ardeur. Or ce sont ces jeunes gens qui s'avisent un jour d'aller rejoindre leurs pères en Espagne, comme la jeune garde venant à l'aide de la vieille. Es avaient voulu tout d'abord se donner un roi , et Gui, fils de Samson de Bourgogne, avait été élu d'une voix unanime. C'est Gui qui a eu l'idée de l'expédition d'Espagne, et qui exécute de main de maître un projet si hardi. (Gui de Bourgogne, vers 1-391.) Gui s'empare successivement de Carsaude (Ibid., 392-709), de Montorgueil et de Montesclair (Ibid., 1021-3091), de la Tour d'Augorie (Ibid., 3484-3413) et de Maudrane. (Ibid., 3414-3717.) Le seul adversaire redoutable que rencontre le vainqueur, c'est Huidelon ; mais il se convertit assez rapidement et devient le meilleur allié des Français. Il ne reste plus maintenant à la jeune armée qu'à rejoindre celle des vieillards, celle de Charles. C'est ce que Gui parvient à faire, après avoir donné les preuves d'une sagesse au-dessus de son âge.

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Un jour enfin, les jeunes chevaliers peuvent tomber aux bras de leurs pères (Ibid., 3925-4024), et c'est une joie inexprimable. Puis, les deux armées combinées s'emparent de Luiserne, que Dieu engloutit miraculeusement. (Ibid., 4137-4299.) Le signal du départ est alors donné à tous les Français. Et où vont -ils ainsi? A Roncevaux. (Ibid., 1300-4381.)


Ici commence la Chanson de Roland, dont la scène, à vrai dire, devrait se placer immédiatement après la Prise de Pampelune. Mais nous n'avons pas besoin de résumer ici le poème dont nous venons de publier le texte et la traduction. Le rôle de Charlemagne n'y est pas, comme on le sait, effacé par celui de Roland, et l'Empereur garde réellement le premier rang. C'est lui qui, dans la première partie de la Chanson, réunit son conseil pour délibérer avec lui de la paix proposée par Marsile; c'est lui qui fait le choix de Ganelon comme ambassadeur; c'est lui qui, sur l'avis de ce traître, confie l'arrière-garde à Roland. Puis, dans la seconde partie de la Chanson, il cède, ou paraît céder toute la place à son neveu , afin de nous faire assister uniquement aux derniers exploits, à l'agonie et à la mort de Roland. Mais encore voyons-nous Charles prendre de loin sa part à ce martyre et accourir, terrible, pour le venger. Il est d'ailleurs, et il est tout seul le héros de la troisième partie. Il s'y fait le vengeur de Roland sur les Sarrasins d'abord, et ensuite sur Ganelon. A la défaite de Marsile et de Baligant succède le châtiment du traître, et le grand Empereur, promenant autour de lui ses regards apaisés par tant de représailles, s'apprête enfin à se reposer, quand tout à coup la voix d'un ange se fait en- tendre et lui ordonne de recommencer une nouvelle guerre contre les païens [NDLR 1].

Note sur ce paragraphe

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Le document dont il faut tout d'abord rapprocher le Roland, c'est la Chronique de Turpin ». M. G. Paris a établi (comme nous avons déjà eu lieu de le dire plusieurs fois) que les chapitres I - V sont l'œuvre d'un moine de Compostelle, écrivant vers le milieu du xr siècle, et que les chapitres VI et suivants, dus sans doute à un moine de Saint-André de Vienne, n'ont été écrits qu'entre les années 1109-1119.

D'après le Faux Turpin, Charlemagne aperçoit un jour dans le ciel une « voie d'étoiles » qui s'étend de la mer de Frise jusqu'au tombeau de saint Jacques en Galice. L'Apôtre lui-même se l'ail voir à l'Empereur, et le somme de délivrer son pèlerinage, dont la roule est profanée par les Infidèles. Charles obéit; il part. (Cap. II.) Devant les Français victorieux tombent miraculeusement les murs de Pampelune ; puis l'Empereur fait sa visite au tombeau de l'Apôtre, et va jusqu'à Padron. (Cap. III.) Plein de foi, il détruit toutes les idoles de l'Espagne, et particulièrement, à Cadix, cette image de Mahomet que l'on appelle « Islam ». (Cap. iv.) L'Empereur, triomphant, élève une église magnifique en l'honneur de saint Jacques, et construit d'autres basiliques à Toulouse, Aix et Paris... (Cap. v.) Ici s'arrête le récit primitif, qui forme un tout bien complet et caractéristique. Le continuateur du XIIe siècle prend alors la parole, et, soudant tant bien que mal sa narration à la précédente, raconte tout au long (cap. vi-xiv) la grande guerre de Charles contre Agolant.

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L'Agolant de la Chronique de Turpin n'a rien de commun avec celui d'Aspremont dont nous avons parlé plus haut. Ce roi païen (qui règne en Espagne et non pas en Italie) envahit la France, et massacre un jour jusqu'à quarante mille chrétiens. Une première fois vaincu par les Français, il se réfugie dans Agen ; mais il est encore battu à Taillebourg, puis à Saintes. C'est alors qu'il repasse les Pyrénées, et qu'il est définitivement tué et vaincu sous les murs de Pampelune. Le récit d'une nouvelle guerre commence, en effet, au chapitre XIV de la Chronique : Belluni Pampilonense... Donc, il arrive qu'Altumajor surprend un jour une troupe de chrétiens trop avides de butin. (Cap. xv.) Une croix rouge apparaît sur l'épaule des soldats de Charles qui doivent mourir dans la guerre contre le roi Fouré : c'est l'Empereur qui a forl indiscrètement demandé ce prodige à Dieu. Ces prédestinés meurent, mais Fouré est vaincu. (Cap. xvi.) Nouvelle guerre d'Espagne. Celle fois, c'est la plus célèbre, c'est celle de nos Chansons : Roland lutte à Nadres contre le géant Ferragus et en triomphe. (Cap. xvn.) Altumajor et Hébraïm, roi de Séville, continuent la lutte. Cachés sous des masques hideux, les païens attaquent les Français avec des cris épouvantables. Les Français reculent une première fois, mais le lendemain sont vainqueurs, et Charles, maître de l'Espagne, la partage entre ses peuples, (Cap. xviii. ) Il érige alors Composlelle en métropole, et l'ail massacrer en Galice tous les païens qui refusent le baptême. (Cap. xix.) Ces! alors, mais alors seulement, qu'on voit entrer en scène Marsile et Baligant, tous deux rois de Saragosse, et envoyés tous deux par l'émir de Babylone. Ils feignent de se soumettre e1 envoient à Charles trente sommiers chargés d'or e1 quarante de vin, avec mille captives sarrasines. Ganelon, par pure avarice et sans nul esprit de VENGEANCE, trahit son pays et s'engage à livrer aux païens les meilleurs chevaliers de l'armée chrétienne. Les Français , d'ailleurs , semblent attirer la colère du Ciel en se livrant à de honteuses débauches. Ganelon les trompe, les endort, et voici que l'arrière-garde de Charles est soudain attaquée par les Sarrasins que Marsile e1 Baligant conduisent à ce carnage. Sauf Roland, Turpin, Baudouin e1 Thierry, tous les Français meurent. (Cap. xxi.) Avant de mourir, Roland a la joie de tuer le roi Marsile ; mais il expire lui-même, après avoir en vain essayé de briser sa Durendal (cap. xxn) el s'être rompu les veines du cou en sonnanl de son cor d'ivoire. Charles l'entend du Val-Charlon, pendant que Thierry assiste à l'agonie et à la mort de Roland. (Cap. xxin el xxrv.) Or c'était le 17 mai, el Turpin chanlait la messe, lorsqu'il vit soudain passer dans les airs les démons qui menaient en enfer l'âme de Marsile, el les anges qui conduisaient au paradis l'âme de Roland. Presque en même temps, Baudouin apporte à l'Empereur la nouvelle de la mort de son neveu. Désespoir de Charles, pleurs de tous les Français. (Cap. xxv.) Les chrétiens vont, sans plus de retard , relever leurs morts sur le champ de bataille de Roncevaux, dans le Val-Sizer. Comme en noire Chanson, Dieu arrête le soleil pour permettre à Charles de se venger des Sarrasins, el le traître Ganelon, après un combat entre Pinabel e1 Thierry, est jugé, condamné, exécuté. (Cap. xxvi.)

Tous les documents littéraires du moyen âge où esl racontée la morl de Roland se divisenl ici en deux grands groupes, selon qu'ils suivenl notre Chanson ou le baux Turpin. La Chronique latine se retrouve, plus ou moins arrangée, dans la Chronique du manuscrit de Tourna} (commencement du xnr siccli ; dans la Chronique saintongeaise (commencement du xnr siècle) ; dans Philippe Mouskel (xnr siècle;

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mais avec certains autres éléments empruntés à notre vieux poème et à ses Remaniements ), dans les Chroniques de Saint-Denis ; dans le Roland anglais du xm e siècle; dans le Charlemagne de Girard d'Amiens (xiv e siècle); dans la compilation allemande qui est connue sous le nom de Karl Meinet (xiv e siècle; mais seulement en ce qui concerne les commencements de l'expédition d'Espagne); dans le Charlemagne et Anseïs, en prose (Eibl. de l'Arsenal, anc. B. L. F. 214, xv e siècle); dans la Conqueste du grant Charlemagne des Espagnes, qui est un remaniement du Fierabras (xv e siècle) ; dans les Guerin de Montglave incunables; dans la Chronique du ms. 5003 (l'original est peut-être du xiv e siècle, et le ms. est du xvi e ); dans la première partie des Conquestes de Charlemagne, de David Aubert (1458), etc.

Tout au contraire, notre vieux poème est la base du Ruolandes Liet , œuvre allemande du curé Conrad (vers 1150); du Stricker, qui, dans son Karl (1230), n'a guère fait que remanier le Ruolandes Liet; du plus ancien texte de Venise et des Remaniements français du xm e siècle, qui, sauf leur dénouement (où il faut voir une œuvre d'imagi- nation), ont calqué le texte d'Oxford; de la Karlamagnus Saga (xm e siècle) et de la Keiser Karl Magnus's kronike (xv e siècle) ; de quatre fragments néerlandais publiés par M. Bormans (xm e -xiv e siècles); du Karl Meinet (xiv e siècle, en ce qui concerne la bataille de Roncevaux), et, un peu aussi, de la Chro- nique de Weihenstephan (xiv e -xv e siècles).

En dehors de ces deux grands groupes, nous ne trouvons, çà et là, que quelques traits originaux. La Kai- serscronik (xn G siècle) nous fournit un récil de la guerre d'Espagne qui ne ressemble en rien à tous les autres : « Tous les chrétiens ayant été massacrés par les Sarrasins, Charles rassemble 53,060 jeunes filles dans le Val-Charlon, près des défilés de Sizer. Les païens tremblent et se soumettent. » (G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne , 271.)

En Italie, toute la légende de la Spagna a pour caractère d'être empruntée à ces trois sources : Y Entrée en Espagne, de Nicolas de Padoue, avec une Prise de Pampelune, du même auteur (qui n'es! pas arrivée jusqu'à nous), et, d'autre part (sans tenir compte de quelques traits de la Chronique de Turpin), une Chanson de Roland sem- blable à celle du ms. fr. IV de Venise, et où l'on trouvait un récit poétique de la « Prise de Narbonne ». Cinq documents principaux nous offrent ce carac- tère : deux Spagna en vers (la Spagna proprement dite, composée entre les années 1350 et 1380, et la Rotla di Roscivalle, qui en est le remaniement, xv s.), et trois Spagna en prose, postérieures à la Spagna « in rima », et qui ont entre elles de très intimes ressemblances (celle du ms. de la Bibliothèque Albani, découverte en 1830 par M. Ranke ; celle de la Bibliothèque Médicis, découverte par M. Rajna, et celle enfin de la Bibliothèque de Pavie, le Viaggio in Espagna, que M. Ceruti a publiée en 1871. Le manuscrit Albani est du commencement du XIV e siècle; les deux autres sont du xv e siècle. Tous ont les mêmes éléments el. présentent le même caractère). = En Espagne, la Cronica gênerai d'Alfonse X (seconde moitié du xm e siècle), précédée par la Chronica Hispaniss de Rodrigue de Tolède (f 1247), présente sous un aspect tout diffé rent la guerre de Roncevaux : « Alfonse le Chaste régnait depuis trente ans. Menacé par les Sarrasins , il appelle Charlemagne à son aide ; mais les Espa- gnols, ses sujets, se révoltent à la seule pensée qu'ils vont être secourus par des Français, et Alfonse est forcé de faire savoir à Charles... qu'il se passera de lui. Le roi de France, indigné, déclare tout aussitôl la guerre aux Espa- gnols. Plutôt que de céder aux Français abhorrés, ceux-ci sollicitent l'alliance de Marsile e1 des païens, e1 c'esl Bernard de! Carpio qui conclul cette alliance. Accablés par deux armées, ou plnlôl par deux races, les Français sont vaincus, et Roland meurt. Il esl vrai que Charles se vengea plus lard sur Marsile. Mais Bernard de! Carpio lui plus heureux. Réconcilié avec le grand empereur, il fut fait par lui roi d'Italie. (Chronica Hispaniœ, IV, cap. x el xi; Cronica (/enc- rai, édit. de 1604, l" 30-32. Cf. la Chronique antérieure de Lucas de Tuy, etc.) = « L'Office de Charlemagne â Girone » (vers 1350) mais fournil une tout autre version... Au momenl de franchir les Pyrénées, Charles a une belle vision : Noire-Dame, saint Jacques e1 sainl André lui promettent la victoire, mais à la condilion qu'il bâtira dans G-irone une belle église à la Vierge. Le grand empe- reur s.' met en devoir d'obéir. Il bal les païens à Sent-Madir, et mel le siège devant Girone. Lue croix rouge reste duranl quatre heures au-dessus de la mosquée; il pleul du sang; les miracles abondent. — Les Romances espagnoles sont les unes françaises, les autres epagnol< - d'inspiration. Dans la Romance : C'était, le Dimanche des Rameaux, on voil fuir le roi Marcim devant Roland, avec (\c< pleurs el des imprécations lamentables. Dans la romance Dona Aida, on assisie à un songe de la belle Amie, el cel épisode est à peu près semblable à la donnée de nos rifacimenti. (Cf. De Puymaigre, les Vieux Auteurs castil- lans, Il , 325. | Dans une autre romance, Roland meurt de douleur sur le champ île bataille, à la seule vue de la tristesse el de l'isolement de Charlemagne. i Études religieuses des Pères jésuites, VIII, il.) D'autres enfin célèbrent à l'envi leur Bernard de! Carpio, au préjudice de notre Roland. (Primavera, 1 , 26-47.) Cf., sur l'histoire de la légende rolandienne en Espagne, l'admirable livre de Mila y Fontanals, De la Poesia heroïco popular castellana. Barcelone, 1874, in-8°.

El tel est le résumé de toutes les œuvres poétiques que le moyen âge a consacré à la guerre d'Espagne et à la mort de notre héros.

VI. Après l'Espagne. Dernières années et mort de Charlemagne

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Deux poèmes, qui sont œuvre purement littéraire et personnelle, Gaydon et Anséis de Cartilage, achèvent de nous retracer l'histoire de la grande expédition d'Espagne. Dans la première de ces deux chansons, Gaydon (qui n'est autre que le Thierry de la plus ancienne de nos épopées) se fait en France le continuateur de Roland, et lutte contre la famille de Ganelon. C'est en vain que Charles se laisse entraîner dans un complot contre lui; il triomphe de l'Empereur lui-même, et se fait nommer grand sénéchal de France. (Gaydon, poème du commencement du xm c siècle, éd. S. Luce.)

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Quant à Anseïs, c'est un poème encore plus moderne : on y crée un autre continuateur de Roland, mais en Espagne. On lui fait même décerner par Charles le titre de roi d'Espagne, et il passe sa vie à lutter contre les païens, dont il ne peut être décidément vainqueur sans le secours du grand Empereur. (Anseïs de Carthage, xm e siècle, B. N., fr. 793.)

Mais désormais l'Espagne n'occupera plus Charlemagne, et c'est vers un autre côté de son empire qu'il jette ses regards. Guiteclin (Witikind) vient d'entrer vainqueur dans Cologne; les Saisnes menacent l'empire chrétien.

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L'Empereur apprend ces tristes nouvelles, et en pleure. (Chanson des Saisnes, de Jean Bodel, dernières années du XIIe siècle, couplets v-xir.) Donc, la guerre commence ; mais tout semble conspirer contre Charles: la discorde éclate parmi ses peuples. Les Hérupois, c'est-à-dire les Normands, les Angevins, les Manceaux, les Bretons et les Tourangeaux, jouissent de certains privilèges que les autres sujets de l'Empereur leur envient. De là une sorte de révolte qu'il ne sera pas facile d'apaiser. Charles voudrait contenter tout le monde, et enlever néanmoins leurs privi- lèges aux Hérupois; mais ceux-ci montrent les dents, et arrivent menaçants jusque dans Aix. Ils parlent haut, et l'Empereur pousse la bassesse jusqu'à marcher pieds nus à leur rencontre. Tout s'arrange. (Couplets xm-xLvii.) C'est en ce moment seulement que Charles peut entrer en campagne contre les Saisnes. Et c'est ici qu'apparaît un frère de Roland, Baudouin, qui se prend soudain d'un amour ardent pour la femme de Guiteclin, Sibille, et qui pour elle s'expose mille fois à la mort. La guerre se prolonge pendant plus de deux ans. Les Hérupois daignent enfin consentir à venir au secours de Charlemagne, et remportent tout d'abord une éclatante victoire sur les Saisnes. (Couplets xc-cxix.) Cependant l'amour adultère de Baudouin pour Sibille ne fait que s'enflammer au milieu de tant de batailles sanglantes.

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C'est pour Sibille qu'il livre un combat terrible au païen Justamont. Charles, lui, ne se préoccupe que de la grande guerre contre ses ennemis mortels. Un cerf lui indique miraculeusement un gué sur le Rhin, et l'Empereur fait construire un pont par les Thiois. Derrière ce pont sont deux cent mille Saxons, avec le roi Guiteclin. (Couplets cxx-clvii.) Une nouvelle bataille éclate, et jamais il n'y en eut d'aussi terrible; mais enfin les Français sont vainqueurs, et Guiteclin meurt. (Couplets clviii-clxvii.) Sibille se console trop aisément de cette mort, et s'empresse trop rapidement d'épouser son ami Baudouin, dont Charlemagne fait un roi des Saxons, et qui s'installe à Trémoigne. (Couplets cxcviii-ccx.) Ce règne ne doit pas être de longue durée: toujours les Saisnes se révoltent, tou- jours ils menacent Baudouin. C'est en vain que Charles arrive au secours du jeune roi: Baudouin, après des prodiges de bravoure, se trouve seul au milieu de l'armée païenne, et meurt. Charles le pleure, Charles le venge: les Saxons sont une dernière fois vain- cus et soumis. Ils ne se révolteront plus, (ccxi-ccxcvii [12].)

Dans Macaire, Charlemagne n'a qu'un rôle fort effacé. Il s'agit cependant de sa femme, de cette Blanchefleur qui est la fille de l'empereur de Constantinople. Un traître, Macaire, accuse la reine d'adultère, et elle va mourir, quand, à la prière de l'abbé de Saint-Denis, on se contente de l'exiler. Un bon chevalier, Aubri, est chargé de l'accompagner, mais il est tué par le traître Macaire, qui du moins ne peut tuer Blanchefleur. Le chien d'Aubri venge son maître. Ce- pendant un pauvre bûcheron, Varocher, recueille la pauvre reine, qui s'est enfuie jusqu'en Hongrie. L'empereur de Constantinople réunit une grande armée, et envahit la France pour venger sa fille dont, après cent combats, l'innocence est enfin reconnue.

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Le fils de Charles, Louis, était né durant cet exil: il deviendra le successeur du grand Empereur. (Macaire, poème de la fin du XIIe siècle. V. l'éd. Guessard, dans le Recueil des Anciens poêtes de la France [13] .)

Dans Huon de Bordeaux, Charlemagne ne paraît guère que comme un accessoire, et, à coup sûr, comme un personnage secondaire. Au début de son œuvre, l'auteur nous représente l'Empereur sous les traits d'un vieillard tout près de la mort. Même il est tellement épuisé par l'âge, qu'il veut se faire élire un successeur. Par malheur, il n'a qu'un fils qu'il engendra à cent ans. C'est Chariot, c'est un étourdi de vingt- cinq ans. Le vieux roi veut du moins lui donner ses derniers con- seils, et les lui donne très religieux, très beaux. (Huon de Bor- deaux, poème composé entre les années 1180 et 1200, éd. du Recueil des Anciens poètes de la France, vers 29-199.) Là-dessus arrive un traître, Amauri, qui soulève la colère du vieil Empereur contre Huon et Gérard, fils du duc Seguin de Bordeaux, Dans ce conseil perce la haine personnelle d'Amauri, que Seguin a jadis plus ou moins justement appauvri et dépouillé. Mais Naimes est là, et il détend les Bordelais. On envoie un message à Huon et à Gérard ; on leur mande de venir à la cour de Charlemagne. (Ibid., 200-392.) Bs se mettent en route, mais sont forcés de franchir mille obstacles accumulés par les traîtres; Huon doit en venir aux mains avec le propre fils du roi, avec Chariot, et il le tue. (lbid., 393-890.) Grande colère de Charles contre le meurtrier de son fils : Huon est condamné à un combat singulier avec le traître Amauri. Il tranche la tète du misérable, et le jugement de Dieu se prononce 1 en sa faveur. (Ibid., 891-2129.) Malgré cette intervention céleste, Charles ne veut point pardonner au vainqueur, et il faut que les Pairs menacent de le quitter, pour qu'il se décide enfin à accorder à Huon une paix dont il se réserve de dicter les conditions. Il est ordonné au jeune Bordelais d'aller à Babylone porter un message à l'ami- ral Gaudisse. Huon part sur-le-champ, et court à ses aventures. (Ibid., 2130-2386.) Nous n'avons pas à les raconter ici, ni à faire suivre à notre lecteur les péripéties de l'amitié d'Huoif avec le nain Oberon. (Ibid., 2387-8047.) II lui suffit de savoir qu'un jour Huon revient en France, et qu'il y trouve son propre héritage occupé par son frère Gérard. (Ibid., 8648-9110.) Charlemagne est encore vivant, et la cause des deux frères ei mis est portée devant sa cour : Huon est très injustement condamné à mort, et va périr, lorsque Oberon arrive à son secours et le sauve. (Ibid., 9111-10369.)


Le début du Couronnement Looys esl véritablement épique... Charles sent qu'il va mourir, et veut mourir en assuranl la vie de son empire.

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Dans sa chapelle d'Aix, il réunit un jour ses évèques et ses comtes. Sur l'autel il dépose sa couronne d'or, et annonce à ses peuples qu'il va laisser la royauté à son fds. (Conformément Looys, poème de la seconde moitié du xn c siècle, éd. Jonckbloet, vers 1-61.) Alors le grand Empereur élève la voix et donne, pour la dernière fois, ses suprêmes conseils au jeune Louis, qui, faible et timide, tremble devant la majesté terrible de son père. (Ibid., 62-77.) Même il n'ose prendre la couronne, et Charles alors le couvre d'injures, le déshérite, et parle d'en faire « un marguillier ou un moine ». (Ibid., 78-96.) L'inévitable traître est là: c'est Hernaut d'Orléans, qui veut enlever le trône à Louis ; mais, par bonheur, il y a là aussi un héros qui met un courage et une force héroïques au service de sa fidélité et de son honneur. Guillaume prend la défense du pauvre jeune roi : il lui met la couronne en tête (Ibid., 97-112), et se constitue son tuteur tout- puissant, son défenseur infatigable. Charles peut désormais mourir tranquille. Et, en effet, il meurt quelque temps après, sachant que Louis pourra régner, parce qu'il y a Guillaume auprès de lui. (Ibid., 113-236 [14].)

Et telle est toute l'histoire poétique de Charlemagne , d'après les seules Chansons de geste du cycle carlovingien [15] .

Tableau des sources

D'après les textes qui précèdent et ceux que nous énumérons dans nos Notes, on peut dresser le Tableau par ancienneté des sources de l'histoire poétique de Charlemagne.

I. Le plus ancien groupe

Le plus ancien groupe est représenté par la Chanson de Roland, qui repose non seulement sur des légendes remontant au IXe et même au VIIIe siècle, mais encore sur des textes historiques d'une importance considérable.

(Éginhard, Vita Karoli, IX.
Annales d'Angilbert, faussement attribuées à Éginhard, ann. 778), et reproduites par le Poète saxon.
— L'Astronome, Vita Hhidovici, dans Pertz, Monumenta Germanise historica. Scriptores, II, 608.)

II. En même temps

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En même temps que la légende de Roncevaux, mais d'une façon tout à fait indépendante et dans un autre cycle, se formait la légende d'Ogier, qui est également appuyée sur des textes historiques. (Lettre du pape saint Paul à Pépin en 760, Historiens de France, V, 122; Chronique de Moissac, de 752 à 814, Historiens de France, V, 69, 70; un Extrait du Moine de Saint-Gall, II, 26; plusieurs passages d'Anastase le Bibliothécaire, ann. 753, 772, 774; Annales Lobienses, Pertz, 11,195; Chronicon Sancti Martini Coloniensis, ann. 778, Pertz, II, 214; Chronique de Sigebert de Gembloux au xi e siècle, Hist. de France, V. 376; la Conversio Othgerii militis, œuvre du Xe ou du XIe siècle; le tombeau d'Ogier à Saint-Faron, Acta SS. Ord. S. Benedicti, ssec. iv, pars I, pp. 664-665.) A ce groupe se rapportent la Chevalerie Ogier de Danemarche, de Raimbert; les Enfances Ogier, d'Adenei : la troisième branche de la Karlamagnus Saga et la quatrième de Charlemagne de Venise.

III. Vers la fin du Xe siècle,

Vers la fin du Xe siècle, une falsification du texte d'Eginhard donne lieu à la légende du Voyage à Jérusalem. (Benedicti Chronicon, Pertz, III, 710, 711.) De là la première partie de notre Voyage à Jérusalem et à Constantinople; de là deux récits de la Karlamagnus Saga.

IV. Au milieu du XIe siècle

Au milieu du XIe siècle, un moine de Compostelle écrit les cinq premiers chapitres de la prétendue « Chronique de Turpin », renfermant l'histoire de toute une croisade de Charles en Espagne. Ce récit n'a aucune influence sur le développement de notre poésie romane.

V. Antérieurement à la rédaction de la Chanson de Roland

Antérieurement à la rédaction de la Chanson de Roland que nous venons de publier et de traduire, circulaient déjà des légendes nombreuses, et très probablement certains poèmes qui avaient pour objet plusieurs autres épisodes de la vie de Charles ou de Roland. Le texte d'Oxford fait des allusions très claires à la prise de Nobles, telle qu'elle nous est racontée dans la première branche de la Karlamagnus Saga; à l'ambassade de Basin et de Basile, qui, bien plus tard, sera racontée à nouveau par l'auteur de la Prise de Pampelune; à la famille d'Olivier telle qu'elle nous est présentée dans Girars de Viane. Ce n'étaient certes pas ces poèmes eux-mêmes, tels que nous les possédons, qui existaient avant notre Chanson de Roland ; mais c'étaient des Chansons analogues, assonancées et en décasyllabes, etc.

VI. Pour les traditions et légendes qui précèdent

Pour les traditions et légendes qui précèdent, nous avons une certitude. Nous n'avons qu'une probabilité pour les suivantes, auxquelles il n'est fait aucune allusion dans la Chanson de Roland. Les faits qui sonl délayés dans les versions du Renaus de Montauban parvenues jusqu'à nous; ceux qui nous sont offerts, relativement à la guenv d'Espagne, dans la Kaiserchronik du xir siècle, dans les branches I et V de la Rarlamagnus Saga, dans le second tiers de l'Entrée en Espagne, dans la Prise de Pampelune et dans la dernière partie de notre Girars de Viane, devaient circuler parmi nous, depuis un temps plus ou moins long, avant le commencement du XIIe siècle.

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VII. Notre Chanson de Roland a été remaniée

Notre Chanson de Roland a été remaniée, rajeunie plusieurs fois. On y ajouta certains épisodes. Les uns (comme la prise de Narbonne) ont un fondement dans la tradition ; les autres (comme les deux fuites de Ganelon, son combat avec Othe, l'entrevue d'Aude et de Gilain, etc.) semblent une œuvre de pure imagination .

VIII. Entre les années 1109 et 1119

Entre les années 1109 et 1119 sont rédigés les chapitres vi et suiv. de la Chronique de Turpin , d'après des sources romanes que l'on corrompt, que l'on dénature, que l'on cléricalise. Cette œuvre apocryphe a exercé une influence considérable. Nous pensons qu'en prenant soin d'en défalquer tous les éléments cléricaux, on y trouverait la copie altérée d'un Roland antérieur au nôtre, ou, pour mieux parler, la constatation d'un état plus ancien de la légende rolandienne. Cf. Guido Laurentius. (Zur kritik der Chanson de Roland. )

IX. Sur des traditions vagues au XIIe siècle

Sur des traditions vagues ont été écrits, au XIIe siècle et postérieurement, tout une série de poèmes qui sont moitié légendaires, moitié fictifs. Sur la donnée de la prise de Rome par les Sarrasins reposent : l'ancien poème de Râla ni que M. G. Paris a reconstitué, notre Fierabras et même notre Aspremont, auquel se mêlent quelques autres traditions.

X. Avec quelques Contes universels

Avec quelques Contes universels, et qui se retrouvent en effet dans tous les pays (le Traître, l’Épouse innocente et réhabilitée, etc.), on a composé la légende de l'Enfance de Charles, et cela depuis la fin du XIIe siècle ou le commencement du XIIIe. Cette légende se retrouve dans les Enfances Charlemagne de Venise (fin du XIIe siècle) ; dans le Mainet en vers français, dont on a tout récemment découvert quelques fragments (XIIe siècle); dans la Chronique saintongeaise (commencement du XIIIe siècle); dans Berte au gran pié (vers 1275); dans le Stricker de 1230 ; dans la Chronique du Weihenstephan (original du XIVe siècle, manuscrit du XVe); dans la Chronica Bremensis de Wolter (xv° siècle); dans le Gharlemagne de Girard d'Amiens (commence- ment du xiv e siècle); dans la Karlamagnus Saga (second tiers du xm e siècle); dans le Karl Meinet (commencement du xiv e siècle); dans les Reali (vers 1350), etc.

XI. En Espagne

Cependant, pour combattre les prétentions des légendaires français, on inventait en Espagne certaines légendes destinées à ruiner la gloire de Roland. Telle est la signification de la Chronica Hispaniœ, de Rodrigue de Tolède (-} 1247), de la Cronica general d'Alphonse X (seconde moitié du xm e siècle) et de quelques Romances que nous avons citées plus haut.

XII. Enfin

Enfin, il faut considérer les poèmes suivants comme des œuvres uniquement littéraires et de pure imagination : Jehan de Lanson, — Simon de Pouille, — Otinel, — la dernière partie de V Entrée en Espagne (Roland en Orient), — Gui de Bourgogne, — Gaydon, — Anseïs de Carthage, — Galien, — la fin du Voyage à Jérusalem et quelques parties de Girars de Viane. = C'est ainsi que s'étagent toutes nos chansons de geste, depuis celles qui sont

LE PLUS HISTORIQUES JUSQU'A CELLES QUI NE SONT MÊME PLUS LÉGENDAIRES et qui sont des « romans » dans l'acception la plus moderne de ce mot.

Notes de l'article

  1. La fable de Berte n'a rien de traditionnel. Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 298.jpg[298] On on trouve un résumé très rapide dans la Chronique Saintongeaise (commencement du XIIIe siècle). Le Charlemagne de Venise lui donne un certain développement, et nous avons là, sens le titre de Berta de li gran pié, un premier poème qui est antérieur de soixante ou quatre-vingts ans à l'œuvre d' Adenet , e1 en diffère quelque peu. M. Mussafia l'a publié dans la Romania (III, p. 339 el ss. el IV, p. 91 et ss.). Cf. Philippe Mouskel iv. 1240), la Gran Conquista de Ultramar (fin du XIIIe siècle), les Reali (vers 1350), el le Roman de Berte en prose (Merlin, mss. fr. 130, première moitié du w siècle), etc. Somme toute, on n'a pensé qu'assez lard à la mère de Charles, et la légende de son fils était presque achevée, quand on songea à composer la sienne avec de vieilles histoires, celles-là mêmes qu'on mil plus lard sur le compte de Geneviève de Brabant. Il semble que ce travail n'était pas encore commencé, quand fut écrite la Chanson de Roland.
  2. La légende des Enfances de Charles ne paraît pas antérieure au XIIe siècle, et il n'y est fait aucune allusion dans le Roland. Cf. le Mainet, chanson de geste du XIIe siècle, dont on a eu l'heureuse fortune de retrouver, en avril 1874, plusieurs fragments importants (ils renferment environ 700 vers et out été publiés dans la Romania, juillet-octobre 1875, IV, 305 cl ss.). Cf. aussi le Karleto de Venise [fin du XIIe ou commencement du XIIIe siècle), le Renaus de Montauban (XIIIe siècle), la Karlamagnus Saga, histoire islandaise de Charlemagne (XIIIe siècle!; le Karl Meinet (compilation allemande du XIVe siècle), le Cronica gênerai de España XIIIe siècle), les Reali (XIVe siècle), etc. etc. C'est presque partout le même récit que dans le poème de Girard d'Amien. Peu de variantes, et elles n'ont rien d'important.
  3. La Chevalerie Ogier repose sur des traditions de la fin du VIIIe siècle. Cf. les Enfances Ogier, qui sont un médiocre remaniement d'Adenet (deuxième moitié du XIIIe siècle); le Charlemagne de Venise (fin du XIIe , commencement du XIIIe siècle), où Ogier nous est représenté tout d'abord comme un écuyer inconnu; la troisième branche de la Kavlamagnus Saga (XIIIe siècle), etc.
  4. Aspremont est une œuvre de la décadence où il n'y a d'autre élément traditionnel que cette donnée générale, ce lieu commun si cher à nos trouvères, d'une expédition française en Italie pour la délivrance de la Papauté menacée. Cf. les Reali, dont l'affabulation est conforme à celle d'Aspreniont, et qui contiennent une Suite où l'on assiste aux fureurs et au châtiment de Girard de Fraite. C'esl tout ce qui nous reste aujourd'hui d'une vieille Chanson qui devait avoir pour titre : Girars de Fraite.
  5. Toute cette légende d'Ogier s'est formée en même temps que celle de Roland ; elle a commencé dès les VIIIe - IXe siècles, et était presque achevée quand fut écrite noire Chanson. Mais ce seul là, notons-le bien, deux cycles tout à fait distincts, et qui n'ont eu entre eux aucune communication notable. Les deux légendes se sont formées chacune de leur côté, et sont toujours demeurées indépendantes l'une de l'autre. Les origines de Renaus de Montauban semblent un peu moins anciennes, et dans Girars de Viane, la donnée générale du poèmr est, à peu près, le seul élément antique.
  6. Jehan de Lanson est une œuvre littéraire, et où la légende ne tient aucune place.
  7. Le Voyage à Jérusalem n'est, dans sa deuxième partie, qu'un misérable fabliau épique ; mais, si l'on considère uniquement son début et ses derniers vers, il a certaines racines dans la tradition. Cependant la légende n'apparaît pas avant le Benedicli Chronicon, œuvre d'un moine du mon! Soracte, nommé Benoit (mort vers 968), lequel se contenta de falsifier un passage d'Eginhard en substituant le mot Rex aux nuits Legali régis. (Voir Épopées françaises, 2e édition, III, p. 284, ci notre première édilion du Roland, II, 37.) Cf. une ide latine de 1060-1080, lIter Jerosolimitanum , qui devait être un jour insérée dans les Chroniques de Saint-Denis. On y voit le patriarche de Jérusalem, chassé de sa ville par les Sarrasins, réclamer l'aide de l'empereur d'Orient, et être en réalité secouru par Charlemagne, qui obtient de lui les saintes reliques de la Passion. Voir aussi la Karlamagnus Saga (XIIIe siècle), et, tout particulièrement, les trois sources suivantes : le ms. de l'Arsenal 3351 XVe siècle), le ms. IV. 1470 de la Bibliothèque nationale XVe siècle) et le Galien incunable, qui nous offrent trois remaniements eu prose du Voyage, avec quelques éléments nouveaux.

    Un poème de la décadence, Simon de Pouille (B. N. fr. 368, XIVe siècle, f° 144), nous fait assister a une véritable croisade des douze Pairs en Orient, et Girard d'Amiens, en son Charlemagne (c tencemen) du xiv e siècle), raconte me expédition du grand empereur lui-même sous les murs de Jérusalem. Enfin, David Aubert, au XVe siècle, ne fait que reproduire en prose, dans ses Conquesles de Charlemagne, le récit de Girard d'Amiens dont il comble une lacune importante.
  8. Voir le Roman en prose de Galien, qui nous est parvenu sous trois formes (Bibl. de l'Arsenal, 3351; Bibl. nat. IV. 1470; e1 Galien incunable, ir.no. Vérard, i te). Ces romans en pro i iblemenl dérivés d'un roman en vers de la fin du xnr siècle qu'on avail cru perdu jusqu'à ces dernières aminées et que M. Stengel a publié récemmenl d'après un manuscrit de Cheltenham. El cette chanson elle-même avait été précédée par un ou deux autres poèmes qui ne sont point parvenus jusqu'à nous.
  9. Dans ce poème, dont nous ne possédons pas de version complète, l'élément littéraire est plus considérable que l'élément traditionnel On y rencontre cependant des légendes visiblement antiques; mais tout a été écrit en dehors de la Chanson de Roland et de noire légende.
  10. Le Fierabras, que nous venons de résumer, n'est pas la version la plus ancienne de ce poème. Suivanl M. G. Paris, il a existé une Chanson antérieure, qui pouvait bien avoir pour titre : Balant. Ce poèi :ommençai1 par le récil d'une prise de Rome que les Sarrasins enlevaient aux chrétiens; Charles arri v.iii au secours des vaincus, e1 c'est alors qu'avail lieu le combal d'Olivier el de Fierabras. C'était tout, et il n'y avait là que le développement de deux lieux communs épiques : « le Siège de Rome i e1 ci le Duel avec un géanl ». Nuire poème n'offre que le dernier de ces lieux communs ; mais, comme irais l'avons dil plus haut, M. Grœber a retrouvé dans le manuscrit 578 de la Bibliothèque municipale do Hanovre La première branche du Fierabras, el l'a publiée, sous le titre de i la Destruction de Rome », dan- la Romania (II, p. I e1 ss.). = Fierabras, comme le Voyage à Jérusalem, a été composé pour être chanté à la foire du Lendil , où l'on faisait une exhibition solennelle de certaines Reliques de la Passion. (V. nos Epopées françaises, 2 e édition, III.
  11. Otinel ne contient rien de légendaire : c'est une œuvre de pure imagination : Cf. l'épisode d'Ospinel dans le Karl Meinel , compilation allemande du commencemenl du \iv siècle, et le récil de Jacques d'Acqui (fin du xni siècle). Touie- ces fables sont postérieures à la rédaction du Roland.
  12. II a exislé ici un poème français plus ancien que la Chanson des Saisnes. Nous n'en avons plus l'original; mais la Karlamagnus Saga nous en a du moins conservé un résumé... La scène s'ouvre sous les murs de Nobles, assiégée par Charles. Toul a coup l'Empereur apprend que « Guitalin » vient de brûler Cologne. Il court au-devant des Saisnes; mais il se laisse enfermer dans Cologne et va succomber, lorsqu'il esl secouru par Roland. Guitalin l'emporte un premier avantage sur les français; mais ceux-ci reprennent l'offensive et s'emparent de Germaise (Worms). C'est alors qu'Amidan vient au secours de son père Guitalin; mais Charles fait construire un ponl sur le Rhin, et voilà les Saisnes menacés, [ci apparaîl Baudouin, qui va devenir le principal personnage de notre poème; ici se place également le trop long épisode de ses amours avec Sibille. Une action décisive s'engage : Guitalin est terrassé par Charles, et Amidan tué par Roland, qui conquiert alors le fameux cor Olifant. La victoire des Français est complète, et toul se termine par un baptême général des païens. Tel est le Guitalin de la Karlamagnus Saga (5 e branche), dont l'action, comme on le voit, se passe avant celle du Roland. (Cf. le résumé qu'on en trouve dans la 1« branche.) Toutes les variantes de cette légende des Saisnes se divisent en deux groupes distincts, suivant qu'elles se rapportent au Guitalin que nous venons de résumer, ou à la chanson de Jean Bodel.
  13. Il existe nue autre version, intitulée la Reine Sibille, et dont nous n'avons plus que quelques vers el une rédaction en prose. (Bibl. de l'Arsenal, 3351; anc. B. L. F. 226.
  14. La mort du grand Empereur est encore racontée, mais en termes très rapides, dans Anseïs de Carthage. = Sur la fin de cet homme presque surna- turel, deux autres légendes ont circulé, el elles sont toutes deux peu favorables à la mémoire de Charles : 1° Walafrid Strabo (Historiens de France, V, 339) reproduit un récit de l'abbé Hetto, qui le lirait du moine Weltin. Ce dernier avait vu en songe Charlemagne dans les flammes de l'enfer, où un monstre le dévorait éternellement. Et pourquoi ce supplice du grand Empereur? C'était « à cause de son libertinage honteux ». 2° La fable du faux Turpin est plus connue... Un jour Turpin vit l'âme de Charlemagne entre les mains des démons. Or cette pauvre âme était en grand danger devant le Juge suprême, quand un Galicien sans tète (saint Jacques) jeta dans les balances éternelles toutes les pierres et toutes les poutres des basiliques construites par Charlemagne. Il fut sauvé. = Le moyen âge n'a rien trouvé de plus beau pour honorer le souvenir de celui dont la Chanson de Roland a si bien dit :
    N'iert mais tels hum desqu'à l' Deu juise.
  15. Voir le résumé des autres Chansons dans notre première édition du Roland, II, 270 et suivantes.

Facsimilés

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Voir aussi

Notes
  1. Le texte contient ici une note développée sur plusieurs pages. Elle est ici développée en partie principale.