La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/1872/Introduction/Le XIXe siècle, fin : Différence entre versions

De Wicri Chanson de Roland
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On peut dire, toutefois, que la période de {{sc|vulgarisation}} avait fait place dès l’année 1863 à celle de la {{sc|critique}}, et cette ère nouvelle avait été inaugurée par l’œuvre d’un Allemand, par la belle édition du ''Roland'' que nous devons à M. Th. Müller<ref>''La Chanson de Roland,'' {{lang|de|''nach der Oxforder Handschrift von neuem herausgegeben, erlaütert and mit einem vollständigen Glossar versehen'', von Theodor Müller, professor an der Universität zu Göttingen ; erste Hälfte}}. Gœttingen, 1863. On attend l’''Introduction''.</ref>. Je me sens d’autant plus à l’aise pour le louer, que je crois avoir fait équitablement la part de la France et de l’Allemagne dans
 
On peut dire, toutefois, que la période de {{sc|vulgarisation}} avait fait place dès l’année 1863 à celle de la {{sc|critique}}, et cette ère nouvelle avait été inaugurée par l’œuvre d’un Allemand, par la belle édition du ''Roland'' que nous devons à M. Th. Müller<ref>''La Chanson de Roland,'' {{lang|de|''nach der Oxforder Handschrift von neuem herausgegeben, erlaütert and mit einem vollständigen Glossar versehen'', von Theodor Müller, professor an der Universität zu Göttingen ; erste Hälfte}}. Gœttingen, 1863. On attend l’''Introduction''.</ref>. Je me sens d’autant plus à l’aise pour le louer, que je crois avoir fait équitablement la part de la France et de l’Allemagne dans
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l’énumération de ces travaux consacrés à notre vieux poëme. Il me semble même qu’on n’a pas suffisamment rendu justice à l’érudition française. Nous croyons que l’initiative, la patience, la pénétration, la critique même, avec la méthode, l’esprit et la clarté, n’ont pas été le privilége de l’Allemagne. Mais, il faut l’avouer, l’édition de M. Müller est la seule qui soit véritablement critique. C’est lui qui le premier a su utiliser, pour établir son texte, le manuscrit de Venise et tous nos Remaniements, le {{lang|de|''Ruolandes Liet''}} et le {{lang|de|''Karl''}} de Stricker. Il a vu, d’un œil net, toutes les lacunes de la version d’Oxford ; il les a comblées par autant d’extraits empruntés aux textes de Venise, de Paris et de Versailles. Il a corrigé mille fautes évidentes du scribe si médiocre et si distrait qui a écrit le texte de la Bodléienne. Il a remis cinq cents vers sur leurs pieds. Il a replacé dans leur ordre logique des strophes qui avaient été bouleversées. Depuis sept ans, depuis dix ans peut-être il prépare avec une patience héroïque, et nous promet une Introduction où il doit éclaircir les dernières ténèbres qui enveloppent encore notre Épopée nationale. Cependant, mécontent de lui, il va nous offrir une nouvelle édition de son texte, plus parfaite, plus critique encore. Il y fera sans doute un plus constant emploi de cette ''Karlamagnus’s Saga'', à laquelle M. G. Paris espère emprunter de bonnes variantes et dont le jeune savant français nous a donné en 1864 une analyse si intéressante<ref>''La Karlamagnus’s Saga, Histoire islandaise de Charlemagne'', dans la ''Bibliothèque de l’École des Chartes'', nov.-déc. 1863, et sept.-oct. 1864.</ref>. Les fragments néerlandais publiés par M. Bormans<ref>''La Chanson de Roncevaux, fragments de rédactions thioises'', avec une Introduction et des Remarques par J.-H. Bormans. Bruxelles, Hayez, 1864.</ref> ne lui seront pas d’une utilité très-considérable, et M. G. Paris les a réduits à leur juste valeur<ref>''Bibliothèque de l’École des Chartes'', mars-avril 1865.</ref>, en leur restituant leur caractère véritable, qui est celui d’une traduction et non pas d’un original de nos vieux poëmes. Mais, dans les notes de sa nouvelle édition, M. Müller devra faire usage de l’''Histoire poétique de''
  
 
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XVIII. — suite et fin du précédent

Si notre lecteur nous a bien suivi en ces dernières pages, il a pu constater aisément année par année, mois par mois, et jusque jour par jour, la vulgarisation toujours progressive de notre Roland. Nous voudrions avoir fait bien vivement sentir cette admirable progression. Mais nous ne sommes encore parvenus qu’en 1863. Or, que d’excellents travaux depuis sept ans, pour ne parler ici que de travaux vulgarisateurs ! C’est tout d’abord l’excellente traduction de M. d’Avril, qui conquiert enfin sa place dans une Collection vraiment populaire[1]. C’est, passez-moi le mot, notre Chanson de Roland ne coûtant plus que vingt sous. C’est encore le livre de M. A. de Saint-Albin, où l’on trouve Roland traduit pour la quatrième ou cinquième fois, et accompagné d’une traduction du Faux Turpin[2]. Ce sont vingt conférences, vingt lectures faites devant des auditoires

d’étudiants, d’ouvriers, de soldats : et ces auditeurs (nous l’avons vu) pleuraient, frémissaient, admiraient, applaudissaient. C’est notre Épopée traduite en polonais[3] ; c’est la réimpression du petit livre danois consacré depuis le xve siècle à la gloire de Charlemagne et de Roland[4]. C’est M. Fr. Michel, donnant une nouvelle édition de notre vieille Chanson[5], publiant le texte de Paris encore inédit, et accompagnant ces deux textes d’une sorte de traduction populaire. C’est la « Bibliothèque bleue », encore en faveur dans nos campagnes ; c’est Galien le restauré, ce sont les Conquestes du grand Charlemagne errant encore sur les quais de Paris. C’est une autre traduction qui vient de paraître et dont M. Lehugeur est l’auteur : en vers, celle-là, et bien médiocre[6]. C’est M. G. Paris, prenant la Chanson de Roland pour sujet de ses leçons au Collége de France, pendant cette triste année 1870-1871, durant ce siége de Paris, où il est si bon de penser à notre vieille gloire nationale et aux poëtes qui l’ont chantée !

On peut dire, toutefois, que la période de vulgarisation avait fait place dès l’année 1863 à celle de la critique, et cette ère nouvelle avait été inaugurée par l’œuvre d’un Allemand, par la belle édition du Roland que nous devons à M. Th. Müller[7]. Je me sens d’autant plus à l’aise pour le louer, que je crois avoir fait équitablement la part de la France et de l’Allemagne dans

l’énumération de ces travaux consacrés à notre vieux poëme. Il me semble même qu’on n’a pas suffisamment rendu justice à l’érudition française. Nous croyons que l’initiative, la patience, la pénétration, la critique même, avec la méthode, l’esprit et la clarté, n’ont pas été le privilége de l’Allemagne. Mais, il faut l’avouer, l’édition de M. Müller est la seule qui soit véritablement critique. C’est lui qui le premier a su utiliser, pour établir son texte, le manuscrit de Venise et tous nos Remaniements, le Ruolandes Liet et le Karl de Stricker. Il a vu, d’un œil net, toutes les lacunes de la version d’Oxford ; il les a comblées par autant d’extraits empruntés aux textes de Venise, de Paris et de Versailles. Il a corrigé mille fautes évidentes du scribe si médiocre et si distrait qui a écrit le texte de la Bodléienne. Il a remis cinq cents vers sur leurs pieds. Il a replacé dans leur ordre logique des strophes qui avaient été bouleversées. Depuis sept ans, depuis dix ans peut-être il prépare avec une patience héroïque, et nous promet une Introduction où il doit éclaircir les dernières ténèbres qui enveloppent encore notre Épopée nationale. Cependant, mécontent de lui, il va nous offrir une nouvelle édition de son texte, plus parfaite, plus critique encore. Il y fera sans doute un plus constant emploi de cette Karlamagnus’s Saga, à laquelle M. G. Paris espère emprunter de bonnes variantes et dont le jeune savant français nous a donné en 1864 une analyse si intéressante[8]. Les fragments néerlandais publiés par M. Bormans[9] ne lui seront pas d’une utilité très-considérable, et M. G. Paris les a réduits à leur juste valeur[10], en leur restituant leur caractère véritable, qui est celui d’une traduction et non pas d’un original de nos vieux poëmes. Mais, dans les notes de sa nouvelle édition, M. Müller devra faire usage de l’Histoire poétique de


  1. La Chanson de Roland, Traduction nouvelle, avec une Introduction et des Notes, par le baron d’Avril. ═ Il en a paru deux éditions : la première, in-8o, chez B. Duprat, en 1855 ; la seconde, in-18, chez Albanel (pour la Société de Saint-Michel), 1866.
  2. La Chanson de Roland, poëme de Theroulde, suivi de la Chronique de Turpin, traduction d’Alexandre de Saint-Albin. Paris, Lacroix, 1865, in-18. (Collection des grandes Épopées nationales.)
  3. Par Mme Duchinska. (M. Pruszak), Bibliothèque de Varsovie, janvier 1866.
  4. Keiser Karl Magnus’s Kronike, éd. Carl Elberling. Copenhague, 1867, in-18.
  5. La Chanson de Roland et le Roman de Roncevaux des XIIe et XIIIe siècles, etc. Paris, Firmin Didot., 1869, petit in-8o. ═ Dans sa Préface, M. F. Michel cherche surtout à accabler… M. Génin. ═ À la dernière page, il avoue fort naïvement n’avoir pas eu connaissance de l’édition de M. Th. Müller (p. 363).
  6. La Chanson de Roland, poëme français du Moyen âge, traduit en vers modernes, par Alfred Lehugeur. Paris, Hachette, 1870.
  7. La Chanson de Roland, nach der Oxforder Handschrift von neuem herausgegeben, erlaütert and mit einem vollständigen Glossar versehen, von Theodor Müller, professor an der Universität zu Göttingen ; erste Hälfte. Gœttingen, 1863. On attend l’Introduction.
  8. La Karlamagnus’s Saga, Histoire islandaise de Charlemagne, dans la Bibliothèque de l’École des Chartes, nov.-déc. 1863, et sept.-oct. 1864.
  9. La Chanson de Roncevaux, fragments de rédactions thioises, avec une Introduction et des Remarques par J.-H. Bormans. Bruxelles, Hayez, 1864.
  10. Bibliothèque de l’École des Chartes, mars-avril 1865.