La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition populaire/1895/Éclaircissements/2 : Différence entre versions

De Wicri Chanson de Roland
(Le texte original)
(II - Expédition de Charles en Italie, Rome délivrée)
 
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==Le texte original==
 
==Le texte original==
 
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===Naissance et enfances de Charlemagne===
 
===Naissance et enfances de Charlemagne===
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====1° Sa naissance. ====
 
 
 
 
I. Naissance et enfances de Charlema.gne. =1° Sa naissance.  
 
 
La mère de Charles est connue, dans nos Chansons, sous le nom de  
 
La mère de Charles est connue, dans nos Chansons, sous le nom de  
 
« Berte au grand pied ». C'est la fille de Flore, roi de Hongrie, et de  
 
« Berte au grand pied ». C'est la fille de Flore, roi de Hongrie, et de  
la reine Blanchefleur. Un jour Pépin la demande en mariage, et elle  
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la reine [[Blanchefleur]]. Un jour [[A pour personnalité citée::Pépin le Bref|Pépin]] la demande en mariage, et elle  
s'achemine vers la France. (Berte, poème composé par Adenet vers  
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s'achemine vers la France. ([[A pour oeuvre citée::Berthe aux grands pieds (poème)|''Berte'', poème]] composé par [[A pour auteur cité::Adenet le Roi|Adenet]] vers  
1275, édition I'. Paris, pages 7-9.) Mais l'étrangère est, dès son arri-
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1275, édition P. Paris, pages [[:Fichier:Li Romans de Berte 1832 Paulin Paris F 82.jpg|7]]-9.) Mais l'étrangère est, dès son arrivée, circonvenue par toute une famille de traîtres : une [[Serf (Trésor de la langue française)|serve]], [[Aliste]],  
vée, circonvenue par toute une famille de traîtres : une serve, Aliste,  
 
 
se fait passer pour la reine de France, prend sa place auprès de Pépin  
 
se fait passer pour la reine de France, prend sa place auprès de Pépin  
 
et force la véritable Berte à s'enfuir au fond des bois, où elle pense  
 
et force la véritable Berte à s'enfuir au fond des bois, où elle pense  
mourir de froid, de peur, de faim. (Tbid., pp. 16-52.) Par bonheur,  
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mourir de froid, de peur, de faim. (''Ibid''., pp. 16-52.) Par bonheur,  
 
un pauvre homme du nom de Simon recueille l'innocente en sa  
 
un pauvre homme du nom de Simon recueille l'innocente en sa  
 
cabane, où elle est, au bout de quelques années, reconnue enfin par  
 
cabane, où elle est, au bout de quelques années, reconnue enfin par  
son mari désabusé. (Ibid., pp. 64-132.) Quelques mois après naît  
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son mari désabusé. (''Ibid''., pp. 64-132.) Quelques mois après naît  
Charlemagne 1 . = = 2° Ses enfances. De la fausse Berte, de la mé-
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Charlemagne <ref>La fable de Berte n'a rien de traditionnel.  
chante Aliste, Pépin avait eu deux lils : Heudri et Lanfroi. Ils
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deviennent, comme il s'j fallail attendre, les ennemis acharnés du
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lils légitime, de Charles. (Charlemagne, de Girard d'Amiens; com-
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On on trouve un résumé très
pilation du commencement du xiv e siècle. B. .Y, 778, f° 23, 24.)
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rapide dans la [[A pour ouvrage cité::Chronique Saintongeaise]] (commencement du {{XIIIe}} siècle).
Donc, ils essayenl de l'empoisonner, puis de l'égorger. (F 24-28.)  
 
Un serviteur fidèle, David, se charge alors de sauver l'héritier de
 
France: il l'emmène avec lui en Espagne, et c'est à Tolède, c'est
 
parmi les païens que va s'écouler l'en fanée de Charlemagne. (F° 28-30.)
 
  
1 La fable de Berte n'a rien de traditionnel. = On on trouve un résumé très
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Le ''Charlemagne'' de Venise lui donne un certain développement, et nous avons  
rapide dans la Chronique Saintongeaise ( commencement du xm e siècle). = Le
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là, sens le titre de ''[[Berta de li gran pié]]'', un premier poème qui est antérieur  
Charlemagne de Venise lui donne un certain développement, e1 nous avons  
 
là, sens le titre de Berta de li gran pié, un premier poème qui est antérieur  
 
 
de soixante ou quatre-vingts ans à l'œuvre d' Adenet , e1 en diffère quelque peu.  
 
de soixante ou quatre-vingts ans à l'œuvre d' Adenet , e1 en diffère quelque peu.  
M. Mussafia l'a publié dans la Romania (III, p. 339 el ss. el IV, p. 91 et ss.).  
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M. Mussafia l'a publié dans la ''Romania'' (III, p. 339 el ss. el IV, p. 91 et ss.).  
Cf. Philippe Mouskel iv. 1240), la Gran Conquista de Ultramar (fin du  
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Cf. Philippe Mouskel iv. 1240), la ''Gran Conquista de Ultramar ''(fin du  
xrn e siècle), les Reali (vers 1350), el le Roman de Berte en prose (Merlin,  
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{{XIIIe}} siècle), les ''Reali'' (vers 1350), el le Roman de Berte en prose (Merlin,  
mss. fr. 130, première moitié du w siècle), etc. = Somme toute, on n'a pensé  
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mss. fr. 130, première moitié du w siècle), etc.  
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Somme toute, on n'a pensé  
 
qu'assez lard à la mère de Charles, et la légende de son fils était presque  
 
qu'assez lard à la mère de Charles, et la légende de son fils était presque  
 
achevée, quand on songea à composer la sienne avec de vieilles histoires,  
 
achevée, quand on songea à composer la sienne avec de vieilles histoires,  
 
celles-là mêmes qu'on mil plus lard sur le compte de Geneviève de Brabant.  
 
celles-là mêmes qu'on mil plus lard sur le compte de Geneviève de Brabant.  
Il semble que ce travail n'était pas encore commencé, quand fut écrite la Chan-
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Il semble que ce travail n'était pas encore commencé, quand fut écrite la ''Chanson de Roland''.  
son de Roland.  
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</ref> .
 
 
  
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====2° Ses enfances====
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De la fausse Berte, de la méchante Aliste, Pépin avait eu deux fils : Heudri et Lanfroi. Ils
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deviennent, comme il s'y fallait attendre, les ennemis acharnés du
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fils légitime, de Charles. ([[A pour ouvrage cité::Charlemagne (1301) Girart d'Amiens|''Charlemagne'']], de Girard d'Amiens; compilation du commencement du {{XIVe}} siècle. [[BnF, manuscrit, Français 778|B. N., 778]], f° 23, 24.)
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Donc, ils essayent de l'empoisonner, puis de l'égorger. (F 24-28.)
 +
Un serviteur fidèle, David, se charge alors de sauver l'héritier de
 +
France: il l'emmène avec lui en Espagne, et c'est à [[A pour localité citée::Tolède]], c'est
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parmi les païens que va s'écouler l'enfance de Charlemagne. (F° 28-30.)
  
ÉCLAIRCISSEMENT II 299  
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On n'y connaît pas, d'ailleurs, sa véritable condition, et c'est sous  
 
On n'y connaît pas, d'ailleurs, sa véritable condition, et c'est sous  
le nom de Mainet que le fds de Pépin se met au service du roi sarra-
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le nom de Mainet que le fils de Pépin se met au service du roi sarrasin Galafre. (30, 31.) Pour premier exploit il se mesure avec  
sin Galafre. (F 30, 31.) Pour premier exploit il se mesure avec  
 
 
l'émir Bruyant, qu'il tue. Mais Galafre a une fille, Galienne, de qui  
 
l'émir Bruyant, qu'il tue. Mais Galafre a une fille, Galienne, de qui  
la beauté est célèbre et pour laquelle le jeune Français se prend sou-
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la beauté est célèbre et pour laquelle le jeune Français se prend soudain du plus vif, du plus charmant amour.
dain du plus vif, du plus charmant amour. Il la veut conquérir à  
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Il la veut conquérir à  
 
tout prix, triomphe de Braimant, qui est un autre ennemi de Galafre,  
 
tout prix, triomphe de Braimant, qui est un autre ennemi de Galafre,  
 
et épouse enfin sa chère Galienne, qui déjà s'est convertie à la foi  
 
et épouse enfin sa chère Galienne, qui déjà s'est convertie à la foi  
chrétienne. (F n 32-50.) C'est en vain que Marsile, frère de Galienne,  
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chrétienne. (32-50.)  
essaye de faire périr Mainet : Charles , une fois de plus vainqueur,  
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C'est en vain que Marsile, frère de Galienne,  
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essaye de faire périr Mainet : Charles, une fois de plus vainqueur,  
 
ne songe désormais qu'à quitter l'Espagne et à reconquérir son propre  
 
ne songe désormais qu'à quitter l'Espagne et à reconquérir son propre  
 
royaume. Il commence par délivrer une première fois Rome et la  
 
royaume. Il commence par délivrer une première fois Rome et la  
Papauté, menacées par les païens que commande Corsuble. (F 55.)  
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Papauté, menacées par les païens que commande Corsuble. (55.)  
11 fait ensuite son entrée en France, où sa marche n'est qu'une série  
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Il fait ensuite son entrée en France, où sa marche n'est qu'une série  
 
de victoires. Les deux traîtres, Heudri et Lanfroi, sont vaincus et  
 
de victoires. Les deux traîtres, Heudri et Lanfroi, sont vaincus et  
châtiés comme ils le méritent. (F 64-66.) Charles demeure le seul  
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châtiés comme ils le méritent. (64-66.) Charles demeure le seul  
 
maître de tout le grand empire f° 67); mais sa joie est empoisonnée  
 
maître de tout le grand empire f° 67); mais sa joie est empoisonnée  
par la mort prématurée de Galienne "...  
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par la mort prématurée de Galienne <ref>La légende des Enfances de Charles ne paraît pas antérieure au {{XIIe}} siècle,
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et il n'y est fait aucune allusion dans le ''Roland''. Cf. le ''Mainet'', chanson de
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geste du {{XIIe}} siècle, dont on a eu l'heureuse fortune de retrouver, en avril 1874,
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plusieurs fragments importants (ils renferment environ 700 vers et out été
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publiés dans la ''Romania'', juillet-octobre 1875, IV, 305 cl ss.).
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Cf. aussi le ''Karleto de Venise'' [fin du {{XIIe}} ou commencement du {{XIIIe}} siècle), le ''Renaus de Montauban'' ({{XIIIe}} siècle), la ''Karlamagnus Saga'', histoire islandaise de Charlemagne ({{XIIIe}} siècle!; le ''Karl Meinet'' (compilation allemande du {{XIVe}}  siècle),
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le ''Cronica gênerai de España'' {{XIIIe}}  siècle), les ''Reali'' ({{XIVe}} siècle), etc. etc.
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C'est presque partout le même récit que dans le poème de Girard d'Amien.
 +
Peu de variantes, et elles n'ont rien d'important. </ref>...
  
II. Expédition de Charles en Italie : Rome délivrée. Un jour,  
+
===II - Expédition de Charles en Italie, Rome délivrée ===
les ambassadeurs du roi de France sont insultés par le roi de Dane-
+
Un jour,  
mark, Geoffroi. Charles, plein de rage, s'apprête à faire mourir le fils  
+
les ambassadeurs du roi de France sont insultés par le roi de Danemark, Geoffroi. Charles, plein de rage, s'apprête à faire mourir le fils  
 
et l'otage de Geoffroi, le jeune Ogier, lorsque tout à coup on lui vient  
 
et l'otage de Geoffroi, le jeune Ogier, lorsque tout à coup on lui vient  
annoncer que les Sarrasins se sont emparés de Rome. {Chevalerie  
+
annoncer que les Sarrasins se sont emparés de Rome. (''[[A pour œuvre citée::La chevalerie Ogier de Danemarche|Chevalerie Ogier de Danemarche]]'', poème du {{XIIe}} siècle attribué à [[A pour personnalité citée::Raimbert de Paris]] ; [[A pour ouvrage cité::La chevalerie Ogier de Danemarche (1842) Barrois|édition de Barrois]], [[La chevalerie Ogier de Danemarche (1842) Barrois/I/Laisse vers 118|vers 174-186]].) Charles, tout aussitôt, part  
Ogier de Danemarche, poème du xn e siècle attribué à Raimbert de  
+
en Italie, traverse les défilés de Montjeu (''Ibid''., 191-222) où il est  
Paris; édition de Barrois, vers 174-186.) Charles, tout aussitôt, part  
+
miraculeusement guidé par un cerf blanc (''Ibid''., 222-283), et  
en Italie, traverse les défilés de Montjeu (Ibid., 191-222) où il est  
 
miraculeusement guidé par un cerf blanc (Ibid., 222-283), et  
 
 
s'avance jusque sous les murs de Rome. Le pape Milon, son ami,  
 
s'avance jusque sous les murs de Rome. Le pape Milon, son ami,  
marche à sa rencontre et lui fait bon accueil. (Ibid., 315-329.)  
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marche à sa rencontre et lui fait bon accueil. (''Ibid''., 315-329.)  
 
Corsuble cependant, le sarrasin Corsuble est maître de Rome, et  
 
Corsuble cependant, le sarrasin Corsuble est maître de Rome, et  
n'aspire qu'à lutter contre les Français. (Ibid., 284-289 et 330-383.)  
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n'aspire qu'à lutter contre les Français. (''Ibid''., 284-289 et 330-383.)  
Une première bataille s'engage. (Ibid., 384-423 et 448-467.) L'ori-
+
Une première bataille s'engage. (Ibid., 384-423 et 448-467.) L'oriflamme va tomber au pouvoir des païens, quand Ogier intervient et  
flamme va tomber au pouvoir des païens, quand Ogier intervient et  
+
relève, par son courage et sa victoire, la force abattue des Français.(''Ibid''., 468-681.)  
relève, par son courage et sa victoire, la force abattue des Français.  
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<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 300.jpg|50px|left]]</div>
 
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On l'acclame, on lui fait fête, on l'arme chevalier.  
1 La légende des Enfances de Charles ne paraîl pas antérieure au xn c siècle,
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(''Ibid''., 682-749.) C'est alors que les Sarrasins s'apprêtent à opposer,  
et il n'y est fait aucune allusion dans le Roland. Cf. le Mainet, chanson de
+
dans un duel décisif, leur Garaheu à notre Ogier. (''Ibid''., 851-961.)  
geste du xu e siècle, dont on a eu l'heureuse fortune de retrouver, en avril 1874,
 
plusieurs fragments importants (ils renferment environ 700 vers cl oui été
 
publias dans la Bomania , juillet-octobre 1875, IV, 305 cl ss.). Cf. aussi le Kar-
 
leto de Venise [fin du XII e ou commencemenf du \nr siècle), le Renaus de
 
Montauban (xm e siècle), la Karlamagnus Saga, histoire islandaise de Char-
 
lemagne (xni e siècle!; le Karl Meinel (compilation allemande du xiv siècle),
 
le Cronica gênerai de E.spafia Cxtii" siècle), les Reali (xrv e siècle), etc. etc.
 
C'est presque partout le même récil que dans le poème de Girard d'Amien
 
Peu de variantes, ci elles n'onl rien d'important.  
 
 
 
 
 
 
 
300 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
(Ibid., 468-681.) On l'acclame, on lui fait fête, on l'arme chevalier.  
 
(Ibid., 682-749.) C'est alors que les Sarrasins s'apprêtent à opposer,  
 
dans un duel décisif, leur Garaheu à notre Ogier. (Ibid., 851-961.)  
 
 
Le succès est un moment compromis par les imprudences de Chariot,  
 
Le succès est un moment compromis par les imprudences de Chariot,  
fils de l'Empereur. (Ibid., 1075-1224.) Néanmoins le grand duel  
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fils de l'Empereur. (''Ibid''., 1075-1224.) Néanmoins le grand duel  
entre les deux héros se prépare, et l'heure en va sonner (Ihid.,  
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entre les deux héros se prépare, et l'heure en va sonner (''Ibid''.,  
1225-1537) : Gloriande, fille de Corsuble, en sera le prix. Une tra-
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1225-1537) : Gloriande, fille de Corsuble, en sera le prix. Une trahison de Danemont, fils du roi païen, retarde la victoire d'Ogier, qui  
hison de Danemont, fils du roi païen, retarde la victoire d'Ogier, qui  
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est fait prisonnier ; (''Ibid''., 1538-2011.) mais les Français n'en sont  
est fait prisonnier; (Ibid., 1538-2011.) mais les Français n'en sont  
 
 
que plus furieux. Un grand duel, qui doit tout terminer, est décidé  
 
que plus furieux. Un grand duel, qui doit tout terminer, est décidé  
entre Ogier et Brunamont, le roi de « Maiolgre ». (Ibid., 2565 et  
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entre Ogier et Brunamont, le roi de « Maiolgre ». (''Ibid''., 2565 et  
suiv.) Ogier est vainqueur (Ibid., 2636-3041); Corsuble s'éloigne de  
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suiv.) Ogier est vainqueur (''Ibid''., 2636-3041); Corsuble s'éloigne de  
Rome (Ibid., 3042-3052), et Charles fait dans la grande ville une  
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Rome (''Ibid''., 3042-3052), et Charles fait dans la grande ville une  
 
entrée triomphale.il a la générosité d'épargner Caraheu et Gloriande  
 
entrée triomphale.il a la générosité d'épargner Caraheu et Gloriande  
(Ibid., 3053-3073), et, chargé de gloire, reprend le chemin delà  
+
(''Ibid''., 3053-3073), et, chargé de gloire, reprend le chemin delà  
France 1 . (Ibid., 3074-3102.) = La Chevalerie Ogier nous a parlé  
+
France <ref>La Chevalerie Ogier repose sur des traditions de la fin du {{VIIIe}} siècle. Cf.
fort longuement d'une première expédition en Italie. Aspremont,  
+
les ''Enfances Ogier'', qui sont un médiocre remaniement d'Adenet (deuxième
 +
moitié du {{XIIIe}} siècle); le [[Charlemagne (Venise)|Charlemagne de Venise]] (fin du {{XIIe}} , commencement
 +
du {{XIIIe}} siècle), où Ogier nous est représenté tout d'abord comme un écuyer
 +
inconnu; la troisième branche de la Kavlamagnus Saga ({{XIIIe}} siècle), etc.
 +
</ref> . (''Ibid''., 3074-3102.)
 +
 
 +
 
 +
La ''Chevalerie Ogier'' nous a parlé  
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fort longuement d'une première expédition en Italie. ''Aspremont'',  
 
plus longuement encore, nous fait assister à une seconde campagne  
 
plus longuement encore, nous fait assister à une seconde campagne  
 
de l'Empereur par delà les Alpes... Charles, donc, tient sa cour un  
 
de l'Empereur par delà les Alpes... Charles, donc, tient sa cour un  
jour de Pentecôte. (Aspremont, poème de la fin du xn e siècle ou du  
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jour de Pentecôte. (''Aspremont'', poème de la fin du {{XIIe}} siècle ou du  
commencement du xm c , édit. Guessard, pp. 2 et 3.) Soudain, un  
+
commencement du {{XIIIe}}, édit. Guessard, pp. 2 et 3.) Soudain, un  
 
Sarrasin arrive et défie solennellement le Roi au nom de son maître  
 
Sarrasin arrive et défie solennellement le Roi au nom de son maître  
Agolant. (Ibid., p. 4.) Charles pousse son cri de guerre, et la grande  
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Agolant. (''Ibid''., p. 4.) Charles pousse son cri de guerre, et la grande  
 
armée de France se met en route vers l'Italie. La voilà qui passe à  
 
armée de France se met en route vers l'Italie. La voilà qui passe à  
Laon. (Ibid., p. 11.) Or, à Laon était enfermé le neveu de Charles,  
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Laon. (''Ibid''., p. 11.) Or, à Laon était enfermé le neveu de Charles,  
 
qu'on ne voulait pas encore mener à la guerre : car il n'avait que  
 
qu'on ne voulait pas encore mener à la guerre : car il n'avait que  
douze ou quinze ans. Roland s'échappe, et rejoint l'armée. (Ibid.,  
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douze ou quinze ans. Roland s'échappe, et rejoint l'armée. (''Ibid''.,  
 
pp. 13-16.) Charles envoie Turpin demander aide au fameux Girard  
 
pp. 13-16.) Charles envoie Turpin demander aide au fameux Girard  
 
de Fraite, qui d'abord répond par un refus insolent, et veut assassiner  
 
de Fraite, qui d'abord répond par un refus insolent, et veut assassiner  
l'Archevêque (Ibid., pp. 17-18); mais qui, sur les conseils pressants  
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l'Archevêque (''Ibid''., pp. 17-18); mais qui, sur les conseils pressants  
 
de sa femme, se décide enfin à marcher au secours de l'Empereur.  
 
de sa femme, se décide enfin à marcher au secours de l'Empereur.  
(B. N. fr. 2495, I" 85 r° — 87 r°.) Alors toute l'armée franchit les  
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([[A pour ouvrage cité::BnF, manuscrit, Français 2495|B. N. fr. 2495]], 85 r° — 87 r°.)  
Alpes et traverse l'Italie : car c'est la Calabre qui doit être le théâtre  
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<span id="Calabre"></span>Alors toute l'armée franchit les  
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Alpes et traverse l'Italie : car c'est la [[Calabre]] qui doit être le théâtre  
 
de la grande lutte. Agolant, le roi païen, a un fils nommé Eaumont,  
 
de la grande lutte. Agolant, le roi païen, a un fils nommé Eaumont,  
 
qui est destine à devenir le héros du poème. Eaumont lutte avec  
 
qui est destine à devenir le héros du poème. Eaumont lutte avec  
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le jeune Sarrasin et s'empare de l'épée Durendal. (B. N., anc. ras.  
 
le jeune Sarrasin et s'empare de l'épée Durendal. (B. N., anc. ras.  
 
Lavall., 123, f° 41 v° — 43 r°.) La guerre cependant n'est pas finie :  
 
Lavall., 123, f° 41 v° — 43 r°.) La guerre cependant n'est pas finie :  
il faut que saint Georges, saint Maurice et saint Domnin descendent  
+
il faut que saint Georges, saint Maurice et saint Domnin descendent
 
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dans les rangs des chrétiens et combattent avec eux (''Ibid''., f° 64,  
1 L;\ Chevalerie Ogier repose sur des traditions de la iin du vm e siècle. Cf.
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v° — 65, r°);  
les Enfances Ogier, qui sont un médiocre remaniement d'Adenet (deuxième
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<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 301.jpg|50px|left]]</div>
moitié du xm e siècle); le Charlemogne de Venise (fin du xn e , commencement
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il faut que Turpin porte au front de l'armée le bois  
du xm e siècle), où Ogier nous est représenté tout d'abord comme un écuyer
 
inconnu; la troisième branche de la Kavlamagnus Saga (xm e siècle), etc.
 
 
 
 
 
 
 
ECLAIRCISSEMENT II 301
 
 
 
dans les rangs des chrétiens et combattent avec eux (Ibid., f° 64,  
 
v° — 65, r°); il faut que Turpin porte au front de l'armée le bois  
 
 
sacré de la vraie croix ; il faut que Dieu, par un miracle sans pareil,  
 
sacré de la vraie croix ; il faut que Dieu, par un miracle sans pareil,  
 
donne à ce bois l'éclat du soleil ; il faut, à côté de ces efforts célestes,  
 
donne à ce bois l'éclat du soleil ; il faut, à côté de ces efforts célestes,  
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qu'enfin les Sarrasins soient vaincus. {Ibid., f° 65, 2° et suiv.)  
 
qu'enfin les Sarrasins soient vaincus. {Ibid., f° 65, 2° et suiv.)  
 
Agolant meurt alors sous les coups de Claires, neveu de Girard  
 
Agolant meurt alors sous les coups de Claires, neveu de Girard  
(Ibid., f° 81, v°); Girard lui-même s'empare de Rise (Ibid.), et l'on  
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(''Ibid''., f° 81, v°); Girard lui-même s'empare de Rise (Ibid.), et l'on  
donne le royaume d' Agolant à Florent, neveu du roi de Hongrie 1 .
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donne le royaume d' Agolant à Florent, neveu du roi de Hongrie <ref> ''Aspremont'' est une œuvre de la décadence où il n'y a d'autre élément traditionnel que cette donnée générale, ce lieu commun si cher à nos trouvères, d'une expédition française en Italie pour la délivrance de la Papauté menacée.
(Ibid., f» 81, v° —87.)
 
  
III. Luttes de Charlemagne contre ses vassaux : 1° Girard de
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Cf. les Reali, dont l'affabulation est conforme à celle d'Aspreniont, et qui
Viane. Garin de Montglane, avec ses quatre fils, Renier, Mile, Her-
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contiennent une Suite où l'on assiste aux fureurs et au châtiment de Girard de  
naut et Girard, est tombé dans une misère profonde. (Girars de
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Fraite. C'esl tout ce qui nous reste aujourd'hui d'une vieille Chanson qui devait
Viane, poème du commencement du xm° siècle, édition P. Tarbé,
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avoir pour titre : ''Girars de Fraite''. </ref> .  
pp. 4-7.) Les Sarrasins entourent son château que baigne le Rhône;
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(''Ibid''., f» 81, v° —87.)
mais ses fils le délivrent (Ibid., pp. 6-9) et se lancent dans les aven-
 
tures. (Ibid., pp. 9-10.) Girard arrive à Reims pour se mettre au
 
service de Charles avec son frère Renier. (Ibid., pp. 11-20.) « Adou-
 
bés » par l'empereur (Ibid., pp. 20-21), ils lui rendent, en effet,
 
mille services dont ils se font trop bien payer (Ibid., pp. 24-30), et  
 
Girard devient l'ennemi mortel de Charlemagne , qui lui avait d'abord
 
promis la duchesse de Bourgogne en mariage et avait fini par l'épouser
 
lui-même. La nouvelle impératrice, irritée contre Girard, lui fait
 
baiser son pied, alors que le jeune vassal pense baiser celui de l'Em-
 
pereur. De là, toute la lutte qui va suivie. (Ibid., pp. 31-41.) Une
 
guerre terrible s'engage entre les fils de Garin et Charlemagne.
 
(Ibid., pp. 51-56.) Les deux béros de cette guerre seront, d'une part,
 
Olivier, fils de Renier, et neveu de Girard ; de l'autre, Roland, neveu
 
de Charles. Aude, la belle Aude, sœur d'Olivier, devient la fiancée
 
de Roland: nouvelle complication, qui donne un intérêt plus vif à
 
cette légende héroïque dont le principal épisode est le siège de Vienne.
 
(Ibid., pp. 66-105.) La guerre étant interminable, on se résout
 
à l'achever par un combat singulier entre Olivier et Roland. (Ibid.,
 
pp. 106 et suiv.) Le combat est admirable, mais demeure indécis.  
 
(Ibid., pp. 133-154.) Bref, la paix est faite; Girard se réconcilie avec
 
Charles; Aude est promise à Roland, et l'on part pour Roncevaux.
 
(Ibid., pp. 155-184.) = 2° Les Quatre Fils Avmon. Charles tient
 
  
' Aspreniont est une œuvre de la décadent i où il n'y a d'autre élémenl
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===III - Luttes de Charlemagne contre ses vassaux===
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====1° Girard de Viane====
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Garin de Montglane, avec ses quatre fils, Renier, Mile, Hernaut et Girard, est tombé dans une misère profonde. (''Girars de Viane'', poème du commencement du {{IIIe}} siècle, édition P. Tarbé, pp. 4-7.)
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Les Sarrasins entourent son château que baigne le Rhône ; mais ses fils le délivrent (''Ibid''., pp. 6-9) et se lancent dans les aventures. (''Ibid''., pp. 9-10.)
  
traditionnel que cette donnée générale , ce lieu commun -i cher à nos trouvères,
+
Girard arrive à Reims pour se mettre au service de Charles avec son frère Renier. (''Ibid''., pp. 11-20.) « Adoubés » par l'empereur (''Ibid''., pp. 20-21), ils lui rendent, en effet, mille services dont ils se font trop bien payer (Ibid., pp. 24-30), et Girard devient l'ennemi mortel de Charlemagne , qui lui avait d'abord promis la duchesse de Bourgogne en mariage et avait fini par l'épouser lui-même. La nouvelle impératrice, irritée contre Girard, lui fait baiser son pied, alors que le jeune vassal pense baiser celui de l'Empereur.  
d'une expédition franc: ise en Italie pour la délivrance de la Papauté men
 
= Cf. les Reali, dont l'affabulation est conforme à celle d'Aspreniont, et qui
 
contiennent une Suite où l'on assiste aux fureurs el au châtiment de Girard de
 
Fraite. C'esl tout ce qui nous peste aujourd'hui d'une vieille Chanson qui devait
 
avoir pour titre : Girars de Fraite.  
 
  
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De là, toute la lutte qui va suivie. (Ibid., pp. 31-41.)
  
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Une guerre terrible s'engage entre les fils de Garin et Charlemagne. (Ibid., pp. 51-56.)
 +
Les deux héros de cette guerre seront, d'une part, Olivier, fils de Renier, et neveu de Girard ; de l'autre, Roland, neveu de Charles. Aude, la belle Aude, sœur d'Olivier, devient la fiancée de Roland: nouvelle complication, qui donne un intérêt plus vif à cette légende héroïque dont le principal épisode est le siège de Vienne. (Ibid., pp. 66-105.)
 +
La guerre étant interminable, on se résout à l'achever par un combat singulier entre Olivier et Roland. (Ibid., pp. 106 et suiv.) Le combat est admirable, mais demeure indécis. (Ibid., pp. 133-154.) Bref, la paix est faite; Girard se réconcilie avec Charles; Aude est promise à Roland, et l'on part pour Roncevaux. (Ibid., pp. 155-184.)
  
302 LA CHANSON DE ROLAND
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====2° Les Quatre Fils Aymon====
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<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 302.jpg|50px|left]]</div>
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Charles tient cour plénière. Il se plaint de la rébellion de Doon de Nanteuil et de Beuves d'Aigremont : même, il s'apprête à rassembler contre ce dernier toutes les forces de son empire. (''Renaud de Montauban'', poème du {{XIIIe}} siècle, mais dont il a existé des rédactions antérieures; [[A pour ouvrage cité::Renaus de Montauban (1962) Michelant|édit. Micbelant, pp. 1-3.]]) Aymon de Dordone, qui est un autre frère de
 +
Beuves, proteste courageusement contre la colère de l'Empereur.
  
cour plénière. 11 se plaint de la rébellion de Doon de Nanteuil et de
+
Charles le menace, et Aymon se retire fièrement de la cour avec tous ses chevaliers. C'est ici que commence la lutte entre l'Empereur et le duc Aymon , qui est soutenu par ses quatre fils, [[Renaud de Montauban|Benaud]] , Alard , Guichard et Bichard. (Ibid., p. 3, v. 8-30.)  
Beuves d'Aigremont : même, il s'apprête à rassembler contre ce der-
 
nier toutes les forces de son empire. (Renaud de Montauban, poème
 
du xm c siècle, mais dont il a existé des rédactions antérieures; édit.
 
Micbelant, pp. 1-3.) Aymon de Dordone, qui est un autre frère de
 
Beuves, proteste courageusement contre la colère de l'Empereur.
 
Charles le menace, et Aymon se retire fièrement de la cour avec tous  
 
ses chevaliers. C'est ici que commence la lutte entre l'Empereur et  
 
le duc Aymon , qui est soutenu par ses quatre fils , Benaud , Alard ,  
 
Guichard et Bichard. (Ibid., p. 3, v. 8-30.) Le roi de France, pour
 
mettre fin à cette guerre, envoie à Beuves d'Aigremont un ambassa-
 
deur que le rebelle met à mort. (Ibid., pp. 3-8.) Un second messager,
 
qui est le propre fils de Charles, Lohier lui-même, est envoyé au
 
terrible Beuves. Son insolence le perd, et Lohier meurt dans une
 
bataille qui a pour théâtre le château de Beuves. (Ibid., pp. 8-16.)
 
Désormais la guerre est inévitable; elle commence. (Ibid.. pp. 19-27.)
 
Le duc Beuves échoue devant Troyes, et une défaite de l'armée féo-
 
dale suffit pour anéantir toutes les espérances des coalisés. (Ibid.,
 
pp. 30-37.) L'Empereur pardonne à ses ennemis, mais fait assassiner le
 
duc Beuves, qui s'acheminait vers -Paris. (Ibid., pp. 37-44.) Aymon,
 
lui, fait la paix assez platement avec l'assassin de son frère. Doon
 
de Nanteuil et Girard de Boussillon se soumettent pareillement. La
 
guerre semble finie. (Ibid., pp. 44-45.) Là-dessus, les quatre fils
 
Aymon viennent à la cour de Charles etysont faits chevaliers. (Ibid.,
 
pp. 45-47.) Leur fortune semble assurée, quand certaine partie d'échecs
 
vient tout changer. Le neveu de l'Empereur, Bertolais, joue avec
 
Benaud : survient une dispute, et, d'un coup d'échiquier, Benaud
 
tue son adversaire. (Ibid., pp. 51, 52.) Le meurtrier et ses trois frères
 
s'enfuient au plus vite d'une cour où ils ne sont plus en sûreté. Leur
 
père est le premier à les abandonner : leur mère, leur mère seule leur
 
demeure fidèle. Bs se retirent dans la vieille forêt des Ardennes.
 
(Ibid., pp. 52, 53.) C'est là qu'ils vont se cacher durant sept ans;
 
c'est là que va commencer leur « grande misère ». Bs sont poursuivis
 
par Charlemagne, qui fait le siège de leur château de Montessor. Un
 
traître est sur le point de le livrer à l'Empereur, et les fils du duc
 
Aymon, affamés, sont forcés de s'éloigner de ces murs où, pendant
 
cinq années, ils ont arrêté l'effort de tout l'Empire. (Ibid., pp. 53-74.)
 
Bs errent dans la grande forêt , et le cheval de Renaud , Bayard ,
 
leur vient en aide par sa force et son agilité merveilleuses. (Ibid.,
 
pp. 74-83.) Cependant la faim les éprouve de plus en plus: tous leurs
 
chevaliers meurent ; ils vont mourir aussi. (Ibid., pp. 85-86.) Leur
 
mère, qui a quelque peine à les reconnaître dans ce misérable état,
 
leur offre en vain l'hospitalité. (Ibid., pp. 87-89.) Bs sont forcés de
 
se remettre en route, chassés par leur père, et s'acheminent vers
 
  
 +
Le roi de France, pour mettre fin à cette guerre, envoie à Beuves d'Aigremont un ambassadeur que le rebelle met à mort. (Ibid., pp. 3-8.) Un second messager, qui est le propre fils de Charles, Lohier lui-même, est envoyé au terrible Beuves. Son insolence le perd, et Lohier meurt dans une bataille qui a pour théâtre le château de Beuves. (Ibid., pp. 8-16.) Désormais la guerre est inévitable; elle commence. (Ibid.. pp. 19-27.)
  
 +
Le duc Beuves échoue devant Troyes, et une défaite de l'armée fédale suffit pour anéantir toutes les espérances des coalisés. (Ibid., pp. 30-37.) L'Empereur pardonne à ses ennemis, mais fait assassiner le duc Beuves, qui s'acheminait vers Paris. (Ibid., pp. 37-44.)
 +
Aymon, lui, fait la paix assez platement avec l'assassin de son frère. Doon de Nanteuil et Girard de Boussillon se soumettent pareillement. La guerre semble finie. (Ibid., pp. 44-45.)
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Là-dessus, les quatre fils Aymon viennent à la cour de Charles et y sont faits chevaliers. (Ibid., pp. 45-47.)
 +
Leur fortune semble assurée, quand certaine partie d'échecs vient tout changer. Le neveu de l'Empereur, Bertolais, joue avec Renaud : survient une dispute, et, d'un coup d'échiquier, Renaud tue son adversaire. (Ibid., pp. 51, 52.) Le meurtrier et ses trois frères s'enfuient au plus vite d'une cour où ils ne sont plus en sûreté. Leur père est le premier à les abandonner : leur mère, leur mère seule leur demeure fidèle.
 +
Ils se retirent dans la vieille forêt des Ardennes. (Ibid., pp. 52, 53.) C'est là qu'ils vont se cacher durant sept ans; c'est là que va commencer leur « grande misère ». Ils sont poursuivis par Charlemagne, qui fait le siège de leur château de Montessor. Un traître est sur le point de le livrer à l'Empereur, et les fils du duc Aymon, affamés, sont forcés de s'éloigner de ces murs où, pendant cinq années, ils ont arrêté l'effort de tout l'Empire. (Ibid., pp. 53-74.)
 +
Ils errent dans la grande forêt , et le cheval de Renaud , [[A pour animal cité::Bayard (cheval)|Bayard]] , leur vient en aide par sa force et son agilité merveilleuses. (Ibid., pp. 74-83.) Cependant la faim les éprouve de plus en plus: tous leurs chevaliers meurent ; ils vont mourir aussi. (Ibid., pp. 85-86.)
 +
Leur mère, qui a quelque peine à les reconnaître dans ce misérable état, leur offre en vain l'hospitalité. (Ibid., pp. 87-89.) Ils sont forcés de se remettre en route, chassés par leur père, et s'acheminent vers le Midi, où les mêmes aventures les attendent. (Ibid., pp. 89-96.)
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<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 303.jpg|50px|left]]</div>
 +
Le roi Yon, qui régnait à Bordeaux, les voit un jour arriver dans cette ville avec leur cousin, le fameux enchanteur Maugis. (Ibid., pp. 96-97.) Les nouveaux venus aident le roi de Gascogne dans sa lutte contre les Sarrasins, et délivrent une fois de plus la chrétienté envahie. (Ibid., pp. 97-107.)
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Charlemagne les menaçant toujours, ils se construisent un château (Mont des Aubains ou Montauban), où ils espèrent pouvoir résister à l'Empereur. (Ibid., pp. 107-111.)
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Renaud, en attendant la guerre probable, épouse la sœur du roi Yon. (Ibid.. pp. 111-114.)
  
ÉCLAIRCISSEMENT 11 303
+
A peu de temps delà, Charles, revenant d'Espagne, aperçoit le château de Montauban. Fou de jalousie
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et de rage, il en prépare le siège. Roland y prend part et rivalise avec Renaud. La lutte éclate, elle se prolonge, elle est terrible. (Ibid.. pp. 114-144.) Mais le roi Yon lui-même trahit les fils d'Aymon, et ils sont sur le point de tomber entre les mains des chevaliers de l'Empereur. Un combat se livre : Renaud y fait des prodiges. (Ibid., pp. 142-192.)
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Par bonheur, Ogier, chargé d'exécuter les ordres de Charles contre ses mortels ennemis, rougit de seconder une trainson, et Maugis délivre les quatre frères. (Ibid., pp. 192-219. )
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Renaud, en vassal fidèle, ne désire, d'ailleurs, rien tant que de se réconcilier avec Charlemagne (Ibid., pp. 230-246); mais, hélas ! les ruses et les enchantements de Maugis ont irrité l'Empereur, et il exige qu'on lui
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livre le magicien. (Ibid., pp. 249-254.)
  
le Midi, où les mêmes aventures les attendent. (Ibid., pp. 89-96.)
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Sur ces entrefaites, Richard, frère de Renaud, tombe au pouvoir de Charles, qui le veut faire  
Le roi Yon, qui régnait à Bordeaux, les voit un jour arriver dans
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pendre ; mais les douze Pairs se refusent nettement à exécuter cette cruelle sentence (Ibid., pp. 254-267), et Renaud, averti par son bon cheval Bayard, délivre son frère. La lutte recommence avec une rage nouvelle. (Ibid., pp. 267-285.)  
cette ville avec leur cousin, le fameux enchanteur Maugis. (Ibid.,
 
pp. 96-97.) Les nouveaux venus aident le roi de Gascogne dans sa
 
lutte contre les Sarrasins, et délivrent une fois de plus la chré-
 
tienté envahie. (Ibid., pp. 97-107.) Gharlemagne les menaçant tou-
 
jours, ils se construisent un château (Mont des Aubains ou Mon-
 
tauban), où ils espèrent pouvoir résister à l'Empereur. (Ibid.,
 
pp. 107-111.) Renaud, en attendant la guerre probable, épouse la
 
sœur du roiYon. (Ibid.. pp. 111-114.) A peu de temps delà, Charles,
 
revenant d'Espagne, aperçoit le château deMontauban. Fou de jalousie
 
et de rage, il en prépare le siège. Roland y prend part et rivalise
 
avec Renaud. La lutte éclate, elle se prolonge, elle est terrible. (Ibid..
 
pp. 114-144.) Mais le roi Yon lui-même trahit les fds d'Aymon,
 
et ils sont sur le point de tomber entre les mains des chevaliers
 
de l'Empereur. Un combat se livre : Renaud y fait des prodiges.
 
(Ibid., pp. 142-192.) Par bonheur, Ogier, chargé d'exécuter les ordres
 
de Charles contre ses mortels ennemis, rougit de seconder une train-
 
son, et Maugis délivre lesquatre frères. (Ibid., pp. 192-219. ) Renaud,
 
en vassal fidèle, ne désire, d'ailleurs, rien tant que de se réconcilier
 
avec Charlemagne (Ibid., pp. 230-246); mais, hélas ! les ruses et les
 
enchantements de Maugis ont irrité l'Empereur, et il exige qu'on lui
 
livre le magicien. (Ibid., pp. 249-254.) Sur ces entrefaites, Richard,  
 
frère de Renaud, tombe au pouvoir de Charles, qui le veut faire  
 
pendre ; mais les douze Pairs se refusent nettement à exécuter cette  
 
cruelle sentence (Ibid., pp. 254-267), et Renaud, averti par son bon  
 
cheval Bayard, délivre son frère. La lutte recommence avec une rage  
 
nouvelle. (Ibid., pp. 267-285.) Nouvelles ruses de Maugis, nouvelles
 
batailles : Charlemagne devient le prisonnier de Renaud, qui se refuse
 
à tuer son seigneur. (Ibid., pp. 283-537.) L'Empereur ne sait pas re-
 
connaître une telle générosité et assiège de nouveau Montauban , où
 
la famine devient insupportable. Par bonheur, un mystérieux souter-
 
rain sauve les quatre frères. (Ibid., pp. 337-362.) La guerre, néan-
 
moins, est loin d'être finie. Il faut que Richard de Normandie soit fait
 
prisonnier par les rebelles; il faut que les Pairs forcent l'Empereur
 
à conclure la paix ; il faut qu'ils aillent jusqu'à abandonner Charles.
 
(Ibid., pp. 362-398.) Enfin la paix est laite, et elle est définitive.
 
Renaud s'engage à faire un pèlerinage à Jérusalem, el arrive dans
 
la ville sainte au moment même où elle est attaquée par les Sarra-
 
sins. 11 la délivre (Ibid., pp. 403-417), et refuse d'en être le roi. (Ibid.,
 
pp. 407, 408.) Il revient en France. Sa femme est morte, el ses fils
 
sont menacés par toute la famille de Ganelon el d'Hardré; mais il
 
a la joie d'assister à leur triomphe. (Ibid., pp. 418-442.) C'est alors
 
que, dégoûté drs grandeurs, il s'échappe un jour de son château et
 
  
 +
Nouvelles ruses de Maugis, nouvelles batailles : Charlemagne devient le prisonnier de Renaud, qui se refuse
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à tuer son seigneur. (Ibid., pp. 283-537.) L'Empereur ne sait pas reconnaître une telle générosité et assiège de nouveau Montauban, où la famine devient insupportable. Par bonheur, un mystérieux souterrain sauve les quatre frères. (Ibid., pp. 337-362.)
  
 +
La guerre, néanmoins, est loin d'être finie. Il faut que Richard de Normandie soit fait prisonnier par les rebelles; il faut que les Pairs forcent l'Empereur à conclure la paix ; il faut qu'ils aillent jusqu'à abandonner Charles. (Ibid., pp. 362-398.)
  
301- LA CHANSON DE ROLAND
+
Enfin la paix est faite, et elle est définitive. Renaud s'engage à faire un pèlerinage à Jérusalem, el arrive dans la ville sainte au moment même où elle est attaquée par les Sarrasins. 11 la délivre (Ibid., pp. 403-417), et refuse d'en être le roi. (Ibid., pp. 407, 408.)
 
+
Il revient en France. Sa femme est morte, et ses fils sont menacés par toute la famille de Ganelon el d'Hardré; mais il a la joie d'assister à leur triomphe. (Ibid., pp. 418-442.) C'est alors que, dégoûté des grandeurs, il s'échappe un jour de son château et
 
va, comme maçon , comme manœuvre, offrir humblement ses services  
 
va, comme maçon , comme manœuvre, offrir humblement ses services  
à l'architecte de la cathédrale de Cologne. (Ibid., pp. 442-445.) Sa force  
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à l'architecte de la cathédrale de Cologne. (Ibid., pp. 442-445.)  
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Sa force  
 
et son désintéressement excitent la jalousie des autres ouvriers, qui  
 
et son désintéressement excitent la jalousie des autres ouvriers, qui  
 
le tuent (Ibid., pp. 445-450); mais Dieu fait ici un grand prodige :  
 
le tuent (Ibid., pp. 445-450); mais Dieu fait ici un grand prodige :  
le corps de Renaud , jeté dans le Rhin , surnage miraculeusement au  
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le corps de Renaud, jeté dans le Rhin, surnage miraculeusement au  
 
milieu de la lumière et des chants angéliques; puis, comme un autre  
 
milieu de la lumière et des chants angéliques; puis, comme un autre  
 
saint Denis, il guide lui-même jusqu'à Trémoigne les nombreux  
 
saint Denis, il guide lui-même jusqu'à Trémoigne les nombreux  
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qu'on reconnut le fils du duc Aymon , dont l'intercession faisait des  
 
qu'on reconnut le fils du duc Aymon , dont l'intercession faisait des  
 
miracles. Et saint Renaud, canonisé populairement, reçut les honneurs  
 
miracles. Et saint Renaud, canonisé populairement, reçut les honneurs  
dus aux serviteurs de Dieu. (Ibid., pp. 454-457.) = 3° Ogier de  
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dus aux serviteurs de Dieu. (Ibid., pp. 454-457.)
Danemark. Ogier était le fds de ce roi de Danemark qui avait jadis  
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outragé les messagers de Charles. Otage de son père , il avait été  
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====3° Ogier de Danemark====
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Ogier était le fils de ce roi de Danemark qui avait jadis  
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outragé les messagers de Charles. Otage de son père, il avait été  
 
retenu prisonnier par l'Empereur, qui même voulut un jour le faire  
 
retenu prisonnier par l'Empereur, qui même voulut un jour le faire  
mourir. Nous avons vu plus haut comment il mérita le pardon de Char-
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mourir. Nous avons vu plus haut comment il mérita le pardon de Charlemagne en combattant contre les Sarrasins envahisseurs de Rome,  
lemagne en combattant contre les Sarrasins envahisseurs de Rome,  
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en luttant contre Caraheu et Danemont. (''Chevalerie Ogier de Danemarche'', poème attribué à Raimbert, {{XIIe}} siècle, 174-3102.)
en luttant contre Caraheu et Danemont. (Chevalerie Ogier de Dane-
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marche, poème attribué à Raimbert, xn e siècle, 174-3102.) Le Danois,  
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Le Danois,  
 
vainqueur, se reposait depuis longtemps à la cour de Charlemagne ;  
 
vainqueur, se reposait depuis longtemps à la cour de Charlemagne ;  
 
mais il en est de lui comme de Renaud de Montauban, et une partie  
 
mais il en est de lui comme de Renaud de Montauban, et une partie  
 
d'échecs va changer sa fortune. Son fils, Baudouinet, est tué par le  
 
d'échecs va changer sa fortune. Son fils, Baudouinet, est tué par le  
fds de l'Empereur, Chariot, qu'il a fait échec et mat. (Ibid., vers 3152,  
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fils de l'Empereur, Chariot, qu'il a fait échec et mat. (Ibid., vers 3152,  
 
3180.) Ogier l'apprend ; Ogier veut tuerie meurtrier; mais, assailli  
 
3180.) Ogier l'apprend ; Ogier veut tuerie meurtrier; mais, assailli  
par mille Français, il est forcé de s'enfuir et va jusqu'à Pavie deman-
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par mille Français, il est forcé de s'enfuir et va jusqu'à Pavie demander asile au roi Didier, qui le fait soudain ganfalonier de son royaume.  
der asile au roi Didier, qui le l'ail soudain ganfalonier de son royaume.  
 
 
(Ibid., 3181-3541.) Charlemagne le poursuit jusque-là et réclame du  
 
(Ibid., 3181-3541.) Charlemagne le poursuit jusque-là et réclame du  
roi lombard l'expulsion du Danois : Ogier jette un couteau à la tète
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roi lombard l'expulsion du Danois : Ogier jette un couteau à la tête
 
de l'ambassadeur impérial. (Ibid., 4074-4288.) Charles veut se venger  
 
de l'ambassadeur impérial. (Ibid., 4074-4288.) Charles veut se venger  
 
à tout prix. Les Lombards défendent Ogier : guerre aux Lombards.  
 
à tout prix. Les Lombards défendent Ogier : guerre aux Lombards.  
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inutile. Il est forcé de se retirer devant cent mille ennemis. (Ibid.,  
 
inutile. Il est forcé de se retirer devant cent mille ennemis. (Ibid.,  
 
4534-5883.) C'est pendant cette fuite, ou plutôt durant cette retraite,  
 
4534-5883.) C'est pendant cette fuite, ou plutôt durant cette retraite,  
que, devenu tout à l'ail fonde colère, Ogier égorge lâchement Amis  
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que, devenu tout à fait fou de colère, Ogier égorge lâchement Amis  
 
et Amiles. (Ibid., 5884-5891.) Mais la poursuite continue, continue  
 
et Amiles. (Ibid., 5884-5891.) Mais la poursuite continue, continue  
toujours. Par bonheur, Ogier a un admirable» cheval, Rroiefort, qui  
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toujours. Par bonheur, Ogier a un admirable» cheval, Broiefort, qui  
 
prend enfin son galop à travers ces cent mille ennemis et sauve  
 
prend enfin son galop à travers ces cent mille ennemis et sauve  
son maître déjà cerné. Le Danois parvient à s'enfermer dans Castel-
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son maître déjà cerné. Le Danois parvient à s'enfermer dans Castelfort : le siège de Castelfort va commencer. (Ibid., 5892-6868.) Dans  
fort : le siège de Castelfort va commencer. (Ibid., 5892-6868.) Dans  
 
 
ce château Ogier est seul, tout seul, et il a devant lui l'armée de  
 
ce château Ogier est seul, tout seul, et il a devant lui l'armée de  
 
Charlemagne. Son ami Guielin a succombé, tous ses chevaliers sont  
 
Charlemagne. Son ami Guielin a succombé, tous ses chevaliers sont  
 
morts, et c'est l'Occident tout entier qui semble conjuré contre le  
 
morts, et c'est l'Occident tout entier qui semble conjuré contre le  
seul Danois. (Ibid., 6689-8374.) Ne pouvant rien par la force, il  
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seul Danois. (Ibid., 6689-8374.) Ne pouvant rien par la force, il
 
 
 
 
 
 
ÉCLAIRCISSEMENT II 305
 
 
 
 
essaye de la ruse, et fabrique en bois de nombreux chevaliers qui  
 
essaye de la ruse, et fabrique en bois de nombreux chevaliers qui  
 
étonnent l'ennemi et l'arrêtent. Malgré tout, il va mourir de faim, et  
 
étonnent l'ennemi et l'arrêtent. Malgré tout, il va mourir de faim, et  
 
sort de cet asile. Il en sort avec le dessein d'égorger l'Empereur,  
 
sort de cet asile. Il en sort avec le dessein d'égorger l'Empereur,  
 
et essaye en réalité d'assassiner Chariot, qui cependant s'est montré  
 
et essaye en réalité d'assassiner Chariot, qui cependant s'est montré  
pour lui plein de générosité et de douceur. Mais, de nouveau pour-
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pour lui plein de générosité et de douceur.
suivi, Ogier est enfin fait prisonnier, et le voilà captif à Reims. (Ibid.,  
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Mais, de nouveau poursuivi, Ogier est enfin fait prisonnier, et le voilà captif à Reims. (Ibid.,  
 
8375-9424.) Charles veut l'y laisser mourir de faim; mais Turpin  
 
8375-9424.) Charles veut l'y laisser mourir de faim; mais Turpin  
 
sauve le Danois, dont la captivité ne dure pas moins de sept années.  
 
sauve le Danois, dont la captivité ne dure pas moins de sept années.  
 
L'Empereur le croit mort. (Ibid., 9425-9793.) La France cependant  
 
L'Empereur le croit mort. (Ibid., 9425-9793.) La France cependant  
est menacée d'un épouvantable danger : elle est envahie par le Sar-
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est menacée d'un épouvantable danger : elle est envahie par le Sarrasin Brehus. Ogier seul serait en état de la sauver, et c'est alors  
rasin Brehus. Ogier seul serait en état de la sauver, et c'est alors  
 
 
que Charles apprend que le Danois vit encore. (Ibid., 9793-10082.)  
 
que Charles apprend que le Danois vit encore. (Ibid., 9793-10082.)  
 
L'Empereur tombe aux genoux de son prisonnier, de son ennemi  
 
L'Empereur tombe aux genoux de son prisonnier, de son ennemi  
Ligne 413 : Ligne 278 :
 
avec Charlemagne, épouse la fille du roi d'Angleterre, qu'il a délivrée  
 
avec Charlemagne, épouse la fille du roi d'Angleterre, qu'il a délivrée  
 
des infidèles. Il reçoit de l'Empereur le comté de Hainaut, et c'est là  
 
des infidèles. Il reçoit de l'Empereur le comté de Hainaut, et c'est là  
qu'il finit ses jours en odeur de sainteté. Son corps est à Meaux ' . (Ibid . .  
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qu'il finit ses jours en odeur de sainteté. Son corps est à Meaux <ref>Toute cette légende d'Ogier s'est formée {{Petites capitales|en même temps}} que celle de ''Roland'' ;
12970-13042.) 4° Jean de Lanson. Jean de Lanson est un neveu  
+
elle a commencé dès les {{VIIIe}} - {{IXe}} siècles, et était presque achevée quand fut
 +
écrite noire Chanson. Mais ce seul là, notons-le bien, deux cycles tout à fait
 +
distincts, et qui n'ont eu entre eux aucune communication notable. Les deux
 +
légendes se sont formées chacune de leur côté, et sont toujours demeurées
 +
indépendantes l'une de l'autre.
 +
 
 +
Les origines de ''Renaus de Montauban''
 +
semblent un peu moins anciennes, et dans ''Girars de Viane'', la donnée générale du poèmr est, à peu près, le seul élément antique.</ref> . (Ibid . .  
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12970-13042.)
 +
 
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====4° Jean de Lanson====
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Jean de Lanson est un neveu  
 
de Ganelon, un petit-fils de Grifon d'Autefeuille : il est de la race  
 
de Ganelon, un petit-fils de Grifon d'Autefeuille : il est de la race  
des traîtres. Il possède la Pouille, la Calabre, le Maroc, qu'il a reçus  
+
des traîtres. Il possède la Pouille, la Calabre, le [[Maroc]], qu'il a reçus  
 
de Charlemagne. Tant de bonté n'a pas désarmé la haine qu'il porte  
 
de Charlemagne. Tant de bonté n'a pas désarmé la haine qu'il porte  
 
à l'Empereur, et il ne cesse de conspirer contre lui. Il offre à sa cour  
 
à l'Empereur, et il ne cesse de conspirer contre lui. Il offre à sa cour  
 
un asile au traître Alori, qui a assassiné Humbaut de Liège. Cette  
 
un asile au traître Alori, qui a assassiné Humbaut de Liège. Cette  
 
dernière insulte met à bout la patience de Charles, et il envoie à Jean  
 
dernière insulte met à bout la patience de Charles, et il envoie à Jean  
de Lanson les douze Pairs pour le défier. (Jehan de Lanson, poème du  
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de Lanson les douze Pairs pour le défier. (''Jehan de Lanson'', poème du  
commencement du xm e siècle, Ms. de l'Arsenal, 3145; anc. B. L. F.  
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commencement du {{XIIIe}} siècle, Ms. de l'Arsenal, 3145; anc. B. L. F.  
186, f° 108 et ss.) Les douze Pairs traversent toute l'Italie, el se  
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186, f° 108 et ss.) Les douze Pairs traversent toute l'Italie, et se  
voient menacés par les traîtres à la télé desquels esl Alori. (Ibid.,  
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voient menacés par les traîtres à la télé desquels esl Alori. (''Ibid''.,  
f° 121.) Par bonheur les messagers de Charles ont avec eux l'enchan-
+
f° 121.)
teur Basin de Gènes, qui, autre Maugis, emploie mille ruses pour
 
 
 
1 Toute cette légende d"l Igier s'csl formée en mi. mi. i emps que celle de Ko], nul ;
 
elle ;i commencé dès les vni'-ix 6 siècles, cl étail presque achevée quand lui
 
écrite noire Chanson. Mais rc seul là, notons-le bien, deux cycles tout à fait
 
ilislincls, cl qui n'ont eu entre eux aucune communication notable. Les deux
 
légendes se sont formées chacune de leur côté, cl sont toujours demeurées
 
indépendantes l'une de l'autre = Les origines '!>■ Renaus de Montauban
 
semblent un peu moins anciennes, h dans Girars de Viane, la donnée géné-
 
rale du poè en est, ;'< peu près, If seul élémenl antique.
 
  
20
+
Par bonheur les messagers de Charles ont avec eux l'enchanteur Basin de Gènes, qui, autre Maugis, emploie mille ruses pour
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déjouer les projets d'Alori. (Ms. de la B. N. fr. 2405, f° 1-13, v°)
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<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 306.jpg|50px|left]]</div>
  
 
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C'est en vain que Jean de Lanson oppose Malaquin à Basin, magicien à magicien : Basin parvient à restituer aux douze Pairs leurs  
 
 
306 LA CHANSON UE ROLAND
 
 
 
déjouer les projets d'Alori. (Ms. de la B. N. fr. 2495, f° 1-13, v«\)
 
C'est en vain que Jean de Lanson oppose Malaquin à Basin, magi-
 
cien à magicien : Basin parvient à restituer aux douze Pairs leurs  
 
 
épées qui leur avaient été habilement volées (Ibid., f° 14, v°), et  
 
épées qui leur avaient été habilement volées (Ibid., f° 14, v°), et  
 
trouve, à travers mille aventures, le secret de pénétrer en France, à  
 
trouve, à travers mille aventures, le secret de pénétrer en France, à  
Ligne 452 : Ligne 314 :
 
Calabre, et, vainqueur dans une première bataille, met le siège  
 
Calabre, et, vainqueur dans une première bataille, met le siège  
 
devant Lanson. (Ibid., f° 29-55.) Encore ici, Basin lui vient en aide.  
 
devant Lanson. (Ibid., f° 29-55.) Encore ici, Basin lui vient en aide.  
Il endort tous les habitants du palais de Lanson et le duc Jean lui-  
+
Il endort tous les habitants du palais de Lanson et le duc Jean lui- même. Charles pénètre dans ce chcàteau enchanté, et délivre les  
même. Charles pénètre dans ce chcàteau enchanté, et délivre les  
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douze Pairs depuis trop longtemps prisonniers <ref>''Jehan de Lanson'' est une œuvre littéraire, et où la légende ne tient aucune place. </ref> . (Ibid., f° 55-64 v°.)
douze Pairs depuis trop longtemps prisonniers 1 . (Ibid., f° 55-64 v°.)  
 
  
IV. Avant la grande expédition d'Espagne : 1° Charlemagne en  
+
===IV. Avant la grande expédition d'Espagne===
Orient. L'Empereur est à Saint-Denis. Il se met la couronne en  
+
====1° Charlemagne en Orient====
tête et ceint son épée : « Connaissez -vous, dit-il à l'impératrice, un  
+
L'Empereur est à Saint-Denis. Il se met la couronne en  
« chevalier, un roi, à qui la couronne aille mieux? — Oui, ré-
+
tête et ceint son épée :
« pond-elle imprudemment, j'en connais un : c'est l'empereur Hugon  
+
:« Connaissez-vous, dit-il à l'impératrice, un chevalier, un roi, à qui la couronne aille mieux? »
« de Conslantinople. » (Vers 1-6G du Voyage à Jérusalem et à  
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:« Oui », répond-elle imprudemment, « j'en connais un : c'est l'empereur Hugon de Conslantinople. »  
Constantinople, premier tiers du xn e siècle.) Charles, bridé de  
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::(Vers 1-60 du ''Voyage à Jérusalem et à Constantinople'', premier tiers du {{XIIe}} siècle.)  
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Charles, bridé de  
 
jalousie, veut aller voir ce roi si bien coiffé. Il part avec les douze  
 
jalousie, veut aller voir ce roi si bien coiffé. Il part avec les douze  
Pairs, et va d'abord à Jérusalem pour adorer le saint Sépulcre.  
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Pairs, et va d'abord à Jérusalem pour adorer le saint Sépulcre.
Suivi de quatre- vingt mille hommes, il arrive dans la Ville sainte.  
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Suivi de quatre-vingt mille hommes, il arrive dans la Ville sainte.  
 
(Ibid., v. 67-108.) Reconnu par le Patriarche, Charles reçoit de lui  
 
(Ibid., v. 67-108.) Reconnu par le Patriarche, Charles reçoit de lui  
 
lu sainte couronne, un des clous, le calice eucharistique et du lait  
 
lu sainte couronne, un des clous, le calice eucharistique et du lait  
 
de la Vierge. L'attouchement de ces reliques guérit un paralytique, et  
 
de la Vierge. L'attouchement de ces reliques guérit un paralytique, et  
leur authenticité est par là mise en lumière. (Ibid., 113-198.) L'Em-
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leur authenticité est par là mise en lumière. (Ibid., 113-198.) L'Empereur quitte enfin Jérusalem et se dirige vers Constantinople, après  
pereur quitte enfin Jérusalem et se dirige vers Constantinople, après  
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avoir fait voeu de chasser les païens de l'Espagne. (Ibid., 221-232.)  
avoir (ait vomi de chasser les païens de l'Espagne. (Ibid., 221-232.)  
 
 
Charles traverse toute l'Asie et arrive enfin à Constantinople, où il est  
 
Charles traverse toute l'Asie et arrive enfin à Constantinople, où il est  
 
gracieusement accueilli par l'empereur Hugon. (Ibid., 262-403.) Par  
 
gracieusement accueilli par l'empereur Hugon. (Ibid., 262-403.) Par  
 
malheur, les barons français ne se montrent pas assez reconnaissants  
 
malheur, les barons français ne se montrent pas assez reconnaissants  
 
de cette hospitalité, et se livrent, pendant toute une nuit, à des  
 
de cette hospitalité, et se livrent, pendant toute une nuit, à des  
plaisanteries, à desgraosoù l'empereur et l'empire d'Orient sont fort  
+
plaisanteries, à des ''gabs'' où l'empereur et l'empire d'Orient sont fort  
 
insolemment traités. Ces forfanteries sont rapportées à Hugon, qui  
 
insolemment traités. Ces forfanteries sont rapportées à Hugon, qui  
 
s'irrite contre les Français et les met en demeure de réaliser leurs  
 
s'irrite contre les Français et les met en demeure de réaliser leurs  
gabs. (Ibid., 446-685.) C'est alors que Dieu envoie un ange au se-
+
''gabs''. (Ibid., 446-685.) C'est alors que Dieu envoie un ange au secours de Charles, fort embarrassé; c'est alors aussi que les plaisanteries  des douze Pairs reçoivent, malgré leur immoralité, un commencement d'exécution. Hugon se déclare satisfait et tombe aux bras  
cours de Charles, fort embarrassé; c'est alors aussi que les plaisan-
+
de Charles. (Ibid., 686-802.) Bref, la paix est faite, et Charles peut
teriesdes douze Pairs reçoivent, malgré leur immoralité, un com-
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enfin partir en Occident. Il rapporte en France les reliques de la  
mencement d'exécution. Hugon se déclare satisfait et tombe aux bras  
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Passion <ref> Le ''Voyage à Jérusalem'' n'est, dans sa deuxième partie, qu'un misérable  
de Charles. (Ibid., 686-802.) Bref, la paix est faite, et Charles peut  
+
fabliau épique ; mais, si l'on considère uniquement son début et ses derniers  
 
+
vers, il a certaines racines dans la tradition. Cependant la légende n'apparaît  
1 Jehan de Lanson est une œuvre littéraire, et où la légende ne tient aucune
+
pas avant le ''Benedicli Chronicon'', œuvre d'un moine du mon! Soracte, nommé  
 
 
place.
 
 
 
 
 
 
 
ÉCLAIRCISSEMENT II 307
 
 
 
enfin partir en Occident. 11 rapporte en France les reliques de la  
 
Passion '. (Ibid., 803-859.) = Cependant Olivier avait eu un fils de
 
la fille de l'empereur Hugon. C'est ce fils, du nom de Galien, qui se
 
met plus tard à la recherche de son père et le retrouve enfin sur
 
le champ de bataille de Roncevaux , au moment où l'ami de Roland
 
rend le dernier soupir 2 . = 2° Charlemagne en Rretagne. « Acquin,
 
empereur des Sarrasins, » s'est rendu maître de la Petite -Rretagne.
 
Il habite le palais de Guidalet ; mais Charlemagne, lassé de la paix,
 
s'apprête à marcher contre les envahisseurs norois. (Acquin, poème
 
de la fin du xn siècle, conservé dans un manuscrit du xv c ,
 
R. N. fr. 2233, f° 1, r°.) Charles arrive à Avranches et s'installe à
 
Dol. « Commençons la guerre, » dit l'Archevêque. {Ibid., f° 1, v°
 
— ■ 3, r°.) La situation des chrétiens est difficile. Une ambassade est,
 
sur le conseil de l'archevêque de Dol, envoyée à Acquin par Char-
 
lemagne. Les messagers de l'Empereur, insolents comme toujours,
 
sont sur le point d'être tués par les Norois ; mais la femme du roi
 
païen intercède en leur faveur. (Ibid., f° 37° — 7, v°.) Naimes est
 
d'avis de commencer immédiatement la guerre et de mettre le siège
 
devant Guidalet. Dans une première bataille, les chrétiens sont vain-
 
queurs. (Ibid., f ,J 7, v° — 16, r°.) Leurs pertes sont d'ailleurs consi-
 
dérables, et le père de Roland, Tiori, meurt sur le lieu du combat.
 
 
 
 
 
 
 
1 Le Voyage à Jérusalem n'est, dans sa deuxième partie, qu'un misérable  
 
fabliau épique ; mais , si l'on considère uniquement son début et ses derniers  
 
vers, il a certaines racines dans la tradition. Cependanl la légende n'apparaît  
 
pas avant le Benedicli Chronicon , œuvre d'un moine du mon! Soracte, nommé  
 
 
Benoit (mort vers 968), lequel se contenta de falsifier un passage d'Eginhard  
 
Benoit (mort vers 968), lequel se contenta de falsifier un passage d'Eginhard  
en substituant le mot Rex aux nuits Legali régis. (Voir Épopées françaises,  
+
en substituant le mot Rex aux nuits ''Legali régis''. (Voir ''Épopées françaises'',  
2" édition, III, p. 284, ci notre première édilion du Roland, II, 37.) Cf. une  
+
2<sup>e</sup> édition, III, p. 284, ci notre première édilion du Roland, II, 37.) Cf. une  
ide latine de 1060-1080, Ylter Jerosolimitanum , qui devait être un jour  
+
ide latine de 1060-1080, l''Iter Jerosolimitanum'' , qui devait être un jour  
insérée dans les Chroniques de Saint-Denis. On y voil le patriarche de Jérusa-
+
insérée dans les Chroniques de Saint-Denis. On y voit le patriarche de Jérusalem, chassé de sa ville par les Sarrasins, réclamer l'aide de l'empereur d'Orient,  
lem, ebassé de sa ville parles Sarrasins, réclamer l'aide de l'empereur d'Orient,  
 
 
et être en réalité secouru par Charlemagne, qui obtient de lui les saintes  
 
et être en réalité secouru par Charlemagne, qui obtient de lui les saintes  
reliques de la Passion. Voir aussi la Karlamagnus Saga (xm e siècle), et, tout  
+
reliques de la Passion. Voir aussi la ''Karlamagnus Saga'' ({{XIIIe}} siècle), et, tout  
particulièremenl , les trois sources suivantes : le ms. de l'Arsenal 3351 | \v siècle),  
+
particulièrement, les trois sources suivantes : le ms. de l'Arsenal 3351 {{XVe}} siècle),  
le ms. IV. 1470 de la Bibliothèque nationale t\v siècle) e1 le (h/lien incunable,  
+
le ms. IV. 1470 de la Bibliothèque nationale {{XVe}} siècle) et le ''Galien'' incunable,  
qui nous offrenl trois remaniements eu prose du Voyage, avec quelques élé-
+
qui nous offrent trois remaniements eu prose du Voyage, avec quelques éléments nouveaux.
ments nouveaux. = Un poème de la décadence, Simon de Pouille (B. N. fr. 368,  
+
<br/><br/>
xiv c siècle, f° 144), nous fait assister a une véritable croisade des douze Pairs  
+
Un poème de la décadence, Simon de Pouille (B. N. fr. 368, {{XIVe}} siècle, f° 144), nous fait assister a une véritable croisade des douze Pairs  
 
 
 
en Orient, et Girard d'Amiens, en son Charlemagne (c tencemen) du xiv e  
 
en Orient, et Girard d'Amiens, en son Charlemagne (c tencemen) du xiv e  
 
 
siècle), raconte me expédition du grand empereur lui-même sous les murs  
 
siècle), raconte me expédition du grand empereur lui-même sous les murs  
de Jérusalem. Enfin, David Aubert, au xv e siècle, ne fait que reproduire en  
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de Jérusalem. Enfin, [[A pour auteur cité::David Aubert]], au {{XVe}} siècle, ne fait que reproduire en  
prose, dans ses Conquesles de Charlemagne, le récil de Girard d'Amiens donl
+
prose, dans ses Conquesles de Charlemagne, le récit de Girard d'Amiens dont
il comble une lacune importante.  
+
il comble une lacune importante. </ref>. (Ibid., 803-859.)
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<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 307.jpg|50px|left]]</div>
  
- Voir le Roman en prose de Galien, qui nous esl parvenu sous trois formes  
+
Cependant Olivier avait eu un fils de la fille de l'empereur Hugon. C'est ce fils, du nom de Galien, qui se met plus tard à la recherche de son père et le retrouve enfin sur le champ de bataille de Roncevaux, au moment où l'ami de Roland rend le dernier soupir<ref>Voir le Roman en prose de ''Galien'', qui nous est parvenu sous trois formes  
(Bibl. de l'Arsenal, 3351; Bibl. nat. IV. 1470; e1 Galien incunable, ir.no. Vé-
+
(Bibl. de l'Arsenal, 3351; Bibl. nat. IV. 1470; e1 Galien incunable, ir.no. Vérard, i te). Ces romans en pro i iblemenl dérivés d'un roman en vers de la fin du xnr siècle qu'on avail cru perdu jusqu'à ces dernières aminées et  
rard, i te). Ces romans en pro i iblemenl dérivés d'un roman en vers  
 
 
 
de la fin du xnr siècle qu'on avail cru perdu jusqu'à ces dernières aminées et  
 
 
que M. Stengel a publié récemmenl d'après un manuscrit de Cheltenham. El cette  
 
que M. Stengel a publié récemmenl d'après un manuscrit de Cheltenham. El cette  
 
chanson elle-même avait été précédée par un ou deux autres poèmes qui ne  
 
chanson elle-même avait été précédée par un ou deux autres poèmes qui ne  
sont point parvenus jusqu'à nous.  
+
sont point parvenus jusqu'à nous. </ref>.
  
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====2° Charlemagne en Bretagne====
  
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« Acquin, empereur des Sarrasins, » s'est rendu maître de la Petite-Bretagne.
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Il habite le palais de Guidalet ; mais Charlemagne, lassé de la paix,
 +
s'apprête à marcher contre les envahisseurs ''norois''. (Acquin, poème
 +
de la fin du {{XIIe}} siècle, conservé dans un manuscrit du {{XVe}},
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R. N. fr. 2233, f° 1, r°.) Charles arrive à Avranches et s'installe à
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Dol. « Commençons la guerre, » dit l'Archevêque. (Ibid., f° 1, v° — 3, r°.) La situation des chrétiens est difficile. Une ambassade est, sur le conseil de l'archevêque de Dol, envoyée à Acquin par Charlemagne. Les messagers de l'Empereur, insolents comme toujours,
 +
sont sur le point d'être tués par les Norois ; mais la femme du roi
 +
païen intercède en leur faveur. (Ibid., f° 37° — 7, v°.) Naimes est
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d'avis de commencer immédiatement la guerre et de mettre le siège
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devant Guidalet. Dans une première bataille, les chrétiens sont vainqueurs. (Ibid., f ,J 7, v° — 16, r°.) Leurs pertes sont d'ailleurs considérables, et le père de Roland, Tiori, meurt sur le lieu du combat.
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<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 308.jpg|50px|left]]</div>
  
308 I>A CHANSON DE ROLAND
+
Malgré tout, les Français s'emparent de Dinart et investissent Guidalet. Le siège est long et rude. Même un jour, l'armée de Charles  
 
 
Malgré tout, les Fiançais s'emparent de Dinart et investissent Gui-
 
dalet. Le siège est long et rude. Même un jour, l'armée de Charles  
 
 
est surprise et vaincue. (Ibid., r° 17, 7° — 30, r°.) Naimes n'échappe  
 
est surprise et vaincue. (Ibid., r° 17, 7° — 30, r°.) Naimes n'échappe  
 
à la mort que grâce à un miracle. (Ibid., f° 31-33.) Mais Guidalet  
 
à la mort que grâce à un miracle. (Ibid., f° 31-33.) Mais Guidalet  
tomhe enfin au pouvoir des Bretons et des Français, et Gardainne  
+
tombe enfin au pouvoir des Bretons et des Français, et Gardainne  
 
est miraculeusement anéantie par un orage envoyé de Dieu. (Ibid.,  
 
est miraculeusement anéantie par un orage envoyé de Dieu. (Ibid.,  
 
f° 33-50, v°.) Un duel de Naimes et d'Acquin parait terminer la  
 
f° 33-50, v°.) Un duel de Naimes et d'Acquin parait terminer la  
Chanson 1 . Acquin meurt, et sa femme est baptisée. (Ibid., f° 50-55.)  
+
Chanson <ref>Dans ce poème, dont nous ne possédons pas de version complète, l'élément
= 3° Fierabras et Otinel. Charles est, une fois de plus, en guerre  
+
littéraire est plus considérable que l'élément traditionnel On y rencontre cependant des légendes visiblement antiques; mais tout a été écrit en dehors de la
 +
Chanson de Roland et de noire légende.
 +
</ref> . Acquin meurt, et sa femme est baptisée. (Ibid., f° 50-55.)
 +
 
 +
====3° Fierabras et Otinel====
 +
Charles est, une fois de plus, en guerre  
 
avec les païens ; même il vient de leur livrer une bataille longuement  
 
avec les païens ; même il vient de leur livrer une bataille longuement  
disputée. (Fierabras, poème du xm° siècle, éd. Krœber et Servois,  
+
disputée. (''Fierabras'', poème du {{XIIIe}} siècle, éd. Krœber et Servois,  
v. 24-45. M. Grœber a publié dans la Romania une première branche  
+
v. 24-45. [[A pour auteur cité::Gustav Gröber|M. Grœber]] a publié dans la Romania une première branche  
de Fierabras qui a pour titre La Destruction de Rome, et où est ra-
+
de Fierabras qui a pour titre La Destruction de Rome, et où est racontée en effet la prise de la ville des Papes par l'émir Balant et les  
contée en effet la prise de la ville des Papes par l'émir Balant et les  
+
Sarrasins.)
Sarrasins.) Un géant sarrasin, haut de quinze pieds, défie un jour tous  
+
Un géant sarrasin, haut de quinze pieds, défie un jour tous  
 
les chevaliers de Charlemagne. Or c'est lui, c'est Fierabras qui a  
 
les chevaliers de Charlemagne. Or c'est lui, c'est Fierabras qui a  
 
massacré les habitants de Rome et qui, maître du saint sépulcre et de  
 
massacré les habitants de Rome et qui, maître du saint sépulcre et de  
 
Jérusalem, possède toutes les reliques de la Passion : le baume avec  
 
Jérusalem, possède toutes les reliques de la Passion : le baume avec  
lequel Notre-Seigneur fut enseveli, l'enseigne de la croix, la cou-
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lequel Notre-Seigneur fut enseveli, l'enseigne de la croix, la couronne et les clous. (Ibid., v. 50-06.) Au défi du païen, c'est Olivier  
ronne et les clous. (Ibid., v. 50-06.) Au défi du païen, c'est Olivier  
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qui répond.  
qui répond. Le duel terrible va commencer : il s'engage. (Ibid., 93-  
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368.) Le géant a trois épées, et le baume divin, dont il emporte avec  
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Le duel terrible va commencer : il s'engage. (''Ibid''., 93- 368.) Le géant a trois épées, et le baume divin, dont il emporte avec  
 
lui plusieurs barils, guérit en un instant toutes les blessures qu'il peut  
 
lui plusieurs barils, guérit en un instant toutes les blessures qu'il peut  
 
recevoir. Cependant Olivier ne recule point devant un tel adversaire,  
 
recevoir. Cependant Olivier ne recule point devant un tel adversaire,  
 
cherche à le convertir, s'empare des barils miraculeux, qu'il jette  
 
cherche à le convertir, s'empare des barils miraculeux, qu'il jette  
 
dans la mer, et porte au Sarrasin un coup vainqueur. Fierabras  
 
dans la mer, et porte au Sarrasin un coup vainqueur. Fierabras  
s'avoue vaincu et demande à grands cris le baptême. (Ibid., 369-449  
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s'avoue vaincu et demande à grands cris le baptême. (''Ibid''., 369-449  
 
et ss.) Pendant qu'Olivier emporte le géant blessé, il est cerné  
 
et ss.) Pendant qu'Olivier emporte le géant blessé, il est cerné  
 
par les païens et tombe en leur pouvoir. (Ibid., 2631-1862.) Fierabras,  
 
par les païens et tombe en leur pouvoir. (Ibid., 2631-1862.) Fierabras,  
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se marier avec Gui de Bourgogne. (Ibid., 2255.) Mais les événements  
 
se marier avec Gui de Bourgogne. (Ibid., 2255.) Mais les événements  
 
ne tournent pas à l'avantage des chrétiens, et Balant se rend maître  
 
ne tournent pas à l'avantage des chrétiens, et Balant se rend maître  
de Gui , de Roland , de Naimes et des premiers barons français.  
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de Gui, de Roland, de Naimes et des premiers barons français.  
 
(Ibid., 2256-2712.) Floripas entreprend de les délivrer, et y réussit.  
 
(Ibid., 2256-2712.) Floripas entreprend de les délivrer, et y réussit.  
 
(Ibid., 2713-5861.) Balant lui-même est fait prisonnier, et, plutôt  
 
(Ibid., 2713-5861.) Balant lui-même est fait prisonnier, et, plutôt  
 
que de recevoir le baptême, va au-devant de la mort. C'est Floripas  
 
que de recevoir le baptême, va au-devant de la mort. C'est Floripas  
 
elle-même qui, fille dénaturée, se montre la plus impitoyable pour  
 
elle-même qui, fille dénaturée, se montre la plus impitoyable pour  
son père: Balant meurt. (Ibid., 5862-5991.) Floripas épouse enfin  
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son père: Balant meurt. (Ibid., 5862-5991.)  
 
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<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 309.jpg|50px|left]]</div>
1 Dans ce poème, dont nous ne possédons pas de version complète, l'élément
+
Floripas épouse enfin  
littéraire est plus considérable que l'élément traditionnel On y rencontre cepen-
+
Gui de Bourgogne et apporte à Charlemagne les reliques de la Passion,  
dant des légendes visiblement antiques; mais tout a été écrit en dehors de la
+
qui sont l'objet, le véritable objet de toute cette lutte. Dieu atteste
Chanson de Roland et de noire légende.  
+
leur authenticité par de beaux miracles.
  
 +
C'est trois ans plus tard que
 +
Ganelon trahit la France et vend Roland <ref>Le Fierabras, que nous venons de résumer, n'est pas la version la plus
 +
ancienne de ce poème. Suivanl M. G. Paris, il a existé une Chanson antérieure,
 +
qui pouvait bien avoir pour titre : Balant. Ce poèi :ommençai1 par le récil
 +
d'une prise de Rome que les Sarrasins enlevaient aux chrétiens; Charles arri
 +
v.iii au secours des vaincus, e1 c'est alors qu'avail lieu le combal d'Olivier el
 +
de Fierabras. C'était tout, et il n'y avait là que le développement de deux lieux
 +
communs épiques : « le Siège de Rome i e1 ci le Duel avec un géanl ». Nuire
 +
poème n'offre que le dernier de ces lieux communs ; mais, comme irais l'avons
 +
dil plus haut, M. Grœber a retrouvé dans le manuscrit 578 de la Bibliothèque
 +
municipale do Hanovre La première branche du Fierabras, el l'a publiée, sous
 +
le titre de i la Destruction de Rome », dan- la Romania (II, p. I e1 ss.). =
 +
Fierabras, comme le Voyage à Jérusalem, a été composé pour être chanté à
 +
la foire du Lendil , où l'on faisait une exhibition solennelle de certaines Reliques
 +
de la Passion. (V. nos Epopées françaises, 2 e édition, III.</ref>. (Ibid., 5992-6219.)
  
  
ÉCLAIRCISSEMENT 11 309
+
Au
 
+
commencement d'''[[A pour ouvrage cité::Otinel]]'' (xni c siècle), l'Empereur tient cour plénière  
Gui de Bourgogne et apporte à Charlemagne les reliques de la Passion,
 
qui sont l'objet, le véritable objet de toute cette lutte. Dieu atteste
 
leur authenticité par de beaux miracles. C'est trois ans plus tard que
 
Ganelon trahit la France et vend Roland '. (Ibid., 5992-6219.) = Au
 
commencement à.' Otinel (xni c siècle), l'Empereur tient cour plénière  
 
 
à Paris. (Édition Guessard et Michelant, vers 23 et ss.) Survient un  
 
à Paris. (Édition Guessard et Michelant, vers 23 et ss.) Survient un  
 
messager païen du roi Garsile : « Abandonne ta foi , dit-il à Charles,  
 
messager païen du roi Garsile : « Abandonne ta foi , dit-il à Charles,  
Ligne 623 : Ligne 470 :
 
de cette guerre, Ogier est fait prisonnier, mais parvient à s'échapper.  
 
de cette guerre, Ogier est fait prisonnier, mais parvient à s'échapper.  
 
(Ibid., 1916-1945.) La grande et décisive bataille est à la fin livrée :  
 
(Ibid., 1916-1945.) La grande et décisive bataille est à la fin livrée :  
Otinel tue Garsile, et l'on célèbre joyeusement ses noces avec Bé-
+
Otinel tue Garsile, et l'on célèbre joyeusement ses noces avec Bélissent
lissent 2 . (Ibid., 1948-2132.)
+
<ref> Otinel ne contient rien de légendaire : c'est une œuvre de pure imagination :
  
V. L'Espagne. Charles se repose de tant de guerres, et, au milieu  
+
Cf. l'épisode d'Ospinel dans le Karl Meinel , compilation allemande du commencemenl du \iv siècle, et le récil de Jacques d'Acqui (fin du xni siècle).
 +
Touie- ces fables sont postérieures à la rédaction du Roland. </ref> . (Ibid., 1948-2132.)
 +
 
 +
===V. L'Espagne===
 +
Charles se repose de tant de guerres, et, au milieu  
 
de sa gloire, oublie le vœu qu'il a fait jadis d'aller délivrer l'Espagne  
 
de sa gloire, oublie le vœu qu'il a fait jadis d'aller délivrer l'Espagne  
et le (( chemin des Pèlerins ». Saint Jacques lui apparaît et lui  
+
et le « chemin des Pèlerins ». Saint Jacques lui apparaît et lui  
annonce que le temps est venu d'accomplir son vœu. (L'Entrée en  
+
annonce que le temps est venu d'accomplir son vœu. (''L'Entrée en Espagne'', poème du commencement du {{XIVe}} siècle renfermant des  
Espagne, poème du commencement du xiv e siècle renfermant des  
+
morceaux du {{XIIIe}}. Mss. fr. de Venise, xxi, f° 1, 2.)  
morceaux du xm c . Mss. fr. de Venise, xxi, f° 1, 2.) L'Empereur  
+
 
 +
L'Empereur  
 
n'hésite pas à obéir à celte voix du ciel ; mais il n'en est pas de même  
 
n'hésite pas à obéir à celte voix du ciel ; mais il n'en est pas de même  
 
de ses barons, qui prennent trop de plaisir à la paix et s'y endorment :  
 
de ses barons, qui prennent trop de plaisir à la paix et s'y endorment :  
Roland les réveille. (Ibid., f° 2-7.) Marsile est saisi d'épouvante en
+
Roland les réveille. (Ibid., f° 2-7.)  
 
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<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 310.jpg|50px|left]]</div>
 
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Marsile est saisi d'épouvante en
 
 
i Le Fierabras, que nous venons de résumer, n'esl pas la version la plus
 
ancienne de ce poème. Suivanl M. G. Paris, il a existé une Chanson antérieure,
 
 
 
qui pouvail bien avoir pour litre : Balant. Ce poèi :ommençai1 par le récil
 
 
 
d'une prise de Rome que les Sarrasins enlevaienl aux chrétiens; Charles arri
 
v.iii au secours des vaincus, e1 c'esl alors qu'avail lieu le combal d'Olivier el
 
de Fierabras. C'étail tout, e1 il n'y avait là que le développement de deux lieux
 
communs épiques : « le Siège de Rome i e1 ci le Duel avec un géanl ». Nuire
 
poème n'offre que le dernier de ces lieux communs ; mais, comme irais l'avons
 
dil plus haut, M. Grœber a retrouvé dans le manuscrit 578 de la Bibliothèque
 
municipale do Hanovre La première branche du Fierabras, el l'a publiée, sous
 
le titre de i la Destruction de Rome », dan- la Romania (II, p. I e1 ss.). =
 
Fierabras, comme le Voyage à Jérusalem, a été composé pour être chanté à
 
la foire du Lendil , où l'on faisait une exhibition solennelle de certaines Reliques
 
de la Passion. (V. nos Epopées françaises, 2 e édition, III.
 
 
 
- Otinel ne contient rien de légendaire : c'esl une œuvre de pure imagination :
 
= Cf. l'épisode d'Ospinel dans le Karl Meinel , compilation allemande du com-
 
mencemenl du \iv siècle, et le récil de Jacques d'Acqui (fin du xni siècle).
 
Touie- ces fables sont postérieures à la rédaction du Roland.
 
 
 
 
 
 
 
310 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
 
apprenant l'arrivée des Français. Par bonheur, il a pour neveu le  
 
apprenant l'arrivée des Français. Par bonheur, il a pour neveu le  
 
géant Ferragus, qui va défier les douze Pairs, lutte avec onze d'entre  
 
géant Ferragus, qui va défier les douze Pairs, lutte avec onze d'entre  
eux et, onze fois vainqueur, les fait tous prisonniers. (Ibid., 7-31.)  
+
eux et, onze fois vainqueur, les fait tous prisonniers. (''Ibid''., 7-31.)  
 
Mais il reste Roland, et celui-ci, après un combat de plusieurs jours,  
 
Mais il reste Roland, et celui-ci, après un combat de plusieurs jours,  
finit par trancher la tète du géant, qu'il eût voulu épargner et con-
+
finit par trancher la tète du géant, qu'il eût voulu épargner et convertir. (''Ibid''., 31-79.) L'action se transporte alors sous les murs de  
vertir. (Ibid., 31-79.) L'action se transporte alors sous les murs de  
+
Pampelune, et elle y demeurera longtemps.  
Pampelune, et elle y demeurera longtemps. Une première bataille  
+
 
 +
Une première bataille  
 
se livre sur ce théâtre de tant de combats : Isoré, fils de Malceris,  
 
se livre sur ce théâtre de tant de combats : Isoré, fils de Malceris,  
 
roi de Pampelune, s'illustre par d'admirables mais inutiles exploits.  
 
roi de Pampelune, s'illustre par d'admirables mais inutiles exploits.  
 
Il est fait prisonnier, et, sans l'intervention de Roland, Charles eût  
 
Il est fait prisonnier, et, sans l'intervention de Roland, Charles eût  
ordonné sa mort. (Ibid., 79-121.) La guerre continue, terrible. Une  
+
ordonné sa mort. (''Ibid''., 79-121.) La guerre continue, terrible. Une  
 
des plus grandes batailles d'Espagne va commencer : Roland est  
 
des plus grandes batailles d'Espagne va commencer : Roland est  
relégué à l'arrière-garde, et s'en indigne. (Ibid., 212-162.) Voici la  
+
relégué à l'arrière-garde, et s'en indigne. (''Ibid''., 212-162.) Voici la  
 
mêlée: on y admire à la fois le courage de l'Empereur et celui de  
 
mêlée: on y admire à la fois le courage de l'Empereur et celui de  
 
Ganelon. (Ibid., 162.) Quant à Roland, il commet la faute très grave  
 
Ganelon. (Ibid., 162.) Quant à Roland, il commet la faute très grave  
 
de déserter le champ de bataille avec tout son corps d'armée. Il est  
 
de déserter le champ de bataille avec tout son corps d'armée. Il est  
 
« vrai qu'il s'empare de la ville de Nobles; mais il n'en a pas moins  
 
« vrai qu'il s'empare de la ville de Nobles; mais il n'en a pas moins  
compromis la victoire des Français. L'Empereur le lui reproche cruel-
+
compromis la victoire des Français. L'Empereur le lui reproche cruellement, et va jusqu'à le frapper. Roland s'éloigne, et quand Charlemagne, apaisé, envoie a sa recherche, il n'est plus possible de le trouver. (''Ibid''., 162-220.) Roland s'embarque, et arrive en Orient; il se met au service du « roi de Persie », délivre la belle Diones, organise  
lement, et va jusqu'à le frapper. Roland s'éloigne, et quand Charle-
+
l'Orient à la française et fait le pèlerinage des saints lieux. (''Ibid''., 220-275.) Mais il se hâte de revenir en Espagne, et tombe, tout en  
magne, apaisé, envoie a sa recherche, il n'est plus possible de le trou-
+
larmes, aux pieds de l'Empereur. (''Ibid''., 275-303.)  
ver. (Ibid., 162-220.) Roland s'embarque, et arrive en Orient; il se  
+
 
met au service du « roi de Persie », délivre la belle Diones, organise  
+
La réconciliation  
l'Orient à la française et fait le pèlerinage des saints lieux. (Ibid.,  
+
est faite, mais la grande guerre est loin d'être finie : Pampelune, en  
220-275.) Mais il se hâte de revenir en Espagne, et tombe, tout en  
 
larmes, aux pieds de l'Empereur. ( Ibid., 275-303.) La réconciliation  
 
est faite, mais la grande guerre esl loin d'être finie : Pampelune, en  
 
 
effet, est toujours défendue par Malceris et Isoré, son fils. Leur cou-  
 
effet, est toujours défendue par Malceris et Isoré, son fils. Leur cou-  
 
rage ne parvient pas à sauver la ville, et Charlemagne y entre. (Prise  
 
rage ne parvient pas à sauver la ville, et Charlemagne y entre. (Prise  
Ligne 695 : Ligne 518 :
 
Par malheur, les chrétiens ne restent pas unis dans leur victoire, et  
 
Par malheur, les chrétiens ne restent pas unis dans leur victoire, et  
 
une épouvantable lutte «''date entre les Allemands et les Lombards.  
 
une épouvantable lutte «''date entre les Allemands et les Lombards.  
C'est Roland qui a la gloire de les séparer, ef de faire la paix. ( Ibid.,  
+
C'est Roland qui a la gloire de les séparer, et de faire la paix. ( Ibid.,  
 
170-425.) Il reste à régler le sort du roi Malceris, et Charles, si cruel  
 
170-425.) Il reste à régler le sort du roi Malceris, et Charles, si cruel  
tout à l'heure contre les Sarrasins, devient tout à coup d'une géné-
+
tout à l'heure contre les Sarrasins, devient tout à coup d'une générosité ridicule. Il veut faire de Malceris un >\os douze Pairs ; mais  
rosité ridicule. 11 veut faire de Malceris un >\os douze Pairs; mais  
+
aucun d'eux ne veut c('<\i'v sa place au nouveau venu : tous préfèrent la mort. (Ibid., 465-561.) Malceris, furieux de ce refus, parvient à s'échapper de Pampelune; (Ibid., 561-759.) mais le fils du  
aucun d'eux ne veut c('<\i'v sa place au nouveau venu : tous pré-
 
fèrent la mort. (Ibid., 465-561.) Malceris, furieux de ce refus, par-
 
vieni à s'échapper de Pampelune; (Ibid., 561-759.) mais le fils du  
 
 
fugitif, Isoré, est demeuré fidèle à Charles et aux chrétiens. Il en  
 
fugitif, Isoré, est demeuré fidèle à Charles et aux chrétiens. Il en  
 
vient, pour ses nouveaux amis, jusqu'à méconnaître la voix du  
 
vient, pour ses nouveaux amis, jusqu'à méconnaître la voix du  
 
sang et à lutter contre son père, qui, par aventure, échappe une  
 
sang et à lutter contre son père, qui, par aventure, échappe une  
seconde fois aux mains des Français. (Ibid., 760-1199.) Charles ce-
+
seconde fois aux mains des Français. (Ibid., 760-1199.) Charles cependant ne perd pas l'espoir de conquérir l'Espagne, et c'est ici que  
pendant ne perd pas l'espoir de conquérir l'Espagne, et c'est ici que  
+
commence une nouvelle série de batailles sanglantes, où il joue véritablement le premier rôle.  
commence une nouvelle série de batailles sanglantes, où il joue véri-
+
<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 311.jpg|50px|left]]</div>
 
+
A la tête de ses ennemis est encore Malceris, type du païen farouche et intraitable; près de Malceris est  
 
 
 
 
ÉCLAIRCISSEMENT II 311
 
 
 
tablement le premier rôle. A la tête de ses ennemis est encore Mal-
 
ceris, type du païen farouche et intraitable; près de Malceris est  
 
 
Altumajor. Ce ne sont pas de petits adversaires. Dans la mêlée, le  
 
Altumajor. Ce ne sont pas de petits adversaires. Dans la mêlée, le  
 
roi de France se voit tout à coup cerné par les troupes païennes, et  
 
roi de France se voit tout à coup cerné par les troupes païennes, et  
Ligne 736 : Ligne 550 :
 
Masele et Lion. (Ibid., 3851-5773.) Le poème se termine en nous  
 
Masele et Lion. (Ibid., 3851-5773.) Le poème se termine en nous  
 
montrant l'armée chrétienne maîtresse d'Astorga. Charles possède  
 
montrant l'armée chrétienne maîtresse d'Astorga. Charles possède  
l'Espagne, toute l'Espagne..., à l'exception de Saragosse. = Sui-
+
l'Espagne, toute l'Espagne..., à l'exception de Saragosse.
vant une légende, ou plutôt suivant une imagination différente de  
+
 
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Suivant une légende, ou plutôt suivant une imagination différente de  
 
tous nos autres récits, Charles ne serait pas resté sept années, mais  
 
tous nos autres récits, Charles ne serait pas resté sept années, mais  
 
vingt-sept ans en Espagne. Cette version n'est consacrée que par  
 
vingt-sept ans en Espagne. Cette version n'est consacrée que par  
Ligne 747 : Ligne 562 :
 
rejoindre leurs pères en Espagne, comme la jeune garde venant à  
 
rejoindre leurs pères en Espagne, comme la jeune garde venant à  
 
l'aide de la vieille. Es avaient voulu tout d'abord se donner un roi ,  
 
l'aide de la vieille. Es avaient voulu tout d'abord se donner un roi ,  
et Gui, fils de Samson de Bourgogne, avait été élu d'une voix una-
+
et Gui, fils de Samson de Bourgogne, avait été élu d'une voix unanime. C'est Gui qui a eu l'idée de l'expédition d'Espagne, et qui  
nime. C'est Gui qui a eu l'idée de l'expédition d'Espagne, et qui  
 
 
exécute de main de maître un projet si hardi. (Gui de Bourgogne,  
 
exécute de main de maître un projet si hardi. (Gui de Bourgogne,  
vers 1-391.) Gui s'empare successivement de Carsaude (Ibid., 392-  
+
vers 1-391.) Gui s'empare successivement de Carsaude (Ibid., 392-709), de Montorgueil et de Montesclair (Ibid., 1021-3091), de la Tour  
709), de Montorgueil et de Montesclair (Ibid., 1021-3091), de la Tour  
 
 
d'Augorie (Ibid., 3484-3413) et de Maudrane. (Ibid., 3414-3717.) Le  
 
d'Augorie (Ibid., 3484-3413) et de Maudrane. (Ibid., 3414-3717.) Le  
seul adversaire redoutable que rencontre le vainqueur, c'est lluide-
+
seul adversaire redoutable que rencontre le vainqueur, c'est Huidelon ; mais il se convertit assez rapidement et devient le meilleur allié  
lon ; mais il se convertit assez rapidement et devient le meilleur allié  
+
des Français. Il ne reste plus maintenant à la jeune armée qu'à rejoindre celle des vieillards, celle de Charles. C'est ce que Gui parvient à faire, après avoir donné les preuves d'une sagesse au-dessus de
des Français. 11 ne reste plus maintenant à la jeune armée qu'à re-
+
son âge.
joindre celle des vieillards, celle de Charles. C'est ce que Gui par-  
+
<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 312.jpg|50px|left]]</div>
 +
Un jour enfin, les jeunes chevaliers peuvent tomber aux
 +
bras de leurs pères (Ibid., 3925-4024), et c'est une joie inexprimable. Puis, les deux armées combinées s'emparent de Luiserne, que
 +
Dieu engloutit miraculeusement. (Ibid., 4137-4299.) Le signal du
 +
départ est alors donné à tous les Français. Et où vont -ils ainsi?
 +
A Roncevaux. (Ibid., 1300-4381.)
  
  
  
312 LA CHANSON DE ROLAND
+
Ici commence la ''Chanson de Roland'', dont la scène, à vrai dire, devrait se placer immédiatement après la Prise de Pampelune. Mais nous n'avons pas besoin  
 
 
vient à faire , après avoir donné les preuves d'une sagesse au-dessus de
 
son âge. Un jour enfin, les jeunes chevaliers peuvent tomber aux
 
bras de leurs pères (Ibid., 3925-4024), et c'est une joie inexpri-
 
mable. Puis, les deux armées combinées s'emparent de Luiserne, que
 
Dieu engloutit miraculeusement. (Ibid., 4137-4299.) Le signal du
 
départ est alors donné à tous les Français. Et où vont -ils ainsi?
 
A Roncevaux. (Ibid., 1300-4381.) = Ici commence la Chanson de  
 
Roland, dont la scène, à vrai dire, devrait se placer immédiate-
 
ment après la Prise de Pampelune. Mais nous n'avons pas besoin  
 
 
de résumer ici le poème dont nous venons de publier le texte et la  
 
de résumer ici le poème dont nous venons de publier le texte et la  
 
traduction. Le rôle de Charlemagne n'y est pas, comme on le sait,  
 
traduction. Le rôle de Charlemagne n'y est pas, comme on le sait,  
effacé par celui de Roland, et l'Empereur garde réellement le pre-
+
effacé par celui de Roland, et l'Empereur garde réellement le premier rang. C'est lui qui, dans la première partie de la Chanson,  
mier rang. C'est lui qui, dans la première partie de la Chanson,  
 
 
réunit son conseil pour délibérer avec lui de la paix proposée par  
 
réunit son conseil pour délibérer avec lui de la paix proposée par  
 
Marsile; c'est lui qui fait le choix de Ganelon comme ambassadeur;  
 
Marsile; c'est lui qui fait le choix de Ganelon comme ambassadeur;  
Ligne 789 : Ligne 596 :
 
enfin à se reposer, quand tout à coup la voix d'un ange se fait en-  
 
enfin à se reposer, quand tout à coup la voix d'un ange se fait en-  
 
tendre et lui ordonne de recommencer une nouvelle guerre contre les  
 
tendre et lui ordonne de recommencer une nouvelle guerre contre les  
païens ' . . .  
+
païens <ref group="NDLR">Le texte contient ici une note développée sur plusieurs pages. Elle est ici développée en partie principale.</ref>.
 
+
====Note sur ce paragraphe====
1 Le documenl dont il faut tout d'abord rapprocher le Roland, c'est la  
+
<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 312.jpg|50px|left]]</div>
Chronique de Turpin ». M. (I. Paris a établi (comme nous avons déjà eu lieu  
+
Le document dont il faut tout d'abord rapprocher le Roland, c'est la  
de le dire plusieurs fois | que les chapitres i - v sonl l'œuvre d'un moine de Com-
+
[[A pour œuvre citée::Chronique du Pseudo-Turpin|Chronique de Turpin]] ». [[Gaston Paris|M. G. Paris]] a établi (comme nous avons déjà eu lieu  
postelle, écrivanl vers le milieu du xr siècle, et que les chapitres vi e1 sui-
+
de le dire plusieurs fois) que les chapitres I - V sont l'œuvre d'un moine de Compostelle, écrivant vers le milieu du xr siècle, et que les chapitres VI et suivants, dus sans doute à un moine de [[A pour organisme cité::Abbaye de Saint-André-le-Bas de Vienne|Saint-André de Vienne]], n'ont été écrits qu'entre les années 1109-1119.
vants, dus sans doute ;'i un moine de Saint-André do Vienne, n'onl été écrits  
 
qu'entre les années 1109-1119.= D'après le Faux Turpin , Charlemagne aperçoit
 
un jour dans le ciel une (i voie d'étoiles » qui s'étend dt' la mer do Frise jusqu'au
 
tombeau de saiui Jacques en Galice. L'Apôtre lui-même se l'ail voir à l'Empe-
 
reur, et le somme de délivrer son pèlerinage, dont la roule es1 profanée par
 
les Infidèles. Charles obéit; il part. (Cap. n.) Devant les Français victorieux
 
tombenl miraculeusement les murs de Pampelune; puis l'Empereur fait sa
 
visite au tombeau de l'Apôtre, el va jusqu'à Padron. (Cap. m.) Plein de foi, il
 
détruil toutes les idoles de l'Espagne, et particulièrement, à Cadix, cette image
 
 
 
de Mal si que l'on appelle « Islam ». (Cap. iv.) L'Empereur, triomphant,
 
  
 +
D'après le Faux Turpin, Charlemagne aperçoit
 +
un jour dans le ciel une « voie d'étoiles » qui s'étend de la mer de Frise jusqu'au
 +
tombeau de saint Jacques en Galice. L'Apôtre lui-même se l'ail voir à l'Empereur, et le somme de délivrer son pèlerinage, dont la roule est profanée par
 +
les Infidèles. Charles obéit; il part. (Cap. II.) Devant les Français victorieux
 +
tombent miraculeusement les murs de Pampelune ; puis l'Empereur fait sa
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visite au tombeau de l'Apôtre, et va jusqu'à [[A pour localité citée::Padrón (La Corogne)|Padron]]. (Cap. III.) Plein de foi, il
 +
détruit toutes les idoles de l'Espagne, et particulièrement, à Cadix, cette image
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de Mahomet que l'on appelle « Islam ». (Cap. iv.) L'Empereur, triomphant,
 
élève une église magnifique en l'honneur de saint Jacques, et construit d'autres  
 
élève une église magnifique en l'honneur de saint Jacques, et construit d'autres  
basiliques à Toulouse, Aix ei Paris... (Cap. v.) Ici s'arrête le récit primitif, qui  
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basiliques à Toulouse, Aix et Paris... (Cap. v.) Ici s'arrête le récit primitif, qui  
forme un tout bien complel et caractéristique. Le continuateur du xn e siècle  
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forme un tout bien complet et caractéristique. Le continuateur du {{XIIe}} siècle  
prend alors la parole, et, soudant tant bien que mal sa narration à la précé-
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prend alors la parole, et, soudant tant bien que mal sa narration à la précédente, raconte tout au long (cap. vi-xiv) la grande guerre de Charles contre  
dente, raconte toul au long (cap. vi-xiv) ta grande guerre de Charles contre  
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Agolant.  
Agolant. L'Agolant de la Chronique de Turpin n'a rien de commun avec celui  
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<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 313.jpg|50px|left]]</div>
 
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L'Agolant de la Chronique de Turpin n'a rien de commun avec celui  
 
+
d'''Aspremont'' dont nous avons parlé plus haut. Ce roi païen (qui règne en Espagne  
 
 
ECLAIRCISSEMENT II 313
 
 
 
VI. Après l'Espagne. Dernières années et mortdeCharlemagne.
 
Deux poèmes, qui sont œuvre purement littéraire et personnelle,
 
Gaydon et Anséis de Cartilage, achèvent de nous retracer l'histoire
 
de la grande expédition d'Espagne. Dans la première de ces deux
 
chansons, Gaydon (qui n'est autre que le Thierry de la plus ancienne
 
de nos épopées) se fait en France le continuateur de Roland, et
 
lutte contre la famille de Ganelon. C'est en vain que Charles se
 
laisse entraîner dans un complot contre lui; il triomphe de l'Em-
 
 
 
d'Aspremont dont nous avons parlé plus haut. Ce roi païen (qui règne en Espagne  
 
 
et non pas en Italie) envahit la France, et massacre un jour jusqu'à quarante  
 
et non pas en Italie) envahit la France, et massacre un jour jusqu'à quarante  
 
mille chrétiens. Une première fois vaincu par les Français, il se réfugie dans  
 
mille chrétiens. Une première fois vaincu par les Français, il se réfugie dans  
 
Agen ; mais il est encore battu à Taillebourg, puis à Saintes. C'est alors qu'il  
 
Agen ; mais il est encore battu à Taillebourg, puis à Saintes. C'est alors qu'il  
 
repasse les Pyrénées, et qu'il est définitivement tué et vaincu sous les murs de  
 
repasse les Pyrénées, et qu'il est définitivement tué et vaincu sous les murs de  
Pampelune. Le récit d'une nouvelle guerre commence, en effet, au chap. xiv
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[[A pour localité citée::Pampelune]]. Le récit d'une nouvelle guerre commence, en effet, au chapitre XIV
de la Chronique : Belluni Pampilonense... Donc, il arrive qu'Altumajor sur-
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de la Chronique : ''Belluni Pampilonense...'' Donc, il arrive qu'Altumajor surprend un jour une troupe de chrétiens trop avides de butin. (Cap. xv.) Une  
prend un jour une troupe de chrétiens trop avides de butin. (Cap. xv.) Une  
 
 
croix rouge apparaît sur l'épaule des soldats de Charles qui doivent mourir  
 
croix rouge apparaît sur l'épaule des soldats de Charles qui doivent mourir  
 
dans la guerre contre le roi Fouré : c'est l'Empereur qui a forl indiscrètement  
 
dans la guerre contre le roi Fouré : c'est l'Empereur qui a forl indiscrètement  
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vainqueurs, et Charles, maître de l'Espagne, la partage entre ses peuples,  
 
vainqueurs, et Charles, maître de l'Espagne, la partage entre ses peuples,  
 
(Cap. xviii. ) Il érige alors Composlelle en métropole, et l'ail massacrer en  
 
(Cap. xviii. ) Il érige alors Composlelle en métropole, et l'ail massacrer en  
Galice tous les païens qui refusent le baptême. (Cap. xix.l Ces! alors, mais  
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Galice tous les païens qui refusent le baptême. (Cap. xix.) Ces! alors, mais  
 
alors seulement, qu'on voit entrer en scène Marsile et Baligant, tous deux rois  
 
alors seulement, qu'on voit entrer en scène Marsile et Baligant, tous deux rois  
de Saragosse, e1 envoyés tous deux par l'émir de Babylone. Ils feignenl de se  
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de Saragosse, et envoyés tous deux par l'émir de Babylone. Ils feignent de se  
soumettre e1 envoienl à Charles trente sommiers chargés d'or e1 quarante de  
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soumettre e1 envoient à Charles trente sommiers chargés d'or e1 quarante de  
 
vin, avec mille captives sarrasines. Ganelon, par pure avarice et sans nul  
 
vin, avec mille captives sarrasines. Ganelon, par pure avarice et sans nul  
esprit de VENGEANCE, Irahil son pays et s'engage à livrer aux païens les meil-
+
esprit de VENGEANCE, trahit son pays et s'engage à livrer aux païens les meilleurs chevaliers de l'armée chrétienne. Les Français , d'ailleurs , semblent attirer  
leurs chevaliers de l'armée chrétienne. Les Français , d'ailleurs , semblent attirer  
+
la colère du Ciel en se livrant à de honteuses débauches. Ganelon les trompe,  
la colère du Ciel en se livranl à de honteuses débauches. Ganelon les trompe,  
+
les endort, et voici que l'arrière-garde de Charles est soudain attaquée par les  
les endort, et voici que l'arrière -garde de Charles esl soudain attaquée par les  
+
Sarrasins que Marsile e1 Baligant conduisent à ce carnage. Sauf Roland, Turpin,  
Sarrasins que Marsile e1 Baliganl conduisent à ce carnage. Sauf Roland . Turpin ,  
 
 
Baudouin e1 Thierry, tous les Français meurent. (Cap. xxi.) Avant de mourir,  
 
Baudouin e1 Thierry, tous les Français meurent. (Cap. xxi.) Avant de mourir,  
Roland a la joie de tuer le roi .Marsile; mais il expire lui-même, après avoir  
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Roland a la joie de tuer le roi Marsile ; mais il expire lui-même, après avoir  
en vain essayé de briser sa Durendal i cap. xxn | el s'être rompu les veines du  
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en vain essayé de briser sa Durendal (cap. xxn) el s'être rompu les veines du  
cou en sonnanl de son cor d'ivoire. Charles l'entend du Val-Charlon, pendanl
+
cou en sonnanl de son cor d'ivoire. Charles l'entend du Val-Charlon, pendant
que Thierry assiste à l'agonie et à la morl de Roland. (Cap. xxin el xxrv.) Or  
+
que Thierry assiste à l'agonie et à la mort de Roland. (Cap. xxin el xxrv.) Or  
c'était le 17 mai, el Turpin chanlaii la messe, lorsqu'il vil soudain passer dans  
+
c'était le 17 mai, el Turpin chanlait la messe, lorsqu'il vit soudain passer dans  
 
les airs les démons qui menaient en enfer l'âme de Marsile, el les anges qui  
 
les airs les démons qui menaient en enfer l'âme de Marsile, el les anges qui  
c.iiidui-.iieiii au paradis l'âme de Roland. Presque en même temps, Baudouin  
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conduisaient au paradis l'âme de Roland. Presque en même temps, Baudouin  
apporte à l'Empereur la nouvelle de la morl de son neveu. Désespoir de Charles,  
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apporte à l'Empereur la nouvelle de la mort de son neveu. Désespoir de Charles,  
pleins de tous les Français. (Cap. xxv.) Les chrétiens vont, sans pins de retard ,  
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pleurs de tous les Français. (Cap. xxv.) Les chrétiens vont, sans plus de retard ,  
relever leur- morts sur le champ de bataille de Boncevaux, dans le Val-Sizer.  
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relever leurs morts sur le champ de bataille de Roncevaux, dans le Val-Sizer.  
 
Comme en noire Chanson, Dieu arrête le soleil pour permettre à Charles de  
 
Comme en noire Chanson, Dieu arrête le soleil pour permettre à Charles de  
 
se venger des Sarrasins, el le traître Ganelon, après un combat entre Pinabel  
 
se venger des Sarrasins, el le traître Ganelon, après un combat entre Pinabel  
e1 Thierry, esl jugé, coud. mue'', exécuté. (Cap. xxvi.) = Tous les documents  
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e1 Thierry, est jugé, condamné, exécuté. (Cap. xxvi.)  
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Tous les documents  
 
littéraires du moyen âge où esl racontée la morl de Roland se divisenl ici en  
 
littéraires du moyen âge où esl racontée la morl de Roland se divisenl ici en  
 
deux grands groupes, selon qu'ils suivenl notre Chanson ou le baux Turpin.  
 
deux grands groupes, selon qu'ils suivenl notre Chanson ou le baux Turpin.  
 
La Chronique latine se retrouve, plus ou moins arrangée, dans la Chronique  
 
La Chronique latine se retrouve, plus ou moins arrangée, dans la Chronique  
du manuscril de Tourna} (commencement du xnr siccli ; dans la Chronique  
+
du manuscrit de Tourna} (commencement du xnr siccli ; dans la Chronique  
saintongeaise (commencement du xnr siècle) ; dans Philippe Mouskel (xnr siècle;  
+
saintongeaise (commencement du xnr siècle) ; dans Philippe Mouskel (xnr siècle;
 
+
<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 314.jpg|50px|left]]</div>
 
 
 
 
314 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
pereur lui-même, et se fait nommer grand sénéchal de France.
 
(Gaydon, poème du commencement du xm c siècle, éd. S. Luce.) =  
 
Quant à Anseïs, c'est un poème encore plus moderne : on y crée
 
un autre continuateur de Roland, mais en Espagne. On lui fait
 
même décerner par Charles le titre de roi d'Espagne, et il passe
 
sa vie à lutter contre les païens, dont il ne peut être décidément
 
vainqueur sans le secours du grand Empereur. (Anseïs de Carthage,
 
xm e siècle, B. N., fr. 793.) = Mais désormais l'Espagne n'occupera
 
 
 
 
mais avec certains autres éléments empruntés à notre vieux poème et à ses  
 
mais avec certains autres éléments empruntés à notre vieux poème et à ses  
Remaniements ) , dans les Chroniques de Saint - Denis ; dans le Roland anglais  
+
Remaniements ), dans les Chroniques de Saint-Denis ; dans le Roland anglais  
 
du xm e siècle; dans le Charlemagne de Girard d'Amiens (xiv e siècle); dans la  
 
du xm e siècle; dans le Charlemagne de Girard d'Amiens (xiv e siècle); dans la  
 
compilation allemande qui est connue sous le nom de Karl Meinet (xiv e siècle;  
 
compilation allemande qui est connue sous le nom de Karl Meinet (xiv e siècle;  
mais seulement en ce qui concerne les commencements de l'expédition d'Es-
+
mais seulement en ce qui concerne les commencements de l'expédition d'Espagne); dans le Charlemagne et Anseïs, en prose (Eibl. de l'Arsenal, anc. B. L.  
pagne); dans le Charlemagne et Anseïs, en prose (Eibl. de l'Arsenal, anc. B. L.  
 
 
F. 214, xv e siècle); dans la Conqueste du grant Charlemagne des Espagnes,  
 
F. 214, xv e siècle); dans la Conqueste du grant Charlemagne des Espagnes,  
qui est un remaniement du Fierabras (xv e siècle) ; dans les Guerin de Mont-
+
qui est un remaniement du Fierabras (xv e siècle) ; dans les Guerin de Montglave incunables; dans la Chronique du ms. 5003 (l'original est peut-être du  
glave incunables; dans la Chronique du ms. 5003 (l'original est peut-être du  
 
 
xiv e siècle, et le ms. est du xvi e ); dans la première partie des Conquestes de  
 
xiv e siècle, et le ms. est du xvi e ); dans la première partie des Conquestes de  
Charlemagne, de David Aubert (1458), etc. = Tout au contraire, notre vieux  
+
Charlemagne, de David Aubert (1458), etc.  
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 +
Tout au contraire, notre vieux  
 
poème est la base du Ruolandes Liet , œuvre allemande du curé Conrad (vers  
 
poème est la base du Ruolandes Liet , œuvre allemande du curé Conrad (vers  
1150); du Stricker, qui, dans son Karl (1230), n'a guère fait que remanier le  
+
1150); du [[A pour auteur cité::Der Stricker|Stricker]], qui, [[A pour ouvrage cité::Karl der Grosse (Der Stricker)|dans son Karl (1230)]], n'a guère fait que remanier le  
 
Ruolandes Liet; du plus ancien texte de Venise et des Remaniements français  
 
Ruolandes Liet; du plus ancien texte de Venise et des Remaniements français  
 
du xm e siècle, qui, sauf leur dénouement (où il faut voir une œuvre d'imagi-  
 
du xm e siècle, qui, sauf leur dénouement (où il faut voir une œuvre d'imagi-  
 
nation), ont calqué le texte d'Oxford; de la Karlamagnus Saga (xm e siècle)  
 
nation), ont calqué le texte d'Oxford; de la Karlamagnus Saga (xm e siècle)  
et de la Keiser Karl Magnus's kronike (xv e siècle) ; de quatre fragments néer-
+
et de la Keiser Karl Magnus's kronike (xv e siècle) ; de quatre fragments néerlandais publiés par [[A pour personnalité citée::Jean Henri Bormans|M. Bormans]] (xm e -xiv e siècles); du Karl Meinet (xiv e siècle,  
landais publiés par M. Bormans (xm e -xiv e siècles); du Karl Meinet (xiv e siècle,  
 
 
en ce qui concerne la bataille de Roncevaux), et, un peu aussi, de la Chro-  
 
en ce qui concerne la bataille de Roncevaux), et, un peu aussi, de la Chro-  
nique de Weihenstephan (xiv e -xv e siècles). = En dehors de ces deux grands  
+
nique de Weihenstephan (xiv e -xv e siècles).  
 +
 
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En dehors de ces deux grands  
 
groupes, nous ne trouvons, çà et là, que quelques traits originaux. La Kai-  
 
groupes, nous ne trouvons, çà et là, que quelques traits originaux. La Kai-  
 
serscronik (xn G siècle) nous fournit un récil de la guerre d'Espagne qui ne  
 
serscronik (xn G siècle) nous fournit un récil de la guerre d'Espagne qui ne  
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par les Sarrasins, Charles rassemble 53,060 jeunes filles dans le Val-Charlon,  
 
par les Sarrasins, Charles rassemble 53,060 jeunes filles dans le Val-Charlon,  
 
près des défilés de Sizer. Les païens tremblent et se soumettent. » (G. Paris,  
 
près des défilés de Sizer. Les païens tremblent et se soumettent. » (G. Paris,  
Histoire poétique de Charlemagne , 271.) = En Italie, toute la légende de la  
+
Histoire poétique de Charlemagne , 271.)  
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En Italie, toute la légende de la  
 
Spagna a pour caractère d'être empruntée à ces trois sources : Y Entrée en  
 
Spagna a pour caractère d'être empruntée à ces trois sources : Y Entrée en  
 
Espagne, de Nicolas de Padoue, avec une Prise de Pampelune, du même  
 
Espagne, de Nicolas de Padoue, avec une Prise de Pampelune, du même  
Ligne 934 : Ligne 715 :
 
Menacé par les Sarrasins , il appelle Charlemagne à son aide ; mais les Espa-  
 
Menacé par les Sarrasins , il appelle Charlemagne à son aide ; mais les Espa-  
 
gnols, ses sujets, se révoltent à la seule pensée qu'ils vont être secourus par  
 
gnols, ses sujets, se révoltent à la seule pensée qu'ils vont être secourus par  
des Français, et Alfonse est forcé de faire savoir à Charles... qu'il se passera  
+
des Français, et Alfonse est forcé de faire savoir à Charles... qu'il se passera
 
 
 
 
 
 
ECLAIRCISSEMENT II 315
 
 
 
plus Charlemagne, et c'est vers un autre côté de son empire qu'il
 
jette ses regards. Guiteclin (Witikind) vient d'entrer vainqueur dans
 
Cologne; les Saisnes menacent l'empire chrétien. L'Empereur apprend
 
ces tristes nouvelles, et en pleure. (Chanson des Saisnes, de Jean
 
Bodel, dernières années du xn c siècle, couplets v-xir.) Donc, la guerre
 
commence; mais tout semble conspirer contre Charles: la discorde
 
éclate parmi ses peuples. Les Hérupois, c'est-à-dire les Normands, les
 
Angevins, les Manceaux, les Bretons et les Tourangeaux, jouissent de
 
certains privilèges que les autres sujets de l'Empereur leur envient.
 
De là une sorte de révolte qu'il ne sera pas facile d'apaiser. Charles
 
voudrait contenter tout le monde, et enlever néanmoins leurs privi-
 
lèges aux Hérupois; mais ceux-ci montrent les dents, et arrivent
 
menaçants jusque dans Aix. Ils parlent haut, et l'Empereur pousse
 
la bassesse jusqu'à marcher pieds nus à leur rencontre. Tout s'arrange.
 
(Couplets xm-xLvii.) C'est en ce moment seulement que Charles peut
 
entrer en campagne contre les Saisnes. Et c'est ici qu'apparaît un
 
frère de Roland, Baudouin, qui se prend soudain d'un amour ardent
 
pour la femme de Guiteclin, Sibille, et qui pour elle s'expose mille
 
fois à la mort. La guerre se prolonge pendant plus de deux ans. Les
 
Hérupois daignent enfin consentir à venir au secours de Charlemagne,
 
et remportent tout d'abord une éclatante victoire sur les Saisnes.
 
(Couplets xc-cxix.) Cependant l'amour adultère de Baudouin pour
 
 
 
 
de lui. Le roi de France, indigné, déclare tout aussitôl la guerre aux Espa-  
 
de lui. Le roi de France, indigné, déclare tout aussitôl la guerre aux Espa-  
 
gnols. Plutôt que de céder aux Français abhorrés, ceux-ci sollicitent l'alliance  
 
gnols. Plutôt que de céder aux Français abhorrés, ceux-ci sollicitent l'alliance  
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Cf., sur l'histoire de la légende rolandienne en Espagne, l'admirable livre de  
 
Cf., sur l'histoire de la légende rolandienne en Espagne, l'admirable livre de  
 
Mila y Fontanals, De la Poesia heroïco popular castellana. Barcelone, 1874,  
 
Mila y Fontanals, De la Poesia heroïco popular castellana. Barcelone, 1874,  
in-8°. = El tel esl le résumé de toutes les œuvres poéiimms que le moyen âge-
+
in-8°.  
a con- guerre d'Espagne et à la morl d éros.  
 
  
 +
El tel est le résumé de toutes les œuvres poétiques que le moyen âge
 +
a consacré à la guerre d'Espagne et à la mort de notre héros.
  
 +
===VI. Après l'Espagne. Dernières années et mort de Charlemagne===
 +
<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 313.jpg|50px|left]]</div>
 +
Deux poèmes, qui sont œuvre purement littéraire et personnelle,
 +
Gaydon et Anséis de Cartilage, achèvent de nous retracer l'histoire
 +
de la grande expédition d'Espagne. Dans la première de ces deux
 +
chansons, Gaydon (qui n'est autre que le Thierry de la plus ancienne
 +
de nos épopées) se fait en France le continuateur de Roland, et
 +
lutte contre la famille de Ganelon. C'est en vain que Charles se
 +
laisse entraîner dans un complot contre lui; il triomphe de l'Empereur lui-même, et se fait nommer grand sénéchal de France.
 +
(Gaydon, poème du commencement du xm c siècle, éd. S. Luce.)
 +
<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 314.jpg|50px|left]]</div>
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 +
Quant à Anseïs, c'est un poème encore plus moderne : on y crée
 +
un autre continuateur de Roland, mais en Espagne. On lui fait
 +
même décerner par Charles le titre de roi d'Espagne, et il passe
 +
sa vie à lutter contre les païens, dont il ne peut être décidément
 +
vainqueur sans le secours du grand Empereur. (Anseïs de Carthage,
 +
xm e siècle, B. N., fr. 793.)
  
316 LA CHANSON DE ROLAND
+
Mais désormais l'Espagne n'occupera
 
+
plus Charlemagne, et c'est vers un autre côté de son empire qu'il
Sibille ne fait que s'enflammer au milieu de tant de batailles san-
+
jette ses regards. [[Guiteclin]] ([[A pour personnalité citée::Witikind]]) vient d'entrer vainqueur dans
glantes. C'est pour Sibille qu'il livre un combat terrible au païen  
+
Cologne; les [[Saisnes]] menacent l'empire chrétien.
 +
<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 315.jpg|50px|left]]</div>
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L'Empereur apprend
 +
ces tristes nouvelles, et en pleure. ([[A pour oeuvre citée::Chanson des Saisnes]], de [[A pour personnalité citée::Jean Bodel]], dernières années du {{XIIe}} siècle, couplets v-xir.) Donc, la guerre
 +
commence ; mais tout semble conspirer contre Charles: la discorde
 +
éclate parmi ses peuples. Les Hérupois, c'est-à-dire les Normands, les
 +
Angevins, les Manceaux, les Bretons et les Tourangeaux, jouissent de
 +
certains privilèges que les autres sujets de l'Empereur leur envient.
 +
De là une sorte de révolte qu'il ne sera pas facile d'apaiser. Charles
 +
voudrait contenter tout le monde, et enlever néanmoins leurs privi-
 +
lèges aux Hérupois; mais ceux-ci montrent les dents, et arrivent
 +
menaçants jusque dans Aix. Ils parlent haut, et l'Empereur pousse
 +
la bassesse jusqu'à marcher pieds nus à leur rencontre. Tout s'arrange.
 +
(Couplets xm-xLvii.) C'est en ce moment seulement que Charles peut
 +
entrer en campagne contre les Saisnes. Et c'est ici qu'apparaît un
 +
frère de Roland, Baudouin, qui se prend soudain d'un amour ardent
 +
pour la femme de Guiteclin, Sibille, et qui pour elle s'expose mille
 +
fois à la mort. La guerre se prolonge pendant plus de deux ans. Les
 +
Hérupois daignent enfin consentir à venir au secours de Charlemagne,
 +
et remportent tout d'abord une éclatante victoire sur les Saisnes.
 +
(Couplets xc-cxix.) Cependant l'amour adultère de Baudouin pour
 +
Sibille ne fait que s'enflammer au milieu de tant de batailles sanglantes.
 +
<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 316.jpg|50px|left]]</div>
 +
C'est pour Sibille qu'il livre un combat terrible au païen  
 
Justamont. Charles, lui, ne se préoccupe que de la grande guerre  
 
Justamont. Charles, lui, ne se préoccupe que de la grande guerre  
 
contre ses ennemis mortels. Un cerf lui indique miraculeusement un  
 
contre ses ennemis mortels. Un cerf lui indique miraculeusement un  
Ligne 1 013 : Ligne 808 :
 
se trouve seul au milieu de l'armée païenne, et meurt. Charles le  
 
se trouve seul au milieu de l'armée païenne, et meurt. Charles le  
 
pleure, Charles le venge: les Saxons sont une dernière fois vain-  
 
pleure, Charles le venge: les Saxons sont une dernière fois vain-  
cus et soumis. Ils ne se révolteront plus, (ccxi-ccxcvii '.) = Dans
+
cus et soumis. Ils ne se révolteront plus, (ccxi-ccxcvii <ref>
Macaire, Charlemagne n'a qu'un rôle fort effacé. Il s'agit cepen-
+
II a exislé ici un poème français plus ancien que la Chanson des Saisnes. Nous  
dant de sa femme, de cette Blanchefleur qui est la fdle de l'em-
 
pereur de Constantinople. Un traître, Macaire, accuse la reine d'adul-
 
tère, et elle va mourir, quand, à la prière de l'abbé de Saint-
 
Denis, on se contente de l'exiler. Un bon chevalier, Aubri, est chargé
 
de l'accompagner, mais il est tué par le traître Macaire, qui du moins
 
ne peut tuer Blanchefleur. Le chien d'Aubri venge son maître. Ce-
 
pendant un pauvre bûcheron, Varocher, recueille la pauvre reine,
 
qui s'est enfuie jusqu'en Hongrie. L'empereur de Constantinople
 
réunit une grande armée, et envahit la France pour venger sa fille
 
dont, après cent combats, l'innocence est enfin reconnue. Le fils
 
 
 
1 II a exislé ici un poème français plus ancien que la Chanson des Saisnes. Nous  
 
 
n'en avons plus l'original; mais la Karlamagnus Saga nous en a du moins  
 
n'en avons plus l'original; mais la Karlamagnus Saga nous en a du moins  
 
conservé un résumé... La scène s'ouvre sous les murs de Nobles, assiégée par  
 
conservé un résumé... La scène s'ouvre sous les murs de Nobles, assiégée par  
 
Charles. Toul a coup l'Empereur apprend que « Guitalin » vient de brûler  
 
Charles. Toul a coup l'Empereur apprend que « Guitalin » vient de brûler  
Cologne. Il courl au-devanl des Saisnes; mais il se laisse enfermer dans Cologne  
+
Cologne. Il court au-devant des Saisnes; mais il se laisse enfermer dans Cologne  
 
et va succomber, lorsqu'il esl secouru par Roland. Guitalin l'emporte un premier  
 
et va succomber, lorsqu'il esl secouru par Roland. Guitalin l'emporte un premier  
 
avantage sur les français; mais ceux-ci reprennent l'offensive et s'emparent  
 
avantage sur les français; mais ceux-ci reprennent l'offensive et s'emparent  
Ligne 1 042 : Ligne 825 :
 
le Guitalin de la Karlamagnus Saga (5 e branche), dont l'action, comme on  
 
le Guitalin de la Karlamagnus Saga (5 e branche), dont l'action, comme on  
 
le voit, se passe avant celle du Roland. (Cf. le résumé qu'on en trouve dans  
 
le voit, se passe avant celle du Roland. (Cf. le résumé qu'on en trouve dans  
la 1« branche.) = Toutes les variantes de cette légende des Saisnes se divisent
+
la 1« branche.)  
en deux groupes distincts, suivant qu'elles se rapportent au Guitalin que nous
 
venons de résumer, ou à la chanson de Jean Bodel.
 
  
  
 +
Toutes les variantes de cette légende des Saisnes se divisent
 +
en deux groupes distincts, suivant qu'elles se rapportent au Guitalin que nous
 +
venons de résumer, ou à la chanson de Jean Bodel. </ref>.)
  
ECLAIRCISSEMENT 11 3)7
+
Dans
 +
''[[A pour oeuvre citée::Macaire (chanson de geste)|Macaire]]'', Charlemagne n'a qu'un rôle fort effacé. Il s'agit cependant de sa femme, de cette [[Blanchefleur]] qui est la fille de l'empereur de Constantinople. Un traître, Macaire, accuse la reine d'adultère, et elle va mourir, quand, à la prière de l'abbé de Saint-Denis, on se contente de l'exiler. Un bon chevalier, Aubri, est chargé
 +
de l'accompagner, mais il est tué par le traître Macaire, qui du moins
 +
ne peut tuer Blanchefleur. Le chien d'Aubri venge son maître. Ce-
 +
pendant un pauvre bûcheron, Varocher, recueille la pauvre reine,
 +
qui s'est enfuie jusqu'en Hongrie. L'empereur de Constantinople
 +
réunit une grande armée, et envahit la France pour venger sa fille
 +
dont, après cent combats, l'innocence est enfin reconnue.
 +
<div style="position:absolute;left:10px;">[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 317.jpg|50px|left]]</div>
 +
Le fils
 +
de Charles, Louis, était né durant cet exil: il deviendra le successeur
 +
du grand Empereur. (''Macaire'', poème de la fin du {{XIIe}} siècle. V. l'éd.
 +
Guessard, dans le ''Recueil des Anciens poêtes de la France'' <ref>Il existe nue autre version, intitulée la ''Reine Sibille'', et dont nous n'avons
 +
plus que quelques vers el une rédaction en prose. (Bibl. de l'Arsenal, 3351;
 +
anc. B. L. F. 226. </ref> .)
  
de Charles, Louis, était né durant cet exil: il deviendra le successeur
+
Dans
du grand Empereur. (Macaire, poème de la fin du xn c siècle. V. l'éd.
+
''Huon de Bordeaux'', Charlemagne ne paraît guère que comme un  
Guessard, dans le Recueil des A>i<ie>is poêles de la France i .) = Dans
 
Huon de Bordeaux, Gharlemagne ne paraît guère que comme un  
 
 
accessoire, et, à coup sûr, comme un personnage secondaire. Au début  
 
accessoire, et, à coup sûr, comme un personnage secondaire. Au début  
 
de son œuvre, l'auteur nous représente l'Empereur sous les traits d'un  
 
de son œuvre, l'auteur nous représente l'Empereur sous les traits d'un  
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nain Oberon. (Ibid., 2387-8047.) II lui suffit de savoir qu'un jour  
 
nain Oberon. (Ibid., 2387-8047.) II lui suffit de savoir qu'un jour  
 
Huon revient en France, et qu'il y trouve son propre héritage occupé  
 
Huon revient en France, et qu'il y trouve son propre héritage occupé  
 +
par son frère Gérard. (Ibid., 8648-9110.) Charlemagne est encore
 +
vivant, et la cause des deux frères ei mis est portée devant sa cour :
 +
Huon est très injustement condamné à mort, et va périr, lorsque
 +
Oberon arrive à son secours et le sauve. (Ibid., 9111-10369.)
  
par son frère Gérard. (Ibid., 8648-9110.) Charlemagi si encore
 
  
vivant, et la cause des deux frères ei mis est portée devant sa cour :
+
Le  
 
 
Huon est très injustement condamné à mort, el va périr, lorsque
 
Oberon arrive à son secours et le sauve. (Ibid., 9111-10369.) = Le  
 
 
début du Couronnement Looys esl véritablement épique... Charles  
 
début du Couronnement Looys esl véritablement épique... Charles  
 
sent qu'il va mourir, et veut mourir en assuranl la vie de son empire.  
 
sent qu'il va mourir, et veut mourir en assuranl la vie de son empire.  
 
+
{{Lien page gauche avec icône|Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 318.jpg}}
1 11 existe nue autre version, intitulée la Reine Sibille, el donl nous n'avons
 
plus que quelques vers el une rédaction en prose. (Bibl. de l'Arsenal, 3351;
 
anc. B. L. F. 226.  
 
 
 
 
 
 
 
318 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
 
Dans sa chapelle d'Aix, il réunit un jour ses évèques et ses comtes.  
 
Dans sa chapelle d'Aix, il réunit un jour ses évèques et ses comtes.  
 
Sur l'autel il dépose sa couronne d'or, et annonce à ses peuples qu'il  
 
Sur l'autel il dépose sa couronne d'or, et annonce à ses peuples qu'il  
Ligne 1 120 : Ligne 908 :
 
tranquille. Et, en effet, il meurt quelque temps après, sachant que  
 
tranquille. Et, en effet, il meurt quelque temps après, sachant que  
 
Louis pourra régner, parce qu'il y a Guillaume auprès de lui. (Ibid.,  
 
Louis pourra régner, parce qu'il y a Guillaume auprès de lui. (Ibid.,  
113-236 '.) = Et telle est toute l'histoire poétique de Charlemagne ,
+
113-236 <ref>La mort du grand Empereur est encore racontée, mais en termes très  
d'après les seules Chansons de geste du cycle carlovingien 2 .
 
 
 
 
 
 
 
D'après les textes qui précèdent et ceux que nous énumérons dans
 
nos Notes, on peut dresser le Tableau par ancienneté des sources
 
de l'histoire poétique de Charlemagne. I. Le plus ancien groupe est
 
représenté par la Chanson de Roland, qui repose non seulement sur
 
des légendes remontant au ix e et même au vm G siècle, mais encore sur
 
des textes historiques d'une importance considérable. (Éginhard, Vita
 
Karoli, IX. — Annales d'Angilbert, faussement attribuées à Égin-
 
 
 
1 La mort du grand Empereur est encore racontée, mais en termes très  
 
 
rapides, dans Anseïs de Carthage. = Sur la fin de cet homme presque surna-  
 
rapides, dans Anseïs de Carthage. = Sur la fin de cet homme presque surna-  
 
turel, deux autres légendes ont circulé, el elles sont toutes deux peu favorables  
 
turel, deux autres légendes ont circulé, el elles sont toutes deux peu favorables  
à la mémoire de Charles : 1° Walafrid Strabo (Historiens de France, V, 339)  
+
à la mémoire de Charles : 1° Walafrid Strabo ([[A pour ouvrage cité::Recueil des historiens des Gaules et de la France|Historiens de France]], V, 339)  
 
reproduit un récit de l'abbé Hetto, qui le lirait du moine Weltin. Ce dernier  
 
reproduit un récit de l'abbé Hetto, qui le lirait du moine Weltin. Ce dernier  
 
avait vu en songe Charlemagne dans les flammes de l'enfer, où un monstre  
 
avait vu en songe Charlemagne dans les flammes de l'enfer, où un monstre  
Ligne 1 146 : Ligne 921 :
 
pierres et toutes les poutres des basiliques construites par Charlemagne. Il fut  
 
pierres et toutes les poutres des basiliques construites par Charlemagne. Il fut  
 
sauvé. = Le moyen âge n'a rien trouvé de plus beau pour honorer le souvenir  
 
sauvé. = Le moyen âge n'a rien trouvé de plus beau pour honorer le souvenir  
de celui dont la Chanson de Roland a si bien dit : N'iert mais tels hum des-
+
de celui dont la Chanson de Roland a si bien dit :  
quV Deu juise.  
+
:''N'iert mais tels hum desqul' Deu juise''. </ref>.)
  
2 Voir le résumé des autres Chansons dans notre première édiiion du  
+
Et telle est toute l'histoire poétique de Charlemagne ,
Roland, II, 270 et suivantes.  
+
d'après les seules Chansons de geste du cycle carlovingien <ref>Voir le résumé des autres Chansons dans notre première édition du  
 +
''Roland'', II, 270 et suivantes.</ref>  .
  
 +
===Tableau des sources===
 +
D'après les textes qui précèdent et ceux que nous énumérons dans
 +
nos Notes, on peut dresser le Tableau par ancienneté des sources
 +
de l'histoire poétique de Charlemagne.
  
 
+
====I. Le plus ancien groupe====
ECLAIRCISSEMENT II 319
+
Le plus ancien groupe est
 
+
représenté par la Chanson de Roland, qui repose non seulement sur
hard, ann. 778), et reproduites par le Poète saxon. — L'Astronome,  
+
des légendes remontant au {{IXe}} et même au {{VIIIe}} siècle, mais encore sur
Vita Hhidovici, dans Pertz, Monumenta Germanise historica. Serip-
+
des textes historiques d'une importance considérable.
tores, II, 608.) = II. En même temps que la légende de Ronce-
+
:(Éginhard, ''Vita Karoli'', IX.
vaux, mais d'une façon tout à fait indépendante et dans un autre  
+
:— ''Annales d'Angilbert'', faussement attribuées à Éginhard, ann. 778), et reproduites par le Poète saxon.  
 +
:— L'Astronome, Vita Hhidovici, dans Pertz, ''Monumenta Germanise historica. Scriptores'', II, 608.)
 +
====II. En même temps====
 +
{{Lien page gauche avec icône|Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 319.jpg}}
 +
En même temps que la légende de Roncevaux, mais d'une façon tout à fait indépendante et dans un autre  
 
cycle, se formait la légende d'Ogier, qui est également appuyée  
 
cycle, se formait la légende d'Ogier, qui est également appuyée  
sur des textes historiques. (Lettre du pape saint Paul à Pépin  
+
sur des textes historiques. (Lettre du pape saint Paul à Pépin en 760, ''Historiens de France'', V, 122; Chronique de Moissac, de  
en 760, Historiens de France, V, 122; Chronique de Moissac, de  
+
752 à 814, ''Historiens de France'', V, 69, 70; un Extrait du Moine  
752 à 814, Historiens de France, V, 69, 70; un Extrait du Moine  
+
de Saint-Gall, II, 26; plusieurs passages d'Anastase le Bibliothécaire, ann. 753, 772, 774; ''Annales Lobienses'', Pertz, 11,195; Chronicon Sancti Martini Coloniensis, ann. 778, Pertz, II, 214; Chronique de Sigebert de Gembloux au xi e siècle, Hist. de France,  
de Saint-Gall, II, 26; plusieurs passages d'Anastase le Bibliothé-
+
V. 376; la Conversio Othgerii militis, œuvre du {{Xe}} ou du {{XIe}} siècle;  
caire, ann. 753, 772, 774; Annales Lobienses, Pertz, 11,195; Chro-
 
nicon Sancti Martini Coloniensis, ann. 778, Pertz, II, 214; Chro-
 
nique de Sigebert de Gembloux au xi e siècle, Hist. de France,  
 
V. 376; la Conversio Othgerii militis, œuvre du x e ou du xi° siècle;  
 
 
le tombeau d'Ogier à Saint-Faron, Acta SS. Ord. S. Benedicti,  
 
le tombeau d'Ogier à Saint-Faron, Acta SS. Ord. S. Benedicti,  
ssec. iv, pars I, pp. 664-665.) A ce groupe se rapportent la Che-
+
ssec. iv, pars I, pp. 664-665.) A ce groupe se rapportent la Chevalerie Ogier de Danemarche, de Raimbert; les Enfances Ogier,  
valerie Ogier de Danemarche, de Raimbert; les Enfances Ogier,  
+
d'Adenei : la troisième branche de la Karlamagnus Saga et la quatrième de Charlemagne de Venise.
d'Adenei : la troisième branche de la Karlamagnus Saga et la qua-
+
 
trième de Charlemagne de Venise. = III. Vers la fin du x c siècle,  
+
====III. Vers la fin du {{Xe}} siècle,====
 +
Vers la fin du {{Xe}} siècle,
 
une falsification du texte d'Eginhard donne lieu à la légende du  
 
une falsification du texte d'Eginhard donne lieu à la légende du  
 
Voyage à Jérusalem. (Benedicti Chronicon, Pertz, III, 710, 711.)  
 
Voyage à Jérusalem. (Benedicti Chronicon, Pertz, III, 710, 711.)  
De là la première partie de notre Voyage à Jérusalem et à Constan-
+
De là la première partie de notre Voyage à Jérusalem et à Constantinople; de là deux récits de la Karlamagnus Saga.
tinople; de là deux récits de la Karlamagnus Saga. = IV. Au  
+
 
milieu du xi e siècle, un moine de Compostelle écrit les cinq pre-
+
====IV. Au milieu du {{XIe}} siècle====
miers chapitres de la prétendue « Chronique de Turpin », renfer-
+
Au milieu du {{XIe}} siècle, un moine de Compostelle écrit les cinq premiers chapitres de la prétendue « Chronique de Turpin », renfermant l'histoire de toute une croisade de Charles en Espagne. Ce récit  
mant l'histoire de toute une croisade de Charles en Espagne. Ce récit  
+
n'a aucune influence sur le développement de notre poésie romane.
n'a aucune influence sur le développement de notre poésie romane.  
+
====V. Antérieurement à la rédaction de la ''Chanson de Roland'' ====
= V. Antérieurement à la rédaction de la Chanson de Roland que  
+
Antérieurement à la rédaction de la Chanson de Roland que  
 
nous venons de publier et de traduire, circulaient déjà des légendes  
 
nous venons de publier et de traduire, circulaient déjà des légendes  
 
nombreuses, et très probablement certains poèmes qui avaient pour  
 
nombreuses, et très probablement certains poèmes qui avaient pour  
 
objet plusieurs autres épisodes de la vie de Charles ou de Roland. Le  
 
objet plusieurs autres épisodes de la vie de Charles ou de Roland. Le  
 
texte d'Oxford fait des allusions très claires à la prise de Nobles,  
 
texte d'Oxford fait des allusions très claires à la prise de Nobles,  
telle qu'elle nous est racontée dans la première branche de la Karla-
+
telle qu'elle nous est racontée dans la première branche de la Karlamagnus Saga; à l'ambassade de Basin et de Basile, qui, bien plus  
magnus Saga; à l'ambassade de Basin et de Basile, qui, bien plus  
+
tard, sera racontée à nouveau par l'auteur de la Prise de Pampelune;  
tard, sera racontée à nouveau par l'auteur de la Prisede Pampelune;  
+
à la famille d'Olivier telle qu'elle nous est présentée dans ''Girars de Viane''. Ce n'étaient certes pas ces poèmes eux-mêmes, tels que nous  
à la famille d'Olivier telle qu'elle nous est présentée dans Girars de  
+
les possédons, qui existaient avant notre ''Chanson de Roland'' ; mais  
Viane. Ce n'étaient certes pas ces poèmes eux-mêmes, tels que nous  
+
c'étaient des Chansons analogues, assonancées et en décasyllabes, etc.
les possédons, qui e\ isia ici 1 1 a\an( nuire Chanson de Roland; mais  
+
 
c'étaient dr< Chansons analogues, assonancées et en décasyllabes, etc.  
+
==== VI. Pour les traditions et légendes qui précèdent====
= VI. Pour les traditions et légendes qui précèdent, nous avons une  
+
Pour les traditions et légendes qui précèdent, nous avons une  
certitude. Nous n'avons qu'uNE probabilité pour les suivantes, aux-
+
certitude. Nous n'avons qu'une probabilité pour les suivantes, auxquelles il n'est fait aucune allusion dans la ''Chanson de Roland''.  
quelles ii. n'est fait aucune allusion dans la Chanson de Roland.  
 
 
Les faits qui sonl délayés dans les versions du Renaus de Montauban  
 
Les faits qui sonl délayés dans les versions du Renaus de Montauban  
 
parvenues jusqu'à nous; ceux qui nous sont offerts, relativement  
 
parvenues jusqu'à nous; ceux qui nous sont offerts, relativement  
 
à la guenv d'Espagne, dans la Kaiserchronik du xir siècle, dans  
 
à la guenv d'Espagne, dans la Kaiserchronik du xir siècle, dans  
 
 
 
320 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
les branches I et V de la Rarlamagnus Saga, dans le second tiers  
 
les branches I et V de la Rarlamagnus Saga, dans le second tiers  
de V Entrée en Espagne, dans la Prise de Pampelune et dans la  
+
de l'Entrée en Espagne, dans la Prise de Pampelune et dans la  
 
dernière partie de notre Girars de Viane, devaient circuler parmi  
 
dernière partie de notre Girars de Viane, devaient circuler parmi  
 
nous, depuis un temps plus ou moins long, avant le commencement  
 
nous, depuis un temps plus ou moins long, avant le commencement  
du xii c siècle. = VIL Notre Chanson de Roland a été remaniée,  
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du {{XIIe}} siècle.
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{{Lien page gauche avec icône|Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 320.jpg}}
 +
 
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====VII. Notre Chanson de Roland a été remaniée====
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Notre Chanson de Roland a été remaniée,  
 
rajeunie plusieurs fois. On y ajouta certains épisodes. Les uns (comme  
 
rajeunie plusieurs fois. On y ajouta certains épisodes. Les uns (comme  
 
la prise de Narbonne) ont un fondement dans la tradition ; les autres  
 
la prise de Narbonne) ont un fondement dans la tradition ; les autres  
(comme les deux fuites de Ganelon, son combat avec Othe, l'en-
+
(comme les deux fuites de Ganelon, son combat avec Othe, l'entrevue d'Aude et de Gilain, etc.) semblent une œuvre de pure imagination . 
trevue d'Aude et de Gilain, etc.) semblent une œuvre de pure imagi-
+
 
nation . = VIII. Entre les années 1 109 et 1119 sont rédigés les chapitres  
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====VIII. Entre les années 1109 et 1119====
 +
Entre les années 1109 et 1119 sont rédigés les chapitres  
 
vi et suiv. de la Chronique de Turpin , d'après des sources romanes  
 
vi et suiv. de la Chronique de Turpin , d'après des sources romanes  
 
que l'on corrompt, que l'on dénature, que l'on cléricalise. Cette  
 
que l'on corrompt, que l'on dénature, que l'on cléricalise. Cette  
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pour mieux parler, la constatation d'un état plus ancien de la légende  
 
pour mieux parler, la constatation d'un état plus ancien de la légende  
 
rolandienne. Cf. Guido Laurentius. (Zur kritik der Chanson de  
 
rolandienne. Cf. Guido Laurentius. (Zur kritik der Chanson de  
Roland. )= IX. Surdes traditions vagues ont été écrits, au xn c siècle et  
+
Roland. )
postérieurement, tout une série de poèmes qui sont moitié légen-
+
 
daires, moitié fictifs. Sur la donnée de la prise de Rome par les  
+
====IX. Sur des traditions vagues au {{XIIe}} siècle====
 +
Sur des traditions vagues ont été écrits, au {{XIIe}} siècle et  
 +
postérieurement, tout une série de poèmes qui sont moitié légendaires, moitié fictifs. Sur la donnée de la prise de Rome par les  
 
Sarrasins reposent : l'ancien poème de Râla ni que M. G. Paris a  
 
Sarrasins reposent : l'ancien poème de Râla ni que M. G. Paris a  
 
reconstitué, notre Fierabras et même notre Aspremont, auquel se  
 
reconstitué, notre Fierabras et même notre Aspremont, auquel se  
mêlent quelques autres traditions. = X. Avec quelques Contes univer-
+
mêlent quelques autres traditions.
sels, et qui se retrouvent en effet -dans tous les pays (le Traître,  
+
 
l'Epouse innocente et réhabilitée, etc.), on a composé la légende de  
+
====X. Avec quelques Contes universels====
l'Enfance de Charles, et cela depuis la fin du xn e siècle ou le commen-
+
Avec quelques Contes universels, et qui se retrouvent en effet dans tous les pays (le Traître,  
cement du xm c . Cette légende se retrouve dans les Enfances Charle-
+
l’Épouse innocente et réhabilitée, etc.), on a composé la légende de  
magne de Venise (fin du xn c siècle) ; dans le Malnet en vers fran-
+
l'Enfance de Charles, et cela depuis la fin du {{XIIe}} siècle ou le commencement du {{XIIIe}}. Cette légende se retrouve dans les ''Enfances Charlemagne'' de Venise (fin du {{XIIe}} siècle) ; dans le ''Mainet'' en vers français, dont on a tout récemment découvert quelques fragments  
çais, dont on a tout récemment découvert quelques fragments  
+
({{XIIe}} siècle); dans la Chronique saintongeaise (commencement du {{XIIIe}} siècle); dans ''Berte au gran pié'' (vers 1275); dans le  
(xn e siècle); dans la Chronique saintongeaise (commencement du  
+
''Stricker'' de 1230 ; dans la Chronique du Weihenstephan (original du {{XIVe}} siècle, manuscrit du {{XVe}}); dans la ''Chronica Bremensis'' de Wolter  
xiii c siècle); dans Rerte an gran pié (vers 1275); dans le  
 
Stricker de 1230; dans la Chronique du Weihenstephan (original  
 
du xiv e siècle, ms. du xv e ); dans la Chronica Rremensis de Wolter  
 
 
(xv° siècle); dans le Gharlemagne de Girard d'Amiens (commence-  
 
(xv° siècle); dans le Gharlemagne de Girard d'Amiens (commence-  
ment du xiv e siècle); dans la Karlamagnus Saga (second tiers du  
+
ment du xiv e siècle); dans la ''Karlamagnus Saga'' (second tiers du  
xm e siècle); dans le Karl Meinet (commencement du xiv e siècle);  
+
xm e siècle); dans le ''Karl Meinet'' (commencement du xiv e siècle);  
dans les Reali (vers 1350), etc. = XL Cependant, pour combattre
+
dans les ''Reali'' (vers 1350), etc.
les prétentions des légendaires français, on inventait en Espagne cer-
 
taines légendes destinées à ruiner la gloire de Roland. Telle est la
 
signification de la Chronica Hispaniœ, de Rodrigue de Tolède
 
(-} 1247), de la Cronica gênerai d'Alphonse X (seconde moitié du
 
xm e siècle) et de quelques Romances que nous avons citées plus haut.
 
= XII. Enfin, il faut considérer les poèmes suivants comme des
 
œuvres uniquement littéraires et de pure imagination : Jehan de
 
  
 +
====XI. En Espagne====
 +
Cependant, pour combattre les prétentions des légendaires français,
 +
on inventait en Espagne certaines légendes destinées à ruiner la gloire de Roland. Telle est la
 +
signification de la ''Chronica Hispaniœ'', de Rodrigue de Tolède
 +
(-} 1247), de la ''[[A pour œuvre citée::Estoria de España|Cronica general]]'' d'[[A pour personnalité citée::Alphonse X]] (seconde moitié du
 +
xm e siècle) et de quelques Romances que nous avons citées plus haut.
  
 
+
==== XII. Enfin====
ÉCLAIRCISSEMENT II 321
+
Enfin, il faut considérer les poèmes suivants comme des
 
+
œuvres uniquement littéraires et de pure imagination : Jehan de
 
Lanson, — Simon de Pouille, — Otinel, — la dernière partie de  
 
Lanson, — Simon de Pouille, — Otinel, — la dernière partie de  
 
V Entrée en Espagne (Roland en Orient), — Gui de Bourgogne,  
 
V Entrée en Espagne (Roland en Orient), — Gui de Bourgogne,  
Ligne 1 260 : Ligne 1 038 :
 
que s'étagent toutes nos chansons de geste, depuis celles qui sont  
 
que s'étagent toutes nos chansons de geste, depuis celles qui sont  
  
LE PLUS HISTORIQUES JUSQU'A CELLES QUI NE SONT MÊME PLUS LÉGEN-
+
LE PLUS HISTORIQUES JUSQU'A CELLES QUI NE SONT MÊME PLUS LÉGENDAIRES et qui sont des « romans » dans l'acception la plus moderne  
DAIRES et qui sont des « romans » dans l'acception la plus moderne  
+
de ce mot.
de ce mot.  
 
  
 +
===Notes de l'article===
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<references/>
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{{Corps article/Fin}}
  
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==Facsimilés==
 +
{{Clr}}
  
21
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{|align=center
 
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|[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 298.jpg|180px|right]]
 
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|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 299.jpg|180px]]
ÉCLAIRCISSEMENT III
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 300.jpg|180px]]
 
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 301.jpg|180px]]
HISTOIRE POÉTIQUE DE ROLAND
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|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 302.jpg|180px]]
 
+
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+
|[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 303.jpg|180px|right]]
 
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 304.jpg|180px]]
I. Naissance de Roland. 1° Roland, dans toute notre légende
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 305.jpg|180px]]
épique , est représenté comme le neveu de Charlemagne. = 2° La
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 306.jpg|180px]]
mère de Roland s'appelle Berte dans le Charlemagne de Venise
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 307.jpg|180px]]
(xn e -xin a siècle), Bacquehert dans Acquin (xn e siècle), Gille, Gilain,
+
|-
dans la plupart cle nos autres poèmes. Si ce dernier nom est un souvenir
+
|[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 308.jpg|180px|right]]
historique de Gisèle, sœur de Charlemagne, ce souvenir est faux; car
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 309.jpg|180px]]
Gisèle fut toute sa vie religieuse à Ghelles. Quoi qu'il en soit, Gille ou
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 310.jpg|180px]]
Gilain nous est offerte, dans la plupart de nos vieux poèmes, comme
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 311.jpg|180px]]
la sœur de Charles. = 3° D'après une légende qui n'apparaît pas avant
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 312.jpg|180px]]
le xn e siècle, le père de Roland aurait été Charlemagne lui-même.  
+
|-
(Voir la Karlamagnus Saga, xm c siècle, l re branche, 36, etc.) Tel
+
|[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 313.jpg|180px|right]]
est peut-être ce grand péché que l'Empereur omit à dessein dans sa
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 314.jpg|180px]]
confession à saint Gilles, et dont plusieurs textes parlent avec mys-
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 315.jpg|180px]]
tère, sans rien préciser. (Légende latine de saint Gilles, Acta sanc-
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 316.jpg|180px]]
torum septembris, I, 302, 303; mais ce texte ne peut s'appliquer qu'à
+
|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 317.jpg|180px]]
Charles Martel. — Prose Promat pia vox, attribuée à Adam de Saint-
+
|-
Victor (xn c siècle). — Office de Charlemagne, composé en 1165. —
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|}
Kaiserchronik, xn e siècle. — Ruolandes Liet, poème du curé Conrad,
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{|align=center
xn e siècle. — Huon de Bordeaux, fin du xn e siècle. — Carolinus ,
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de Gille de Paris, poème latin composé pour l'éducation de Louis,
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|[[Fichier:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 318.jpg|180px|right]]
fils de Philippe-Auguste. — Philippe Mousket, vers 1240. — Légende
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|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 319.jpg|180px]]
dorée , xm° siècle, etc.) = 4° Une autre légende fait naître Roland  
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|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 320.jpg|180px]]
près d'Imola, de la sœur de Charles et du sénéchal Milon. (Charle-
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|[[File:Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 321.jpg|180px]]
magne, de Venise, xm e siècle.) = 5° D'autres poèmes enfin semblent
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croire à la naissance très légitime et très pure de notre héros. Le
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Roland est de ce nombre, et, ici comme partout, c'est encore la
 
meilleure cle toutes les sources.  
 
 
 
IL Enfances de Roland. Sur les premières années de Roland,
 
nous n'avons d'autre témoignage légendaire que le Charlemagne de
 
Venise... Le fils de Rerte et du sénéchal Milon grandit dans la
 
misère et l'abandon. Un jour, l'enfant rencontre la grande armée de
 
Charlemagne qui revient de délivrer Rome. Roland se précipite dans
 
 
 
 
 
 
 
ÉCLAIRCISSEMENT III 323
 
 
 
le palais de Sutri , qu'habite l'Empereur : il y est accueilli, et réjouit
 
bientôt toute la cour par sa belle humeur et son esprit. Naimes, le sage
 
conseiller, soupçonne que le petit bachelier doit être de bonne race ;
 
on suit l'enfant et l'on découvre la pauvre Berte avec Milon. Charles
 
veut les frapper : car il n'a point pardonné à Berte sa fuite coupable
 
avec le sénéchal. Mais Roland ne craint pas de défendre sa mère, et
 
fait jaillir le sang des ongles de l'Empereur : « Ce sera le faucon de
 
la chrétienté, » s'écrie Charles, qui est déjà très fier de son neveu.  
 
C'est alors que Berte et Milon se marient ; c'est alors aussi que com-  
 
mencent les véritables « Enfances » de notre héros. — Ces enfances
 
ont donné lieu à plusieurs récits, non seulement différents, mais
 
contradictoires, et il nous faut encore ici montrer les divers courants
 
de la Légende. 1° D'après le roman d'Aspremont (dernières années
 
du xii e siècle, premières années du xm c ), Charles, défié par Ba-
 
lant, ambassadeur du roi païen Agolant, réunit toutes les forces
 
de son empire et se dirige vers les Alpes. La grande armée passe
 
à Laon. Or c'est là qu'on a enfermé le petit Roland (Rolandin)
 
avec d'autres enfants de noble race : Gui , Hatton , Berengier et
 
Estout. Mais ces enfants ont déjà le courage des hommes, et ne
 
peuvent supporter l'idée de se voir ainsi éloignés du théâtre de
 
la guerre. Sur la proposition de Roland, ils essayent de corrompre
 
leur « portier ». Celui-ci demeurant incorruptible, ils l'assomment
 
et s'éloignent. Trop fiers pour aller à pied, ils volent des che-
 
vaux aux bons Bretons du roi Salomon, et n'ont point trop de
 
peine à se faire pardonner tant d'escapades. Bref, ils sont admis
 
dans les rangs de l'armée; ils iront, eux aussi, à Aspremont. (Voir
 
Aspremont, édition Guessard, pp. 15-16.) Le récit de cette guerre est
 
interminable : nous l'abrégerons. Il nous importe uniquement de  
 
savoir que Boland en devient bientôt le héros, avec le jeune Eau-
 
mont, fils d' Agolant. Celui-ci, auquel le trouvère prête d'ailleurs
 
les qualités les plus françaises et les plus chrétiennes, est sur le point
 
de triompher de Charlemagne et de le tuer en un combal singulier
 
qui va décider de toute la guerre, lorsque Roland accourt comme un
 
lion et frappe Eaumont d'un coup mortel. Or Eaumont avait une épée
 
admirable nommée Durendal : elle appartiendra désormnis au neveu
 
du grand Empereur. (B. N. fr. 25529; anc. ras. Lavall., J 23 f° 44
 
v° — 55 v°), et nous la retrouverons bientôt dans le Roland. =
 
2° Les débuts de Roland, dans Girars de Viane, sont tout charmants.  
 
Il accompagne son oncle au fameux siège de Vienne. Or c'est sou- les
 
murs de cette ville qu'un jour il aperçoit pour la première fuis la sinir
 
d'Olivier, la belle Aude, et se prend pour elle d'un violent amour.
 
C'est là qu'il s'illustre par ses premiers exploits; c'est là qu'il veut
 
brutalement enlever Aude, et en es1 empêché par Olivier (Girars
 
de Viane, éd. P. Tarbé, pp. '.HUJl); c'est là enfin que les deux partis
 
 
 
 
 
 
 
324 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
désarment, pour confier 'leur querelle à Olivier d'une part, et à
 
Roland de l'autre. (Ibid., pp. 92-186.) On connaît les vicissitudes de
 
ce combat, dont Aude est la spectatrice et dont elle doit être le prix.  
 
Roland et Olivier, ne pouvant se vaincre , tombent aux bras l'un de
 
l'autre et se jurent une éternelle amitié. (Ibid., pp. 133-156.) =
 
3° Tout autre est le récit de Renaus de Montauban. (xm e siècle.)
 
Les quatre fils Aymon se sont enfermés dans le château de Montau-
 
ban; Charles les y assiège en vain, et, comme toujours, le vieux duc
 
Naimes conseille au roi de faire la paix, lorsqu'arrive un valet suivi
 
de trente damoiseaux. Il éclate de jeunesse et de beauté : « Je m'ap-
 
« pelle Roland, dit-il, et suis fils de votre sœur. — Tue-moi Renaud, »
 
lui répond l'Empereur. Roland, qui a de plus hauts desseins, se jette
 
d'abord sur les Saisnes, qui viennent de se révolter, et en triomphe
 
aisément. (Edition Michelant, pp. 119, 120.) C'est alors qu'il revient
 
près de son oncle et que, dans cette grande lutte contre les fils
 
d'Amyon, il apporte au roi le précieux secours de sa jeunesse et de
 
son courage. Son duel avec Renaud est des plus touchants. Renaud,
 
qui n'a jamais eu le cœur d'un rebelle, le supplie de le réconcilier
 
avec Charles, et va jusqu'à se mettre aux genoux de Roland qui pleure.  
 
(Ibid., p. 230.) Aussi notre héros se refuse-t-il plus tard à tuer de
 
sa main le frère de Renaud , Richard , qui est devenu le prisonnier
 
de Charles : « Suis- je- donc l'Antéchrist, pour manquer ainsi à ma
 
« parole? Malheur à qui pendra Richard ! » (Ibid., pp. 261-267.) Et
 
il dit encore: « Je ne veux plus m'appeler Roland, mais Richard,
 
« et je serai l'ami des fils d' Aymon. y> Comme on le voit, rien n'est
 
ici plus noble que le rôle du neveu de Charles ; il efface celui de
 
l'Empereur. = 4° C'est à Vannes que Girard d'Amiens, dans son
 
Charlemagnc (commencement du xiv c> siècle), place les débuts de  
 
Roland. L'enfant se jette en furie sur les veneurs de son oncle, qui
 
ne le connaît pas encore. On l'amène devant l'Empereur; nouvelles
 
brutalités. Charles le reconnaît à ce signe, et tout finit bien. (B. N.
 
fr. 778, f° 110-112.) Cf. les Ileali, la Karlamagnrts Saga, et les vers
 
si précieux de notre Iloland qui sont relatifs au val de Maurienne
 
et à l'épée Durendal.
 
 
 
III. Vie et exploits de Roland jusqu'à sa mort a Roncevaux. Le
 
père de Roland était mort durant l'expédition de Charles dans la
 
Petite-Bretagne. (Aequin, poème de la fin du xn e siècle, R. N. fr.  
 
2233, f° 18, r° et v°.) — Roland fut un de ceux qui accompagnèrent
 
le grand Empereur dans ce fameux voyage à Constantinople, qui
 
commença d'une façon si auguste et s'acheva d'une manière si ridi-
 
cule. Tout au moins s'y conduisit-il plus noblement que son ami
 
Olivier. Lorsque les douze Pairs se livrent à leurs vantardises, son
 
gab est encore le moins odieux : « Je soufflerai sur la ville et produirai
 
 
 
 
 
 
 
ÉCLAIRCISSEMENT III 325
 
 
 
une tempête. » (Voyage de Ckarlemagne , poème du premier tiers
 
du xn e siècle, vers 472-485.) = Dans Jehan de Lanson, Roland  
 
prend part à cette singulière ambassade en Calabre, qui est égayée
 
par les enchantements el les plaisanteries de Basin de Gênes. Son
 
épée, sa Durendal, est, comme celles de tous les Pairs, volée par
 
le traître Alori. (Bibl. de l'Arsenal 3145, f° 121.) Pour se venger,
 
Roland conseatt à une assez misérable comédie : il contrefait le
 
mort, on l'enferme dans une bière, et il pénètre ainsi dans le châV
 
teau de Lanson, dont les Français parviennent à s'emparer. (B. N.
 
fr. 2495, f° 4-5.) Les aventures de Roland, dans le reste de ce
 
pauvre poème, se confondent avec celles des douze Pairs. = Dans
 
Otinel, son rôle est plus beau. Il lutte avec le géant païen qui
 
se nomme Otinel. Une colombe sépare les deux combattants; et,
 
désarmé parce miracle, Otinel se convertit. (Otinel, poème du
 
xin e siècle, vers 211-659.) = C'est dans Y Entrée en Espagne (xm e -
 
xiv e siècle) que la place de Roland devient tout à fait la première :  
 
Roland suit son oncle dans cette fameuse expédition, qui doit pour lui
 
se terminer à Roncevaux. C'est lui qui, après les onze autres Pairs,
 
lutte contre le géant Ferragus. (Ms. français de Venise, xxi, f° 17-32.)
 
Ce combat est plus long que tous les autres, et les adversaires y
 
luttent aidant de la langue que de l'épée, théologiens autant que
 
soldats. Ferragus s'entètant dans son paganisme, Roland le tue.  
 
(Ibid., f° 32-79.) Une grande bataille s'engage alors sous les murs de
 
Pampelune, et Roland y prend part. Dans la mêlée brille le courage
 
du jeune Isoré, fds du roi Malceris : Isoré est fait prisonnier, mais
 
ne consent à se rendre qu'à Roland. (Ibid., f° 10-105.) Charles,
 
cependant, contrairement à la parole donnée, veut faire mourir son
 
prisonnier : Roland le défend énergiquement , et, de colère, se retire
 
sous sa lente. Isoré est sauvé. (Ibid., f° 106-125.) Lue nouvelle
 
bataille commence, plus terrible que toutes les autres : Roland est
 
placé à l'arrière-garde. (Ibid., î° 125-162.) C'est durant cette
 
bataille que le neveu de Cbarles, au lieu de secourir l'Empereur en
 
détresse, abandonne le champ de bataille et va s'emparer de la ville
 
de Nobles, que les païens ont laissée sans défense. ( Ibid., f° 162-213.)
 
Lorsque Roland revient au camp, il est fort mal accueilli par son
 
onde, qui même le condamne à mort; mais aucun des Pairs ne veut
 
exécuter la sentence. L'Empereur alors frappe sou neveu au visage,
 
et Roland, indigné de cet affront, quitte le camp français pour n'y
 
plus revenir de longtemps. C'est en vain que les Pairs adressent à
 
l'Empereur les plus rude- remontrances et les pires injures. Lorsque
 
Charles se repent enfin de sa violence et envoie chercher sou neveu»,
 
on ne peut plue Se retrouver. Il esl déjà trop Loin. (Ibid., I" 213-221.)
 
( )ù esl le>l,itid\> Il se dirige du côté delà mer, et s'embarque sans
 
savoir où il va. Bref, il arrive. . . à la Mecque, \>n\'> du roi de Perse.
 
 
 
 
 
 
 
326 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
(Ibid., f° 221-232.) Or ce roi est en ce moment menacé par un voisin
 
redoutable, le vieux Malquidant, qui lui a demandé sa fdle en ma-
 
riage. Mais la jeune Diones se refuse obstinément à épouser ce vieil-
 
lard. Roland, qui d'ailleurs ne se fait pas connaître, s'écrie que rien
 
ne révolte plus la loi de Dieu qu'un mariage forcé, et qu'il saura
 
bien empêcher celui-là. Il lutte avec le messager de Malquidant,
 
Pelias, et ne tarde pas à en être vainqueur. C'est seulement au mo-
 
ment de le tuer qu'il lui crie: « Je suis Roland. » Mais il demeure
 
encore inconnu à tous les autres. (Ibid., f° 232-254.) Cette victoire
 
le met en lumière. Il devient l'ami du jeune Samson, fds du roi, et,
 
s'il n'eût pas tant aimé la belle Aude, il eût volontiers répondu à
 
l'amour de Diones. Mais, d'ailleurs, il a de quoi s'occuper. Il s'est
 
mis en tète de réformer tout ce pays, et de lui donner une adminis-
 
tration à la française. C'est à quoi il s'occupe longuement. Il fait
 
mieux : il convertit toute la maison du Soudan, et le roi lui-même.
 
(Ibid., f° 254-271.) Mais il ne pense qu'à revoir Cbaiies, Olivier
 
et les barons français. On lui offre en vain le commandement d'une
 
armée destinée à conquérir tout l'Orient. Il s'empresse de faire son
 
pèlerinage au saint Sépulcre, et s'embarque pour l'Espagne avec
 
Samson et deux autres compagnons. (Ibid., f° 271-275.) Ils débarquent.
 
Après vingt aventures, — et notamment après qu'un ermite lui a pré-
 
dit sa mort aubout de sept années , — le neveu de Charlemagne arrive
 
enfin au camp français et tombe clans les bras de Charles et d'Olivier.
 
(Ibid., f° 275-302.)= Le siège de Pampelune continue. Celui qui
 
défend la ville contre les Français, c'est encore cet ancien adversaire
 
de Roland , c'est Isoré avec son père Malcens. Dans le poème con-
 
sacré à cette résistance, dans la Prise de Pampelune (premier quart
 
du xiv e siècle), Roland ne joue réellement qu'un rôle secondaire.
 
Cependant lorsqu'une lutte sanglante éclate dans le camp français
 
entre les Allemands et les Lombards, c'est Roland qui sépare les
 
combattants, c'est Roland qui les réconcilie. (Vers 1-425.) Il est
 
encore un de ceux qui refusent d'admettre Malceris dans le corps des
 
douze Pairs. (405-561.) Puis il s'efface, et Isoré prend le premier
 
rang, que son père Malceris lui dispute. (561-1199.) Charles, sur le
 
point de périr, est sauvé par les Lombards. (1199-1953.) Altumajor
 
est vaincu ; Legrono et Estella tombent au pouvoir des Français.
 
(1830-2474.) A Marsile, dernier adversaire de Charlemagne, on
 
envoie tour à tour deux ambassades, et Marsile fait tour à tour mas-
 
sacrer les ambassadeurs: d'abord Rasan et Rasile; puis, le bon che-
 
valier Guron. (2597-3850.) Cette fois la paix devient tout à fait
 
impossible et la guerre implacable. Les Français triomphent décidé-
 
ment de Malceris, et emportent Tudela, Cordres, Charion, Saint-Fagon,
 
Masele et Lion. (3851-5773.) Roland prend part à ces triomphes
 
comme au siège d'Astorga, et il ne reste plus, devant ce vainqueur,
 
 
 
 
 
 
 
ÉCLAIRCISSEMENT III
 
 
 
 
 
 
 
327
 
 
 
 
 
 
 
que Saragosse à prendre. (5773-6113.) C'est ce que constatent les
 
premiers vers de la Chaînon de Roland. = Il est à peine utile de
 
signaler la place qu'occupe notre héros dans le roman de Gui de
 
Bourgogne, œuvre toute littéraire et qui ne renferme aucun élé-
 
ment traditionnel (xii e siècle): nos lecteurs saventdéjà comment les
 
jeunes chevaliers de France vinrent, un jour rejoindre en Espagne
 
leurs pères absents depuis vingt-sept années. (Vers 1-391.) Gui de
 
Bourgogne était à leur tète, et nous avons ailleurs raconté ses vic-
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Fig. 32. — D'après le « Vitrail de Charlemagne » à la cathédrale de Chai
 
 
 
(xur siècle).
 
 
 
 
 
 
 
toires à Carsaude (392-709), à Montorgueil et à Montesclair ( 1621-
 
3091), à la Tour-d'Augorie (3184-3413) el à Maudrane. (3414-
 
:!7I7.) Le jeune vainqueur brise la résistance des païens, triomphe
 
surtout d'Huidelon, qui est leur meilleur capitaine, et, toul cou-
 
vert de gloire, rejoint enfin l'armée de Charlemagne. (3925-4024.)
 
Ce Cui, ce nouveau venu, est, comme os le voit, un véritable rival
 
pour Roland, dont il l'ait un instant pâlir la vieille gloire. Au— i
 
tous deux se disputent-ils l'honneur d'avoir conquis Luiserne :  
 
Dieu me1 fin à cette lutte en engloutissanl la ville, et l'on part pour
 
Roncevaux. ( 1137-4301.) - Nous n'avons pas à revenir sur le rôle
 
que joue le neveu de Charles dans la Chanson de Roland. Il en
 
 
 
 
 
 
 
328 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
est le centre, l'âme, la vie. La Trilogie dont se compose le vieux
 
poème lui est presque uniquement consacrée : dans la première partie,
 
il est trahi ; dans la seconde, il meurt; dans la troisième, il est vengé.
 
Son importance survit à sa mort et jusqu'au dernier vers de la chan-  
 
son, il en est le héros. = Nous avons énuméré ailleurs les variantes
 
et les modifications principales de la Légende en ce qui touche l'expé-
 
dition d'Espagne et la mort de Roland. Il ne nous reste donc qu'à
 
renvoyer le lecteur à notre Eclaircissement sur l'Histoire poétique de
 
Charlemagne. = Ajoutons seulement que les monuments figurés ont
 
céléhré, tout autant que nos vieux poèmes, la gloire du neveu de
 
Charles. Nous avons placé, sous les yeux de nos lecteurs, les deux
 
statues d'Olivier et de Roland qui décorent le portail de la cathé-  
 
drale de Vérone (la reproduction en est due au crayon de M. Jules
 
Quicherat), et un médaillon du « Vitrail de Charlemagne » à la
 
cathédrale de Chartres, où sont naïvement représentés les derniers
 
moments de Roland, qui sonne du cor et fend le rocher avec sa
 
Durendal.  
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICES
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE I
 
 
 
FRAGMENTS DU TEXTE ORIGINAL 1
 
 
 
 
 
 
 
LE CONSEIL DE CHARLE MAGNE
 
 
 
(Vers 96-365)
 
 
 
 
 
 
 
Li Emperere se fait e balz e liez :  
 
Gordres ad prise e les murs peceiez ,
 
Od ses cadables les turs en abatiet.
 
Mult grant eschec en unt si chevalier
 
D'or e d'argent e de guarnemenz chiers.  
 
En la citet nen ad remés paien
 
Ne seit ocis, o devient chrestiens...
 
Li Emperere est en un grant vergier,
 
Ensembl' od lui Rollanz e Oliviers,
 
Sansun li dux e Anseïs li fiers,
 
Gefreiz d'Anjou le rei gunfanuniers ,
 
E si i furent e Gerins e Geriers :
 
Là ù cisL furent, des altres i ont bien :
 
Asez i out des barbez e des vielz.
 
Des Francs de France i ad quinze milliers.
 
Sur pâlies blancs siédent cil chevalier,
 
As tables juent pur els esbaneier,
 
E as eschas li plus saive e li vieil! :  
 
E escremissent cil bacheler legier.
 
Desuz un pin, delez un eglentier.
 
Un faldestoel i out, fait tut d'or mier :
 
Là siet li reis ki dulce France tient;
 
Blanche ad la barbe e tut flurit le chief,
 
Gent ad le cors e le cuntcnant fier.
 
 
 
1 Cette Anthologie de la Chanson de Roland est, en grande partie, composée
 
avec les fragments de noire vieux poème qui son! spécialement désignés par les
 
derniers programmes universitaires.  
 
 
 
 
 
 
 
332 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
S'est ki l'demandet, ne 1' estoet enseignier.
 
 
 
E li message descendirent à pied,
 
 
 
Si P saluèrent par amur e par bien. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Blancandrins ad tut premereins parlet ,
 
 
 
E dist à 1' Rei : « Salvez seiez de Deu,
 
 
 
« Le Glorius , que devez aûrer !
 
 
 
« Iço vus mandet reis Marsilies li bers :
 
 
 
« Enquis ad mult la lei de salvetet;
 
 
 
« De sun aveir vus voelt asez duner,
 
 
 
(( Urs e leuns e veltres caeignez ,
 
 
 
« Set cenz cameilz e mil osturs muez,
 
 
 
« D'or e d'argent quatre cenz muls trussez,
 
 
 
a Cinquante cares que carier ferez ;
 
 
 
a Tant i avrat de besanz esmerez
 
 
 
« Dunt bien purrez vos soldeiers luer.
 
 
 
« En cest pais avez estet asez ,
 
 
 
« En France ad Ais bien repairier devez;
 
 
 
« Là vus sivrat, ço dit mis avoez.
 
 
 
« Si recevrat la lei que vus tenez;
 
 
 
« Juintes ses mains , iert vostre eumandez :
 
 
 
« De vas tiendrai Espaigne le regnet. »
 
 
 
Li Emperere en tent ses mains vers Dieu ;
 
 
 
Baisset sun chief, si cumencet à pensez. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Li Emperere en tint sun chief enclin,
 
 
 
De sa parole ne fut mie haslifs,
 
 
 
Sa custume est qu'il parolet à leisir.
 
 
 
Quant se redrecet, mult par out fier le vis.
 
 
 
Dist as messages : « Vus avez mult bien dit.
 
 
 
« Li reis Marsilies est mult mis enemis.
 
 
 
« De cez paroles que vus avez ci dit
 
 
 
« En quel mesure en purrai estre fiz?
 
 
 
« — Par bons ostages , » ço dist li Sarrazins .
 
 
 
« Dunt vus avrez o dis o quinze o vint.
 
 
 
« Par num d' ocire i métrai un mien filz.
 
 
 
« E n'en avrez, ço quid, de plus gentilz.
 
 
 
« Quant vus serez el' palais seignurill ,
 
 
 
« A la grant feste seint Michiel de 1' Péril ,
 
 
 
« Mis avoez là vus sivrat, ço dit,
 
 
 
« Enz en voz bainz que Deus pur vus i fist ;
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE I 333
 
 
 
« Là vuldrat il chrestiens devenir. »
 
 
 
Caries respunt : « Uncor pu mit guarir. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Bels fut li jurz, si prist a décliner.
 
 
 
Les dis muiez t'ait Caries establer.'
 
 
 
El' grant vergier fait li R.eis tendre un tref ;
 
 
 
Les dis messages ad fait enz hosteler;
 
 
 
Duze serjant les unt bien cunreez.
 
 
 
La noit demurent tresque vint à l' jur cler.
 
 
 
Li Emperere est par matin levez ;
 
 
 
Messe e matines ad li Reis escultet.
 
 
 
Desuz un pin en est li Reis alez ;
 
 
 
Ses baruns mandet pur sun cunseill finer :
 
 
 
Par cels de France voel il de Y tut errer. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Li Emperere s'en vait desuz un pin ;
 
 
 
Ses baruns mandet pur sun cunseill fenir :
 
 
 
Le duc Ogier, l'arcevesque Turpin ,
 
 
 
Richard le Vieill e sun nevuld Henri ,
 
 
 
E de Guascuigne le prud cunte Acelin,
 
 
 
Tedbald de Reins e Milun sun cusin.
 
 
 
E si i furent e Geriers e Gerins.
 
 
 
Ensembl' od els li quens Rollanz i vint
 
 
 
E Oliviers, li pruz et li gentilz;
 
 
 
Des Francs de France en i ad plus de mil ;
 
 
 
Guenes i vint, ki la traïsun llst.
 
 
 
Dès or cumencet le cunseill que mal prist. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« Seignurs baruns, » dist 1' emperere Caries,
 
 
 
« Li reis Marsilies m'ad Ira mis ses messages
 
 
 
a De sun aveir me voelt duner grant masse,
 
 
 
« Urs e leuns e veltres caeignables,
 
 
 
« Set cenz cameilz e mil osturs muables,
 
 
 
« Quatre cenz muls cargiez de l'or d'Arabe,
 
 
 
« Avoec iço plus de cinquante cares;
 
 
 
« Mais il me mandet que en France m'en alge :
 
 
 
« Il me sivrat ad Ais à nnm cstage,
 
 
 
'< Si recevrat la nostrc Ici plus salve :
 
 
 
« Chrestiens iert, de tnei tiendrai ses Marches;
 
 
 
« Mais jo ne sai quels en est sis curages. »
 
 
 
Dient Franceis : « il nus i cuvient guarde. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
334 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
 
 
 
 
Li Emperere oui sa raisun fenie.
 
 
 
Li quens Rollanz, ki ne l'otriet mie,
 
 
 
En piez se drecet, si li vint cuntredire.
 
 
 
Il dist à l'Rei : « Ja mar creirez Marsilie.
 
 
 
« Set anz ad pleins qu'en Espaigne venimes :
 
 
 
« Jo vus cunquis e Noples e Commibles;
 
 
 
« Pris ai Valterne et la tere de Pine,
 
 
 
ce E Balaguer e Tuele et Sebilie.
 
 
 
« Li reis Marsilies i fist mult que traître :
 
 
 
« De ses paiens il vus enveiat quinze :
 
 
 
« Cascuns portout une branche d'olive ;
 
 
 
« Nuncièrent vus cez paroles meismes.
 
 
 
« A voz Franceis un cunseill en presistes :
 
 
 
« Loèrent vus alques de legerie.
 
 
 
« Douz de voz cuntes à 1'. paien tramesistes,
 
 
 
« L'uns fut Basanz e li altre Basilies;
 
 
 
« Les chiefs en pnst es puis suz Haltoïe.
 
 
 
« Faites la guère cum vus l'avez enprise,
 
 
 
« En Sarraguce menez vostre ost banie ,
 
 
 
« Metez le siège à tute vostre vie ,
 
 
 
a Si vengiez cels que li tel fist ocire. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Li Emperere en tint sun chief embrunc ,
 
 
 
Si duist sa barbe, afaitat sun gernun ,
 
 
 
Ne bien ne mal sun nevuld ne respunt.
 
 
 
Franceis se taisent, ne mais que Guenelun :
 
 
 
En piez se drecet, si vint devant Carlun,
 
 
 
Mult fièrement cumencet sa raisun,
 
 
 
E dist à 1' B.ei : « Ja mar crerez bricun ,
 
 
 
« Ne mei ne altre, se de vostre prud nun.
 
 
 
« Quant ço vus mandet li reis Marsiliun
 
 
 
« Qu'il deviendrat juintes ses mains vostre hum
 
 
 
« E tute Espaigne tiendrai par vostre dun ,
 
 
 
« Pois recevrai la lei que nus tenum ,
 
 
 
« Ki ços vus lodet que cest plait degetium ,
 
 
 
« Ne li calt, sire, de quel mort nus moerium.
 
 
 
« Cunseilz d'orgoill n'est dreiz que à plus munt.
 
 
 
« Laissum les fols, as sages nus tenum. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Après iço i est Naimes venuz ,
 
 
 
Blanche ont la barbe et tut le peil canut ;
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE I 33o
 
 
 
Meillur vassal n'aveit en la curt nul.
 
 
 
E dist à F Rei : « Bien l'avez entendut ;
 
 
 
« Guenes li quens ço vus ad respundut :
 
 
 
« Saveir i ad, mais qu'il seit entendu/.
 
 
 
« Li reis Marsilies est de guère vencuz :
 
 
 
« Vus li avez tuz ses castels toluz,
 
 
 
« Od voz cadables avez iïuisiet ses murs ,
 
 
 
« Ses citez arses e ses humes vencuz.
 
 
 
« Quant il vus mandet qu'aiez mercit de lui ,
 
 
 
« Pecchiet fereit ki dune li fesist plus,
 
 
 
« U par ostages vus voelt faire soùr;
 
 
 
<.( De voz baruns vus li manderez un ;
 
 
 
« Ceste grant guère ne deit munter à plus. »
 
 
 
Dient Franceis : « Bien ad parlet li Dux. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« Seignurs baruns, ki enveier purrum
 
 
 
« En Sarraguce à 1' rei Marsilium?»
 
 
 
Respunt dux Naimes : «J'irai par vostre dun;
 
 
 
« Livrez m'en ore le guant e le bastun. »
 
 
 
Respunt li R_eis : « Vus estes saives hum ;
 
 
 
ce Par ceste barbe et par cest mien gernun.
 
 
 
« Vus n'irez pas uan de mei si luign ;
 
 
 
« Alez sedeir : kar jo vus en suinun. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« Seignurs baruns, ki purrum enveier
 
 
 
« A l'Sarrazin ki Sarraguce tient? »
 
 
 
Respunt Rollanz : « ,1'i pois aler mult bien.
 
 
 
« — Ne F ferez certes, dist li quens Oliviers,
 
 
 
« Vostres curages est mult pesmes e fiers :
 
 
 
« Jo me crendreie que vus vus meslisiez.
 
 
 
« Se li Reis voelt, j' irai mult volentiers.
 
 
 
Li Emperere si enbrunchet le chief.
 
 
 
Après lue dist: « Ambdui vus en taisiez,
 
 
 
« Ne vus ne il n'i porterez les piez.
 
 
 
« Par ceste barbe que veez blancheier,
 
 
 
« Li duze Per inar i serunt jugiet. »
 
 
 
Franceis se taisent : as les vus aqueisiez. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Turpins de Reins en est levez de 1' renc,
 
A Caries escriet de sa voiz halte e grant :
 
<i Bels sire reis, laissiez ester voz Francs.
 
 
 
 
 
 
 
336 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
« En cest païs avez estet set anz ,
 
 
 
« Mult unt oùt e peines e ahans.
 
 
 
« Dunez m'en, Sire , le bastun e le guant,
 
 
 
« E jo irai à 1' Sarrazin Espan :
 
 
 
« Si li dirai alques de mun semblant. »
 
 
 
Li Emperere respunt par maltalant :
 
 
 
« Par ceste barbe, vus n'en ferez nient.
 
 
 
« Alez sedeir desur cel pâlie blanc ,
 
 
 
« N'en parlez mais, se jo ne l'vus cumant. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« Franc chevalier, » dit 1' emperere Caries,
 
 
 
a Kar m'eslisez un barun de ma marche ,
 
 
 
« Qu'à F rei Marsilie me portet mun message ,
 
 
 
« Se mestier est e bien poisset cumbatre. »
 
 
 
Ço dist Rollanz : « G' iert Guenes , mis parastre.
 
 
 
« Se lui laissiez, n'i trametrez plus saive. »
 
 
 
Dient Françeis : « Kar il le poet bien faire;
 
 
 
« Se li Reis voelt , bien est dreiz qu'il i alget. y> Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Ço dist li Reis : « Guenes , venez avant ;
 
 
 
« Si recevez le bastun e le guant.
 
 
 
« Oït l'avez , sur vus le jugent Franc.
 
 
 
« — Sire, » dist Guenes, « ço ad tut fait Rollanz :
 
 
 
« Ne l'amerai à trestut mun vivant,
 
 
 
« Ne Olivier pur ço qu'est sis cumpainz,
 
 
 
« Les duze Pers , pur ço qu'il l'aiment tant ;
 
 
 
« Desfi les en, Sire , vostre veiant. »
 
 
 
Ço dist li Pveis : « Trop avez mal talant.
 
 
 
« Or irez vus, certes, quant jo l'cumant.
 
 
 
« — J'i puis aler; mais n'i avrai guarant;
 
 
 
« Ne F out Rasilies ne sis frère Rasanz. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« En Sarraguce sai bien qu'aler m'estoet;
 
 
 
« Hum ki là vait repairier ne s'en poet.
 
 
 
« Ensurquetut si ai jo vostre soer.
 
 
 
« Si'n ai un fdz, ja plus bels n'en estoet :
 
 
 
<( C est Baldewins, se vit, ki ert prozdoem.
 
 
 
« A lui lais-jo mes honurs et mes fieus.
 
 
 
« Guardez-le bien, ja ne F verrai des oilz. »
 
 
 
Caries respunt : « Trop avez tendre coer.
 
 
 
ce Pois que F cumant, aler vus en estoet. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE I 337
 
 
 
 
 
 
 
E li quens Guenes en fut mult anguisables :
 
 
 
De sun col getet ses grandes pels de martre
 
 
 
E est reniés en sun blialt de pâlie.
 
 
 
Vairs out les oilz et mult fier le visage,
 
 
 
Gent out le cors e les costez out larges;
 
 
 
Tant par fut bels, luit si per l'en esguardent.
 
 
 
Dist à Huilant : « Tut fols, pur quei t'esrages?
 
 
 
« Ço set hum bien que jo sui tis parastre;
 
 
 
« Si as jugiet qu'à Marsiliun alge.
 
 
 
« Se Deus ço dunget que de là jo repaire,
 
 
 
« Jo t'en muvrai si grant doel e cuntraire
 
 
 
« Ki durerat à trestut tun edage. »
 
 
 
Respunt Rollanz : « Orgoill oi e folage.
 
 
 
« Ço set hum bien , n'ai cure de manace;
 
 
 
« Mais saives hum il deit faire message :
 
 
 
« Se li Reis voelt, prez sui pur vus le face. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Guenes respunt : « Pur mei n'iras tu mie.
 
 
 
« Tu n'ies mis hum ne jo ne sui tis sire.
 
 
 
« Caries cumandet que face sun servise :
 
 
 
« En Sarraguce en irai à Marsilie;
 
 
 
« Einz i ferai un poi de legerie
 
 
 
« Que jo'n esclair ceste meie grant ire. »
 
 
 
Quant l'ot Rollanz, si cumençat à rire. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Quant ço veit Guenes qu' ore s'en rit Rollanz,
 
 
 
Dune ad tel doel , pur poi d'ire ne fent,
 
 
 
A bien petit que il ne pert le sens,
 
 
 
E dit à F Cunte : « Jo ne vus aim nient;
 
 
 
« Sur mei avez turnet fais jugement.
 
 
 
« Dreiz Emperere, ci m' veez en présent,
 
 
 
« Ademplir voeill vostre cumandement. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« Bels sire Guenes, b dist Caries, « entra, lez :
 
 
 
ce En cest message sai bien que eus irez :
 
 
 
« De meie pari Ma e -il i un direz
 
 
 
« Juintes ses mains qu'il seit meis cumandez
 
 
 
« E si receivet seinte chrestientet.
 
 
 
« Demi Espaigne li voeill en (ieu dum r;
 
 
 
22
 
 
 
 
 
 
 
338 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
« L'aigre meitiet avrat Rollanz li ber.
 
 
 
« Se ceste acorde il ne voeît otrier,
 
 
 
a Suz Sarraguce le siège irai fermer :
 
 
 
« Pris e liez serat par poeslet,
 
 
 
« Ad Ais le siet serat tut dreit menez,
 
 
 
« Par jugement serat iloec finez :
 
 
 
« Làmurrat-il à doel e à viltet.
 
 
 
« Tenez cest brief ki est enseellez ,
 
 
 
« Enz eV puign destre à V païen le metez. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Li Emperere li tent sun guant , le destre ;
 
Mais li quens Guenes iloec ne volsist estre;
 
Quant le dut prendre, si li caït à tere.
 
Dient Franceis : « Deus! que purrat ço estre?
 
« De cest message nus aviendrat grant perte.
 
« — Seignurs, » dist Guenes, « vus en orrez nuveles. »
 
 
 
Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« Sire, » dist Guenes, « dunez mei le cungiet;
 
 
 
« Quant aler dei , n'i ai plus que targier. »
 
 
 
Ço dist li Reis : « A 1' Jhesu et à 1' mien ! »
 
 
 
De sa main destre l'ad asolt e seigniet;
 
 
 
Pois, li livrât le baston et le brief. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Guenes li quens s'en vait à sun ostel ,
 
 
 
De guarnemenz se prent à cunreer,
 
 
 
De ses meillurs que il pont recuvrer :
 
 
 
Esperuns d'or ad en ses piez fermez,
 
 
 
Ceinte Murgleis s'espée à sun costet,
 
 
 
En Tachebrun sun destrier est muntez :
 
 
 
L'estreu li tint sis uncles Guinemers.
 
 
 
Là veïssiez tanz chevaliers plurer,
 
 
 
Ki tuit li dient : « Tant mare fustes , ber !
 
 
 
« En curt à Rei mult i avez estet,
 
 
 
« Noble vassal vus i soit hum clamer.
 
 
 
« Ki ço jugat que doussiez aler,
 
 
 
« Par Carlemagne n'iert guariz ne tensez.
 
 
 
« Li quens Rollanz ne 1' se doust penser ,
 
 
 
« Que estraiz estes de mult grant parentet. »
 
 
 
Enprès li dient : « Sire, kar nus menez. »
 
 
 
Go respunt Guenes : « Ne placet damne Deu !
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE I 339
 
 
 
« Mielz est suis moerge que tant bon bacheler.
 
 
 
« En dulce France , seignurs, vus en irez :
 
 
 
« De meie part ma muillier saluez,
 
 
 
« E Pinabel mun ami e mun per.
 
 
 
« E Baldewin, mun filz , que vus savez,
 
 
 
« Et lui aidiez, e s'onur li guardez. »
 
 
 
Entret en sa veie, si s'est acheminez... Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
II
 
 
 
LE COR
 
 
 
(Vers 1017-1123)
 
 
 
Oliviers muntet desur un pui halçur :
 
 
 
Guardet suz destre par mi un val herbus ,
 
 
 
Si veit venir celé gent paienur.
 
 
 
Si'n apelat Rollant sun cumpaignun :
 
 
 
« Devers Espaigne vei venir tel bruur,
 
 
 
« Tanz blancs osbercs, tans helmes flambius!
 
 
 
« Icist ferunt noz Franceis grant irur.
 
 
 
« Guenes li fel en ad fait traïsun
 
 
 
« Ki nus jugat devant l'Empereur.
 
 
 
ce — Tais, Olivier, » li quens Rollanz respunt;
 
 
 
« Mis parrastre est : ne voeill que mot en suns. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Oliviers est desur un pui muntez :
 
 
 
Or veit il bien d'Espeigne le regnet,
 
 
 
Et Sarrasins ki tant sunt assemblet.
 
 
 
Luisent cil helme , ki ad or sunt gemmet
 
 
 
E cil escut e cil osberc saf'ret
 
 
 
E cil espiet, cil gunfanun fermet.
 
 
 
Celés eschieles ne poet il acunter :
 
 
 
Tant en i ad que mesure n'en set.
 
 
 
En lui meïsme en est mult esguarez;
 
 
 
Cliiii il einz pont, de l' pui est avalez :
 
 
 
Vint as Franceis, tut lur ad acunlet. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Dist Oliviers : « Jo ai paiens veux;
 
 
 
« Une mais nuls hum en tere n'en vit plus.
 
 
 
 
 
 
 
340 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
(( Cil devant sunt bien cent milie, ad escuz,
 
 
 
« Helmes laciez e blancs osbercs vestuz ,
 
 
 
« Dreites cez hanstes , luisanz cez espiez bruns ,
 
 
 
« Bataille avrez , unkes mais tel ne fut.
 
 
 
ce Seignurs franceis , de Deu aiez vertut :
 
 
 
« El' camp estez, que ne seium vencut. »
 
 
 
Dient Franceis : « Débet ait ki s'en fuit !
 
 
 
« Ja pur mûrir ne vus en faldrat uns. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Dist Oliviers : « Paien unt grant esforz ,
 
 
 
« De noz Franceis m'i semblet aveir mult poi.
 
 
 
« Gumpainz Rollanz, kar sunez voslre corn :
 
 
 
« Si l'orrat Caries, si returnerat l'oz. »
 
 
 
Respunt Rollanz : « Jo fereie que fols.:
 
 
 
« En clulce France en perdreie mun los.
 
 
 
« Sempres ferrai de Durendal granz colps ;
 
 
 
« Sanglenz en iert li branz entresqu'à l'or.
 
 
 
« Nostre Franceis i ferrunt ad esforz :
 
 
 
« Felun paien mar i vindrent as porz ;
 
 
 
« Jo vus plevis, tuit sunt jugiet à mort. » Agi.
 
 
 
 
 
 
 
« Cumpainz Rollanz, l'olifant kar sunez.
 
 
 
« Si F orrat Caries, fera Fost returner ■
 
 
 
« Succurrat nus li Reis od sun barnet. »
 
 
 
Respunt Rollanz : « Ne placet Damne Deu
 
 
 
« Que mi parent pur mei seient blasmet,
 
 
 
« Ne France dulce ja cbedet en viltet.
 
 
 
« Einz i ferrai de Durendal asez ,
 
 
 
« Ma bone espée que ai ceint à F eu
 
 
 
« Tut en verrez le brant ensanglantet.
 
 
 
« Felun paien mar i sunt asemblet;
 
 
 
« .To vus plevis , tuit sunt à mort livret. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« Cumpainz Rollanz, sunez vostre olifant :
 
« Si F orrat Caries ki est az porz passant;
 
« Jo vus plevis , ja returnerunt Franc.
 
« — Ne placet Deu, » ço li respunt Rollanz.
 
« Que ço seit dit de nul bume vivant
 
« Que pur païens ja seie-jo cornant!
 
« Ja n'en avrunt reproece mi parent.
 
« Quant jo serai en la bataille grant
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE I 341
 
 
 
a Jo i ferrai e mil colps e set cenz,
 
 
 
« De Durendal verrez l'acier sanglent.
 
 
 
« Franceis sunt bon, si ferrant vassalment;
 
 
 
ce Ja cil d'Espaigne n'avrunt de mort guarant. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Dist Oliviers : « D'iço ne sai jo blasme
 
 
 
« Jo ai veut les Sarrazins d'Espaigne :
 
 
 
« Ouvert en sunt li val e les muntaignes,
 
 
 
« E li lariz e trestutes les plaignes.
 
 
 
« Granz sunt les oz de cet gent estrange;
 
 
 
« Nus i avum mult petite cumpaigne. »
 
 
 
Respunt R.ollanz : « Mis talenz en est graindre.
 
 
 
« Ne placet Deu ne ses seinlismes angles
 
 
 
« Que ja pur mei perdet sa valur France !
 
 
 
« Mielz voeill mûrir qu'à huntage remaigne.
 
 
 
« Pur bien ferir TEmperere nus aimet. » Aor.
 
 
 
 
 
 
 
Rollanz est pruz e Oliviers est sages :
 
 
 
Ambedui unt merveillus vasselage.
 
 
 
Pois que il sunt as chevals e as armes,
 
 
 
Ja pur mûrir n'eschiverunt bataille.
 
 
 
Bon sunt li cunte , e lur paroles haltes.
 
 
 
Felun paien par grant irur chevalchent.
 
 
 
Dist Oliviers : « P«.ollanz, veez en alques.
 
 
 
« Gist nus sunt près, mais trop nus est loinz Caries.
 
 
 
« Vostre olifant suner vus ne 1' deignastes,
 
 
 
« Fust i li Reis, n'i oùssum damage.
 
 
 
a Cil qui là sunt n'en doivent aveir blasme.
 
 
 
« Guardez amunt par devers le- porz d'Aspre;
 
 
 
ce Vedeir poez dolente rere-guarde.
 
 
 
« Ki ceste fait, jamais n'en fera altre. »
 
 
 
Respunt Rollanz : « Ne dites tel ultrage.
 
 
 
« Mal seit de 1' coer ki el' piz se cuardet!
 
 
 
« Nus remeindrum en estai en la place;
 
 
 
oc Par nus i iert e li colps e li caples. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Quant Rollanz veit que bataille serat,
 
Plus se fait fiers que leun ne leuparz;
 
Franceis escriet, Olivier apelat;
 
« Sire cumpainz, unis, ne 1' direja.
 
« Li Emperere ki Franceis nus laissât,
 
 
 
 
 
 
 
342 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
« Itels vint milie mist à une part ,
 
 
 
« Sun escientre, nen i out un cuard.
 
 
 
« Pur sun seignur deit hum suflïir granz mais
 
 
 
« E endurer e forz freiz e granz calz.
 
 
 
« Si'n deit hum perdre de 1' sanc e de la carn.
 
 
 
« Fier de la lance e jo de Durendal ,
 
 
 
« Ma bone espée que li Reis me dunat.
 
 
 
« Se jo i moerc, dire poet ki 1' avrat,
 
 
 
a Que ele fut à nobilie vassal ! » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
III
 
 
 
LA MORT DE ROLAND
 
 
 
(Vers 2164-2396)
 
 
 
Paien s'en fuient curuçus e iriet,
 
 
 
Envers Espaigne tendent de F espleitier,
 
 
 
Li quens Rollanz ne 's ad dune encalciez.
 
 
 
Perdut i ad Veillantif sun destrier :
 
 
 
Voeillet o nun , remés i est à pied.
 
 
 
A F arcevesque Turpin alat aidier :
 
 
 
Sun helme ad or li deslaçat de F chief,
 
 
 
Si li tolit le blanc osberc legier,
 
 
 
E sun blialt li ad tut detrenchiet,
 
 
 
En ses granz plaies les pans li ad fichiel;
 
 
 
Cuntre sun piz, pois, si F ad embraciet;
 
 
 
Sur l'herbe verte, pois, Fad suef culchiet.
 
 
 
Mult dulcement li ad Rollanz preiet :
 
 
 
« E ! gentilz hum, kar me dunez cungied.
 
 
 
ce Noz cumpaigniins, que oiimes tant chiers,
 
 
 
« Or sunt il mort, ne's i devum laissier;
 
 
 
« Jo'es voeill aler e querre e entercier,
 
 
 
« Dedevant vus juster e enrengier. »
 
 
 
Dist FArcevesques : « Alez e repairiez.
 
 
 
« Cist camps est vostre, la mercit Deu, e miens. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Rollanz s'en turnet, par le camp vait tut suis ,
 
Cerchet les vais e si cerchet les munz ;
 
Iloec truvat Ivorie elvun,
 
Truvat Gerin , Gerier sun cumpaignun ,
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE i 343
 
 
 
E si truvat Engelicr le Guascuin,
 
 
 
E si truvat Berengïer e Otun ;
 
 
 
Iloec truvat Anseïs e Sansun,
 
 
 
Truvat Gerart le vieil de Russillun.
 
 
 
Par un e un i ad pris les baruns.
 
 
 
A l'Arcevesque en est venuz atut :
 
 
 
Si 's mit en reng dedevant ses genuilz.
 
 
 
Li Arcevesques ne poet muer n'en plurt
 
 
 
Lievet sa main, fait sa beneïçun.
 
 
 
Après, ad dit : ce Mate fustes, seignurs.
 
 
 
« Tûtes vos anmes ail Deus li glorius!
 
 
 
ce En pareïs les metet en seintes flurs!
 
 
 
« Le meie mort me rent si anguissus :
 
 
 
ce Ja ne verrai le riche Empereur. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Rollanz s'en turnet, le camp vait recerchier.
 
 
 
De suz un pin, de lez un eglentier,
 
 
 
Sun cumpaignun ad.truvet Olivier;
 
 
 
Contre sun piz estreit l'ad embraciet ;
 
 
 
Si cum il poet, à l'Arcevesque en vient.
 
 
 
Sur un escut l'ad as altres culchiet ;
 
 
 
Et l' Arcevesques l'ad asolt e seigniet.
 
 
 
Idunc agrieget li doels e la pitiet.
 
 
 
Ço dit Rollanz : « Bels cumpainz Oliviers ,
 
 
 
« Vus fustes filz à Y hou cunte Renier,
 
 
 
«■ Ki tint la marche tvesqu'à Gennes eV rimer ;
 
 
 
« Pur hansles fraindre, pur escuz peceier,
 
 
 
« E pur osbere* derumpre e desmailier,
 
 
 
« E pur produmes tenir e cunseillier,
 
 
 
« E pur glutuns veintre e esmaier,
 
 
 
« En nule tere n'out meillur chevalier. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Li quens Rollanz, quant il veit morz ses pers
 
 
 
E Olivier, qu'il tant poeit amer,
 
 
 
Tendrur en out, cumencet à plurer.
 
 
 
En sun visage fut mult desculurez.
 
 
 
Si grant doel out que mais ne pout ester :
 
 
 
Voeillet o nun, à tere chiet pasmez.
 
 
 
Dist l'Arcevesques : « Tant mare fustes, ber! » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
344 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
Li Arcevesques, quant vit pasmer Rollant,
 
 
 
Dune out tel doel, unkes mais n'out si grant;
 
 
 
Tendit sa main , si ad pris l'olifant.
 
 
 
En Rencesvals ad une ewe curant;
 
 
 
Aler i voelt, si'n durrat à Rollant.
 
 
 
Tant s'esforçat qu'il se mist en estant :
 
 
 
Sun petit pas s'en turnet, can celant.
 
 
 
Il est si fiebles qu'il ne poet en avant ;
 
 
 
N'en ad vertut, trop ad perdut de 1' sanc;
 
 
 
Einz qu' hum alast un sul arpent de camp ,
 
 
 
Li coers li fait, si est caeiz avant :
 
 
 
La sue mort le vait mult anguissant. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Li quens Rollanz revient de pasmeisun,
 
 
 
Sur piez se drecet, mais il ad grant dulur;
 
 
 
Guardet aval e si guardet amunt ;
 
 
 
Sur l'herbe verte, ultre ses cumpaignuns,
 
 
 
Là veit gésir le nobilie barun :
 
 
 
G' est F Arcevesques, que Deus rnist en sun num.
 
 
 
Cleimet sa culpe, si reguardet amunt,
 
 
 
Cuntre le ciel ambesdous ses mains juint,
 
 
 
Si priet Deu que pareïs li duinst.
 
 
 
Morz est Turpins cl servi se Cari un.
 
 
 
Par granz batailles e par mult bels sermuns
 
 
 
Cuntre paiens fut tuz tens campiun.
 
 
 
Deus li otreit seinte beneïcun ! Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Quant Rollanz veit que V Arcevesques est morz,
 
 
 
Seinz Olivier une mais n' out si grant doel,
 
 
 
E dist un mot ki detrenchet le coer :
 
 
 
« Caries de France, chevalche cum tu poes ;
 
 
 
(( En Rencesvals damage i ad des noz.
 
 
 
« Li reis Marsilies i ad perdut ses oz :
 
 
 
a Cuntre un des noz ad bien quarante morz. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Li quens Rollanz veit l'Arcevesque à tere,
 
De fors sun cors veit gésir la buele ;
 
Desuz le frunt li buillit la cervele.
 
Desur sun piz, entre les dous furcbeles,
 
Gruisiées ad ses blanches mains, les bêles.
 
Forment le pleint à la lei de sa tere :
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE I 34o
 
 
 
ce E! gentilz hum, chevaliers de bon aire,
 
 
 
« Hoi te eu niant à F Glorius céleste ;
 
 
 
« Jamais n'iert hum pins volentiers le servet.
 
 
 
« Dès les Apostles ne fut mais tels prophète
 
 
 
« Pur lei tenir e pur humes atraire.
 
 
 
« Ja la vostre anme nen ait doel ne suffraite!
 
 
 
« De Pareïs li seit la porte u verte ! » Agi.
 
 
 
 
 
 
 
Ço sent Rollanz que la mort li est près :
 
 
 
Par les oreilles fors en ist li cervels.
 
 
 
De ses pers priet à Dieu que les apelt,
 
 
 
Et pois de lui à F angle Gabriel.
 
 
 
Prist l'olifant, que reproece n'en ait,
 
 
 
E Durendal s'espée en l'altre main.
 
 
 
Plus qu' arbaleste ne poet traire un quarrel ,
 
 
 
Devers Espaigne en vait en un guaret.
 
 
 
En sum un tertre, desuz doits arbres bels,
 
 
 
Quatre perruns i ad de marbre faiz.
 
 
 
Sur F herbe verte si est caeiz envers ;
 
 
 
Là s'est pasmez : kar la mort lui est près. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Hait sunt li pui e mult hait sunt li arbre.
 
 
 
Quatre perruns i ad, luisanz de marbre.
 
 
 
Sur l'herbe verte li quens Piollanz se pasmet.
 
 
 
Uns Sarrazins tute veie l'esguardet ;
 
 
 
Si se feinst mort, si gist entre les altres.
 
 
 
De sanc luat sun cors e sun visage ;
 
 
 
Met sei sur piez e de curre se hastet.
 
 
 
Bels fut e forz e de grant vasselage.
 
 
 
Par sun orgoill cumencet mortel rage,
 
 
 
Rollant saisit e sun cors et ses armes,
 
 
 
E dist un mot : « Vencuz est li niés Carie.
 
 
 
« Iceste espée porterai en Arabe. »
 
 
 
Prist V en sun puign . Rollant tirât la barbe :
 
 
 
En cel tirer, li Quens s'apeivut alques. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Ço sent Rollanz que s'espée li toit,
 
Uvrit les oilz , si li ad dit un mot :
 
« Mien escientre, tu n'ies mie des noz! »
 
Tient l'olifant qu' unkes perdre ne volt,
 
Si F liert en Fhelme ki gemmez fut ad or,
 
 
 
 
 
 
 
346 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
Fruisset l'acier e la teste e les os,
 
 
 
Ambsdous les oilz de 1' chief li ad mis fors ,
 
 
 
Jus à ses piez si l'ad tresturnet mort ;
 
 
 
Après, li dit : « Culverz, cum fus si os
 
 
 
« Que me saisis, ne à dreit ne à tort?
 
 
 
« Ne l'orrat hum ne t'en tienget pur fol.
 
 
 
« Fenduz en est mis olifant el' gros ,
 
 
 
« Ça jus en est li cristals e li ors. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Ço sent Pvollanz que la mort si Varguet,
 
 
 
Met sei sur piez, quanqu'il poet s'esvertuet;
 
 
 
De sun visage la culur ad perdue.
 
 
 
Tient Durendal s' espée tute nue :
 
 
 
Dedevant lui ad une pierre brune ;
 
 
 
Dis colps i fiert par doel e par rancure :
 
 
 
Cruist li aciers, ne freint ne ne s'esgruniet;
 
 
 
E dist li Quens : « Seinte Marie , aïue !
 
 
 
« E ! Durendal , bone , si mare fastes !
 
 
 
« Quant jo me part de vus, n'en ai mais cure.
 
 
 
« Tantes batailles en camp en ai vencues
 
 
 
« E tantes teres larges escumbatues,
 
 
 
« Que Caries tient, ki la barbe ad canue!
 
 
 
ce Ne vus ait hum ki pur altre s'en fuiet!
 
 
 
« A mun vivant ne nie serez tolue.
 
 
 
« Mult bons vassals vus ad lung tens tenue :
 
 
 
« Jamais n'iert tels en France l'asolue. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Rollanz ferit el' perrun de sartanie.
 
 
 
Cruist li aciers, ne briset ne n'esgraniet.
 
 
 
Quant il ço vit que n'en pout mie fraindre,
 
 
 
A sei méisme la cumencet à plaindre :
 
 
 
« E ! Durendal, cum ies e clere e blanche!
 
 
 
u, Cuntre soleill si reluis e reflambes!
 
 
 
« Caries esteit es vais de Moriane,
 
 
 
« Quant Deus de 1' ciel li mandat par sun angle
 
 
 
« Qu'il te dunast à un cunte catanie ;
 
 
 
« Dune la me ceinst li gentilz reis, li magnes.
 
 
 
« Jo l'en cunquis e Anjou e Bretaigne;
 
 
 
« Jo l'en cunquis e Peitou e le Maine ;
 
 
 
« Jo l'en cunquis Normendie la franche ;
 
 
 
« Si l'en cunquis Provence e Aquitaigne
 
 
 
a E Lumbardie e trestute Ro manie ;
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE I 347
 
 
 
Jo l'en cunquis Baivière e tute Flandre,
 
 
 
E Buguerie e trestute Puillanie,
 
 
 
Constentinnoble, dunt il out la fiance :
 
 
 
E en Saisunie fait il ço qu'il demandet.
 
 
 
Jo l'en cunquis Escoce, Guales, Irlande
 
 
 
E Engletere que il teneit sa cambre.
 
 
 
Cunquis l'en ai pais e teres tantes,
 
 
 
Que Caries tient, ki ad la barbe blanche!
 
 
 
Pur ceste espée ai dulur e pesance :
 
 
 
Mielz voeill mûrir qu'entre païens remaignet.
 
 
 
Damnes Ueus père, n'en laissier hunir France! » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Rollanz ferit en une pierre bise :
 
 
 
Plus en abat que jo ne vus sai dire.
 
 
 
L'espée cruist, ne fruisset ne ne briset,
 
 
 
Cuntre le ciel amunt est resortie.
 
 
 
Quant veit li Quens que ne la freindrat mie,
 
 
 
Mult dulcement la pleins! à sei meïsme :
 
 
 
« E! Durendal, cura ies bêle e seintisme!
 
 
 
« En l'orie punt asez i ad reliques :
 
 
 
c< Un dent seint Pierre e de Y sanc seint Basilic .
 
 
 
« E des chevels mun seignur seint Denise ;
 
 
 
« De 1' vestement i ad seinte Marie.
 
 
 
« II nen est dreiz que paien te baillisent :
 
 
 
« De chrestiens devez estre servie.
 
 
 
(( Taules batailles de vus a vrai féales,
 
 
 
« Mult larges teres de vus avrai cunquises
 
 
 
« Que Caries tient, ki la barbe ad flurie,
 
 
 
<( E 1' Emperere en est e ber e rie lies.
 
 
 
(( Ne vus ait hum ki facet cuardie!
 
 
 
« Deus, ne laissier que France en seit hwùe ! » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Ço sent Rollanz que la mort l'entreprent :
 
 
 
Jus de la teste sur le coer li descent.
 
 
 
Desuz un pin i est alez curant :
 
 
 
Sur l'herbe verte s'i esl culcbiez adenz :
 
 
 
Desuz lui met s'espée e l'olifant.
 
 
 
Turnat sa teste vers la paiene gent :
 
 
 
Pur ço l'ad fait que il voelt veiremenl
 
 
 
Que Caries diet e trestute sa genl ,
 
 
 
Li gentilz quens, qu'il fut morz cunquerant.
 
 
 
Cleimet sa culpe e menul e suvent.
 
 
 
 
 
 
 
348 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
Pur ses pecchiez Deu puroffrit le guant :
 
 
 
Le Angle Deu le pristrent erraument. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Ço sent Rollanz de sun tens n'i ad plus ;
 
 
 
Devers Espaigne gist en un pui agut.
 
 
 
A 1' une main si ad sun piz batut :
 
 
 
« Deus ! meie culpe par la tue vertut,
 
 
 
« De mes pecchiez , des granz e des menuz ,
 
 
 
« Que jo ai fait dès l'ure que nez lui
 
 
 
« Tresqu'à cest jur que ci sui consoùz! »
 
 
 
Sun destre guant en ad vers Deu tendut :
 
 
 
Angle de 1' ciel i descendent à lui. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Li quens Rollanz se jut desuz un pin :
 
 
 
Envers Espaigne en ad turnet sun vis...
 
 
 
De plusurs choses à remembrer li prist :
 
 
 
De tantes teres que li ber ad cunquis,
 
 
 
De dulce France, des humes de sun lign,
 
 
 
De Carlemagne, sun seignur, ki 1' nurrit,
 
 
 
E des Franceis dunt il esteit si fiz.
 
 
 
Ne poet muer n'en plurt e ne suspirt.
 
 
 
Mais lui meïsme ne voelt mètre en ubli ;
 
 
 
Cleimet sa culpe, si priet Deu mercit :
 
 
 
« Veire paterne, ki unkes ne mentis,
 
 
 
« Seint Lazarun de mort resurrexis
 
 
 
« E Daniel des leuns guaresis,
 
 
 
« Guaris de mei l'anme de tuz perilz
 
 
 
a Pur les pecchiez que en ma vie fis ! »
 
 
 
Sun destre guant à Deu en puroffrit,
 
 
 
E de sa main seinz Gabriel l'ad pris.
 
 
 
Desur sun braz teneit le chief enclin :
 
 
 
Juintes ses mains est alez à sa fin.
 
 
 
Deus II tramist sun angle chérubin ,
 
 
 
Seint Raphaël, seint Michiel de 1' Péril.
 
 
 
Ensemble od els seinz Gabriel i vint.
 
 
 
L'anme de 1' Cunte portent en Pareïs. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE I 349
 
 
 
 
 
 
 
IV
 
 
 
 
 
 
 
L'ORAISON FUNÈBRE
 
(Vers 2845-2944)
 
 
 
A P matinet, quant primes apert P alite;
 
 
 
Esveilliez est H emperere Caries.
 
 
 
Seinz Gabriel, ki de par Don le guardet,
 
 
 
Lievet sa main, sur lui fait un signacle.
 
 
 
Li Reis se drecet, si ad rendu t ses armes :
 
 
 
Si se desarment par iule Post li altre.
 
 
 
Pois, sunt muntet, par grant vertut chevalchent
 
 
 
Cez veies lunges c cez chemins mult larges :
 
 
 
Li vunt vedeir le merveillus damage
 
 
 
En Rencesvals, là ù fut la bataille. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
En Rencesvals en est Caries entrez :
 
 
 
Des morz qu'il troevet cumencet à plurer.
 
 
 
Dist as Franceis : « Seignurs , le pas tenez ;
 
 
 
« Kar mei meïsme estoet avant aler
 
 
 
« Pur mun nevuld que vuldreie truver.
 
 
 
(( Ad Ais esteie, ad une feste anel :
 
 
 
« Si se vantèrent mi vaillant bacheler
 
 
 
« De granz batailles, de forz esturs camjoels ;
 
 
 
« D'une raisun oï Rollant parler :
 
 
 
« Ja ne murreit en estrange regnet
 
 
 
« Ne trespassat ses humes e ses pers :
 
 
 
« Vers lur pais avreit sun chief turnet,
 
 
 
« Cunquerrantment si finereit li ber. »
 
 
 
Plus qu'hum ne poet un bastuncel geter,
 
 
 
Devant les altres est en un pui munlez. Aôi.
 
 
 
 
 
 
 
Quant PEmperere vait querre sun nevuld .
 
De tantes herbes eP prêt truvat les flurs,
 
Ki sunt vermeilles de P sanc de noz baruns :
 
Pitiet en ad , ne poet muer n'en plurt.
 
Desuz doiis arbres parvenuz esl amunt;
 
Les colps Rollant conul en treis perruns.
 
Sur l'herbe verte veil gésir sun nevuld :
 
 
 
 
 
 
 
350 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
Nen est merveille se Caries ad irur.
 
 
 
Descent à pied, alez i est plein curs,
 
 
 
Si prent le Cunte entre ses mains ambsdous,
 
 
 
Sur lui se pasmet, tant par est anguissus. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Li Emperere de pasmeisun revint.
 
 
 
Naimes li dux e li quens Acelins,
 
 
 
Gefreiz d'Anjou e sis frère Tierris
 
 
 
Prennent le Rei, si 1' drecent suz un pin.
 
 
 
Guardet à tere, veit sun nevuld gésir.
 
 
 
Tant dulcement à regretter le prist :
 
 
 
« Amis Rollanz, de tei ait Deus mercit!
 
 
 
a Unkes nuls hum tel chevalier ne vit
 
 
 
« Pur granz batailles juster e détenir.
 
 
 
« La meie honur est turnée en déclin. »
 
 
 
Caries se pasmet, ne s'en pout astenir. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Caries li reis revint de pasmeisun ;
 
 
 
Par mains le tiennent quatre de ses baruns.
 
 
 
Guardet à tere , veit gésir sun nevuld ;
 
 
 
Cors ad gaillard, perdue ad sa culur,
 
 
 
Turnez ses oilz, mult li sunt tenebrus.
 
 
 
Caries le pleint par feid e par amur :
 
 
 
« Amis Rollanz, Deus metet t'anme en flurs,
 
 
 
« En pareïs, entre les glorius!
 
 
 
« Cum en Espaigne venis à mal seignur!
 
 
 
« Jamais n'iert jurz de tei n'aie dulur.
 
 
 
« Cum decarrat ma force e ma baldur !
 
 
 
« N'en avrai ja ki sustienget m'honur ;
 
 
 
« Suz ciel ne quid aveir ami un sul.
 
 
 
« Se j'ai parenz, nen i ad nul si prud. »
 
 
 
Trait ses crignels pleines ses mains ambsdous ,
 
 
 
Sur lui se pasmet tant par est anguissus :
 
 
 
Cent milie Franc en unt si grant dulur
 
 
 
Nen i ad cel ki durement ne plurt. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« Amis Rollanz , jo m'en irai en France.
 
 
 
« Cum jo serai à Loùn, en ma cambre,
 
 
 
« De plusurs règnes viendrunt li hume estrange.
 
 
 
« Demanderunt ù est li Quens catanies :
 
 
 
(( Jo lur dirrai qu'il est morz en Espaigne.
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE I
 
 
 
 
 
 
 
351
 
 
 
 
 
 
 
« A grant dulur tiendrai pois mun reialme :
 
 
 
« Jamais n'iert jurz que ne plur ne m'en pleigne. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« Amis Rollanz, prozdum , juvente bêle,
 
 
 
« Cum jo serai ad Ais en ma capele,
 
 
 
« Viendrunt li hume, demanderunt nuveles;
 
 
 
« Je' s lur dirrai merveilluses e pesmes :
 
 
 
« Morz est mis niés, ki tant suleit cunquerre.
 
 
 
« Encuntre mei revelerunt li Seisne
 
 
 
« E Hungre e Bugre e tante gent averse,
 
 
 
« Romain, Puillain e tuit cil de Palerne,
 
 
 
« E cil d'Affrike e cil de Galiferne ;
 
 
 
« Pois, encrerrunt mes peines e mes suffrages.
 
 
 
« Ki guierat mes oz à tel poeste,
 
 
 
« Quant cil est morz ki tuz jurz nus cadelet?
 
 
 
« E! France dulce, cum remeins hoi déserte!
 
 
 
« Si grant doel ai que jo ne vuldreie estre. »
 
 
 
Sa barbe blanche cumencet à de traire,
 
 
 
Ad ambes mains les chevels de sa teste.
 
 
 
Gent milie Franc s'en pasment cuntre tere. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
« Amis Rollanz, as perdue la vie :
 
 
 
« L'anme de tei en Pareïs seit mise !
 
 
 
« Ki tci ad mort France claire ad h unie.
 
 
 
« Si grant dool ai que ne vuldreie vivre,
 
 
 
« De ma maisniée ki pur mei est oeise.
 
 
 
« Ço me duinst Deus, li filz seintc Marie,
 
 
 
« Einz que jo vienge as maistres porz de Sizre,
 
 
 
« L'anme de 1' cors me seit hoi départie,
 
 
 
« Entre les lui* fust al née e mise,
 
 
 
« E ma car fust delez els enfuie. »
 
 
 
Pluret des oilz, sa blanche barbe tiret.
 
 
 
E dist dux Naimes : « Or ad Caries grant ire... » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
352 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
 
 
 
 
V
 
 
 
 
 
 
 
MORT DE LA BELLE AUDE
 
(Vers 3705-3734)
 
 
 
Li Emperere est repairiez cTEspaigne
 
 
 
E vient ad Ais, à 1' meillur sied de France.
 
 
 
Muntet el' palais, est venuz en la sale.
 
 
 
As li venue, Aide, une bêle dame.
 
 
 
Go dist à F Rei : « Oust Rollanz li catanies ,
 
 
 
« Ki me jurât cume sa per à prendre? »
 
 
 
Caries en ad e dulur e pesance,
 
 
 
Pluret des oilz, tiret sa barbe blanche :
 
 
 
« Soer, chère amie, d' hume mort me demandes.
 
 
 
« Jo t'en durrai mult esforciet escange :
 
 
 
« Ç' est Loewis, mielz ne sai-jo qu'en parle :
 
 
 
« Il est mis fllz e si tiendrat mes marches. »
 
 
 
Aide respunt : « Cist moz mei est estranges.
 
 
 
« Ne placet Deu ne ses seinz ne ses angles
 
 
 
« Après Rollant que jo vive remaigne ! »
 
 
 
Pert la culur, chiet as piez Garlemagne,
 
 
 
Sempres est morte. Deus ait mercit de l'anme !
 
 
 
Franceis barun en plurent; si la pleignent. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Aide la bêle est à sa fin alée.
 
 
 
Quidet li Reis qu'ele se seit pasmée;
 
 
 
Pitiet en ad, si 'n pluret l'Emperere :
 
 
 
Prent la as mains, si F en ad relevée;
 
 
 
Sur les espalles ad la teste clinée.
 
 
 
Quant Caries veit que morte l'ad truvée,
 
 
 
Quatre cuntesses sempres i ad mandées ;
 
 
 
Ad un mustier de nuneins est portée :
 
 
 
La noit la guaitent entresqu'à Fajurnée.
 
 
 
Lune un alter bêlement l'enterrèrent.
 
 
 
Mult grant honur i ad li Reis dunée. Agi.
 
 
 
 
 
 
 
Li Emperere est repairiez ad Ais...
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE II
 
 
 
 
 
 
 
Traduction interlinéaire à l'usage des débutants (fragment).
 
 
 
 
 
 
 
Caries li reis, nostre ernperere magnes,
 
 
 
Charles le roi , notre empereur grand ,
 
 
 
Set anz tuz pleins ad estet en Espaigne :
 
 
 
Sept ans tout pleins a été en Espagne :
 
 
 
Tresqu'en la mer cunquist la tere altaigne.
 
 
 
Jusqu'à la mer conquit la terre haute :
 
 
 
N'i ad castel ki devant lui remaignet :
 
 
 
N'y a château qui devant lui demeure,
 
 
 
Murs ne citet n'i est remés à fraindre,
 
 
 
Mur ni cité n'y est resté à renverser,
 
 
 
Fors Sarraguce k' est en une muntaigne.
 
 
 
Hors Saragosse qui est sur une montagne.
 
 
 
Li reis Marsilies la tient, ki Deu nen aimet;
 
 
 
Le roi Marsile la tient, qui Dieu n'aime;
 
 
 
Maliummet sert et Apollin recleimet :
 
 
 
Mahomet sert et Apollon réclame.
 
 
 
Ne s' poet guarder que mais ne li ataignet.
 
 
 
Ne se peut garder que mal ne l'atteigne. Aoi
 
 
 
 
 
 
 
II
 
 
 
 
 
 
 
10 Li reis Marsilies esteit en Sarraguce :
 
Le roi Marsile étail à Saragosse,
 
 
 
Mez en est en un vergier suz l'umbre;
 
Allé en esl en un v< l'ombre;
 
 
 
Sur un purrun de marbre bloi se culcliet,
 
 
 
Sur un perron de marbre bleu se couche ;
 
 
 
 
 
 
 
23
 
 
 
 
 
 
 
354 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
Envirun lui ad plus de vingt mille humes.
 
Autour de lui il y a plus de vingt mille hommes.
 
 
 
Il en apelet e ses dux e ses cuntes :
 
 
 
Il en appelle et ses ducs et ses comtes :
 
 
 
15 « Oez, seignurs, quels pecchiez nous encumbret
 
 
 
« Oyez, seigneurs, quel péché nous encombre.
 
 
 
« Li emperere Caries de France dulce
 
 
 
« L'empereur Charles, de France douce,
 
 
 
« En cest pais nus est venuz cunfundre.
 
 
 
« En ce pays nous est venu confondre.
 
 
 
« Jo nen ai ost ki bataille li dunget ;
 
 
 
i< Je n'ai pas d'armée qui bataille lui donne ;
 
 
 
« N'en ai tel gent ki la sue derumpet.
 
 
 
« Je n'ai pas telle gent qui la sienne mette en déroute.
 
 
 
20 « Gunseilliez mei, cume mi saive hume;
 
 
 
« Conseillez moi , comme mes sages hommes ;
 
 
 
« Si m' guarisez e de mort e de hunte. »
 
 
 
« Et me préservez et de mort et de honte. »
 
 
 
N'i ad paien ki un sul mot respundet,
 
 
 
N'y a païen qui un seul mot réponde,
 
 
 
Fors Blancandrin de 1' castel de Val-Funde.
 
 
 
Hors Blancandrin du château de "Val -Fonde.
 
 
 
 
 
 
 
III
 
 
 
 
 
 
 
Blancandrins fut des plus saives paiens :
 
 
 
Blancandrin fut des plus sages païens :
 
 
 
25 De vasselage fut asez chevaliers,
 
 
 
Pour le courage fut très bon chevalier,
 
Produme i out pur sun seignur aidier,
 
Homme sage y eut pour son seigneur aider,
 
 
 
E dist à l'Rei : « Or ne vus esmaiez.
 
 
 
E dit au Roi : « Or, ne vous mettez en émoi.
 
« Mandez Carlun, à 1' orgoillus, à Y fier,
 
« Mandez à Charles, à l'orgueilleux, au fier,
 
 
 
« Fedeilz servises e mult granz amistiez :
 
 
 
« Fidèles services et très grandes amitiés :
 
 
 
30 (( Vuz li durrez urs e leuns e chiens,
 
 
 
« Vous lui donnerez ours et lions et chiens,
 
 
 
ce Set cenz cameilz e mil osturs muiers,
 
 
 
« Sept cents chameaux et mille autours mués,
 
 
 
« D'or e d'argent quatre cenz muls cargiez,
 
 
 
« D'or et d'argent quatre cents mulets chargés,
 
 
 
(( Cinquante cares qu'en ferat carier :
 
 
 
« Cinquante chars qu'if en fera charroyer :
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE tl 355
 
 
 
(( Tant II durrez de fins besanz d'or mier,
 
« Tant lui donnerez de fins besans d'or pur,
 
 
 
35 « Bien en purrat luer ses soldeiers.
 
 
 
« Jiien en pourra payer ses soldais.
 
 
 
(( En ceste tere ad asez osteiet,
 
 
 
« En cette terre a très longtemps fait la guerre,
 
 
 
« En France ad Ais s'en deit bien repairier.
 
 
 
« En France à Aix s'en doit bien retourner.
 
 
 
« Vus le sivrez à feste seint Michiel :
 
 
 
« Vous le suivrez à la fête de saint Michel :
 
 
 
«. Si recevrez la lei de chrestiens,
 
 
 
« Vous recevrez la loi des chrétiens,
 
 
 
40 « Serez sis hum par honur e par bien.
 
 
 
« Serez son homme par honneur et par bien.
 
 
 
« S'en voelt ostages, e vus l'en enveiez
 
 
 
« S'il en veut otages, et vous lui en envoyez
 
 
 
<( dis o vint pur lui afiancier.
 
 
 
« Ou dix ou vingt pour lui donner confiance.
 
« Enveiums i les fdz de noz muilliers;
 
h Envoyons y les fils de nos femmes.
 
 
 
« Par num d'ocire enveierai le mien.
 
 
 
« Pour le faire mourir j'enverrai le mien.
 
 
 
45 « Asez est mielz qu'il i perdent les chiefs
 
 
 
« Bien vaut mieux qu'ils y perdent les têtes
 
 
 
(( Que nus perdium l'honur ne la deintiet,
 
 
 
« Plutôt que nous perdions la terre et la dignité
 
<( Ne nus seium cunduit à mundeier. »
 
 
 
" Et que nous soyons réduits à mendier. *>
 
 
 
Paien respundent : « Bien fait à otrier. »
 
 
 
Païens répondent : « Cela est bien fait pour être accordé. >
 
 
 
 
 
 
 
TV
 
 
 
 
 
 
 
Dist Blancandrins : « Par ceste meie destre
 
 
 
Dit Blancandrin : a Par celte mienne main droite,
 
 
 
50 « E par la barbe ki à 1' piz me ventelet,
 
 
 
« Et par la barbe qui sur la poitrine me Hutte au venl,
 
 
 
« L'ost des Franceis verrez sempres desfere :
 
 
 
ci L'armée des Français verrez soudain défaire;
 
 
 
c Franc s'en irunt en France la lui* terre.
 
 
 
• Francs s'en iront en France, dans leur terre.
 
 
 
« Quant cascuns iert à sun meillur repaire,
 
 
 
ci Quand chacun sera en son meilleur logis,
 
 
 
o Caries serat ad Ais, à sa capele,
 
 
 
« Charles sera à Aix, à sa chapelle,
 
 
 
 
 
 
 
356 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
55 « A seint Michiel tiendrat mult halte feste
 
 
 
(i An jour de saint Michel tiendra 1res haute fête.
 
 
 
(( Viendra li jurz, si passerat li termes,
 
 
 
K Viendra le jour, et passera le terme,
 
 
 
(( N'orrat de nus paroles ne nuveles.
 
 
 
« N'apprendra de nous paroles ni nouvelles.
 
 
 
« Li reis est fiers, e sis curages pesmes :
 
 
 
« Le roi est terrible, et son cœur est cruel.
 
 
 
ce De nos ostages ferat trenchier les testes;
 
 
 
« De nos otages fera trancher les têtes ;
 
 
 
60 « Asez est mielz que les chiefa il i perdent
 
 
 
(i Mais bien vaut mieux que les têtes ils y perdent
 
 
 
« Que nus perdium clere Espaigne la bêle,
 
 
 
(i Plutôt cpie nous perdions claire Espagne la belle,
 
 
 
« Ne nus aium les mais ne les suffraites. »
 
 
 
e Et que nous ayons les maux et les douleurs. »
 
 
 
Dient paien : « Issi poet-il bien estre. »
 
 
 
Disent païens : « Ainsi peut -il bien être. » Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
Y
 
 
 
 
 
 
 
Li reis Marsilies out sun cunseill finet :
 
Le roi Marsile eut son conseil fini :
 
 
 
65 Si'n apelat Glarin de Balaguet,
 
 
 
Il en appela Clarin de Balaguer,
 
Estramarin e Eudropin sun per,
 
Estramarin et Eudropin son pair,
 
E Priamun e Guarlan le barbet,
 
Et Priamon et Garlan le barbu ,
 
 
 
E Machiner e sun uncle Maheu,
 
 
 
Et Machiner et son oncle Matthieu,
 
 
 
E Joïmer e Malbien d'ultre-mer,
 
 
 
Et Joïmer et Maubien d'outre- mer,
 
70 E Blancandrin, pur la raisun mustrer.
 
 
 
Et Blancandrin, pour les raisons démontrer
 
 
 
Des plus feluns dis en ad apelez :
 
 
 
Des plus félons dix en a appelé :
 
(( Seignurs baruns, à Carlemagne irez;
 
« Seigneurs barons , à Charlemagne irez ;
 
 
 
« Il est à P siège à Cordres la citet.
 
 
 
« Il est au siège, à Cordoue la cité.
 
 
 
« Branches d'olive en voz mains porterez
 
 
 
« Branches d'olive en vos mains porterez :
 
 
 
75 (( Ço senefiet pais e humilitet.
 
 
 
« Ce qui signifie paix et humilité.
 
 
 
 
 
 
 
APPENDICE II 357
 
 
 
« Par voz saveirs se m' puez acorder,
 
 
 
Par vus savoirs si vous me pouvez accorder,
 
« Jo vus durrai or e argent asez,
 
« Je vous donnerai or e1 argenl en quantité,
 
(( Teres e fieus tant cum vus en vuldrez. »
 
 
 
« Terres et fiefs, tant comme vous en voudrez. »
 
Dient paien : « Bien dit nostre avoe:. »
 
Disent païens , Bien parle notre seigneur. »
 
 
 
 
 
 
 
VI
 
 
 
 
 
 
 
80 Li reis Marsilies out finet sun cunseill.
 
Le roi Marsile eul fini son conseil.
 
 
 
Dist à ses humes : a Seignurs, vus enireiz;
 
 
 
Dit à ses hommes : « Seigneurs, vous vous en irez.
 
(( Branches d'olive en voz mains portereiz :
 
 
 
« Branches d'olive en vos mains porterez :
 
 
 
(( Si me direz à Carlemagne , à 1' rei ,
 
 
 
« Vous me direz à Charlemagne , au roi ,
 
 
 
« Pur le soen Deu qu'il ait mercit de mei.
 
 
 
« Pour le sien Dieu qu'il ait merci de moi.
 
 
 
85 <( Einz ne verrat passer cest premier meis,
 
 
 
« Avant, ne verra passer ce premier mois,
 
 
 
« Que jo 1' sivrai od mil de mes fedeilz.
 
 
 
Oue je le suivrai avec mille de mes fidèles.
 
 
 
« Si recevrai la chrestiene lei,
 
« Je recevrai la chrétienne loi,
 
« Serai sis hum par araur e par feid.
 
 
 
Je serai son homme par amour et par foi.
 
 
 
« S'il voelt ostages, il en avrat par veir. »
 
 
 
« S'il veul i] en aura, pour vrai. »
 
 
 
90 Dist Blancandrins : « Mult bon plait en avreiz. »
 
 
 
Dit Blancandrin : n Très bon traité vous en aurez.» Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
VIT
 
 
 
 
 
 
 
Dis blanches mules fist amener Marsilies,
 
 
 
Dix blanches mules lit amener Marsile,
 
 
 
Que li tramisl icil reis de Sezilie.
 
 
 
Que lui envoya le roi de S
 
 
 
Li frein sunt d'or, les seles d'argent mises.
 
 
 
Les freins sonl d'or, les selles d'argent sont mises,
 
 
 
 
 
 
 
358 LA CHANSON DE ROLAND
 
 
 
Cil sunt muntet ki le message firent;
 
 
 
Ceux-là sont montés qui le message firent;
 
 
 
95 Enz en lur mains portent branches d'olive.
 
 
 
Dans leurs mains portent branches d'olive.
 
Humilitet e pais ço senefiet.
 
Humilité et paix cela signifie.
 
 
 
Vindrent à Carie ki France ad en baillie :
 
 
 
Vinrent à Charles, qui France a en son pouvoir :
 
 
 
Ne s' poet guarder que alques ne 1' engignent.
 
 
 
Il ne se peut garder qu'un peu ne le trompent. Aoi.
 
 
 
 
 
 
 
FIN
 
 
 
 
 
 
 
TABLE DES MATIÈRES
 
 
 
 
 
 
 
Préface 5
 
 
 
Introduction 7
 
 
 
Traduction et commentaire 45
 
 
 
Éclaircissements. — I. Quelques notions générales sur les origines de la
 
 
 
langue et de la poésie françaises 285
 
 
 
II. La légende de Charlemagne . 298
 
 
 
III. Histoire poétique de Roland 322
 
 
 
Appendices. — I. Fragments du texte original 331
 
 
 
— II. Traduction interlinéaire à l'usage des débutants (frag-  
 
ment) 353
 
 
 
 
 
 
 
2478 . — T'>urs, impr. Mami ,
 
 
 
 
 
 
 
&ÎNDING SECT. OCT 1 1 19091
 
 
 
 
 
 
 
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PQ Chanson de Roland
 
 
 
1517 La chanson de Roland
 
  
1895
+
==Voir aussi==
 +
;Notes:
 +
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 +
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Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 298.jpg

Le texte original

Naissance et enfances de Charlemagne

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 298.jpg[298]

1° Sa naissance.

La mère de Charles est connue, dans nos Chansons, sous le nom de « Berte au grand pied ». C'est la fille de Flore, roi de Hongrie, et de la reine Blanchefleur. Un jour Pépin la demande en mariage, et elle s'achemine vers la France. (Berte, poème composé par Adenet vers 1275, édition P. Paris, pages 7-9.) Mais l'étrangère est, dès son arrivée, circonvenue par toute une famille de traîtres : une serve, Aliste, se fait passer pour la reine de France, prend sa place auprès de Pépin et force la véritable Berte à s'enfuir au fond des bois, où elle pense mourir de froid, de peur, de faim. (Ibid., pp. 16-52.) Par bonheur, un pauvre homme du nom de Simon recueille l'innocente en sa cabane, où elle est, au bout de quelques années, reconnue enfin par son mari désabusé. (Ibid., pp. 64-132.) Quelques mois après naît Charlemagne [1] .

2° Ses enfances

De la fausse Berte, de la méchante Aliste, Pépin avait eu deux fils : Heudri et Lanfroi. Ils deviennent, comme il s'y fallait attendre, les ennemis acharnés du fils légitime, de Charles. (Charlemagne, de Girard d'Amiens; compilation du commencement du XIVe siècle. B. N., 778, f° 23, 24.) Donc, ils essayent de l'empoisonner, puis de l'égorger. (F 24-28.) Un serviteur fidèle, David, se charge alors de sauver l'héritier de France: il l'emmène avec lui en Espagne, et c'est à Tolède, c'est parmi les païens que va s'écouler l'enfance de Charlemagne. (F° 28-30.)

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 299.jpg[299] On n'y connaît pas, d'ailleurs, sa véritable condition, et c'est sous le nom de Mainet que le fils de Pépin se met au service du roi sarrasin Galafre. (F° 30, 31.) Pour premier exploit il se mesure avec l'émir Bruyant, qu'il tue. Mais Galafre a une fille, Galienne, de qui la beauté est célèbre et pour laquelle le jeune Français se prend soudain du plus vif, du plus charmant amour. Il la veut conquérir à tout prix, triomphe de Braimant, qui est un autre ennemi de Galafre, et épouse enfin sa chère Galienne, qui déjà s'est convertie à la foi chrétienne. (F° 32-50.)

C'est en vain que Marsile, frère de Galienne, essaye de faire périr Mainet : Charles, une fois de plus vainqueur, ne songe désormais qu'à quitter l'Espagne et à reconquérir son propre royaume. Il commence par délivrer une première fois Rome et la Papauté, menacées par les païens que commande Corsuble. (F° 55.) Il fait ensuite son entrée en France, où sa marche n'est qu'une série de victoires. Les deux traîtres, Heudri et Lanfroi, sont vaincus et châtiés comme ils le méritent. (F° 64-66.) Charles demeure le seul maître de tout le grand empire f° 67); mais sa joie est empoisonnée par la mort prématurée de Galienne [2]...

II - Expédition de Charles en Italie, Rome délivrée

Un jour, les ambassadeurs du roi de France sont insultés par le roi de Danemark, Geoffroi. Charles, plein de rage, s'apprête à faire mourir le fils et l'otage de Geoffroi, le jeune Ogier, lorsque tout à coup on lui vient annoncer que les Sarrasins se sont emparés de Rome. (Chevalerie Ogier de Danemarche, poème du XIIe siècle attribué à Raimbert de Paris ; édition de Barrois, vers 174-186.) Charles, tout aussitôt, part en Italie, traverse les défilés de Montjeu (Ibid., 191-222) où il est miraculeusement guidé par un cerf blanc (Ibid., 222-283), et s'avance jusque sous les murs de Rome. Le pape Milon, son ami, marche à sa rencontre et lui fait bon accueil. (Ibid., 315-329.) Corsuble cependant, le sarrasin Corsuble est maître de Rome, et n'aspire qu'à lutter contre les Français. (Ibid., 284-289 et 330-383.) Une première bataille s'engage. (Ibid., 384-423 et 448-467.) L'oriflamme va tomber au pouvoir des païens, quand Ogier intervient et relève, par son courage et sa victoire, la force abattue des Français.(Ibid., 468-681.)

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 300.jpg

On l'acclame, on lui fait fête, on l'arme chevalier. (Ibid., 682-749.) C'est alors que les Sarrasins s'apprêtent à opposer, dans un duel décisif, leur Garaheu à notre Ogier. (Ibid., 851-961.) Le succès est un moment compromis par les imprudences de Chariot, fils de l'Empereur. (Ibid., 1075-1224.) Néanmoins le grand duel entre les deux héros se prépare, et l'heure en va sonner (Ibid., 1225-1537) : Gloriande, fille de Corsuble, en sera le prix. Une trahison de Danemont, fils du roi païen, retarde la victoire d'Ogier, qui est fait prisonnier ; (Ibid., 1538-2011.) mais les Français n'en sont que plus furieux. Un grand duel, qui doit tout terminer, est décidé entre Ogier et Brunamont, le roi de « Maiolgre ». (Ibid., 2565 et suiv.) Ogier est vainqueur (Ibid., 2636-3041); Corsuble s'éloigne de Rome (Ibid., 3042-3052), et Charles fait dans la grande ville une entrée triomphale.il a la générosité d'épargner Caraheu et Gloriande (Ibid., 3053-3073), et, chargé de gloire, reprend le chemin delà France [3] . (Ibid., 3074-3102.)


La Chevalerie Ogier nous a parlé fort longuement d'une première expédition en Italie. Aspremont, plus longuement encore, nous fait assister à une seconde campagne de l'Empereur par delà les Alpes... Charles, donc, tient sa cour un jour de Pentecôte. (Aspremont, poème de la fin du XIIe siècle ou du commencement du XIIIe, édit. Guessard, pp. 2 et 3.) Soudain, un Sarrasin arrive et défie solennellement le Roi au nom de son maître Agolant. (Ibid., p. 4.) Charles pousse son cri de guerre, et la grande armée de France se met en route vers l'Italie. La voilà qui passe à Laon. (Ibid., p. 11.) Or, à Laon était enfermé le neveu de Charles, qu'on ne voulait pas encore mener à la guerre : car il n'avait que douze ou quinze ans. Roland s'échappe, et rejoint l'armée. (Ibid., pp. 13-16.) Charles envoie Turpin demander aide au fameux Girard de Fraite, qui d'abord répond par un refus insolent, et veut assassiner l'Archevêque (Ibid., pp. 17-18); mais qui, sur les conseils pressants de sa femme, se décide enfin à marcher au secours de l'Empereur. (B. N. fr. 2495, f° 85 r° — 87 r°.) Alors toute l'armée franchit les Alpes et traverse l'Italie : car c'est la Calabre qui doit être le théâtre de la grande lutte. Agolant, le roi païen, a un fils nommé Eaumont, qui est destine à devenir le héros du poème. Eaumont lutte avec Charles et est sur le point de vaincre, quand arrive Roland, qui tue le jeune Sarrasin et s'empare de l'épée Durendal. (B. N., anc. ras. Lavall., 123, f° 41 v° — 43 r°.) La guerre cependant n'est pas finie : il faut que saint Georges, saint Maurice et saint Domnin descendent dans les rangs des chrétiens et combattent avec eux (Ibid., f° 64, v° — 65, r°);

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 301.jpg

il faut que Turpin porte au front de l'armée le bois sacré de la vraie croix ; il faut que Dieu, par un miracle sans pareil, donne à ce bois l'éclat du soleil ; il faut, à côté de ces efforts célestes, tout l'effort humain de Charlemagne , de Roland et de Girard , pour qu'enfin les Sarrasins soient vaincus. {Ibid., f° 65, 2° et suiv.) Agolant meurt alors sous les coups de Claires, neveu de Girard (Ibid., f° 81, v°); Girard lui-même s'empare de Rise (Ibid.), et l'on donne le royaume d' Agolant à Florent, neveu du roi de Hongrie [4] . (Ibid., f» 81, v° —87.)

III - Luttes de Charlemagne contre ses vassaux

1° Girard de Viane

Garin de Montglane, avec ses quatre fils, Renier, Mile, Hernaut et Girard, est tombé dans une misère profonde. (Girars de Viane, poème du commencement du IIIe siècle, édition P. Tarbé, pp. 4-7.) Les Sarrasins entourent son château que baigne le Rhône ; mais ses fils le délivrent (Ibid., pp. 6-9) et se lancent dans les aventures. (Ibid., pp. 9-10.)

Girard arrive à Reims pour se mettre au service de Charles avec son frère Renier. (Ibid., pp. 11-20.) « Adoubés » par l'empereur (Ibid., pp. 20-21), ils lui rendent, en effet, mille services dont ils se font trop bien payer (Ibid., pp. 24-30), et Girard devient l'ennemi mortel de Charlemagne , qui lui avait d'abord promis la duchesse de Bourgogne en mariage et avait fini par l'épouser lui-même. La nouvelle impératrice, irritée contre Girard, lui fait baiser son pied, alors que le jeune vassal pense baiser celui de l'Empereur.

De là, toute la lutte qui va suivie. (Ibid., pp. 31-41.)

Une guerre terrible s'engage entre les fils de Garin et Charlemagne. (Ibid., pp. 51-56.) Les deux héros de cette guerre seront, d'une part, Olivier, fils de Renier, et neveu de Girard ; de l'autre, Roland, neveu de Charles. Aude, la belle Aude, sœur d'Olivier, devient la fiancée de Roland: nouvelle complication, qui donne un intérêt plus vif à cette légende héroïque dont le principal épisode est le siège de Vienne. (Ibid., pp. 66-105.) La guerre étant interminable, on se résout à l'achever par un combat singulier entre Olivier et Roland. (Ibid., pp. 106 et suiv.) Le combat est admirable, mais demeure indécis. (Ibid., pp. 133-154.) Bref, la paix est faite; Girard se réconcilie avec Charles; Aude est promise à Roland, et l'on part pour Roncevaux. (Ibid., pp. 155-184.)

2° Les Quatre Fils Aymon

Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 302.jpg

Charles tient cour plénière. Il se plaint de la rébellion de Doon de Nanteuil et de Beuves d'Aigremont : même, il s'apprête à rassembler contre ce dernier toutes les forces de son empire. (Renaud de Montauban, poème du XIIIe siècle, mais dont il a existé des rédactions antérieures; édit. Micbelant, pp. 1-3.) Aymon de Dordone, qui est un autre frère de Beuves, proteste courageusement contre la colère de l'Empereur.

Charles le menace, et Aymon se retire fièrement de la cour avec tous ses chevaliers. C'est ici que commence la lutte entre l'Empereur et le duc Aymon , qui est soutenu par ses quatre fils, Benaud , Alard , Guichard et Bichard. (Ibid., p. 3, v. 8-30.)

Le roi de France, pour mettre fin à cette guerre, envoie à Beuves d'Aigremont un ambassadeur que le rebelle met à mort. (Ibid., pp. 3-8.) Un second messager, qui est le propre fils de Charles, Lohier lui-même, est envoyé au terrible Beuves. Son insolence le perd, et Lohier meurt dans une bataille qui a pour théâtre le château de Beuves. (Ibid., pp. 8-16.) Désormais la guerre est inévitable; elle commence. (Ibid.. pp. 19-27.)

Le duc Beuves échoue devant Troyes, et une défaite de l'armée fédale suffit pour anéantir toutes les espérances des coalisés. (Ibid., pp. 30-37.) L'Empereur pardonne à ses ennemis, mais fait assassiner le duc Beuves, qui s'acheminait vers Paris. (Ibid., pp. 37-44.) Aymon, lui, fait la paix assez platement avec l'assassin de son frère. Doon de Nanteuil et Girard de Boussillon se soumettent pareillement. La guerre semble finie. (Ibid., pp. 44-45.) Là-dessus, les quatre fils Aymon viennent à la cour de Charles et y sont faits chevaliers. (Ibid., pp. 45-47.) Leur fortune semble assurée, quand certaine partie d'échecs vient tout changer. Le neveu de l'Empereur, Bertolais, joue avec Renaud : survient une dispute, et, d'un coup d'échiquier, Renaud tue son adversaire. (Ibid., pp. 51, 52.) Le meurtrier et ses trois frères s'enfuient au plus vite d'une cour où ils ne sont plus en sûreté. Leur père est le premier à les abandonner : leur mère, leur mère seule leur demeure fidèle. Ils se retirent dans la vieille forêt des Ardennes. (Ibid., pp. 52, 53.) C'est là qu'ils vont se cacher durant sept ans; c'est là que va commencer leur « grande misère ». Ils sont poursuivis par Charlemagne, qui fait le siège de leur château de Montessor. Un traître est sur le point de le livrer à l'Empereur, et les fils du duc Aymon, affamés, sont forcés de s'éloigner de ces murs où, pendant cinq années, ils ont arrêté l'effort de tout l'Empire. (Ibid., pp. 53-74.) Ils errent dans la grande forêt , et le cheval de Renaud , Bayard , leur vient en aide par sa force et son agilité merveilleuses. (Ibid., pp. 74-83.) Cependant la faim les éprouve de plus en plus: tous leurs chevaliers meurent ; ils vont mourir aussi. (Ibid., pp. 85-86.) Leur mère, qui a quelque peine à les reconnaître dans ce misérable état, leur offre en vain l'hospitalité. (Ibid., pp. 87-89.) Ils sont forcés de se remettre en route, chassés par leur père, et s'acheminent vers le Midi, où les mêmes aventures les attendent. (Ibid., pp. 89-96.)

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Le roi Yon, qui régnait à Bordeaux, les voit un jour arriver dans cette ville avec leur cousin, le fameux enchanteur Maugis. (Ibid., pp. 96-97.) Les nouveaux venus aident le roi de Gascogne dans sa lutte contre les Sarrasins, et délivrent une fois de plus la chrétienté envahie. (Ibid., pp. 97-107.) Charlemagne les menaçant toujours, ils se construisent un château (Mont des Aubains ou Montauban), où ils espèrent pouvoir résister à l'Empereur. (Ibid., pp. 107-111.) Renaud, en attendant la guerre probable, épouse la sœur du roi Yon. (Ibid.. pp. 111-114.)

A peu de temps delà, Charles, revenant d'Espagne, aperçoit le château de Montauban. Fou de jalousie et de rage, il en prépare le siège. Roland y prend part et rivalise avec Renaud. La lutte éclate, elle se prolonge, elle est terrible. (Ibid.. pp. 114-144.) Mais le roi Yon lui-même trahit les fils d'Aymon, et ils sont sur le point de tomber entre les mains des chevaliers de l'Empereur. Un combat se livre : Renaud y fait des prodiges. (Ibid., pp. 142-192.) Par bonheur, Ogier, chargé d'exécuter les ordres de Charles contre ses mortels ennemis, rougit de seconder une trainson, et Maugis délivre les quatre frères. (Ibid., pp. 192-219. ) Renaud, en vassal fidèle, ne désire, d'ailleurs, rien tant que de se réconcilier avec Charlemagne (Ibid., pp. 230-246); mais, hélas ! les ruses et les enchantements de Maugis ont irrité l'Empereur, et il exige qu'on lui livre le magicien. (Ibid., pp. 249-254.)

Sur ces entrefaites, Richard, frère de Renaud, tombe au pouvoir de Charles, qui le veut faire pendre ; mais les douze Pairs se refusent nettement à exécuter cette cruelle sentence (Ibid., pp. 254-267), et Renaud, averti par son bon cheval Bayard, délivre son frère. La lutte recommence avec une rage nouvelle. (Ibid., pp. 267-285.)

Nouvelles ruses de Maugis, nouvelles batailles : Charlemagne devient le prisonnier de Renaud, qui se refuse à tuer son seigneur. (Ibid., pp. 283-537.) L'Empereur ne sait pas reconnaître une telle générosité et assiège de nouveau Montauban, où la famine devient insupportable. Par bonheur, un mystérieux souterrain sauve les quatre frères. (Ibid., pp. 337-362.)

La guerre, néanmoins, est loin d'être finie. Il faut que Richard de Normandie soit fait prisonnier par les rebelles; il faut que les Pairs forcent l'Empereur à conclure la paix ; il faut qu'ils aillent jusqu'à abandonner Charles. (Ibid., pp. 362-398.)

Enfin la paix est faite, et elle est définitive. Renaud s'engage à faire un pèlerinage à Jérusalem, el arrive dans la ville sainte au moment même où elle est attaquée par les Sarrasins. 11 la délivre (Ibid., pp. 403-417), et refuse d'en être le roi. (Ibid., pp. 407, 408.) Il revient en France. Sa femme est morte, et ses fils sont menacés par toute la famille de Ganelon el d'Hardré; mais il a la joie d'assister à leur triomphe. (Ibid., pp. 418-442.) C'est alors que, dégoûté des grandeurs, il s'échappe un jour de son château et va, comme maçon , comme manœuvre, offrir humblement ses services à l'architecte de la cathédrale de Cologne. (Ibid., pp. 442-445.)

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Sa force et son désintéressement excitent la jalousie des autres ouvriers, qui le tuent (Ibid., pp. 445-450); mais Dieu fait ici un grand prodige : le corps de Renaud, jeté dans le Rhin, surnage miraculeusement au milieu de la lumière et des chants angéliques; puis, comme un autre saint Denis, il guide lui-même jusqu'à Trémoigne les nombreux témoins de ce miracle. (Ibid., pp. 450-454.) C'est plus tard seulement qu'on reconnut le fils du duc Aymon , dont l'intercession faisait des miracles. Et saint Renaud, canonisé populairement, reçut les honneurs dus aux serviteurs de Dieu. (Ibid., pp. 454-457.)

3° Ogier de Danemark

Ogier était le fils de ce roi de Danemark qui avait jadis outragé les messagers de Charles. Otage de son père, il avait été retenu prisonnier par l'Empereur, qui même voulut un jour le faire mourir. Nous avons vu plus haut comment il mérita le pardon de Charlemagne en combattant contre les Sarrasins envahisseurs de Rome, en luttant contre Caraheu et Danemont. (Chevalerie Ogier de Danemarche, poème attribué à Raimbert, XIIe siècle, 174-3102.)

Le Danois, vainqueur, se reposait depuis longtemps à la cour de Charlemagne ; mais il en est de lui comme de Renaud de Montauban, et une partie d'échecs va changer sa fortune. Son fils, Baudouinet, est tué par le fils de l'Empereur, Chariot, qu'il a fait échec et mat. (Ibid., vers 3152, 3180.) Ogier l'apprend ; Ogier veut tuerie meurtrier; mais, assailli par mille Français, il est forcé de s'enfuir et va jusqu'à Pavie demander asile au roi Didier, qui le fait soudain ganfalonier de son royaume. (Ibid., 3181-3541.) Charlemagne le poursuit jusque-là et réclame du roi lombard l'expulsion du Danois : Ogier jette un couteau à la tête de l'ambassadeur impérial. (Ibid., 4074-4288.) Charles veut se venger à tout prix. Les Lombards défendent Ogier : guerre aux Lombards. Une formidable bataille se livre entre les deux armées, entre les deux peuples. Didier s'enfuit: Ogier reste, avec cinq cents hommes, en présence de toute l'armée française. Sa résistance est héroïque, mais inutile. Il est forcé de se retirer devant cent mille ennemis. (Ibid., 4534-5883.) C'est pendant cette fuite, ou plutôt durant cette retraite, que, devenu tout à fait fou de colère, Ogier égorge lâchement Amis et Amiles. (Ibid., 5884-5891.) Mais la poursuite continue, continue toujours. Par bonheur, Ogier a un admirable» cheval, Broiefort, qui prend enfin son galop à travers ces cent mille ennemis et sauve son maître déjà cerné. Le Danois parvient à s'enfermer dans Castelfort : le siège de Castelfort va commencer. (Ibid., 5892-6868.) Dans ce château Ogier est seul, tout seul, et il a devant lui l'armée de Charlemagne. Son ami Guielin a succombé, tous ses chevaliers sont morts, et c'est l'Occident tout entier qui semble conjuré contre le seul Danois. (Ibid., 6689-8374.) Ne pouvant rien par la force, il essaye de la ruse, et fabrique en bois de nombreux chevaliers qui étonnent l'ennemi et l'arrêtent. Malgré tout, il va mourir de faim, et sort de cet asile. Il en sort avec le dessein d'égorger l'Empereur, et essaye en réalité d'assassiner Chariot, qui cependant s'est montré pour lui plein de générosité et de douceur.

Mais, de nouveau poursuivi, Ogier est enfin fait prisonnier, et le voilà captif à Reims. (Ibid., 8375-9424.) Charles veut l'y laisser mourir de faim; mais Turpin sauve le Danois, dont la captivité ne dure pas moins de sept années. L'Empereur le croit mort. (Ibid., 9425-9793.) La France cependant est menacée d'un épouvantable danger : elle est envahie par le Sarrasin Brehus. Ogier seul serait en état de la sauver, et c'est alors que Charles apprend que le Danois vit encore. (Ibid., 9793-10082.) L'Empereur tombe aux genoux de son prisonnier, de son ennemi mortel, et le supplie de sauver la France. Mais Ogier est implacable, et n'y consent qu'à la condition de tuer de sa propre main Chariot, auteur de la mort de son fils. (Ibid., 10081-10770.) Déjà, en effet, il lève son épée sur le malheureux fils de Charlemagne, quand un ange descend du ciel pour empêcher ce meurtre. On s'embrasse, on s'élance au-devant de Brehus. (Ibid.. 10870-11038.) Les Sarrasins sont battus, et Brehus est tué par Ogier, qui a vainement cherché à le convertir. (Ibid., 11039-12969.) Le Danois, décidément réconcilié avec Charlemagne, épouse la fille du roi d'Angleterre, qu'il a délivrée des infidèles. Il reçoit de l'Empereur le comté de Hainaut, et c'est là qu'il finit ses jours en odeur de sainteté. Son corps est à Meaux [5] . (Ibid . . 12970-13042.)

4° Jean de Lanson

Jean de Lanson est un neveu de Ganelon, un petit-fils de Grifon d'Autefeuille : il est de la race des traîtres. Il possède la Pouille, la Calabre, le Maroc, qu'il a reçus de Charlemagne. Tant de bonté n'a pas désarmé la haine qu'il porte à l'Empereur, et il ne cesse de conspirer contre lui. Il offre à sa cour un asile au traître Alori, qui a assassiné Humbaut de Liège. Cette dernière insulte met à bout la patience de Charles, et il envoie à Jean de Lanson les douze Pairs pour le défier. (Jehan de Lanson, poème du commencement du XIIIe siècle, Ms. de l'Arsenal, 3145; anc. B. L. F. 186, f° 108 et ss.) Les douze Pairs traversent toute l'Italie, et se voient menacés par les traîtres à la télé desquels esl Alori. (Ibid., f° 121.)

Par bonheur les messagers de Charles ont avec eux l'enchanteur Basin de Gènes, qui, autre Maugis, emploie mille ruses pour déjouer les projets d'Alori. (Ms. de la B. N. fr. 2405, f° 1-13, v°)

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C'est en vain que Jean de Lanson oppose Malaquin à Basin, magicien à magicien : Basin parvient à restituer aux douze Pairs leurs épées qui leur avaient été habilement volées (Ibid., f° 14, v°), et trouve, à travers mille aventures, le secret de pénétrer en France, à Paris, où il avertit l'Empereur de la détresse de ses messagers. (Ibid., f° 15-29.) Charles réunit son armée : il marche vers la Calabre, et, vainqueur dans une première bataille, met le siège devant Lanson. (Ibid., f° 29-55.) Encore ici, Basin lui vient en aide. Il endort tous les habitants du palais de Lanson et le duc Jean lui- même. Charles pénètre dans ce chcàteau enchanté, et délivre les douze Pairs depuis trop longtemps prisonniers [6] . (Ibid., f° 55-64 v°.)

IV. Avant la grande expédition d'Espagne

1° Charlemagne en Orient

L'Empereur est à Saint-Denis. Il se met la couronne en tête et ceint son épée :

« Connaissez-vous, dit-il à l'impératrice, un chevalier, un roi, à qui la couronne aille mieux? »
— « Oui », répond-elle imprudemment, « j'en connais un : c'est l'empereur Hugon de Conslantinople. »
(Vers 1-60 du Voyage à Jérusalem et à Constantinople, premier tiers du XIIe siècle.)

Charles, bridé de jalousie, veut aller voir ce roi si bien coiffé. Il part avec les douze Pairs, et va d'abord à Jérusalem pour adorer le saint Sépulcre.

Suivi de quatre-vingt mille hommes, il arrive dans la Ville sainte. (Ibid., v. 67-108.) Reconnu par le Patriarche, Charles reçoit de lui lu sainte couronne, un des clous, le calice eucharistique et du lait de la Vierge. L'attouchement de ces reliques guérit un paralytique, et leur authenticité est par là mise en lumière. (Ibid., 113-198.) L'Empereur quitte enfin Jérusalem et se dirige vers Constantinople, après avoir fait voeu de chasser les païens de l'Espagne. (Ibid., 221-232.) Charles traverse toute l'Asie et arrive enfin à Constantinople, où il est gracieusement accueilli par l'empereur Hugon. (Ibid., 262-403.) Par malheur, les barons français ne se montrent pas assez reconnaissants de cette hospitalité, et se livrent, pendant toute une nuit, à des plaisanteries, à des gabs où l'empereur et l'empire d'Orient sont fort insolemment traités. Ces forfanteries sont rapportées à Hugon, qui s'irrite contre les Français et les met en demeure de réaliser leurs gabs. (Ibid., 446-685.) C'est alors que Dieu envoie un ange au secours de Charles, fort embarrassé; c'est alors aussi que les plaisanteries des douze Pairs reçoivent, malgré leur immoralité, un commencement d'exécution. Hugon se déclare satisfait et tombe aux bras de Charles. (Ibid., 686-802.) Bref, la paix est faite, et Charles peut enfin partir en Occident. Il rapporte en France les reliques de la Passion [7]. (Ibid., 803-859.)

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Cependant Olivier avait eu un fils de la fille de l'empereur Hugon. C'est ce fils, du nom de Galien, qui se met plus tard à la recherche de son père et le retrouve enfin sur le champ de bataille de Roncevaux, au moment où l'ami de Roland rend le dernier soupir[8].

2° Charlemagne en Bretagne

« Acquin, empereur des Sarrasins, » s'est rendu maître de la Petite-Bretagne. Il habite le palais de Guidalet ; mais Charlemagne, lassé de la paix, s'apprête à marcher contre les envahisseurs norois. (Acquin, poème de la fin du XIIe siècle, conservé dans un manuscrit du XVe, R. N. fr. 2233, f° 1, r°.) Charles arrive à Avranches et s'installe à Dol. « Commençons la guerre, » dit l'Archevêque. (Ibid., f° 1, v° — 3, r°.) La situation des chrétiens est difficile. Une ambassade est, sur le conseil de l'archevêque de Dol, envoyée à Acquin par Charlemagne. Les messagers de l'Empereur, insolents comme toujours, sont sur le point d'être tués par les Norois ; mais la femme du roi païen intercède en leur faveur. (Ibid., f° 37° — 7, v°.) Naimes est d'avis de commencer immédiatement la guerre et de mettre le siège devant Guidalet. Dans une première bataille, les chrétiens sont vainqueurs. (Ibid., f ,J 7, v° — 16, r°.) Leurs pertes sont d'ailleurs considérables, et le père de Roland, Tiori, meurt sur le lieu du combat.

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Malgré tout, les Français s'emparent de Dinart et investissent Guidalet. Le siège est long et rude. Même un jour, l'armée de Charles est surprise et vaincue. (Ibid., r° 17, 7° — 30, r°.) Naimes n'échappe à la mort que grâce à un miracle. (Ibid., f° 31-33.) Mais Guidalet tombe enfin au pouvoir des Bretons et des Français, et Gardainne est miraculeusement anéantie par un orage envoyé de Dieu. (Ibid., f° 33-50, v°.) Un duel de Naimes et d'Acquin parait terminer la Chanson [9] . Acquin meurt, et sa femme est baptisée. (Ibid., f° 50-55.)

3° Fierabras et Otinel

Charles est, une fois de plus, en guerre avec les païens ; même il vient de leur livrer une bataille longuement disputée. (Fierabras, poème du XIIIe siècle, éd. Krœber et Servois, v. 24-45. M. Grœber a publié dans la Romania une première branche de Fierabras qui a pour titre La Destruction de Rome, et où est racontée en effet la prise de la ville des Papes par l'émir Balant et les Sarrasins.) Un géant sarrasin, haut de quinze pieds, défie un jour tous les chevaliers de Charlemagne. Or c'est lui, c'est Fierabras qui a massacré les habitants de Rome et qui, maître du saint sépulcre et de Jérusalem, possède toutes les reliques de la Passion : le baume avec lequel Notre-Seigneur fut enseveli, l'enseigne de la croix, la couronne et les clous. (Ibid., v. 50-06.) Au défi du païen, c'est Olivier qui répond.

Le duel terrible va commencer : il s'engage. (Ibid., 93- 368.) Le géant a trois épées, et le baume divin, dont il emporte avec lui plusieurs barils, guérit en un instant toutes les blessures qu'il peut recevoir. Cependant Olivier ne recule point devant un tel adversaire, cherche à le convertir, s'empare des barils miraculeux, qu'il jette dans la mer, et porte au Sarrasin un coup vainqueur. Fierabras s'avoue vaincu et demande à grands cris le baptême. (Ibid., 369-449 et ss.) Pendant qu'Olivier emporte le géant blessé, il est cerné par les païens et tombe en leur pouvoir. (Ibid., 2631-1862.) Fierabras, baptisé, devient soudain un tout autre homme: il se fait l'allié des Français et s'apprête à combattre son propre père, l'émir Balant. (Ibid., 1803-1994.) Quant à Floripas, sa sœur, elle ne rêve que de se marier avec Gui de Bourgogne. (Ibid., 2255.) Mais les événements ne tournent pas à l'avantage des chrétiens, et Balant se rend maître de Gui, de Roland, de Naimes et des premiers barons français. (Ibid., 2256-2712.) Floripas entreprend de les délivrer, et y réussit. (Ibid., 2713-5861.) Balant lui-même est fait prisonnier, et, plutôt que de recevoir le baptême, va au-devant de la mort. C'est Floripas elle-même qui, fille dénaturée, se montre la plus impitoyable pour son père: Balant meurt. (Ibid., 5862-5991.)

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Floripas épouse enfin Gui de Bourgogne et apporte à Charlemagne les reliques de la Passion, qui sont l'objet, le véritable objet de toute cette lutte. Dieu atteste leur authenticité par de beaux miracles.

C'est trois ans plus tard que Ganelon trahit la France et vend Roland [10]. (Ibid., 5992-6219.)


Au commencement d'Otinel (xni c siècle), l'Empereur tient cour plénière à Paris. (Édition Guessard et Michelant, vers 23 et ss.) Survient un messager païen du roi Garsile : « Abandonne ta foi , dit-il à Charles, « et mon maître daignera te laisser l'Angleterre et la Normandie. » (Ibid., 137 et ss.) C'était ce Garsile qui avait pris Rome, et son mes- sager lui-même, Otinel, l'y avait singulièrement aidé. (Ibid., 91 et ss.) Roland s'irrite d'un message aussi insolent, et défie Otinel. (Ibid., 211-216.) Entre de tels champions, c'est un duel terrible. Le Ciel y intervient, et, au milieu du combat, Otinel s'écrie : « Je crois en Dieu. » On le baptise, et Charles va jusqu'à lui donner sa fille Bélissent en mariage (Ibid., 262-659); Otinel devient alors l'appui de la chrétienté et l'ennemi de Garsile. (Ibid., 660-1915.) Au milieu de cette guerre, Ogier est fait prisonnier, mais parvient à s'échapper. (Ibid., 1916-1945.) La grande et décisive bataille est à la fin livrée : Otinel tue Garsile, et l'on célèbre joyeusement ses noces avec Bélissent [11] . (Ibid., 1948-2132.)

V. L'Espagne

Charles se repose de tant de guerres, et, au milieu de sa gloire, oublie le vœu qu'il a fait jadis d'aller délivrer l'Espagne et le « chemin des Pèlerins ». Saint Jacques lui apparaît et lui annonce que le temps est venu d'accomplir son vœu. (L'Entrée en Espagne, poème du commencement du XIVe siècle renfermant des morceaux du XIIIe. Mss. fr. de Venise, xxi, f° 1, 2.)

L'Empereur n'hésite pas à obéir à celte voix du ciel ; mais il n'en est pas de même de ses barons, qui prennent trop de plaisir à la paix et s'y endorment : Roland les réveille. (Ibid., f° 2-7.)

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Marsile est saisi d'épouvante en apprenant l'arrivée des Français. Par bonheur, il a pour neveu le géant Ferragus, qui va défier les douze Pairs, lutte avec onze d'entre eux et, onze fois vainqueur, les fait tous prisonniers. (Ibid., 7-31.) Mais il reste Roland, et celui-ci, après un combat de plusieurs jours, finit par trancher la tète du géant, qu'il eût voulu épargner et convertir. (Ibid., 31-79.) L'action se transporte alors sous les murs de Pampelune, et elle y demeurera longtemps.

Une première bataille se livre sur ce théâtre de tant de combats : Isoré, fils de Malceris, roi de Pampelune, s'illustre par d'admirables mais inutiles exploits. Il est fait prisonnier, et, sans l'intervention de Roland, Charles eût ordonné sa mort. (Ibid., 79-121.) La guerre continue, terrible. Une des plus grandes batailles d'Espagne va commencer : Roland est relégué à l'arrière-garde, et s'en indigne. (Ibid., 212-162.) Voici la mêlée: on y admire à la fois le courage de l'Empereur et celui de Ganelon. (Ibid., 162.) Quant à Roland, il commet la faute très grave de déserter le champ de bataille avec tout son corps d'armée. Il est « vrai qu'il s'empare de la ville de Nobles; mais il n'en a pas moins compromis la victoire des Français. L'Empereur le lui reproche cruellement, et va jusqu'à le frapper. Roland s'éloigne, et quand Charlemagne, apaisé, envoie a sa recherche, il n'est plus possible de le trouver. (Ibid., 162-220.) Roland s'embarque, et arrive en Orient; il se met au service du « roi de Persie », délivre la belle Diones, organise l'Orient à la française et fait le pèlerinage des saints lieux. (Ibid., 220-275.) Mais il se hâte de revenir en Espagne, et tombe, tout en larmes, aux pieds de l'Empereur. (Ibid., 275-303.)

La réconciliation est faite, mais la grande guerre est loin d'être finie : Pampelune, en effet, est toujours défendue par Malceris et Isoré, son fils. Leur cou- rage ne parvient pas à sauver la ville, et Charlemagne y entre. (Prise de Pampelune, premier quart du xrv e siècle, éd. Mussafia, vers 1-170.) Par malheur, les chrétiens ne restent pas unis dans leur victoire, et une épouvantable lutte «date entre les Allemands et les Lombards. C'est Roland qui a la gloire de les séparer, et de faire la paix. ( Ibid., 170-425.) Il reste à régler le sort du roi Malceris, et Charles, si cruel tout à l'heure contre les Sarrasins, devient tout à coup d'une générosité ridicule. Il veut faire de Malceris un >\os douze Pairs ; mais aucun d'eux ne veut c('<\i'v sa place au nouveau venu : tous préfèrent la mort. (Ibid., 465-561.) Malceris, furieux de ce refus, parvient à s'échapper de Pampelune; (Ibid., 561-759.) mais le fils du fugitif, Isoré, est demeuré fidèle à Charles et aux chrétiens. Il en vient, pour ses nouveaux amis, jusqu'à méconnaître la voix du sang et à lutter contre son père, qui, par aventure, échappe une seconde fois aux mains des Français. (Ibid., 760-1199.) Charles cependant ne perd pas l'espoir de conquérir l'Espagne, et c'est ici que commence une nouvelle série de batailles sanglantes, où il joue véritablement le premier rôle.

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A la tête de ses ennemis est encore Malceris, type du païen farouche et intraitable; près de Malceris est Altumajor. Ce ne sont pas de petits adversaires. Dans la mêlée, le roi de France se voit tout à coup cerné par les troupes païennes, et serait mort sans l'aide providentielle de Didier et de ses Lombards. (Ibid., 1199-1953.) Enfin, les païens sont vaincus. Altumajor, forcé de devenir chrétien , remet à l'Empereur Logrono et Estella. (Ibid., 1830-2474.) Devant les Français victorieux, il ne reste plus guère que Marsile et ce sera désormais le grand adversaire de Charles et de Roland. On agit d'abord avec lui par la diplomatie, et, sur la pro- position de Ganelon, on lui envoie deux ambassadeurs, Basin de Langres et son compagnon Basile. Ils sont pendus sur l'ordre de Marsile, et cette violation du droit des gens sera plus tard rappelée avec horreur dans la Chanson de Roland. (Ibid., 2597-2704.) Un tel crime ne déconcerte d'ailleurs ni Ganelon ni Charlemagne, et l'on décide d'envoyer une seconde ambassade à Marsile. Guron est choisi : il est surpris par les païens , et n'a que le temps , après une résistance sublime, de venir expirer aux pieds de Charles, qui le vengera. (Ibid., 3140-5850.) La rage s'allume au cœur de l'Empereur, et la guerre recommence. Les Français, après une éclatante victoire sur Malceris, entrent tour à tour dans Tudela, Corclres, Charion, Saint- Fagon, Masele et Lion. (Ibid., 3851-5773.) Le poème se termine en nous montrant l'armée chrétienne maîtresse d'Astorga. Charles possède l'Espagne, toute l'Espagne..., à l'exception de Saragosse.

Suivant une légende, ou plutôt suivant une imagination différente de tous nos autres récits, Charles ne serait pas resté sept années, mais vingt-sept ans en Espagne. Cette version n'est consacrée que par le poème de Gui de Bourgogne (seconde moitié du xn e siècle.) L'au- teur suppose que l'Empereur et ses barons ont vieilli de l'autre côté des Pyrénées, et tellement vieilli, que leurs fils, laissés par eux au berceau, sont devenus, en France, de beaux jeunes hommes pleins d'ardeur. Or ce sont ces jeunes gens qui s'avisent un jour d'aller rejoindre leurs pères en Espagne, comme la jeune garde venant à l'aide de la vieille. Es avaient voulu tout d'abord se donner un roi , et Gui, fils de Samson de Bourgogne, avait été élu d'une voix unanime. C'est Gui qui a eu l'idée de l'expédition d'Espagne, et qui exécute de main de maître un projet si hardi. (Gui de Bourgogne, vers 1-391.) Gui s'empare successivement de Carsaude (Ibid., 392-709), de Montorgueil et de Montesclair (Ibid., 1021-3091), de la Tour d'Augorie (Ibid., 3484-3413) et de Maudrane. (Ibid., 3414-3717.) Le seul adversaire redoutable que rencontre le vainqueur, c'est Huidelon ; mais il se convertit assez rapidement et devient le meilleur allié des Français. Il ne reste plus maintenant à la jeune armée qu'à rejoindre celle des vieillards, celle de Charles. C'est ce que Gui parvient à faire, après avoir donné les preuves d'une sagesse au-dessus de son âge.

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Un jour enfin, les jeunes chevaliers peuvent tomber aux bras de leurs pères (Ibid., 3925-4024), et c'est une joie inexprimable. Puis, les deux armées combinées s'emparent de Luiserne, que Dieu engloutit miraculeusement. (Ibid., 4137-4299.) Le signal du départ est alors donné à tous les Français. Et où vont -ils ainsi? A Roncevaux. (Ibid., 1300-4381.)


Ici commence la Chanson de Roland, dont la scène, à vrai dire, devrait se placer immédiatement après la Prise de Pampelune. Mais nous n'avons pas besoin de résumer ici le poème dont nous venons de publier le texte et la traduction. Le rôle de Charlemagne n'y est pas, comme on le sait, effacé par celui de Roland, et l'Empereur garde réellement le premier rang. C'est lui qui, dans la première partie de la Chanson, réunit son conseil pour délibérer avec lui de la paix proposée par Marsile; c'est lui qui fait le choix de Ganelon comme ambassadeur; c'est lui qui, sur l'avis de ce traître, confie l'arrière-garde à Roland. Puis, dans la seconde partie de la Chanson, il cède, ou paraît céder toute la place à son neveu , afin de nous faire assister uniquement aux derniers exploits, à l'agonie et à la mort de Roland. Mais encore voyons-nous Charles prendre de loin sa part à ce martyre et accourir, terrible, pour le venger. Il est d'ailleurs, et il est tout seul le héros de la troisième partie. Il s'y fait le vengeur de Roland sur les Sarrasins d'abord, et ensuite sur Ganelon. A la défaite de Marsile et de Baligant succède le châtiment du traître, et le grand Empereur, promenant autour de lui ses regards apaisés par tant de représailles, s'apprête enfin à se reposer, quand tout à coup la voix d'un ange se fait en- tendre et lui ordonne de recommencer une nouvelle guerre contre les païens [NDLR 1].

Note sur ce paragraphe

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Le document dont il faut tout d'abord rapprocher le Roland, c'est la Chronique de Turpin ». M. G. Paris a établi (comme nous avons déjà eu lieu de le dire plusieurs fois) que les chapitres I - V sont l'œuvre d'un moine de Compostelle, écrivant vers le milieu du xr siècle, et que les chapitres VI et suivants, dus sans doute à un moine de Saint-André de Vienne, n'ont été écrits qu'entre les années 1109-1119.

D'après le Faux Turpin, Charlemagne aperçoit un jour dans le ciel une « voie d'étoiles » qui s'étend de la mer de Frise jusqu'au tombeau de saint Jacques en Galice. L'Apôtre lui-même se l'ail voir à l'Empereur, et le somme de délivrer son pèlerinage, dont la roule est profanée par les Infidèles. Charles obéit; il part. (Cap. II.) Devant les Français victorieux tombent miraculeusement les murs de Pampelune ; puis l'Empereur fait sa visite au tombeau de l'Apôtre, et va jusqu'à Padron. (Cap. III.) Plein de foi, il détruit toutes les idoles de l'Espagne, et particulièrement, à Cadix, cette image de Mahomet que l'on appelle « Islam ». (Cap. iv.) L'Empereur, triomphant, élève une église magnifique en l'honneur de saint Jacques, et construit d'autres basiliques à Toulouse, Aix et Paris... (Cap. v.) Ici s'arrête le récit primitif, qui forme un tout bien complet et caractéristique. Le continuateur du XIIe siècle prend alors la parole, et, soudant tant bien que mal sa narration à la précédente, raconte tout au long (cap. vi-xiv) la grande guerre de Charles contre Agolant.

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L'Agolant de la Chronique de Turpin n'a rien de commun avec celui d'Aspremont dont nous avons parlé plus haut. Ce roi païen (qui règne en Espagne et non pas en Italie) envahit la France, et massacre un jour jusqu'à quarante mille chrétiens. Une première fois vaincu par les Français, il se réfugie dans Agen ; mais il est encore battu à Taillebourg, puis à Saintes. C'est alors qu'il repasse les Pyrénées, et qu'il est définitivement tué et vaincu sous les murs de Pampelune. Le récit d'une nouvelle guerre commence, en effet, au chapitre XIV de la Chronique : Belluni Pampilonense... Donc, il arrive qu'Altumajor surprend un jour une troupe de chrétiens trop avides de butin. (Cap. xv.) Une croix rouge apparaît sur l'épaule des soldats de Charles qui doivent mourir dans la guerre contre le roi Fouré : c'est l'Empereur qui a forl indiscrètement demandé ce prodige à Dieu. Ces prédestinés meurent, mais Fouré est vaincu. (Cap. xvi.) Nouvelle guerre d'Espagne. Celle fois, c'est la plus célèbre, c'est celle de nos Chansons : Roland lutte à Nadres contre le géant Ferragus et en triomphe. (Cap. xvn.) Altumajor et Hébraïm, roi de Séville, continuent la lutte. Cachés sous des masques hideux, les païens attaquent les Français avec des cris épouvantables. Les Français reculent une première fois, mais le lendemain sont vainqueurs, et Charles, maître de l'Espagne, la partage entre ses peuples, (Cap. xviii. ) Il érige alors Composlelle en métropole, et l'ail massacrer en Galice tous les païens qui refusent le baptême. (Cap. xix.) Ces! alors, mais alors seulement, qu'on voit entrer en scène Marsile et Baligant, tous deux rois de Saragosse, et envoyés tous deux par l'émir de Babylone. Ils feignent de se soumettre e1 envoient à Charles trente sommiers chargés d'or e1 quarante de vin, avec mille captives sarrasines. Ganelon, par pure avarice et sans nul esprit de VENGEANCE, trahit son pays et s'engage à livrer aux païens les meilleurs chevaliers de l'armée chrétienne. Les Français , d'ailleurs , semblent attirer la colère du Ciel en se livrant à de honteuses débauches. Ganelon les trompe, les endort, et voici que l'arrière-garde de Charles est soudain attaquée par les Sarrasins que Marsile e1 Baligant conduisent à ce carnage. Sauf Roland, Turpin, Baudouin e1 Thierry, tous les Français meurent. (Cap. xxi.) Avant de mourir, Roland a la joie de tuer le roi Marsile ; mais il expire lui-même, après avoir en vain essayé de briser sa Durendal (cap. xxn) el s'être rompu les veines du cou en sonnanl de son cor d'ivoire. Charles l'entend du Val-Charlon, pendant que Thierry assiste à l'agonie et à la mort de Roland. (Cap. xxin el xxrv.) Or c'était le 17 mai, el Turpin chanlait la messe, lorsqu'il vit soudain passer dans les airs les démons qui menaient en enfer l'âme de Marsile, el les anges qui conduisaient au paradis l'âme de Roland. Presque en même temps, Baudouin apporte à l'Empereur la nouvelle de la mort de son neveu. Désespoir de Charles, pleurs de tous les Français. (Cap. xxv.) Les chrétiens vont, sans plus de retard , relever leurs morts sur le champ de bataille de Roncevaux, dans le Val-Sizer. Comme en noire Chanson, Dieu arrête le soleil pour permettre à Charles de se venger des Sarrasins, el le traître Ganelon, après un combat entre Pinabel e1 Thierry, est jugé, condamné, exécuté. (Cap. xxvi.)

Tous les documents littéraires du moyen âge où esl racontée la morl de Roland se divisenl ici en deux grands groupes, selon qu'ils suivenl notre Chanson ou le baux Turpin. La Chronique latine se retrouve, plus ou moins arrangée, dans la Chronique du manuscrit de Tourna} (commencement du xnr siccli ; dans la Chronique saintongeaise (commencement du xnr siècle) ; dans Philippe Mouskel (xnr siècle;

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mais avec certains autres éléments empruntés à notre vieux poème et à ses Remaniements ), dans les Chroniques de Saint-Denis ; dans le Roland anglais du xm e siècle; dans le Charlemagne de Girard d'Amiens (xiv e siècle); dans la compilation allemande qui est connue sous le nom de Karl Meinet (xiv e siècle; mais seulement en ce qui concerne les commencements de l'expédition d'Espagne); dans le Charlemagne et Anseïs, en prose (Eibl. de l'Arsenal, anc. B. L. F. 214, xv e siècle); dans la Conqueste du grant Charlemagne des Espagnes, qui est un remaniement du Fierabras (xv e siècle) ; dans les Guerin de Montglave incunables; dans la Chronique du ms. 5003 (l'original est peut-être du xiv e siècle, et le ms. est du xvi e ); dans la première partie des Conquestes de Charlemagne, de David Aubert (1458), etc.

Tout au contraire, notre vieux poème est la base du Ruolandes Liet , œuvre allemande du curé Conrad (vers 1150); du Stricker, qui, dans son Karl (1230), n'a guère fait que remanier le Ruolandes Liet; du plus ancien texte de Venise et des Remaniements français du xm e siècle, qui, sauf leur dénouement (où il faut voir une œuvre d'imagi- nation), ont calqué le texte d'Oxford; de la Karlamagnus Saga (xm e siècle) et de la Keiser Karl Magnus's kronike (xv e siècle) ; de quatre fragments néerlandais publiés par M. Bormans (xm e -xiv e siècles); du Karl Meinet (xiv e siècle, en ce qui concerne la bataille de Roncevaux), et, un peu aussi, de la Chro- nique de Weihenstephan (xiv e -xv e siècles).

En dehors de ces deux grands groupes, nous ne trouvons, çà et là, que quelques traits originaux. La Kai- serscronik (xn G siècle) nous fournit un récil de la guerre d'Espagne qui ne ressemble en rien à tous les autres : « Tous les chrétiens ayant été massacrés par les Sarrasins, Charles rassemble 53,060 jeunes filles dans le Val-Charlon, près des défilés de Sizer. Les païens tremblent et se soumettent. » (G. Paris, Histoire poétique de Charlemagne , 271.)

En Italie, toute la légende de la Spagna a pour caractère d'être empruntée à ces trois sources : Y Entrée en Espagne, de Nicolas de Padoue, avec une Prise de Pampelune, du même auteur (qui n'es! pas arrivée jusqu'à nous), et, d'autre part (sans tenir compte de quelques traits de la Chronique de Turpin), une Chanson de Roland sem- blable à celle du ms. fr. IV de Venise, et où l'on trouvait un récit poétique de la « Prise de Narbonne ». Cinq documents principaux nous offrent ce carac- tère : deux Spagna en vers (la Spagna proprement dite, composée entre les années 1350 et 1380, et la Rotla di Roscivalle, qui en est le remaniement, xv s.), et trois Spagna en prose, postérieures à la Spagna « in rima », et qui ont entre elles de très intimes ressemblances (celle du ms. de la Bibliothèque Albani, découverte en 1830 par M. Ranke ; celle de la Bibliothèque Médicis, découverte par M. Rajna, et celle enfin de la Bibliothèque de Pavie, le Viaggio in Espagna, que M. Ceruti a publiée en 1871. Le manuscrit Albani est du commencement du XIV e siècle; les deux autres sont du xv e siècle. Tous ont les mêmes éléments el. présentent le même caractère). = En Espagne, la Cronica gênerai d'Alfonse X (seconde moitié du xm e siècle), précédée par la Chronica Hispaniss de Rodrigue de Tolède (f 1247), présente sous un aspect tout diffé rent la guerre de Roncevaux : « Alfonse le Chaste régnait depuis trente ans. Menacé par les Sarrasins , il appelle Charlemagne à son aide ; mais les Espa- gnols, ses sujets, se révoltent à la seule pensée qu'ils vont être secourus par des Français, et Alfonse est forcé de faire savoir à Charles... qu'il se passera de lui. Le roi de France, indigné, déclare tout aussitôl la guerre aux Espa- gnols. Plutôt que de céder aux Français abhorrés, ceux-ci sollicitent l'alliance de Marsile e1 des païens, e1 c'esl Bernard de! Carpio qui conclul cette alliance. Accablés par deux armées, ou plnlôl par deux races, les Français sont vaincus, et Roland meurt. Il esl vrai que Charles se vengea plus lard sur Marsile. Mais Bernard de! Carpio lui plus heureux. Réconcilié avec le grand empereur, il fut fait par lui roi d'Italie. (Chronica Hispaniœ, IV, cap. x el xi; Cronica (/enc- rai, édit. de 1604, l" 30-32. Cf. la Chronique antérieure de Lucas de Tuy, etc.) = « L'Office de Charlemagne â Girone » (vers 1350) mais fournil une tout autre version... Au momenl de franchir les Pyrénées, Charles a une belle vision : Noire-Dame, saint Jacques e1 sainl André lui promettent la victoire, mais à la condilion qu'il bâtira dans G-irone une belle église à la Vierge. Le grand empe- reur s.' met en devoir d'obéir. Il bal les païens à Sent-Madir, et mel le siège devant Girone. Lue croix rouge reste duranl quatre heures au-dessus de la mosquée; il pleul du sang; les miracles abondent. — Les Romances espagnoles sont les unes françaises, les autres epagnol< - d'inspiration. Dans la Romance : C'était, le Dimanche des Rameaux, on voil fuir le roi Marcim devant Roland, avec (\c< pleurs el des imprécations lamentables. Dans la romance Dona Aida, on assisie à un songe de la belle Amie, el cel épisode est à peu près semblable à la donnée de nos rifacimenti. (Cf. De Puymaigre, les Vieux Auteurs castil- lans, Il , 325. | Dans une autre romance, Roland meurt de douleur sur le champ île bataille, à la seule vue de la tristesse el de l'isolement de Charlemagne. i Études religieuses des Pères jésuites, VIII, il.) D'autres enfin célèbrent à l'envi leur Bernard de! Carpio, au préjudice de notre Roland. (Primavera, 1 , 26-47.) Cf., sur l'histoire de la légende rolandienne en Espagne, l'admirable livre de Mila y Fontanals, De la Poesia heroïco popular castellana. Barcelone, 1874, in-8°.

El tel est le résumé de toutes les œuvres poétiques que le moyen âge a consacré à la guerre d'Espagne et à la mort de notre héros.

VI. Après l'Espagne. Dernières années et mort de Charlemagne

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Deux poèmes, qui sont œuvre purement littéraire et personnelle, Gaydon et Anséis de Cartilage, achèvent de nous retracer l'histoire de la grande expédition d'Espagne. Dans la première de ces deux chansons, Gaydon (qui n'est autre que le Thierry de la plus ancienne de nos épopées) se fait en France le continuateur de Roland, et lutte contre la famille de Ganelon. C'est en vain que Charles se laisse entraîner dans un complot contre lui; il triomphe de l'Empereur lui-même, et se fait nommer grand sénéchal de France. (Gaydon, poème du commencement du xm c siècle, éd. S. Luce.)

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Quant à Anseïs, c'est un poème encore plus moderne : on y crée un autre continuateur de Roland, mais en Espagne. On lui fait même décerner par Charles le titre de roi d'Espagne, et il passe sa vie à lutter contre les païens, dont il ne peut être décidément vainqueur sans le secours du grand Empereur. (Anseïs de Carthage, xm e siècle, B. N., fr. 793.)

Mais désormais l'Espagne n'occupera plus Charlemagne, et c'est vers un autre côté de son empire qu'il jette ses regards. Guiteclin (Witikind) vient d'entrer vainqueur dans Cologne; les Saisnes menacent l'empire chrétien.

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L'Empereur apprend ces tristes nouvelles, et en pleure. (Chanson des Saisnes, de Jean Bodel, dernières années du XIIe siècle, couplets v-xir.) Donc, la guerre commence ; mais tout semble conspirer contre Charles: la discorde éclate parmi ses peuples. Les Hérupois, c'est-à-dire les Normands, les Angevins, les Manceaux, les Bretons et les Tourangeaux, jouissent de certains privilèges que les autres sujets de l'Empereur leur envient. De là une sorte de révolte qu'il ne sera pas facile d'apaiser. Charles voudrait contenter tout le monde, et enlever néanmoins leurs privi- lèges aux Hérupois; mais ceux-ci montrent les dents, et arrivent menaçants jusque dans Aix. Ils parlent haut, et l'Empereur pousse la bassesse jusqu'à marcher pieds nus à leur rencontre. Tout s'arrange. (Couplets xm-xLvii.) C'est en ce moment seulement que Charles peut entrer en campagne contre les Saisnes. Et c'est ici qu'apparaît un frère de Roland, Baudouin, qui se prend soudain d'un amour ardent pour la femme de Guiteclin, Sibille, et qui pour elle s'expose mille fois à la mort. La guerre se prolonge pendant plus de deux ans. Les Hérupois daignent enfin consentir à venir au secours de Charlemagne, et remportent tout d'abord une éclatante victoire sur les Saisnes. (Couplets xc-cxix.) Cependant l'amour adultère de Baudouin pour Sibille ne fait que s'enflammer au milieu de tant de batailles sanglantes.

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C'est pour Sibille qu'il livre un combat terrible au païen Justamont. Charles, lui, ne se préoccupe que de la grande guerre contre ses ennemis mortels. Un cerf lui indique miraculeusement un gué sur le Rhin, et l'Empereur fait construire un pont par les Thiois. Derrière ce pont sont deux cent mille Saxons, avec le roi Guiteclin. (Couplets cxx-clvii.) Une nouvelle bataille éclate, et jamais il n'y en eut d'aussi terrible; mais enfin les Français sont vainqueurs, et Guiteclin meurt. (Couplets clviii-clxvii.) Sibille se console trop aisément de cette mort, et s'empresse trop rapidement d'épouser son ami Baudouin, dont Charlemagne fait un roi des Saxons, et qui s'installe à Trémoigne. (Couplets cxcviii-ccx.) Ce règne ne doit pas être de longue durée: toujours les Saisnes se révoltent, tou- jours ils menacent Baudouin. C'est en vain que Charles arrive au secours du jeune roi: Baudouin, après des prodiges de bravoure, se trouve seul au milieu de l'armée païenne, et meurt. Charles le pleure, Charles le venge: les Saxons sont une dernière fois vain- cus et soumis. Ils ne se révolteront plus, (ccxi-ccxcvii [12].)

Dans Macaire, Charlemagne n'a qu'un rôle fort effacé. Il s'agit cependant de sa femme, de cette Blanchefleur qui est la fille de l'empereur de Constantinople. Un traître, Macaire, accuse la reine d'adultère, et elle va mourir, quand, à la prière de l'abbé de Saint-Denis, on se contente de l'exiler. Un bon chevalier, Aubri, est chargé de l'accompagner, mais il est tué par le traître Macaire, qui du moins ne peut tuer Blanchefleur. Le chien d'Aubri venge son maître. Ce- pendant un pauvre bûcheron, Varocher, recueille la pauvre reine, qui s'est enfuie jusqu'en Hongrie. L'empereur de Constantinople réunit une grande armée, et envahit la France pour venger sa fille dont, après cent combats, l'innocence est enfin reconnue.

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Le fils de Charles, Louis, était né durant cet exil: il deviendra le successeur du grand Empereur. (Macaire, poème de la fin du XIIe siècle. V. l'éd. Guessard, dans le Recueil des Anciens poêtes de la France [13] .)

Dans Huon de Bordeaux, Charlemagne ne paraît guère que comme un accessoire, et, à coup sûr, comme un personnage secondaire. Au début de son œuvre, l'auteur nous représente l'Empereur sous les traits d'un vieillard tout près de la mort. Même il est tellement épuisé par l'âge, qu'il veut se faire élire un successeur. Par malheur, il n'a qu'un fils qu'il engendra à cent ans. C'est Chariot, c'est un étourdi de vingt- cinq ans. Le vieux roi veut du moins lui donner ses derniers con- seils, et les lui donne très religieux, très beaux. (Huon de Bor- deaux, poème composé entre les années 1180 et 1200, éd. du Recueil des Anciens poètes de la France, vers 29-199.) Là-dessus arrive un traître, Amauri, qui soulève la colère du vieil Empereur contre Huon et Gérard, fils du duc Seguin de Bordeaux, Dans ce conseil perce la haine personnelle d'Amauri, que Seguin a jadis plus ou moins justement appauvri et dépouillé. Mais Naimes est là, et il détend les Bordelais. On envoie un message à Huon et à Gérard ; on leur mande de venir à la cour de Charlemagne. (Ibid., 200-392.) Bs se mettent en route, mais sont forcés de franchir mille obstacles accumulés par les traîtres; Huon doit en venir aux mains avec le propre fils du roi, avec Chariot, et il le tue. (lbid., 393-890.) Grande colère de Charles contre le meurtrier de son fils : Huon est condamné à un combat singulier avec le traître Amauri. Il tranche la tète du misérable, et le jugement de Dieu se prononce 1 en sa faveur. (Ibid., 891-2129.) Malgré cette intervention céleste, Charles ne veut point pardonner au vainqueur, et il faut que les Pairs menacent de le quitter, pour qu'il se décide enfin à accorder à Huon une paix dont il se réserve de dicter les conditions. Il est ordonné au jeune Bordelais d'aller à Babylone porter un message à l'ami- ral Gaudisse. Huon part sur-le-champ, et court à ses aventures. (Ibid., 2130-2386.) Nous n'avons pas à les raconter ici, ni à faire suivre à notre lecteur les péripéties de l'amitié d'Huoif avec le nain Oberon. (Ibid., 2387-8047.) II lui suffit de savoir qu'un jour Huon revient en France, et qu'il y trouve son propre héritage occupé par son frère Gérard. (Ibid., 8648-9110.) Charlemagne est encore vivant, et la cause des deux frères ei mis est portée devant sa cour : Huon est très injustement condamné à mort, et va périr, lorsque Oberon arrive à son secours et le sauve. (Ibid., 9111-10369.)


Le début du Couronnement Looys esl véritablement épique... Charles sent qu'il va mourir, et veut mourir en assuranl la vie de son empire.

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Dans sa chapelle d'Aix, il réunit un jour ses évèques et ses comtes. Sur l'autel il dépose sa couronne d'or, et annonce à ses peuples qu'il va laisser la royauté à son fds. (Conformément Looys, poème de la seconde moitié du xn c siècle, éd. Jonckbloet, vers 1-61.) Alors le grand Empereur élève la voix et donne, pour la dernière fois, ses suprêmes conseils au jeune Louis, qui, faible et timide, tremble devant la majesté terrible de son père. (Ibid., 62-77.) Même il n'ose prendre la couronne, et Charles alors le couvre d'injures, le déshérite, et parle d'en faire « un marguillier ou un moine ». (Ibid., 78-96.) L'inévitable traître est là: c'est Hernaut d'Orléans, qui veut enlever le trône à Louis ; mais, par bonheur, il y a là aussi un héros qui met un courage et une force héroïques au service de sa fidélité et de son honneur. Guillaume prend la défense du pauvre jeune roi : il lui met la couronne en tête (Ibid., 97-112), et se constitue son tuteur tout- puissant, son défenseur infatigable. Charles peut désormais mourir tranquille. Et, en effet, il meurt quelque temps après, sachant que Louis pourra régner, parce qu'il y a Guillaume auprès de lui. (Ibid., 113-236 [14].)

Et telle est toute l'histoire poétique de Charlemagne , d'après les seules Chansons de geste du cycle carlovingien [15] .

Tableau des sources

D'après les textes qui précèdent et ceux que nous énumérons dans nos Notes, on peut dresser le Tableau par ancienneté des sources de l'histoire poétique de Charlemagne.

I. Le plus ancien groupe

Le plus ancien groupe est représenté par la Chanson de Roland, qui repose non seulement sur des légendes remontant au IXe et même au VIIIe siècle, mais encore sur des textes historiques d'une importance considérable.

(Éginhard, Vita Karoli, IX.
Annales d'Angilbert, faussement attribuées à Éginhard, ann. 778), et reproduites par le Poète saxon.
— L'Astronome, Vita Hhidovici, dans Pertz, Monumenta Germanise historica. Scriptores, II, 608.)

II. En même temps

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En même temps que la légende de Roncevaux, mais d'une façon tout à fait indépendante et dans un autre cycle, se formait la légende d'Ogier, qui est également appuyée sur des textes historiques. (Lettre du pape saint Paul à Pépin en 760, Historiens de France, V, 122; Chronique de Moissac, de 752 à 814, Historiens de France, V, 69, 70; un Extrait du Moine de Saint-Gall, II, 26; plusieurs passages d'Anastase le Bibliothécaire, ann. 753, 772, 774; Annales Lobienses, Pertz, 11,195; Chronicon Sancti Martini Coloniensis, ann. 778, Pertz, II, 214; Chronique de Sigebert de Gembloux au xi e siècle, Hist. de France, V. 376; la Conversio Othgerii militis, œuvre du Xe ou du XIe siècle; le tombeau d'Ogier à Saint-Faron, Acta SS. Ord. S. Benedicti, ssec. iv, pars I, pp. 664-665.) A ce groupe se rapportent la Chevalerie Ogier de Danemarche, de Raimbert; les Enfances Ogier, d'Adenei : la troisième branche de la Karlamagnus Saga et la quatrième de Charlemagne de Venise.

III. Vers la fin du Xe siècle,

Vers la fin du Xe siècle, une falsification du texte d'Eginhard donne lieu à la légende du Voyage à Jérusalem. (Benedicti Chronicon, Pertz, III, 710, 711.) De là la première partie de notre Voyage à Jérusalem et à Constantinople; de là deux récits de la Karlamagnus Saga.

IV. Au milieu du XIe siècle

Au milieu du XIe siècle, un moine de Compostelle écrit les cinq premiers chapitres de la prétendue « Chronique de Turpin », renfermant l'histoire de toute une croisade de Charles en Espagne. Ce récit n'a aucune influence sur le développement de notre poésie romane.

V. Antérieurement à la rédaction de la Chanson de Roland

Antérieurement à la rédaction de la Chanson de Roland que nous venons de publier et de traduire, circulaient déjà des légendes nombreuses, et très probablement certains poèmes qui avaient pour objet plusieurs autres épisodes de la vie de Charles ou de Roland. Le texte d'Oxford fait des allusions très claires à la prise de Nobles, telle qu'elle nous est racontée dans la première branche de la Karlamagnus Saga; à l'ambassade de Basin et de Basile, qui, bien plus tard, sera racontée à nouveau par l'auteur de la Prise de Pampelune; à la famille d'Olivier telle qu'elle nous est présentée dans Girars de Viane. Ce n'étaient certes pas ces poèmes eux-mêmes, tels que nous les possédons, qui existaient avant notre Chanson de Roland ; mais c'étaient des Chansons analogues, assonancées et en décasyllabes, etc.

VI. Pour les traditions et légendes qui précèdent

Pour les traditions et légendes qui précèdent, nous avons une certitude. Nous n'avons qu'une probabilité pour les suivantes, auxquelles il n'est fait aucune allusion dans la Chanson de Roland. Les faits qui sonl délayés dans les versions du Renaus de Montauban parvenues jusqu'à nous; ceux qui nous sont offerts, relativement à la guenv d'Espagne, dans la Kaiserchronik du xir siècle, dans les branches I et V de la Rarlamagnus Saga, dans le second tiers de l'Entrée en Espagne, dans la Prise de Pampelune et dans la dernière partie de notre Girars de Viane, devaient circuler parmi nous, depuis un temps plus ou moins long, avant le commencement du XIIe siècle.

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VII. Notre Chanson de Roland a été remaniée

Notre Chanson de Roland a été remaniée, rajeunie plusieurs fois. On y ajouta certains épisodes. Les uns (comme la prise de Narbonne) ont un fondement dans la tradition ; les autres (comme les deux fuites de Ganelon, son combat avec Othe, l'entrevue d'Aude et de Gilain, etc.) semblent une œuvre de pure imagination .

VIII. Entre les années 1109 et 1119

Entre les années 1109 et 1119 sont rédigés les chapitres vi et suiv. de la Chronique de Turpin , d'après des sources romanes que l'on corrompt, que l'on dénature, que l'on cléricalise. Cette œuvre apocryphe a exercé une influence considérable. Nous pensons qu'en prenant soin d'en défalquer tous les éléments cléricaux, on y trouverait la copie altérée d'un Roland antérieur au nôtre, ou, pour mieux parler, la constatation d'un état plus ancien de la légende rolandienne. Cf. Guido Laurentius. (Zur kritik der Chanson de Roland. )

IX. Sur des traditions vagues au XIIe siècle

Sur des traditions vagues ont été écrits, au XIIe siècle et postérieurement, tout une série de poèmes qui sont moitié légendaires, moitié fictifs. Sur la donnée de la prise de Rome par les Sarrasins reposent : l'ancien poème de Râla ni que M. G. Paris a reconstitué, notre Fierabras et même notre Aspremont, auquel se mêlent quelques autres traditions.

X. Avec quelques Contes universels

Avec quelques Contes universels, et qui se retrouvent en effet dans tous les pays (le Traître, l’Épouse innocente et réhabilitée, etc.), on a composé la légende de l'Enfance de Charles, et cela depuis la fin du XIIe siècle ou le commencement du XIIIe. Cette légende se retrouve dans les Enfances Charlemagne de Venise (fin du XIIe siècle) ; dans le Mainet en vers français, dont on a tout récemment découvert quelques fragments (XIIe siècle); dans la Chronique saintongeaise (commencement du XIIIe siècle); dans Berte au gran pié (vers 1275); dans le Stricker de 1230 ; dans la Chronique du Weihenstephan (original du XIVe siècle, manuscrit du XVe); dans la Chronica Bremensis de Wolter (xv° siècle); dans le Gharlemagne de Girard d'Amiens (commence- ment du xiv e siècle); dans la Karlamagnus Saga (second tiers du xm e siècle); dans le Karl Meinet (commencement du xiv e siècle); dans les Reali (vers 1350), etc.

XI. En Espagne

Cependant, pour combattre les prétentions des légendaires français, on inventait en Espagne certaines légendes destinées à ruiner la gloire de Roland. Telle est la signification de la Chronica Hispaniœ, de Rodrigue de Tolède (-} 1247), de la Cronica general d'Alphonse X (seconde moitié du xm e siècle) et de quelques Romances que nous avons citées plus haut.

XII. Enfin

Enfin, il faut considérer les poèmes suivants comme des œuvres uniquement littéraires et de pure imagination : Jehan de Lanson, — Simon de Pouille, — Otinel, — la dernière partie de V Entrée en Espagne (Roland en Orient), — Gui de Bourgogne, — Gaydon, — Anseïs de Carthage, — Galien, — la fin du Voyage à Jérusalem et quelques parties de Girars de Viane. = C'est ainsi que s'étagent toutes nos chansons de geste, depuis celles qui sont

LE PLUS HISTORIQUES JUSQU'A CELLES QUI NE SONT MÊME PLUS LÉGENDAIRES et qui sont des « romans » dans l'acception la plus moderne de ce mot.

Notes de l'article

  1. La fable de Berte n'a rien de traditionnel. Chanson de Roland Gautier Populaire 1895 page 298.jpg[298] On on trouve un résumé très rapide dans la Chronique Saintongeaise (commencement du XIIIe siècle). Le Charlemagne de Venise lui donne un certain développement, et nous avons là, sens le titre de Berta de li gran pié, un premier poème qui est antérieur de soixante ou quatre-vingts ans à l'œuvre d' Adenet , e1 en diffère quelque peu. M. Mussafia l'a publié dans la Romania (III, p. 339 el ss. el IV, p. 91 et ss.). Cf. Philippe Mouskel iv. 1240), la Gran Conquista de Ultramar (fin du XIIIe siècle), les Reali (vers 1350), el le Roman de Berte en prose (Merlin, mss. fr. 130, première moitié du w siècle), etc. Somme toute, on n'a pensé qu'assez lard à la mère de Charles, et la légende de son fils était presque achevée, quand on songea à composer la sienne avec de vieilles histoires, celles-là mêmes qu'on mil plus lard sur le compte de Geneviève de Brabant. Il semble que ce travail n'était pas encore commencé, quand fut écrite la Chanson de Roland.
  2. La légende des Enfances de Charles ne paraît pas antérieure au XIIe siècle, et il n'y est fait aucune allusion dans le Roland. Cf. le Mainet, chanson de geste du XIIe siècle, dont on a eu l'heureuse fortune de retrouver, en avril 1874, plusieurs fragments importants (ils renferment environ 700 vers et out été publiés dans la Romania, juillet-octobre 1875, IV, 305 cl ss.). Cf. aussi le Karleto de Venise [fin du XIIe ou commencement du XIIIe siècle), le Renaus de Montauban (XIIIe siècle), la Karlamagnus Saga, histoire islandaise de Charlemagne (XIIIe siècle!; le Karl Meinet (compilation allemande du XIVe siècle), le Cronica gênerai de España XIIIe siècle), les Reali (XIVe siècle), etc. etc. C'est presque partout le même récit que dans le poème de Girard d'Amien. Peu de variantes, et elles n'ont rien d'important.
  3. La Chevalerie Ogier repose sur des traditions de la fin du VIIIe siècle. Cf. les Enfances Ogier, qui sont un médiocre remaniement d'Adenet (deuxième moitié du XIIIe siècle); le Charlemagne de Venise (fin du XIIe , commencement du XIIIe siècle), où Ogier nous est représenté tout d'abord comme un écuyer inconnu; la troisième branche de la Kavlamagnus Saga (XIIIe siècle), etc.
  4. Aspremont est une œuvre de la décadence où il n'y a d'autre élément traditionnel que cette donnée générale, ce lieu commun si cher à nos trouvères, d'une expédition française en Italie pour la délivrance de la Papauté menacée. Cf. les Reali, dont l'affabulation est conforme à celle d'Aspreniont, et qui contiennent une Suite où l'on assiste aux fureurs et au châtiment de Girard de Fraite. C'esl tout ce qui nous reste aujourd'hui d'une vieille Chanson qui devait avoir pour titre : Girars de Fraite.
  5. Toute cette légende d'Ogier s'est formée en même temps que celle de Roland ; elle a commencé dès les VIIIe - IXe siècles, et était presque achevée quand fut écrite noire Chanson. Mais ce seul là, notons-le bien, deux cycles tout à fait distincts, et qui n'ont eu entre eux aucune communication notable. Les deux légendes se sont formées chacune de leur côté, et sont toujours demeurées indépendantes l'une de l'autre. Les origines de Renaus de Montauban semblent un peu moins anciennes, et dans Girars de Viane, la donnée générale du poèmr est, à peu près, le seul élément antique.
  6. Jehan de Lanson est une œuvre littéraire, et où la légende ne tient aucune place.
  7. Le Voyage à Jérusalem n'est, dans sa deuxième partie, qu'un misérable fabliau épique ; mais, si l'on considère uniquement son début et ses derniers vers, il a certaines racines dans la tradition. Cependant la légende n'apparaît pas avant le Benedicli Chronicon, œuvre d'un moine du mon! Soracte, nommé Benoit (mort vers 968), lequel se contenta de falsifier un passage d'Eginhard en substituant le mot Rex aux nuits Legali régis. (Voir Épopées françaises, 2e édition, III, p. 284, ci notre première édilion du Roland, II, 37.) Cf. une ide latine de 1060-1080, lIter Jerosolimitanum , qui devait être un jour insérée dans les Chroniques de Saint-Denis. On y voit le patriarche de Jérusalem, chassé de sa ville par les Sarrasins, réclamer l'aide de l'empereur d'Orient, et être en réalité secouru par Charlemagne, qui obtient de lui les saintes reliques de la Passion. Voir aussi la Karlamagnus Saga (XIIIe siècle), et, tout particulièrement, les trois sources suivantes : le ms. de l'Arsenal 3351 XVe siècle), le ms. IV. 1470 de la Bibliothèque nationale XVe siècle) et le Galien incunable, qui nous offrent trois remaniements eu prose du Voyage, avec quelques éléments nouveaux.

    Un poème de la décadence, Simon de Pouille (B. N. fr. 368, XIVe siècle, f° 144), nous fait assister a une véritable croisade des douze Pairs en Orient, et Girard d'Amiens, en son Charlemagne (c tencemen) du xiv e siècle), raconte me expédition du grand empereur lui-même sous les murs de Jérusalem. Enfin, David Aubert, au XVe siècle, ne fait que reproduire en prose, dans ses Conquesles de Charlemagne, le récit de Girard d'Amiens dont il comble une lacune importante.
  8. Voir le Roman en prose de Galien, qui nous est parvenu sous trois formes (Bibl. de l'Arsenal, 3351; Bibl. nat. IV. 1470; e1 Galien incunable, ir.no. Vérard, i te). Ces romans en pro i iblemenl dérivés d'un roman en vers de la fin du xnr siècle qu'on avail cru perdu jusqu'à ces dernières aminées et que M. Stengel a publié récemmenl d'après un manuscrit de Cheltenham. El cette chanson elle-même avait été précédée par un ou deux autres poèmes qui ne sont point parvenus jusqu'à nous.
  9. Dans ce poème, dont nous ne possédons pas de version complète, l'élément littéraire est plus considérable que l'élément traditionnel On y rencontre cependant des légendes visiblement antiques; mais tout a été écrit en dehors de la Chanson de Roland et de noire légende.
  10. Le Fierabras, que nous venons de résumer, n'est pas la version la plus ancienne de ce poème. Suivanl M. G. Paris, il a existé une Chanson antérieure, qui pouvait bien avoir pour titre : Balant. Ce poèi :ommençai1 par le récil d'une prise de Rome que les Sarrasins enlevaient aux chrétiens; Charles arri v.iii au secours des vaincus, e1 c'est alors qu'avail lieu le combal d'Olivier el de Fierabras. C'était tout, et il n'y avait là que le développement de deux lieux communs épiques : « le Siège de Rome i e1 ci le Duel avec un géanl ». Nuire poème n'offre que le dernier de ces lieux communs ; mais, comme irais l'avons dil plus haut, M. Grœber a retrouvé dans le manuscrit 578 de la Bibliothèque municipale do Hanovre La première branche du Fierabras, el l'a publiée, sous le titre de i la Destruction de Rome », dan- la Romania (II, p. I e1 ss.). = Fierabras, comme le Voyage à Jérusalem, a été composé pour être chanté à la foire du Lendil , où l'on faisait une exhibition solennelle de certaines Reliques de la Passion. (V. nos Epopées françaises, 2 e édition, III.
  11. Otinel ne contient rien de légendaire : c'est une œuvre de pure imagination : Cf. l'épisode d'Ospinel dans le Karl Meinel , compilation allemande du commencemenl du \iv siècle, et le récil de Jacques d'Acqui (fin du xni siècle). Touie- ces fables sont postérieures à la rédaction du Roland.
  12. II a exislé ici un poème français plus ancien que la Chanson des Saisnes. Nous n'en avons plus l'original; mais la Karlamagnus Saga nous en a du moins conservé un résumé... La scène s'ouvre sous les murs de Nobles, assiégée par Charles. Toul a coup l'Empereur apprend que « Guitalin » vient de brûler Cologne. Il court au-devant des Saisnes; mais il se laisse enfermer dans Cologne et va succomber, lorsqu'il esl secouru par Roland. Guitalin l'emporte un premier avantage sur les français; mais ceux-ci reprennent l'offensive et s'emparent de Germaise (Worms). C'est alors qu'Amidan vient au secours de son père Guitalin; mais Charles fait construire un ponl sur le Rhin, et voilà les Saisnes menacés, [ci apparaîl Baudouin, qui va devenir le principal personnage de notre poème; ici se place également le trop long épisode de ses amours avec Sibille. Une action décisive s'engage : Guitalin est terrassé par Charles, et Amidan tué par Roland, qui conquiert alors le fameux cor Olifant. La victoire des Français est complète, et toul se termine par un baptême général des païens. Tel est le Guitalin de la Karlamagnus Saga (5 e branche), dont l'action, comme on le voit, se passe avant celle du Roland. (Cf. le résumé qu'on en trouve dans la 1« branche.) Toutes les variantes de cette légende des Saisnes se divisent en deux groupes distincts, suivant qu'elles se rapportent au Guitalin que nous venons de résumer, ou à la chanson de Jean Bodel.
  13. Il existe nue autre version, intitulée la Reine Sibille, et dont nous n'avons plus que quelques vers el une rédaction en prose. (Bibl. de l'Arsenal, 3351; anc. B. L. F. 226.
  14. La mort du grand Empereur est encore racontée, mais en termes très rapides, dans Anseïs de Carthage. = Sur la fin de cet homme presque surna- turel, deux autres légendes ont circulé, el elles sont toutes deux peu favorables à la mémoire de Charles : 1° Walafrid Strabo (Historiens de France, V, 339) reproduit un récit de l'abbé Hetto, qui le lirait du moine Weltin. Ce dernier avait vu en songe Charlemagne dans les flammes de l'enfer, où un monstre le dévorait éternellement. Et pourquoi ce supplice du grand Empereur? C'était « à cause de son libertinage honteux ». 2° La fable du faux Turpin est plus connue... Un jour Turpin vit l'âme de Charlemagne entre les mains des démons. Or cette pauvre âme était en grand danger devant le Juge suprême, quand un Galicien sans tète (saint Jacques) jeta dans les balances éternelles toutes les pierres et toutes les poutres des basiliques construites par Charlemagne. Il fut sauvé. = Le moyen âge n'a rien trouvé de plus beau pour honorer le souvenir de celui dont la Chanson de Roland a si bien dit :
    N'iert mais tels hum desqu'à l' Deu juise.
  15. Voir le résumé des autres Chansons dans notre première édition du Roland, II, 270 et suivantes.

Facsimilés

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Voir aussi

Notes
  1. Le texte contient ici une note développée sur plusieurs pages. Elle est ici développée en partie principale.