Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier (1850) Méthivier/Chapitre VI

De Wicri Bois

Histoire nouvelle qui démontre une vieille vérité ; savoir, que les forts rencontrent tôt ou tard leur maître


 
 

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    Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier mort au service de la République (2e édition) / par l'abbé J.-S. Méthivier.
Chapitre VI

 

<= Comment je fus bien vite ennuyé des honneurs et donnai ma démission. <=

 

=> Comment il advint que le citoyen Penserouge et le citoyen Tirepart se dirent leurs vérités au pied d'un peuplier. =>
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Avant propos numérique

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Dans ce chapitre, le peuplier évoque notamment la transmission du pouvoir entre Charles X et Louis-Philippe (voir l'iconographie en fin d'article).[NDLR 1]

Il fait également allusion à l'incendie de Hambourg.

Dans ces périodes troublées, la gravure de droite nous rappellent que les arbres de la liberté pouvaient également être déracinés... Ici le peuplier semble avoir été épargné..

Le texte original


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Histoire nouvelle qui démontre une vieille vérité ; 
savoir, que les forts rencontrent tôt ou tard leur maître

Pauvre souffrant ! Comment va ton cancer depuis que tes médecins t'ont conseillé, pour le guérir radicalement, de changer ton régime, tes garde-malades et la couleur de ton bonnet de nuit?...
— Toujours de plus mal en plus mal!

Ma démission donnée, je ressentis un calme intérieur, signe et récompense d'un pénible devoir, courageusement accompli. Je sortais enfin des agitations de la vie politique ; et en la quittant spontanément , je laissais aux patriotes portés comme moi par le flot révolutionnaire à des emplois au dessus de leurs forces, un exemple de modération, de désintéressement et de prudence.

Dès lors, sans attendre la réponse du ministre, je me crus déchargé de mes devoirs de représentant, et quoique retenu encore sur la place publique, j'essayai de reprendre les tranquilles habitudes de ma vie privée : j'employai donc mes loisirs à examiner attentivement ce qui se passait autour de moi, j'écoutais les discours, j'appréciais les actes des hommes influents, je recueillais mes


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souvenirs et prenais des notes, avec la pensée de livrer un jour aux méditations du peuple les remarques de mon bon sens et les conseils de mon expérience.

Étant encore simple et heureux peuplier de campagne, j'avais souvent entendu dire qu'il y avait en France un prince rusé et un roi qui ne l'était pas, et que le prince rusé renversa le roi qui ne l'était pas et se mit à sa place sur son trône, et que tous les rusés du royaume applaudirent à ce tour, parce qu'il avait été habilement joué.

A partir de là le nouveau roi et ses rusés changèrent tout en ce pays, principes et mœurs. Le droit fut conspué et le succès fut adoré. Alors la langue des avocats, la plume des journalistes, l'enseignement des lettres, le feuilleton des romanciers, la dissertation des philosophes, le pamphlet des politiques, les vers des poètes proclamèrent sur tous les tons :

« Heureux qui réussit ! heureux qui s'enrichit! heureux qui jouit! »

Et le roi et les grands et le peuple, oubliant le Dieu du ciel et de la terre, se prosternèrent devant trois idoles, le succès, l'argent et le plaisir. Jamais adoration ne fut plus profonde et plus sincère.

Pour mieux séduire, ce culte abominable de l'or et de la volupté prit le beau nom de libéralisme ; mais libéralisme hypocrite, égoïste, cupide, irréligieux. Dès lors, la corruption s'attacha aux entrailles même de la classe bourgeoise et dominante,


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de cette classe qui possède et agiote, enregistre et perçoit, plaide et juge, enseigne et journalise, légifère, administre et gouverne. L'impiété, comme un cancer, dessécha dans son cœur les sentiments élevés, et y alluma une soif inextinguible de jouissances. On vit donc les possesseurs du pouvoir et de la fortune n'éprouver plus que deux besoins : le besoin d'augmenter toujours leurs revenus, et le besoin de multiplier toujours leurs plaisirs. Le signe le plus effrayant de cette démoralisation apparut : la commisération pour les malheureux, cette lampe placée par la main de Dieu au fond des cœurs, et qui y brille au milieu même des vices les plus hideux, s'éteignit chez ces hommes ; et quand la pauvreté voulait arracher à ces libéraux une pièce de monnaie, elle était obligée de les inviter à un bal et de prendre les atours, les grâces et les poses d'une danseuse pour solliciter leur bienfaisance : ils dansaient donc pour les victimes de Juillet et les orphelins du choléra, ils dansaient pour les incendiés de Hambourg et les inondés de Lyon, ils dansaient pour les artistes sans pain et les ouvriers sans travail ; et comme les événements heureux ou glorieux devenaient rares sous ce régime de la corruption, ils profitaient habilement des fléaux toujours communs, pour s'amuser et danser [1].


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Le peuple qui souffre leva les yeux sur cette classe de gens qui s'amusaient et qui dansaient, et il y reconnut ses maîtres, ses gouverneurs, ses fonctionnaires, ses hommes d'affaires, ses propriétaires; et les voyant sans mœurs, sans charité,


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sans religion, il ressentit en son âme trois mouvements qui, mieux que les bataillons et les boulets, renversent les empires :

Les dédains du mépris ;
Les bouillonnements de l'envie ;
La soif d'une corruption imitatrice.

Cependant l'immense tour où cette classe dominait et avait établi sa puissance, ses voluptés et son impiété, s'affermissait et grandissait toujours. Au haut veillait le plus fin politique, entouré des plus habiles conseillers ; et au bas veillaient aussi à sa garde quatre cent mille hommes, l'arme au bras.

Ainsi le talent, la richesse et la force formaient autour de ce gouvernement un triple rempart inexpugnable.

Voilà, campagnards, mes amis, ce que j'avais entendu dire, et voici ce que j'ai vu moi-même : Une heure sonne, c'était l'heure qui précède la justice du ciel outragé.

Sentinelle, que se passe-t-il?

Sire, jamais votre autorité n'a été plus grande, votre gouvernement plus fort, votre bourgeoisie plus dévouée, votre dynastie plus aimée. Vivez heureux, Sire, et reposez en paix.

Deux heures sonnent : le doigt de Dieu touche légèrement cet édifice ; j'aperçois un peu de pous- sière, et le gouvernement des rusés et des forts n'est plus. Le fin politique qui veillait au haut se précipite de son trône dans une ignoble patache


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trop lente à fuir ; l'armée qui veillait au bas reste immobile et paralysée de stupeur ; et la bourgeoisie qui y régnait se trouve suspendue par un fil au-dessus de la fournaise consumante du socialisme, aspirant à dévorer ses propriétés, ses jouissances et jusqu'à ses ossements.

Voilà ce que j'ai vu ; et frappé de ces dénouements inattendus, de ces péripéties providentielles, j'adorais la justice et la puissance de Dieu, et je suivais d'un regard attentif les nouveaux parvenus au gouvernement improvisé; je voulais savoir si les ruines fumantes sous leurs pieds leur inspireraient comme à moi de hautes et saintes pensées sur les redoutables sévérités du ciel envers les puissants de ce monde; et je les vis franchir lestement les degrés des palais où la foudre venait de frapper leurs prédécesseurs ; je les vis s'installer dans les resplendissants salons, s'attabler aux buffets garnis, savourer les réserves des caves diplomatiques ; je les vis à leur tour épris du vertige du pouvoir, ne rêver plus que banquets, soirées, bals et concerts[2], et saisir à la hâte l'instant rapide qui


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sépare un grand dîner qui finit d'une polka qui va commencer, pour décréter d'énormes contributions et jeter ainsi dans la bourse des pauvres contribuables les filets de l'État, afin d'en tirer le dernier écu et pourvoir largement à l'approvisionnement et au service de leurs tables. Ils voulaient, disaient-ils, montrer au peuple combien sa liberté reconquise leur procure de joie, et quelle part ils prennent aux révolutions qu'ils lui font faire.

Change donc, peuple inconstant, change dix fois, vingt fois, les formes de ton gouvernement et le personnel de tes gouvernants ; voici du moins ce que tu ne changeras jamais : c'est l'ambition, l'avidité, l'immoralité des révolutionnaires qui te poussent aux changements ; voici ce dont tu ne te débarrasseras jamais : ce sont les abus, les gaspillages , les excès et les gros budgets qui accompagnent et suivent les révolutions, et que tu paies toujours de ton argent et de tes souffrances.


Notes de l'article

  1. Le plus doux mot de la langue humaine, le mot charité, que le Sauveur, se faisant pauvre et souffrant pour nous, avait appris à bégayer aux hommes pour adoucir leurs misères, ce mot divin est repoussé de notre langue et remplacé par le mot bienfaisance.

    Le libéralisme, qui n'est qu'égoïsme, ne peut souffrir la charité, qui pleure avec ceux qui pleurent, se dépouille pour revêtir les autres, s'abstient pour donner et se fait quelquefois pauvre volontaire pour honorer la pauvreté; il l'a donc proscrite et remplacée par ses maximes fondamentales : « Tire ton bonheur de tout ce qui t'entoure, » et : « Chacun pour soi. » Les plaintes, les cris des malheureux t'importunent : eh bien! change les en ravissants concerts à leur profit ; tes frères meurent de froid et de faim : eh bien ! imagine de délicieuses soirées dansantes et chantantes, où tu savoureras les sorbets, les punchs et les madères à leur intention ; enfin, si les haillons du pauvre, sur lesquels le doigt de Dieu a écrit certaines vérités politiques, morales et religieuses pour ton instruction, s'offrent à tes regards, invoque le bras d'un gendarme pour écarter de tes yeux délicats ces haillons enseignants, ainsi que les leçons qu'ils t'apportent. Et ne crains pas qu'ils se présentent une seconde fois; car le libéralisme, qui a tout prévu, a bâti des prisons et des dépôts de mendicité où ces haillons renfermés ne verront plus jamais le soleil de la liberté, afin que tu n'aies plus jamais la pénible occasion d'apprendre ce qu'enseignent aux riches les haillons du pauvre. Voilà la bienfaisance du libéralisme!
  2. Après quinze mois écoulés, les échos de la Chambre législative retentissent encore des concerts et des dîners donnés à l'Hôtel-de-Ville par M. Marrast et ses joyeux compagnons; mais ces échos, devenus accusateurs, ne répètent plus que ce mot : « Qui paiera?. qui paiera?. qui paiera?. » — Ingrats ouvriers, ingrats cuisiniers, ingrats décorateurs, ingrats fournisseurs, n'êtes-vous trop payés par le grand honneur d'avoir été admis à adoucir un moment les soucis politiques des révolutionnaires, assez généreux pour se contenter de vos 45 centimes par franc !

Compléments iconographiques

Charles X
L'incendie de Hambourg de 1842
Louis-Philippe

Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. Rappelons que cette section est rédigée par la rédaction Wicri.
Dans le réseau Wicri :

La page de référence « Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier (1850) Méthivier/Chapitre VI » est sur le wiki Wicri/France.


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