Le Buffon choisi de Benjamin Rabier/Domestiques/Âne
L'âne
Cette page introduit le chapitre dédiée à l'âne dans la partie dédiée aux animaux domestiques du Buffon choisi de Benjamin Rabier.
Avant-propos de la rédaction
Le texte de cet article est essentiellement composé d'extraits de celui de Buffon dans le tome IV de l'Histoire naturelle.
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L'Âne
[11] Pourquoi donc tant de mépris pour cet animal si bon, si patient, si sobre, si utile ?
L'âne, abandonné à la grossièreté du dernier des valets, ou à la malice des enfants, ne peut que perdre par son éducation ; et s'il n'avait pas un grand fonds de bonnes qualités, il les perdrait, en effet, par la manière dont on le traite : il est le jouet des rustres qui le conduisent le bâton à la main, qui le frappent, le surchargent, l' excèdent, sans précaution, sans ménagement. Il est de son naturel humble, patient, tranquille; il souffre avec constance, et peut-être avec courage, les châtiments et les coups ; il est sobre et sur la quantité et sur la qualité de la nourriture ; il se contente des herbes les plus dures, les plus désagréables ; il est fort délicat sur l'eau, il ne veut boire que de la plus claire et aux ruisseaux qui lui sont connus.
Comme l'on ne prend pas la peine de l'étriller, il se roule souvent sur le gazon, sur les chardons, sur la fougère, et sans se soucier beaucoup de ce qu'on lui fait porter ; il se couche pour se rouler toutes les fois qu'il le peut, et semble par là reprocher à son maître le peu de soin qu'on prend de lui ; il craint de se mouiller les pieds, et se détourne pour éviter la boue ; il est susceptible d'éducation, et l'on en a vu d'assez bien dressés pour faire curiosité de spectacle.
Dans la première jeunesse, il est gai et même assez joli : il a de la légèreté et de la gentillesse; mais il la perd bientôt, soit par l'âge, soit par les mauvais traitements, et il devient lent, indocile et têtu; il a pour sa progéniture le plus fort attachement. Lorsqu'on sépare la mère de son petit, elle passe à travers les flammes pour aller le rejoindre; il s'attache aussi à son maître, quoiqu'il en soit ordinairement maltraité ; il le sent de loin et le distingue de tous les autres hommes ; il reconnaît aussi les lieux qu'il a coutume d'habiter, les chemins qu'il a fréquentés ; il a les yeux bons, l'odorat admirable, l'oreille excellente. Lorsqu'on le surcharge, il le marque en inclinant la tête et baissant les oreilles: lorsqu'on le tourmente trop, il ouvre la bouche et retire les lèvres d'une manière très désagréable, et qui lui donne l'air moqueur et dérisoire. Il marche, il trotte et il galope, mais tous ses mouvements sont petits et lents ; quoiqu'il puisse d'abord courir avec assez de vitesse, il ne peut fournir qu'une petite carrière pendant un petit espace de temps ; et quelque allure qu'il prenne, si on le presse, il est bientôt rendu.
L'âne brait, ce oui se fait par un grand cri très long, très désagréable L'ânesse a la voix plus claire et plus perçante.
L'âne, qui comme le cheval est trois ou quatre ans à croître, vit aussi comme lui vingt-cinq ou trente ans. Il dort moins que les chevaux, et ne se couche pour dormir que quand il est excédé.
Il y a parmi les ânes différentes races comme parmi les chevaux, mais que l'on connaît moins, parce qu'on ne les a ni soignés ni suivis avec la même attention : seulement on ne peut guère douter que tous ne soient originaires des climats chauds Comme la peau de l'âne est très dure et très élastique, on l'emploie utilement ; on en fait des cribles, des tambours et de très bons souliers ; on en fait du gros parchemin pour les tablettes de poche, que l'on enduit d'une couche légère de plâtre ; c'est aussi avec le cuir de l'âne que les Orientaux font le sagri, que nous appelons chagrin.
L'âne est peut-être de tous les animaux celui qui, relativement à son volume, peut porter les plus grands poids; et comme il ne coûte presque rien à nourrir, et qu'il ne demande, pour ainsi dire, aucun soin, il est d'une grande utilité à la campagne, au moulin, etc.
Il peut aussi servir de monture; toutes ses allures sont douces, et il bronche moins que le cheval ; on le met souvent à la charrue dans les pays où le terrain est léger, et son fumier est un excellent engrais pour les terres fortes et humides.