Buffon illustré de la jeunesse - 1893/Mammifères/Sauvages/Castor
Le castor
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Le castor
Cet animal industrieux est remarquable par ses formes
lourdes et ramassées, par son pelage bien fourni et d'un
roux marron par la membrane qui unit les doigts de ses
pieds de derrière par sa grande queue ovale, aplatie hori-
zontalement, couverte d'écaillés, qui lui sert à la fois de
gouvernail pour nager et de truelle pour maçonner.
Son corps a environ un mètre de long sur trente cen-
timètres de haut. Il relie les quadrupèdes aux poissons,
comme la chauve-souris les quadrupèdes aux oiseaux.
C'est surtout dans les vastes déserts de l'Amérique
septentrionale que les castors peuvent encore, malgré la
chasse qu'on leur fait, se réunir en grandes sociétés et
établir leurs merveilleuses constructions.
Vers le mois de juin, ils arrivent au nombre de deux ou
trois cents, et s'arrêtent au bord des eaux. Si ce sont des
eaux plates, et qui se soutiennent à la même hauteur
comme dans un lac, ils se dispensent d'y construire une
digue mais dans les eaux courantes, et qui sont sujettes à
hausser ou baisser, ils établissent une chaussée, et, par
cette retenue, ils forment une espèce d'étang ou de pièce
d'eau qui se soutient toujours à la même hauteur. La
chaussée traverse la rivière comme une écluse, et va d'un
bord à l'autre elle a souvent vingt ou vingt-cinq mètres
de longueur sur trois ou quatre mètres d'épaisseur à sa
base. L'endroit de la rivière où ils établissent cette digue
est ordinairement peu profond; s'il se trouve sur le bord
un gros arbre qui puisse tomber dans l'eau, ils com-
mencent par pour en faire la pièce principale de
leur construction. Cet arbre est souvent plus gros que le
corps d'un homme; ils le scient, ils le rongent au pied,
et, sans autre instrument que leurs quatre dents inci-
sives, ils le coupent en assez peu de temps, et le font
tomber du côté qu'il leur plaît, c'est-à-dire en travers sur
la rivière; ensuite ils coupent les branches de la cime
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de cet arbre tombé, pour lu mettre de niveau et le faire
porter partout également. Ces opérations se font en com-
mun plusieurs castors rongent ensemble le pied de
l'arbre pour l'abattre plusieurs aussi vont ensemble
en couper les branches lorsqu'il est abattu ils les
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dépècent et les scient à une certaine hauteur pour en
faire des pieux ils amènent ces pièces de bois, d'abord
par terre jusqu'au bord de la rivière et ensuite par eau
jusqu'au lieu de leur construction ils en font une es-
pèce de pilotis serré qu'ils renforcent encore en entre-
laçant des branches entre les pieux. Les uns, avec les
dents, élèvent le gros bout contre le bord de la rivière,
ou contre l'arbre qui la traverse d'autres plongent en
même temps jusqu'au fond de l'eau pour y creuser avec
les pieds de devant un trou, dans lequel ils font entrer
la pointe du pieu, afin qu'il puisse se tenir debout. A
mesure que ceux-là plantent ainsi leurs pieux, ceux-ci
vont chercher de la terre, qu'ils gâchent avec leurs pieds
et battent avec leur queue ils la portent dans leur
gueule, et, avec les pieds de devant, ils en transportent
une si grande quantité qu'ils en remplissent tous les
intervalles de leur pilotis. Ce pilotis est composé de
plusieurs rangs de pieux, tous égaux en hauteur, et tous
plantés les uns contre les autres il s'étend d'un bord à
l'autre de la rivière, il a non seulement toute l'étendue,
toute la solidité nécessaire, mais encore la forme la plus
convenable pour retenir l'eau, l'empêcher de passer, en
soutenir le poids et en rompre les efforts.
Leurs habitations sont des cabanes ou plutôt des espèces
de maisonnettes bâties dans l'eau sur un pilotis plein, tout
près du bord de leur étang, avec deux issues, l'une pour
aller à terre, l'autre pour se jeter à l'eau. La forme de
cet édifice est presque toujours ovale ou ronde. Il y en a
de plus grands et de plus petits, il s'en trouve aussi quel-
quefois qui sont à deux ou trois étages l'édifice est ma-
conné avec solidité, et enduit avec propreté eu dehors et
en dedans il est impénétrable à l'eau des pluies, et ré-
siste aux vents les plus impétueux les parois en sont
revêtues d'une espèce de stuc si bien gâché et si propre-
ment appliqué, qu il semble que la main de l'homme y ait
passé; aussi leur queue leur sert-elle de truelle pour ap-
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pliquer ce mortier qu'ils gâchent avec leurs pieds. Cette
queue, longue de trente-cinq centimètres, est une vraie
portion de poisson attachée au corps d'un quadrupède;
elle est entièrement recouverte d'écailles et d'une peau
toute semblable à celle des gros poissons. C'est dans l'eau
et près de leurs habitations qu'ils établissent leur
magasin chaque cabane a le sien, proportionné au
nombre de ses habitants, qui y ont tous un droit commun.
On a vu des bourgades composées de vingt ou de vingt-
cinq cabanes quelques-unes contiennent jusqu'à trente
castors. Quelque nombreuse que soit cette société, la
paix s'y maintient sans altération.
C'est principalement en hiver que les chasseurs les cherchent, parce que leur fourrure n'est parfaitement bonne que dans cette saison; et lorsque, après avoir ruiné leurs établissements, il arrive qu'ils en prennent un grand nombre, la société trop détruite ne se rétablit point; le petit nombre de ceux qui ont échappé à la mort ou à la captivité se disperse ils deviennent fuyards leur génie, flétri par la crainte, ne s'épanouit plus; ils s'enfouissent, eux et tous leurs talents, dans un terrier. Les castors habitent de préférence près des eaux dou- ces cependant il s'en trouve au bord de la mer. La four- rure du castor est encore plus belle et plus fournie que celle de la loutre.
La chair du castor, quoique grasse et délicate, a tou- jours un goût amer assez désagréable. Ses dents sont très dures et si tranchantes qu'elles servent de couteaux aux sauvages, pour couper, creuser et polir les bois. Ces sauvages s'habillent de peaux de castors, et les portent en hiver le poil contre l;v chair.