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H2PTM (2009) Perény

De H2PTM

L'avatar en ligne : une passerelle heuristique entre hypermédias et cybermédias

The online avatar: a heuristic bridge between hypermedia and cybermedia


 
 

 
H2PTM'09 Paris
Titre
L'avatar en ligne : une passerelle heuristique entre hypermédias et cybermédias. The online avatar: a heuristic bridge between hypermedia and cybermedia
Auteurs
Étienne Perény, Étienne Armand Amato
Affiliations
Paragraphe Paris 8, E349, Université Paris 8 (Île-de-France, France)
  • pereny@univ-paris8.fr
  • eamato@gmail.com
Dans
actes du colloque H2PTM 2009 Paris
publié dans H²PTM09 : Rétrospective et perspective 1989 - 2009
Résumé
Depuis le milieu des années 90, la notion d'avatar s'est répandue jusqu'à devenir aujourd'hui ce mot fourre-tout synonyme aussi bien de profils, de personnage joué, de pseudos, de double numérique, d'alias ou de corps virtuels. Peut-on avoir une approche raisonnée d'un phénomène à ce point polymorphe ? Quels paradigmes sous-tendent et organisent cette évidence partagée, si peu questionnée ? Cet article a pour ambition de montrer en quoi la notion d'avatar, à condition qu'elle soit circonstanciée, fournit un puissant outil conceptuel et heuristique. En effet, il permet d'expliciter les convergences et les divergences à l'œuvre entre les environnements hypermédiatiques – ces agrégats de médias hyperliés - et les mondes cybermédiatiques - ces simulatons d'univers homogènes, dont les jeux vidéo en ligne sont emblématiques. Une généalogie de l'avatar éclairera leurs logiques respectives pour proposer un tableau synoptique distribuant et organisant en polarités les fondamentaux des hypermédias et des cybermédias. Au centre, la place de l'avatar pemettra de bien saisir de quelle façon il révèle et concrétise des techno-logiques et des pragmatiques différenciées, complémentaires et non-exclusives l'une de l'autre.
Mots-clés 
Avatar, Hypermédia, Cybermédia, Généalogie technique, Réseau, Jeux vidéo, Cybernétique.

Contextualisation et hypothèse

Depuis plus de vingt ans, les technologies de l'information et de la communication conduisent les individus connectés à se fabriquer de multiples identités ad hoc pour utiliser une palette de services de plus en plus large. Selon les cas, elles sont appelées profil, pseudo, alias, personnage joué, avatar, double, voire réplique ou clone. Venu du secteur des jeux vidéo et univers en réseau, au fil du temps, l'un de ses termes, le mot fourre-tout d'avatar, s'est répandu à partir d'une métaphore d’origine religieuse insistant sur l'idée d'incarnation et de personnification au sein d’un autre monde, ici celle du dieu Vishnu venu sur terre.

Notre hypothèse, appuyée sur des travaux théoriques et empiriques récents, est que la notion d'avatar peut constituer une passerelle heuristique mettant en évidence des fondamentaux techno-sociaux. Ceux-ci expliquent les similitudes et les différences entre environnements hypermédiatiques – ces agglomérats de médias hyperliés - et mondes cybermédiatiques - ces simulations d'univers homogènes. Loin de chercher à fonder des clivages et des oppositions exclusives, le propos vise à spécifier deux polarités complémentaires mais parfois co-existantes, à savoir la dominante hyper et cyber, qui apparaissent plus distinctement depuis qu'un vaste milieu réticulaire, le réseau des Réseaux, les a englobées et mises en synergie.

Pour y parvenir, nous livrons les résultats d'investigations techno-généalogiques fidèles au parti-pris simondonien. Ce dernier pose que l'évolution d'un objet technique va d'un schématisme originel à une concrétisation intégrée, de sorte que la compréhension radicale des principes essentiels à l'œuvre s'en trouve facilitée au départ, lors de l'émergence, car encore à nu et en germe. C'est par là que nous avons commencé, en rapatriant « à travers une relecture généalogique le jeu vidéo au cœur de l'histoire de l'informatique interactive moderne » « grâce à une image interactive » (c) constitutive de la relation vidéoludique (AMA 08 b). Puis, en remontant encore la lignée de l'informatique interactive à son moment d'hybridation des lignées de télé-visualisation et du traitement de l'information, nous avons désigné « son origine du côté du Radar, des simulateurs de vol et de la Cybernétique. » (PER 08). La thèse d'Etienne Armand Amato (AMA 08 a) a éclairé aussi sous « un jour nouveau le rapport à l'image interactive ainsi que la nature cybermédiatique du jeu vidéo » et a étudié son « mode de fréquentation » en explicitant la « notion d'instanciation ». Et plus récemment, Etienne Perény (PER 09) vient de montrer que le jeu vidéo constitue « un dispositif amplifié » par « la concrétisation de l'image interactive », concrétisation achevée par l'arrivée à maturité de la sphère vidéoludique, puis par son « intégration au Réseau ». Le présent article renvoie à ces publications tout en recontextualisant les résultats de recherche, qui seront ici focalisés sur l’avatar et ses polarités hyper et cyber. Nous restons évidemment fidèle à une démarche transversale caractéristique de la première ou de la seconde Cybernétique et de la Systémique, dont nous emprunterons les notions de couplage, de bouclage, de co-évolution et plus largement le principe heuristique de modélisation. Pour ses vertus analytiques concernant l'activité même de modélisation, la distinction entre syntaxe et sémantique, exposée par Badiou dans son « Concept de modèle » (BAD 69: 24), nous a servi à discerner, d'un coté, les « exigences formelles syntaxiques » du modèle et, de l'autre, les « règles de correspondance » signifiantes qui relèvent de la « sémantique » et de « l'interprétation » d'un système.

Généalogie d'une notion générique

L'expansion d'un terme commode

Voici les étapes repérables et généralement admises de la diffusion du terme avatar. En 1986, le jeu 2D en réseau Habitat inaugure son actuel sens technologique pour désigner le petit personnage représentant à l'image un utilisateur en mesure d'interagir par son biais avec l'environnement et ses semblables. Par la suite, en 1992, le récit de science-fiction Snow Crash de Neal Stephenson développe une vision futuriste où les individus bénéficient d’un corps de substitution pour s’incarner dans un cyberespace tridimensionnel baptisé « métaverse ». 10 ans après Habitat, le congrès annuel « Earth to Avatar » impulsé par des universitaires américains soutenus par les industriels de l'informatique met en avant l'avatar comme « véhicule de communication » ([DAM 97]). Il fédère des réflexions et innovations portant sur les univers simulés en VRML , les chats 2D ou 3D, avec comme point commun un utilisateur figuré par une icône animée ou fixe, d'où l'extension du terme à propos de l'imagette valant portrait dans les forums ou les profils Web. Au tournant du millénaire, l'intérêt des médias de masse pour un Internet en pleine expansion grand public insiste sur la versatilité de la représentation de l'internaute, qui peut choisir à sa guise sa photo d'identité sur sa messagerie instantanée ou sur un forum comme son corps d'emprunt dans un monde 3D. La nature transculturelle d'un mot d'origine Hindou déjà partout en vigueur favorise son adoption mondiale. En France, Avatar Studio une petite application gratuite sert à créer son personnage qui habitera le Deuxième Monde (Canal + 1997), ce qui contribue à ancrer l'idée que l'avatar est un humain, sorte de pantin expressif et personnalisable dont le propriétaire serait le marionnettiste . En parallèle, le concept d'avatar se généralise, au point de favoriser une relecture rétrospective des jeux vidéo mettant sur un même plan personnages fabriqués par l'utilisateur et héros « prêt-à-jouer » en tout genre, y compris les premiers vaisseaux ou véhicules pilotés (REH 03). Même en informatique, un courant envisage la flèche de pointage des systèmes interactifs comme avatar parce qu'il s'agit d'une interface. Sur le Web, des utilisateurs avancées désignent certains de leurs profils personnels en ligne comme étant leur avatar, du fait qu'ils jouent de leurs identités multiples plus ou moins distanciées ou fictives . Qui le souhaite peut en effet se réinventer en auto-fictions grâce au règne du « pseudonymat », cet anonymat relatif basé sur l'usage d'un nom arbitraire. Au final, sur un réseau social comme FaceBook, l'avatar finit par désigner aussi bien l'imagette illustrant l'utilisateur, car c'est ainsi que la nomme forum et site, que le profil en entier, en cas d'écart entre identité réelle et représentée. Un autre sens est apparu qui concerne le détournement d'une identité officielle par un jeu réglé introduit au sein d'un réseau social, lequel la transforme en identité officieuse correspondant à un nouveau rôle ludique (devenir vampire, gangster, etc.), pour octroyer à l'utilisateur une vie seconde dans une dimension fictionnelle partagée.

La modélisation d'identité et d'existence et son informatisation

Ce n'est pas un hasard si Habitat se saisit d'un terme déjà présent dans le domaine de l'informatique ludique. Alors qu'en 1985, le jeu vidéo sur Apple II de Richard Garriot, Ultima IV : Quest of the Avatar, propulsait son joueur dans une aventure spirituelle le métamorphosant moralement, bien en amont, notre recherche a identifié un filon ténu mais significatif. Il s'agit du jeu de rôle informatique et textuel Avatar développé sur le réseau éducatif et expérimental PLATO de 1977 à 1979. Au même titre que les Multi-User Donjon (MUD), il reprenait à son compte les principes innovants du jeu de rôle sur table Dungeons & Dragons mis au point par Gary Gygax en 1974 : le personnage que chaque joueur interprète est décrit et formalisé par une fiche d'identité qui le caractérise tant physiquement que psychologiquement à l'aide de valeurs chiffrées, donc calculables. Pour faire évoluer leur héros dans le monde fictionnel de façon crédible, les joueurs mettent cette modélisation d'existence en rapport avec tous paramètres contextuels jugés pertinents. L'issue des initiatives prises est déterminée en mobilisant des formules mathématiques et des tableaux de valeurs. De là, l'informatisation s'appuiera sur cette description quantifiée du personnage joué et implémentera ces règles d'interaction. Un point complémentaire, rarement noté, est que dans la version analogique du jeu de rôle, des figurines de plomb posées sur une carte peuvent matérialiser la position des aventuriers par rapport au décor et aux ennemis en fonction des événements. D'ores et déjà, dans ce contexte ludique particulier, deux formes de l'avatar sont à l'œuvre car le héros joué est doublement représenté : alphanumériquement par une structure de données modélisant l'identité (la fiche de profil imprimée du personnage) et iconiquement par une figurine matérielle, en plomb, censée avoir une existence par elle-même et occuper une place signifiante dans un environnement (le plan des lieux).

Les polarités hyper et cyber de l'avatar

Par comparaison avec les derniers développements en vigueur sur le Réseau, un tracé direct de cette filiation depuis ses origines méconnues aboutit d'un côté aux pages de profil d'un FaceBook, d'un Meetic d'un Youtube ou encore d'une boutique en ligne, de l'autre, aux créatures digitales d'un World of Warcraft ou d'un Second Life.

A la fiche de personnage correspond maintenant un ensemble d'informations et de médias agrégés par des hyperdocuments Web, résultant d'un modèle identitaire fonctionnel implémenté en base de données relationnelle. Ces agrégats reflètent sous plusieurs facettes une personnalité. Elles sont consultables à des fins de mises en relation et de communication, car essentiellement, le propos est que ces identités formalisées se découvrent pour échanger entre elles des informations, ou encore des biens. Ces pages instaurent un régime de lisibilité. Elles déploient une surface d'affichage individuelle dans un contexte communautaire, sous le paradigme de l'hypertexte et de l'énonciation de soi invitant à se raconter et à imaginer la vie d'autrui à partir d'indices médiatiques variés. En tout état de cause, qu'il s'agisse de profils explicites - alimentés d'une façon déclarative -, de restitution d'actions faites, de comptabilisation ou de recoupements, l'utilisateur bénéficie d'une représentation de son identité, laquelle se prête à l'analyse par des méthodes quantitatives, en termes « d'identité déclarative, agissante et calculée » (GEO 09). C'est ce que nous évoquons sous le terme agrégats (a) de données. Le recoupement des données personnelles à l'insu de l'utilisateur, par des technologies de profilage, peut aussi donner lieu à une modélisation d'identité dissimulée, constituant en quelque sorte un avatar implicite (AMA 08 b) servant de base à une personnalisation des choix. Par exemple pour Amazon, de ce profilage, résultent des hyperliens faisant entrer en relation avec des marchandises suggérées, à l'instar des sites de rencontre évolués qui signalent des personnes « proches » de soi. Ces mécanismes font croire à la justesse d'une personnalisation intime et à une véritable simulation de nos désirs et intentions, qui cependant n'est qu'imaginaire et interprétative. Il en va de même pour les actions déléguées à des fonctionnalités, comme la gestion automatique des enchères sur e-Bay, ce qui montre que des ressorts bel et bien cybernétiques résident aussi en germe au cœur de logiques hypermédiatiques.

Dans la logique cybermédiatique, à la figurine et au plan du jeu de rôle sur table, correspond un simulacre global de monde mettant en scène des protagonistes dans un environnement cohérent où ils évoluent et interagissent. Pour insister sur son sens cybernétique et s'écarter des confusions et des négativités véhiculés par la notion de simulacre (d) - substitut réducteur du réel chez Baudrillard ou faire-semblant (mimicry) chez Caillois -, nous appelons ces protagonistes « simulats » (b), notion équivalente à « l'image opérante » de Wiener (WIE 60 (54) : 54). Pour nous, les simulats sont définis en tant qu'entités simulées plus ou moins autonomes. Ce sont des modélisations d'existence d'êtres ou de choses distincts, qui peuvent aller de l'avatar d'un sujet au sens strict, c'est-à-dire du « corps d'action » (AMA 08 a) permettant au joueur d'advenir dans un monde de synthèse, jusqu'aux éléments déterminants d'un contexte calculé (foule, vent, etc.), en passant par les agents dits intelligents (ennemis programmés, familiers, animaux ou servants). Leurs interactions entraînent leur co-évolution, en particulier celle de l'humain et de son avatar qui sont en interdépendance, chacun ayant besoin de l'autre pour subsister dans le monde en question. Relevons que l'humain pour paramétrer et personnaliser son avatar simulé a tout de même recours à un ensemble de panneaux de profils convocables à volonté qui font état de ses caractéristiques et possessions. Cette interface hypermédiatique communique avec l'avatar simulé, montrant là encore que le cyber et l'hyper sont bien des polarités non-exclusives l'une de l'autre.

Pour la caractériser, la logique hypermédiatique privilégie bien une personnalisation de l'individu de par un contenu documentaire (textuel, iconique, quantitatif, déclaratif, etc.). Elle construit une personnalité modélisée et proposée par le sujet lui-même, voire par le dispositif en cas de profilage automatique. Cette identification servira pour une mise en contact avec d'autres sujets, comme dans FaceBook, ou avec des objets comme sur Amazon. Ce type d'avatar réclame une actualisation, une alimentation en contenu, une activation régulière par son propriétaire (GEO 09). Il produit une illusion de simulation de vie ou d'action, qui repose sur une sémantique interprétative en rapport avec la finalité d'emploi (rencontre amoureuse, réseautage professionnel, Webjeu fictionnel, etc…) qui n'est qu'une projection fabriquée à partir d'un certain nombre de traits jugés fonctionnels.

En fait c'est le comportement, au sens large, de tout utilisateur qui est inscrit, tracé, mémorisé et objet de calcul pour pouvoir présenter à chacun un état ou un choix. La polarité techno-logique hyper de l'avatar se caractérise par une action qui est essentiellement individuelle et asynchrone et qui privilégie la commutation, c'est-à-dire la mise en liaison, en correspondance, des sujets et des objets par des représentations interposées et leur tenant lieu. Dans cette logique, souvent exclusivement basée sur le paradigme de l'hypertexte, la composante computationnelle et cyber existe rarement et demeure alors locale et au second plan, car assujettie à la dominance globale de « l'empire des réseaux » (GUI 99) qui est par essence commutationnelle.

Quant à la logique cybermédiatique, elle se caractérise par une possibilité d'action collective synchrone qui privilégie le couplage généralisé et une communication fondée sur la collaboration et la transaction entre sujets et objets. Son analyse est bien plus délicate qu'une analyse quantitative classique de l'identité et de la représentation (GEO 07), car pour le sujet, il est question d'identification et d'investissement de sa corporéité (e), au sens d'instanciation simultanée du corps et du dispositif (AMA 09 a). Pour l'évaluer, il s'agit d'examiner l'avatar en termes de degré de dédoublement, d'autonomie, de docilité, de personnalisation, sans ignorer la qualité du couplage et du bouclage entre humain et image interactive, entre avatars collaborant et entre le duo avatar/humain et le cybermonde fréquenté.

Ici, la modélisation devient complexe, au calculable s'ajoute le comportemental, voire des phénomènes d'émergence, et s'ouvre la possibilité d'une modification dynamique du modèle. Mais en tout état de cause, ce qui semble spécifique à l'avatar cybernétique c'est cette potentialité d'expérimenter des comportements collaboratifs en contexte de présence à distance (WEI 99), de participer à une « société de l'esprit » et cela non pas comme l'envisage Minsky ou les tenants de l'hypothèse forte de l'Intelligence Artificielle en invoquant l'esprit dans la machine, mais en tant qu'humains digitalement incarnés participant d'un esprit collectif, de par la symbiose entre humains et ordinateurs en réseau fabriquant conjointement une réalité artificielle, les premiers subjectivement et pragmatiquement, les seconds objectivement et technologiquement.

Fondamentaux techno-sociaux de l'hyper au cyber

Pour donner une grille de lecture et de compréhension immédiate des dispositifs interactifs en réseau, nous convoquerons, au niveau sémantique, des notions théoriques largement partagées, comme la commutation ou la computation, puis l'augmentation d'Engelbart et la symbiose de Licklider, ou d'autres encore relevant même du sens commun comme représentation et simulation. Les lettres entre parenthèses renvoient à la partie du texte où des notions comme agrégat, simulat ou corporéité sont définies, où image interactive et simulacres sont contextualisés. A un niveau syntaxique, seront positionnées les implémentations machiniques et les « instanciations » dans l'objet technique et le virtuel qui sont des attributs ou productions du sujet - au sens de leur actualisation et modalité d'investissement. Le tout est en mis en regard du régime spatio-temporel qui conditionne le dédoublement de l'objet et du sujet entre réel et virtuel avec une suite de caractérisations renvoyant au sens commun.

Fondamentaux Hypermédias Avatar hyper Avatar cyber Cybermédias
Techno-logiques Commutation

Représentation

Agrégat (a) Simulat (b) Computation

Simulation

Paradigmes Hypertexte

Augmentation

Communication Co-évolution Image interactive (c)

Symbiose

Implémentation Formules mathématiques

Modèles relationnels

Identité Existence Modèles comportementaux

Simulacres (d)

Instanciation Contenu

Narrations

Reflet Double Corporéités (e)

Vécus

Spatio-temporalité Atopie

Hyperespace

Achronie

Extériorité

Instantanéité

Temps séquentiel

Téléprésence

Synchronicité

Temps réel

Utopie

Cyberespace

Uchronie

Fig 1. Tableau synoptique des fondamentaux techno-sociaux hyper et cyber


Dans la polarité hyper, l'ensemble des hyperdocuments et hyperliens du Web structure un espace fragmenté, c'est-à-dire un hyperespace qui est parcouru nœud à nœud, et non d'une façon continue comme le font croire les métaphores de la navigation ou du surf, dont le mérite est justement de combler et de masquer ce caractère saccadé et discontinu d'un parcours dépourvu de fluidité. Si on adopte un référentiel mobile et subjectif, l'internaute bondit de lieux en lieux, quitte un espace autarcique, une page, pour atterrir sur un autre ilot de sens au gré des indices qu'il a su repérer (ou susciter en cas de requête sur un moteur de recherche) pour aller vers une information supplémentaire ou connexe. Dans l'ensemble, malgré toutes les cartographies cherchant à unifier ou clarifier sa structure, le Web constitue un environnement atopique et achronique, c'est-à-dire dénué de spatialité globale et de temporalité homogène, ce qui explique qu'il suscite un mode de fréquentation davantage fondé sur le butinage que sur la navigation, sur le zappage que sur le cheminement, bref, un mode principalement basé sur une forme de téléportation faisant voyager l'internaute parmi des espaces documentaires hétérogènes à la façon du fameux saut hyperspatial. Il instaure un principe d'idéalité et suppose un sujet désincarné capable d'invoquer documents et liens pour tisser sa toile imaginaire.

Par contraste avec ce qui précède, un cybermédia génère et ordonne un univers homogène, à la spatio-temporalité cohérente et continue, dont une vue est donnée à percevoir à travers une image figurative. Les jeux vidéo, les métaverses et les chats tridimensionnels en fournissent des exemples typiques. Le préfixe cyber renvoie à la présence d'un ensemble de modèles dynamiques automatiquement mis en œuvre par le logiciel. En tant que simulation interactive propulsée par le couplage de moteurs physiques, graphiques et comportementaux, un cybermédia (re)produit un milieu complexe en temps réel, construisant ainsi l'illusion d'avoir affaire à une réalité à part entière. Il constitue de la sorte un modèle syntaxique formel élaborant un espace utopique concrétisé (un lieu imaginaire rendu visible et transformable) mais aussi uchronique (un temps autonome et déconnecté du nôtre offrant la possibilité de la répétition, du recommencement, voire une opportunité d'existence dans une temporalité parallèle, ce qui est le cas avec les univers persistants). Il instaure un principe de quasi-réalité et une pesanteur convoquant un sujet charnel artificiellement ré-incarné, couplé avec sa machine de vision, son avatar et ce cybermonde où vivre.

Il convient de préciser que ce tableau synoptique tire profit des réévalutions actuelles de la cybernétique dont témoigne un certain nombre d'ouvrages comme ceux de Ségal ou de Triclot. Un retour distancié et porté par des philosophes et des historiens des sciences est particulièrement bienvenu après des temps de surenchère entre technophiles et technophobes, entre dithyrambes et critiques et les idéologues toujours prêts à instrumentaliser la cybernétique à leur profit. Il devra être remis dans un contexte plus fondamental socio-politique de la technique dans un autre cadre que cet article de résultat, pour cerner le lien techno-social et les rapports de l'Homme et de la Technique. Ces travaux historiques et épistémologiques remobilisent notre attention sur l'importance et la radicale nouveauté de ce « moment cybernétique » (TRI 08) originel, quand se constitue non seulement la « notion scientifique d'information » (SEG 03) mais que nait aussi l'ordinateur. Ils citent Norbert Wiener qui, affirmant que « l'information n'est pas de la matière, ni de l'énergie, mais de l'information », instituait un troisième terme à égalité, échappant ainsi au dualisme cartésien corps/esprit et à la logique aristotélicienne du tiers exclu. Et quelques cinquante ans après, qu'y a-t-il de plus admis et de plus banal que notre avatar, créature artificielle du quotidien, loin des peurs et des espoirs du Golem ? L'avatar comme être purement informationnel, ce double à l'image de l'homme (BRE 99), répond dans les faits et par l'expérience à la question piège qui contribua au rapide déclin de la cybernétique, celle de la différence et/ou de la similitude entre homme et machine, cerveau et ordinateur, vivant et artificiel.

L'actualité de cette cybernétique refoulée devenue technique omniprésente, c'est ainsi le dédoublement identitaire et existentiel - entre plan de réalité et plan de virtualité - non seulement du sujet en avatar, mais aussi de l'objet en réplique. Effectué en laboratoire dans les années quatre-vingt-dix, le passage du « modèle à la simulation informatique » (VAR 07) et à la visualisation assistée, se généralise. D'une manière parfaitement explosive et transversale à toutes les sciences, l'investigation et l'expérimentation deviennent virtuelles (TIS 01) et s'effectuent, comme pour un jeu vidéo, en regardant et en agissant sur une image et un écran.

Conclusions et perspectives de recherche

En partant de cette prolifération des identités et des existences, tout en poursuivant une démarche rétro-prospective, il nous a semblé opportun de bâtir un crible conceptuel et opérationnel aidant à distinguer entre complémentation, re-médiation et véritable hybridation. Nous espérons que ces résultats permettront de mieux penser les mondes à venir hyper ou cyber et ces prémices déjà à l'oeuvre. Par exemple, du cyber vers l'hyper, quantités d'images (vidéos, machinimas, photos), de sons et de textes (chats, récits) sont extraites des cybermédias (jeux vidéo et métaverses) pour constituer des ilots du Web, sorte de dépendances péri-mondaines. A l'inverse, des pans entiers des hypermédias peuvent servir de matériaux, voire de structure, à un cybermédia, comme dans des projets innovants qui réorganisent automatiquement tout un site Web, celui d'un journal en ligne par exemple, sous la forme d'un bâtiment 3D et de pièces à investir à l'aide de son avatar pour accéder « physiquement » aux médias. Mais c'est probablement leur hybridation, et ce qui va en résulter, des mondes à la fois hyper et cyber qui vont se superposer et interagir qui sera la vraie nouveauté. A la façon dont Google Map propose une approche à plat et immersive avec l'avatar déposable sur une carte devenue relevé navigable photographique, se dessinent de nouveaux espaces à la fois symbiotiques et augmentés, avec la carte devenant le territoire et inversement. La métaphore en est cette superposition de la ville numérique et de la ville réelle qui met en scène et en acte de nouvelles pratiques et responsabilités individuelles et collectives . Ce triple mouvement montre que des synergies, de longue date présentes mais auparavant peu perceptibles, se développent pour nous offrir des passerelles inattendues entre hypermédias et cybermédias, dans un contexte réticulaire qui permet leur interconnexion, voire leur couplage plus ou moins automatique et à n dimensions.

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