La grippe ou influenza (1908) André/Pronostic

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Pronostic


 
 

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Chapitre
Pronostic
Auteur
Gustave André
Extrait de
La grippe ou influenza (1908)
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Cette page introduit un chapitre de l'ouvrage La grippe ou influenza, rédigé en 1908 par Gustave André.

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Notes introductives

Le texte de Gustave André cite notamment deux personnages : Broussais et Bertillon.

Pronostic


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Voici la définition célèbre de Broussais :

« Grippe, invention des gens sans le sou et des médecins sans clients qui, n'ayant rien de mieux à faire, se sont amusés a créer ce farfadet. »

Ce mythe qui, pendant des siècles, a fait plusieurs fois le tour du monde, a pourtant produit un nombre incalculable de victimes.

La gravité de la grippe dépend de facteurs variés. Il est constant qu'au début de l'épidémie de 1889-1890, la maladie se montra d'une bénignité réelle. Mais, au bout de quelque temps, l'agent infectieux devenant de plus en plus virulent et l'affection elle-même se montrant rapidement envahissante, des complications diverses surgirent; des tares organiques, des infections anciennes qui paraissaient éteintes se réveillèrent tout à coup et la mortalité doubla, tripla même en très peu de temps.

Pourtant, cette mortalité excessive signalée par Peter, F. Widal, Gaillard, Bertillon, etc., ne se manifesta que vers la cinquantième semaine


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de l'année 1889, c'est-à-dire plus de trois semaines après le début de l'épidémie. Ainsi, Ch. Bouchard, dans son rapport sur les épidémies de 1889, déclare, avec documents à l'appui, que la léthalité, d'une manière générale, fut très faible. Dans les Ardennes, par exemple, il y eut, en moyenne, 1 décès sur 319 grippés ; dans la Seine-et-Marne, 1 sur 271. Pourtant, à la même époque, à Bar-le-Duc, la grippe, selon l'éminent rapporteur, augmenta d'un tiers la mortalité générale. Ce n'est, en effet, qu'à partir des premières semaines de l'année 1890 que la grippe devint meurtrière. Par un paradoxe inexplicable, la mortalité de la maladie, dans certains régiments, au début de la grande épidémie, fut relativement sévère (1 décès sur 160, en moyenne).

C'était par des complications thoraciques que la mort survenait (broncho-pneumonies, pleurésies purulentes). Faut-il faire intervenir, pour expliquer cette gravité, l'influence du froid, l'encombrement, l'alcoolisme ? Nous l'ignorons.

Doit-on invoquer les prédispositions individuelles, les réactions plus ou moins variables des sujets ? L'hypothèse est très admissible, en raison de la multiplicité des manifestations grippales, en raison des surprises extraordinaires auxquelles donne lieu cette affection protéiforme, à toxines diverses. Les associations microbiennes qui paraissent être la règle peuvent expliquer la diffusion



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des symptômes ainsi que leur singularité.

En face d'un grippé, le médecin devra se préoccuper tout d'abord de son état antérieur de santé, de ses prédispositions organiques, de ses habitudes d'hygiène et du fonctionnement plus ou moins troublé de certains de ses appareils.

Les principaux organes à surveiller sont le système nerveux, le tube digestif et le système circulatoire. C'est le cœur qui, à notre avis, doit être l'objet de la plus vivo sollicitude. Les troubles cardiaques et pulmonaires, comme nous l'avons vu, sont d'une fréquence extrême et peuvent acquérir une gravité exceptionnelle. D'après certains auteurs, notamment d'après le Dr Lyon, les cardioplégies et les bronchoplégies seraient imputables à la toxine propre de l'influenza, agissant sur le pneumogastrique. La convalescence est particulièrement insidieuse à ce point de vue. Une rechute peut parfois remettre en cause un myocarde déjà en état d'asthénie, altéré sourdement par une première atteinte, et, dans ces conditions, on peut voir éclater des phénomènes 1res graves, avec arythmie, assourdissement des bruits, menace d'asphyxie, etc.

Nous avons déjà parlé do la résistance remarquable présentée par les enfants ; la grippe infantile a presque toujours revêtu une forme bénigne et le nombre des victimes a été très faible. La raison en est en ce que l'enfant n'a pas do tares,


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et que, comme lo dit très bien Peter, les dépressions psychiques, morales et physiques, ne peuvent l'atteindre.

Par contre, les tuberculeux, les diabétiques, les artério-scléroseux, les brightiques, les cardiaques, les emphysémateux, les hépatiques ont payé un lourd tribut à la maladie. C'est qu'en effet, la grippe la plus légère donne parfois le dernier coup à des sujets chez qui tel ou tel organe est en état de méiopragie. Nous avons déjà parlé des ravages de la grippe signalés chez les blessés par Yerneuil et Jeannel, son influence néfaste aussi chez les nouvelles accouchées. Sans compter que l'affection, lorsqu'elle paraît avoir relativement épargné certains sujets, môme vigoureux, laisse des séquelles variées, notamment sur le myocarde et le système nerveux.

En consultant les excellents documents statistiques du Dr Bertillon, on peut préjuger de la mortalité de la grippe pendant les deux dernières semaines de 1889 et les deux premières semaines de 1890. Pourtant, cette maladie figure à peine parmi les causes des décès. Ce n'est pas, fait remarquer Peter, la faute du Dr Bertillon, qui est bien obligé d'accepter les diagnostics tels qu'on les lui donne. C'est à la rubrique des « Autres causes de mort ou des « Causes de morts inconnues » qu'il faut rechercher la mortalité due à la grippe. Pendant la cinquante et unième semaine


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do 1889, on trouve sous celte rubrique 254 décès; pendant la cinquante-deuxième, 459. Durant la première semaine de 1890, en pleine épidémie de grippe, le chiffre s'élève à 520. On ne peut raisonnablement attribuer cet excès de mortalité qu'à l'influenza. D'ailleurs, dans les semaines correspondantes des cinq années précédentes, la mortalité, de ce chef, est à peine indiquée! En consultant encore ces tableaux, on constate avec étonnement l'augmentation de la mortalité par les maladies du cœur, les bronchites, les pneumonies et la phtisie. Au lieu d'invoquer des influences météorologiques mystérieuses, n'est-il pas plus rationnel de songer à la grippe ? C'est ainsi que pendant la cinquante et unième semaine de 1889, il est mort 212 phtisiques, tandis que le chiffre moyen de la même semaine pour les cinq années précédentes est de 193. Pendant la cinquante-deuxième semaine de 1889, il est mort 421 phtisiques ; ce chiffre est presque le triple du chiffre moyen, et il est certain que c'est l'influenza qui doit être mise eh cause. Pendant la deuxième semaine dé 1890> la phtisie a fait 349 victimes, au lieu de 182, chiffre moyen de la même période des cinq années précédentes ; môme explication.

La même proportion se retrouve pour les bronchites, les cardiopathies et les affections cérébrales (hémorragie et ramollissement). La mortalité par bronchite chronique et par broncho-pneumonie a


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suivi la môme progression. Mais c'est la pneumonie qui fournit les chiffres les plus élevés.

C'est ainsi que, dans la première semaine do l'année 1890, le chiffre des décès par cette maladie a été de 505, au lieu de 86, chiffre moyen des cinq dernières années. Du 16 décembre 1889 au 31 janvier 1890, le chiffre total des décès, à Paris, a été de 12,500, au lieu de 7,458, nombre de la période correspondante des quatre années précédentes. Pourtant, les médecins de l'état civil ne mentionnent la grippe que dans 250 cas. Les statistiques officielles, dressées d'ailleurs avec la plus parfaite sincérité et dans un but certaine- ment humanitaire, sont donc des plus discuta- bles et leur optimisme inacceptable ne peut s'expliquer que par la crainte d'alarmer le public.

Le choléra, dont il est peut-être sage de dissimuler les ravages, est incontestablement moins meurtrier que la grippe épidémique.

En résumé, le pronostic de la grippe est plutôt grave.

Peter a pu avancer que

« la grippe, malthusienne sans pitié, balaye les non-valeurs sociales ».



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