La grippe ou influenza (1908) André/Diagnostic

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Diagnostic


 
 

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Chapitre
Diagnostic
Auteur
Gustave André
Extrait de
La grippe ou influenza (1908)
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Cette page introduit un chapitre de l'ouvrage La grippe ou influenza, rédigé en 1908 par Gustave André.

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Diagnostic


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En temps d'épidémie, on a une tendance irrésistible à qualifier de grippe, toute maladie aiguë


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qui débute ou toutes les recrudescences dos maladies chroniques. Il est certain que cette affection, lorsqu'elle règne dans une région, imprime à la constitution médicale tout entière un cachet bien spécial et imprégné toutes les maladies courantes, rhumatismo articulaire, fièvre typhoïde, pneumonies, entérites, etc., de nuances insolites, in- saisissables. En 1874 déjà, Bonnemaison, de Toulouse, décrivait une épidémie de pneumonie concomitante à la grippe. Il relevait, en dehors des caractères insolites de ces pneumonies, l'apparition dans les salles d'hôpital de l'érysipèle, de la fièvre puerpérale, de l'infection purulente. Il émettait les conclusions suivantes :

1° les grippes graves se compliquent de pneumonies;
2° quand ces phénomènes présentent un caractère commun de malignité, on trouve en même temps de la grippe.

En 1886, Ménétrier, nous l'avons déjà men- tionné, parle d'une épidémie de grippe où les pneumonies, particulièrement malignes, entraî- naient la mort en deux jours, avec des localisa- tions extra-pulmonaires multiples et des infec- tions complexes.

A l'époque où Bonnemaison et Ménétrier pu- bliaient leurs intéressantes observations, le terme de grippe était peu défmi et était assez générale- ment considéré comme synonyme de fièvre catar- rhale. L'explosion de l'épidémie de 1889-1890


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remit en honneur le mot d'influenza ot fit créer l'expression de grippe nostras. La découverte du cocco-bacillo par Pfeiffer fut considérée comme devant entraîner entre ces deux affections une réelle différence de nature. Nous avons discuté, dans les premiers chapitres de ce travail, les ar- guments favorables ou défavorables à cette opi- nion. Mais nous tenons à faire remarquer qu'après l'épidémie planétaire de 1890, l'ancienne fièvre catarrhalede l'École de Montpellier ne perdit pas ses droits et refit ses apparitions accoutumées, faisant songer inévitablement à la grippe infec- tieuse et provoquant ainsi, dans la pratique, une confusion qui n'est pas encore dissipée. En vue d'élucider ce problèmo, peut-on assi- miler Yinfluenza nostras au choléra nostras, la pre- mière étant à la grippe vraie ce que le second est au choléra asiatique? La question est loin d'être tranchée et, il faut bien le dire, l'opinion uni- ciste de Fûster rallie depuis quelque temps de nombreux partisans. Les habitants de l'Ile Saint- Kilda, d'après Gray, ceux des lies Féroô, d'après Panum, ont tous les ans l'influenza, deux ou trois jours après l'arrivée des bateaux. Dans ce cas, il faut bien conclure que les voyageurs sont porteurs, soit sur leurs vêtements, soit sur cer- taines muqueuses, de'microbes dont la virulence, en apparence éteinte, devient réelle pour les insulaires; mais, est-ce à dire qu'il s'agit de la



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grippe-influonza, et ne peut-on penser à la grippo saisonnière banale? Il paraît prouvé quo cette dernière est aussi contagieuse que la pre- mière.

Supposons qu!une épidémie d'influenza, avec ses caractères infectieux bien connus, ait fait des ravages dans une région donnéo, pendant les mois d'hiver. L'hiver suivant, la maladie paraît renaître, et la question se poso do savoir s'il s'agit de la même constitution médicale ; la cli- nique possède-tellodes données suffisantes pour se prononcer d'une façon précise ?• En d'autres termes, la grippe épidémiquea-t-ello des stigmates qui puissent dénoncer son individualité? Nous le pensons, et nous considérons, comme tels, la céphalée, ia rachialgie, les douleurs musculaires, l'asthénie physique et morale, c'est-à-dire les trou- bles de neurasthénie suraiguë qui éclatent au début de l'influenza. Souvent, l'affection est réduite à ces troubles de congestion cérébro-spinale, en l'absence de tout catarrhe des voies respiratoires. En tout cas, il n'existe guèredans la fièvre catar- rhale de troubles aussi accentués et, dans les petites épidémies de famille, tout se borne parfois à un peu de coryza et de trachéite.

Dans certains cas, lorsque la rachialgio est vio- lente, avec fièvre vive, que la céphalalgie sac- compagne de vomissements, on peut songer au début d'une variole, surtout lorsque surgit une



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éruption ressemblant à un rash scarlatiniforme. C'est ainsi que le Dr Renault a pu avoir quelques hésitations, naguère, dans son service des vario- leux d'Aubervilliers.

Chez les enfants, le catarrhe oculo-nasal, la toux, la rougeur de la gorge, peuvent faire penser à la rougeole, et Huchard avoue qu'il a été tenu en échec par ces symptômes chez un enfant de sept mois. L'embarras serait extrême si à ces symptômes d'invasion venait s'associer un rash morbilliforme.

Une angine intense et un érythôme plus ou moins diffus chez un grippé donnent l'impression d'une scarlatine, surtout lorsque la fièvre d'inva- sion est violente. .L'hésitation ne peut être de longue durée, car, dans la scarlatine, comme dans la rougeole, l'éruption est caractéristique, tandis que celles de la grippe tranchent toujours par quelque caractère insolite rappelant la rubéole, la roséole fébrile ou le pityriasis.

Nous savons que les douleurs musculaires et articulaires existent fréquemment dans la grippe, si bien qu'on admettait jadis une forme rhumatis- male; on peut donc parfois hésiter et croire à l'apparition d'un rhumatisme articulaire aigu.

Mais l'incertitude est de courte durée. Le rhumatisme de Bouillaud se caractérise par une fluxion subite disparaissant d'ordinaire très ra- pidement. Sans parler des complications car-



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diaques qu'on peut retrouver dans le pseudo- rhumatisme grippal, les sueurs abondantes avec sudamina sont plutôt le propre du rhumatisme articulaire vrai, Dans l'influenza, les détermina- tions articulaires sont peu nombreuses et tendent parfois à la suppuration. Comme complications, on peut voir surgir une pôricardite purulente, une méningite. Le pseudo-rhumatisme grippal fait partie des arthropathies survenant dans les maladies infectieuses à microbes pyogènes. Lors- qu'elles apparaissent dans la grippe, c'est que, très probablement, celle-ci .s'est compliquée de quelque infection surajoutée duo au streptocoque ou au staphylocoque. Les douleurs articulaires du rhumatisme articulaire aigu peuvent, dès le dé- but, quand elles sont prémonitoires, vagues et sans fluxion apparente, faire songer aux arthral- gies grippales, mais l'évolution des symptômes ne tarde pas à'dissiper toute incertitude.

Nous avons déjà étudié la grippe à forme typhoïde, lorsqu'il se produit un embarras gas- trique infectieux, des épistaxis, de la diarrhée, de la prostration, etc.; la recherche du séro- diagnostic peut aujourd'hui permettre d'établir un diagnostic certain au bout de quelques jours.

Les infections paratyphoïdiques, dont la réalité ne peut plus faire de doute depuis les recherches expérimentales et cliniques de Widal et Nobé- court, Achard, Beurande, etc., devront désormais


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entrer en ligne de compte dans le diagnostic dif- férentiel de la grippe. On sait que le bacille de Gaertner et que celui du type B so rencontrent plus fréquemment que celui du type A. Dans les laboratoires, il n'est pas difficile de les différen- cier grâce à des procédés variés : fermentation des sucres, production de l'indol, affinité de ces divers bacilles vis-à-vis de certaines sensibilisa- trices, etc. L'Eberth, le coli-bacille, les paratyphi- ques peuvent être ainsi assez aisément déter- minés; Les microbes paratyphiques sont des micro-organismes intermédiaires entre le bacille d'Eberth et les coli-bacilles. Dans une épidémie de grippe, une infection paratyphoïdique pour- rait très bien passer inaperçue. En se basant sur les phénomènes de catarrhe laryngo-bronchi- que, la courbe spéciale de la grippe, l'asthé- nie, etc., on a déjà des points de repère précieux. Reste à préciser s'il n'existe pas une infection paratyphoïdique associée à l'influenza. On aura égard aux éléments suivants : cpurte durée de la fièvre paratyphoïde, deux semaines environ ; pé- riode prodromique très courte, terminaison de la fièvre parlysis rapide. Il se produit parfois de nombreuses taches rosées, mais ne se localisant pas toujours à l'abdomen et au thorax ; là diar- rhée purée de pois est rare. Dans quelques cas, la maladie évolue avec les allures d'une septicé- mie ou d'une pyohémie localisée (pyélonéphrite,



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thyrôïdite, cholécyStite). Sacquepée et Chevrel ont vu la maladie para typhoïde éclore avec un début brusque, aVec céphalalgie, douleur de la nuque, rachialgie, absolument comme dans cer- tains cas de grippe.

Comme on le voit, le diagnostic n'est pas sans présenter de sérieuses difficultés.

La typho-bacillose ou grahulie proprement dite peut présenter; pendant une semaine et plus, des symptômes assez modérés pour qu'on puisse son- ger à la grippe; on sait que, plus tard, c'est sur- tout avec la fièvre typhoïde que les ressem- blances s'accentuent. Comme dans l'influenza, nous trouvons dans la période d'invasion de la granulie, des rémissions passagères, avec une courbe thermique irrégulière. Mais le catarrhe nasal et trachéal n'ouvre pas la scène dans cette infection bacillaire. On peut déjà, par quel- ques nuances cliniques, songer à cette affection ; c'est ainsi que l'accélération des mouvements respiratoires et l'amaigrissement rapide, alors que l'auscultation ne révèle que des symptômes insignifiants, plaident plutôt en faveur de la typho-bacillose. Dans la période d'état, on agite surtout la question de la dothiénentérie et on peut avoir recours au séro-diagnostic. Mais alors, les difficultés peuvent recommencer et, de nou- veau, la grippe est mise en avant. Le diagnostic, en résumé, présente de sérieuses difficultés, et il


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est probable que des erreurs ont été fréquemment commises.

Il doit en être surtout ainsi pour la tuberculose miliaire aiguë à forme de pyrexie atténuée (phtisie aiguë à forme d'embarras gastrique de Hanot). Pendant les épidémies do grippe, la con- fusion est en quelque sorte fatale. Le coryza, le larmoiement, la laryngite font partie intégrante de cette dernière. Dans la première, le début in- sidieux, l'amaigrissement rapide, la fièvre avec sueurs profuses, l'absence d'expectoration consti- tuent des phénomènes significatifs. Mais, lorsque l'attention du médecin est éveillée et qu'il pense à la bacillose, ne peut-il pas se demander s'il ne s'agit pas d'une granulie greffée sur l'influenza ? Dans certaines circonstances, le problème est des plus ardus.

S'il s'agit d'une tuberculose aiguë à forme pul- monaire, la difficulté est parfois peut-être plus grande. C'est encore sur la soudaineté du début, la vivacité du. mouvement fébrile, les manifesta- tions du côté des muqueuses nasale, pharyn- gienne, etc., tous signes appartenant à l'influenza, qu'il faudra se baser, alors que, dans la phtisie catarrhale, la période initiale est peu caractérisée, la toux est douloureuse et laborieuse, l'expecto- ration en petite quantité avec quelques stries sanguines ; l'amaigrissement et 1'adynamie sont très accentués. Mais encore ici, il s'agit, en



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somme, de nuances qui peuvent échapper à l'examen le plus sagace. La pneumonie caséeuse aiguë, quand elle se présente avec des allures in- sidieuses, peut faire penser à une maladie infec- tieuse pouvant, à un moment donné, se localiser dans les poumons, à une pneumonie grippale, par exemple. Dans la pneumonie tuberculeuse aiguë, on constatera un état fébrile à grandes oscillations, une émaciation singulièrement ra- pide, des sueurs nocturnes et une expectoration sanguinolente; en outre, l'examen bactériologi- que des crachats pourra démontrer la présence du bacille de Koch.

La morve aiguë, qui n'est pas sans présenter quel- que analogie avec la broncho-pneumonie d'ori- gine granullque, peut offrir par conséquent une certaine ressemblance avec la grippe elle-même quand cette dernière affecte, dès le début, des allu- res infectieuses sévères. En dehors de son étiolo- gie(bouchers, palefreniers, cochers, etc.), la morve ne tarde pas à se spécialiser par des phénomènes significatifs, Nous rappellerons, notamment, une coloration érysipélateuse de la face, des taches d'un rouge sombre qui, en se généralisant, don- nent lieu à une éruption ayant une certaine ana- logie avec la variole. Comme on le sait, le signe pathognomonique est constitué par le jetagc> sorte de sécrétion nasale muco purulente, d'un gris sale et sanguinolente accompagnée d'ulcéra-


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tions. C'est lorsque les ppUmons sont envahis par des lésions broncho-pneumoniques que l'analogie entre les deux maladies s'accentue ; mais dans la morve, l'expectoration est sanglante et d'ordi- naire fétide. Cette dernière affection d'ailleurs pourrait être parfois confondue avec une dothié- nentôrie, avec un pseudo-rhumatisme infectieux, un érysipôle, voire môme avec des manifestations syphilitiques des fosses nasales. Dans le doute, on pourrait recourir à l'inoculation au cobaye do ces produits de sécrétion ; l'animal succombe bientôt, après avoir présenté notamment une orchite spéciale.

La psittacose, maladie infectieuse cl contagieuse dont on relate de temps en temps quelque épi- démie, sévit chez les perruches et les perroquets qui peuvent la communiquera l'homme. Or, celle affection peut être facilement confondue avec la grippe à forme typhoïde. En effet, les symptômes habituels ont pour siège l'appareil respiratoire, sous forme de broncho-pneumonie serpigineuse. Les autres phénomènes ressemblent étonnam- ment à ceux de la dothiénentérie. Pour ce qui concerne celte dernière, l'incertitude se dissipe bientôt par l'emploi du sérodiagnostic. Pour ce qui a trait à la pneumonie typhoïde ou à la grippe très infectieuse,on se basera sur l'éllologie, l'exis- tence d'une épidémie spéciale et sur certains phé- nomènes un peu insolites, tels que l'apparition.



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d'une stomatitepseudo-membraneuseetunoedème péribuccal.

Une céphalalgie violente accompagnée de vo- missements et de délire, chez des enfants ou des névropathes, peuvent simuler la méningite aiguë; la marche des symptômes ne tarde pas à dissiper les hésitations; mais on sait combien est délicate la question du méningisme.

Si la douleur lombaire est d'une vivacité et d'une durée exceptionnelles, on pourra croire, pendant les premières heures, à l'existence d'un accès de colique néphrétique chez un adulte quel- que peu arthritique; mais l'erreur est difficile.

La grippe peut prendre le masque d'une enté- rite aiguë ou d'une entèro colite dysentèriforme ; l'existence d'une épidémie concomitante, l'appa- rition de la rhino-trachcitc, de quelques douleurs rhumatoïdes, dissiperont bientôt tous les doutes.

Un embarras gastrique d'origine grippale peut être suivi d'ictère catarrhal et donner le change pendant quelques jours ; mats la coexistence des symptômes satellites, tels que céphalalgie, coryza, trachéite, courbature, asthénie, mettront vite sur la voie.

En face de certains phénomènes pseudo-cavi- taires, signalés précédemment, on pensera iné- vitablement à la tuberculose, mais l'analyse des crachats et l'évolution des symptômes redresse- ront bientôt l'erreur de diagnostic.



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Le Dr L. Egger (Étude clinique sur les formes pscudo-phymiques de la grippé) a publié un certain nombre d'observations recueillies dans divers services, notamment dans celui du Professeur J. Teissier ou extraites de diverses publications. Dans l'une d'elles [Lyon-Médical, 1894), Chatin et Collet ont relevé des symptômes bien faits pour induire en erreur. Il s'agissait, notamment, de submalité à la base du poumon droit, de souffle, de retentissement de la toux, de pectoriloquie aphone, de râles sous-crépitants Uns très nom- breux, il existait, à gauche, des signes d'indura- tion du sommet et de ramollissement au début; plus lard, à droite, gros râles humides rappelant par leur caractère un véritable gargouillement. D'après ces deux observateurs distingués, le diag- nostic de fonte purulente du poumon par tuber- culose rapide devait presque s'imposer; mais l'examen des crachats fit écarter cette hypothèse. En résumé, il s'agissait bien de deux cas de grippe simulant d'une façon complète une tuberculose aiguë. Dans une autre observation, Chatin et Collel oui conslalë des signes d'induration mas- sive des deux sommets et do fonte pulmonaire au début; ici encore, les crachats abondants, puru- lents et nummulaires no renfermaient pas do bacille de Koch»

Dans tous ces cas de grippe pseudo-phymique, c'est surtout avec la phtisie galopante que lo


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diagnostic peut offrir do sérieuses difficultés. On peut songer aussi à la gangrène pulmonaire, aux abcès consécutifs à la pneumonie loba ire, à la pleurésie enkystée, aux infarctus, mais surtout à la dilatation bronchique (L. Egger). C'est celle dernière surtout qui est le plus souvent en cause. Dans la broncheclasie qui siège la plupart du lempsaux bases, les crachats sont plus abondants, plus aérés et l'état général est satisfaisant.

La dengue

Le Professeur de Brun, de Beyrouth, a bien mis en relief les ressemblances et les différences existant entre la grippe épidémique et la maladie connue en Asie-Mineure, en Égypte et dans d'autres régions du Midi, sous le nom de dengue. Cette dernière affection venait à peine de terminer, en 1889, ses ravages à Constantinople, nous apprend l'êmincnt Professeur, et déjà on se félicitait do la disparition de cette douloureuse et accablante maladie, lorsqu'on se trouva en face, à Saint-Pétersbourg, d'une épidémie nouvelle ayant avec la dengue une singulière affinité. Dans l'espace de quelques jours, la nouvelle maladie envahissait le Nord de la Russie, l'Allemagne, la Hollande, la Suède, la Belgique, la France, l'Angleterre, l'Espagne et l'Italie. L'extension fut foudroyante et un nombre prodigieux de sujets furent brusquement pris d'une fièvre très vive, avec une prostration complète,


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avec, parfois, des éruptions variables. S'agissait-il d'une épidémie de fièvre rouge ? Des discussions ardentes furent soulevées dans les grandes Sociétés médicales d'Europe, et l'avis unanime fut qu'il s'agissait d'une épidémie de grippe. Pourtant, les ressemblances entre les deux maladies sont assez grandes pour que plu- sieurs observateurs éminents aient parlé de den- gue atténuée. L'apparition de certaines éruptions dans la grippe a beaucoup contribué à propager cette opinion. Très rares dans l'inffuenza, ces éruptions sont, au contraire, très fréquentes dans la dengue. Dans cette dernière, après une pre- mière éruption prémonitoire envahissant sur- tout le visage, parfois les conjonctives et le pharynx, il s'en produit une seconde à la fin de la maladie ou pendant la convalescence. Il s'agit d'une éruption polymorphe, souvent purement érythémaleuse, mais souvent aussi nettement papuleuse et suivie d'une desquamation très évidente, avec prurit intense déterminant l'in- somnie.

Dans la grippe, les choses ne vont plus de même 5 on constate un certain degré de conges- tion du visage et des conjonctives, quelquefois, un peu de tuméfaction oedémateuse des paupières, et, plus rarement, des joues ; en môme temps, appa- raissent de renchifrènement et du catarrhe nasal faisant penser au début d'uno rougeole.



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Des rash scarlatiniformes, rubéoliqùes ou purpu- rins apparaissent quelquefois pendant Un jour ou deux; mais ces efllorescences cutanées n'ont ja- mais la vivacité et l'intensité de celles de la dengue; d'ailleurs, pas de prurit ni de desqua- mation. Dans la dengue, la courbature et la pros- tration, phénomènes capitaux, dominent la scène et sont remarquables par leur opiniâtreté ; les malades accusent comme un manteau de plomb sur les épaules ; les membres sont engourdis, parésiés, brisés ; les forces physiques sont absolu- ment anéanties, comme le sont aussi la volonté et l'attention. La convalescence est interminable entraînant un abattement moral extrême et une incapacité absolue de travail. Il existe de l'ano- rexie, avec enduit limoneux de la langue, haleine fétide et abolition du sens du goût ; le narghilé n'a plus de charme, dit le Professeur de Brun.

Au point de vue des phénomènes douloureux, l'analogie est grande dans les deux maladies; pourtant, dans la dengue, les douleurs sont plus violentes et plus brutales. La douleur des genoux (abourekabe ou le père des genoux) esl au pre- mier plan ; il existe aussi un endolorissemcnt des parois musculaires du Ihornx, bien différent de la pleurodynie ou du point de côté de la grippe. Dans la grippe, pas d'hyperesthésie do la partie antérieure du cuir chevelu; au contraire de la dengue» les troubles respiratoires occupent le


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premier plan, tandis que, dans cette dernière, les complications bronchitiques sont nulles, l'état gastrique constituant la principale localisation. Pour ce qui concerne les épidémies de dengue, la plupart des auteurs, Vernois, Jules Rochard, Léon Colin, etc., indiquent l'intégrité de l'appareil respiratoire.

S'il s'agit do complications, on signale seule- ment dans le cours de la dengue quelques cas très rares d'hépatite et de gastro-entérite; au con- traire, dans la grippe, les complications, surtout dans l'appareil respiratoire, sont fréquentes et sévères.

Le pronostic, très bénin dans la dengue, est beaucoup plus grave dans la grippe, maladie meurtrière qui a fait doublera Paris, en 1890, le chiffre de la mortalité et qui n'épargne aucune constitution.

Le microbe de la dengue serait, d'après Corre, constitué par de petits éléments sphériques colo- rés par la solution alcaline de bleu do méthylène. Tout autre est le cocco-bacille de Pfeiffer déjà étudié.

S'il faut en croire le l)rdc Brun, la grippe ti- rerait bien son origine de la dengue, mais elle serait profondément transformée par différentes conditions météorologiques et surtout par lo froid. Au contraire, dans la dengue, l'étiologie par le froid ne pourrait être invoquée. Mais,



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on outre, argument plus sérieux, là grippe et la dengue peuvent coexister, comme oh l'a vu à Constantinople où la dengue tirait à sa fin, lors- que la grippe a fait son apparition. De Brun ne considère pas comme légitime le terme de dengue modifiée; même la dengue atténuée qui a sévi au Caire, en 1889, n'a pas démontré cette trans- formation. Les lois générales de l'épidémiologio sont contraires à cette hypothèse'de l'identité. La grippe, prenant naissance le plus souvent dans les régions circumpolaires, envahit avec une rapidité foudroyante d'immenses étendues de territoire, constituant parfois, comme en 1889, une épidémie planétaire. La dengue, au con- traire, venant des zones tropicales, fait explosion brutalement deux ou trois fois par siècle, comme la grippé, mais elle est progressivement envahis- sante et s'acclimate dans des zones tempérées, après s'y être installée une première fois.

Des observateurs très compétents qui ont pu étudier les deux épidémies, notamment Mahé, Catelan, Zoêras-Pacha, Carageorgiadès, Lima- rakis, Violi, etc., sont unanimes à nier l'identité des deux maladies.



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