Principes de médecine expérimentale (1877) Claude Bernard/Chapitre XIV/Section B4

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Les trois parties constituantes de la médecine expérimentale reposent sur la même base

Partie 1

Les trois parties constituantes de la médecine expérimentale reposent sur la même base ; rapports de l'organisation et de l'action

La première chose à établir à notre point de vue, c'est que la physiologie doit former la base de toute médecine scientifique. La pathologie ne constitue pas du tout un domaine distinct de la physiologie. Nous admettrons que l'état pathologique ne crée rien. Toute maladie n'est qu'un dérangement fonctionnel et elle a par conséquent une fonction qui lui correspond normalement. C'était l'opinion de Broussais que la pathologie n'était que la physiologie, puisqu'il l'appelait la médecine physiologique. Ça a été là tout le progrès de sa manière de voir.

Ce n'est pas l'opinion de la plupart des médecins qui reconnaissent des entités morbides, des créations morbides. Tout cela, ce ne sont que des mots. Les maladies ne sont, en réalité, que des sortes d'empoisonnements évolutifs rapides ou lents. Les empoisonnements artificiels par agents toxiques sont dans le même cas. Chaque empoisonnement est caractérisé par un ensemble de dérangements, chaque empoisonnement a ses caractères, ses symptômes, son évolution, ses lésions anatomiques, son entité en un mot. Or, le poison n'a pas créé d'organes nouveaux, de fonctions pathologiques nouvelles ; il n'a fait que déranger les fonctions. Il est évident, par exemple, que la fièvre intermittente simple n'est qu'un trouble des phénomènes circulatoires ; les convulsions, le tétanos ne sont qu'un trouble des phénomènes nerveux. Aucun des symptômes n'est caractérisé par des organes ou des produits nouveaux qu'on pourrait rapporter à l'effet de la maladie. Mais il arrive quelquefois que des produits nouveaux se manifestent. Comme on ne les voyait pas à l'état normal et qu'on les voit disparaître avec la maladie, on est porté à les considérer comme créés de toutes pièces par l'état pathologique. Cela tient simple¬ment à ce que nous ne connaissons pas toutes les fonctions physiologiques, nous les prenons pour des phénomènes pathologiques nouveaux créés par la maladie. Je citerai à ce sujet un exemple qui me semble frappant.

Le diabète est une maladie très anciennement comme et qui consiste dans la manifestation d'un certain nombre de troubles du côté de la nutrition avec apparition de quantités plus ou moins grandes de sucre dans les urines. Les médecins ont tout naturellement attribué cette formation du sucre à la maladie, c'est-à-dire à une force nouvelle morbifique qui se serait introduite dans l'état normal et qui aurait fabriqué un produit anormal, le sucre. On sait aujourd'hui qu'il n'en est rien. J'ai établi que le sucre est un élément normal de l'économie ; seulement la production du sucre qui est assez modérée dans l'état normal pour que le sucre n'apparaisse pas dans les urines, ou du moins en très faible quantité, devient, dans certains cas du trouble, très abondant. C'est alors le diabète. On voit donc cependant que les produits du diabète n'ont pas été créés par une force morbide quelconque. Le diabète correspond à une fonction normale, la glycogénie, qui est troublée. Nous en dirons autant des produits hétérologues ; il y a physiologique ment une régénération cellulaire constante qui est très manifeste dans les épithéliums.

Les formations de tissus hétérologues ne sont que des troubles ou des déviations de cette régénération normale. Mais certainement beaucoup de médecins diront que la maladie produit des choses nouvelles, et ils demanderont à quoi de normal correspond la variole, la rougeole, la scarlatine, etc. Je répondrai que ces maladies répondent évidemment à des fonctions de la peau qui nous sont encore inconnues. Sans doute nous ne pouvons pas le démontrer aujourd'hui, mais ce n'est pas une raison parce qu'il y a des points encore obscurs dans la médecine, où la physiologie ne peut pas pénétrer, pour crier que ces sciences n'ont pas de rapport et que la physiologie n'est pas la base de la pathologie.

L'état physiologique et l'état pathologique ne sauraient être considérés comme deux états distincts qui se remplacent. L'état pathologique ne chasse jamais l'état physiologique. L'état physiologique est toujours présent ; sans cela la santé ne pourrait jamais réapparaître. C'est la nature médicatrice d'Hippocrate.

On peut donc admettre que l'organisation dérangée par la maladie, c'est-à-dire par une condition anormale, a de la tendance à revenir à son état normal, comme une race revient par atavisme.

La thérapeutique ne peut donc être autre chose que la production de conditions artificielles propres à favoriser la tendance de l'organisation à revenir à son état normal. On peut réussir soit en agissant par des substances introduites dans le sang, soit en agissant sur le système nerveux périphérique, soit en plaçant l'être tout entier dans un milieu convenable.

La thérapeutique, c'est-à-dire le traitement repose donc également sur la connaissance des lois des phénomènes, sur la connaissance de leurs conditions d'existence, afin de provoquer les conditions favorables à la guérison naturelle des maladies. Ce qui veut dire, en d'autres termes, que la thérapeutique est inséparable de la pathologie. La méthode expérimentale prouvera sans doute que toute la polypharmacie ne signifie rien. Il faut, avant tout, laisser guérir les maladies quand on ne sait pas les guérir. La thérapeutique doit donc laisser guérir les malades et, si des remèdes guérissent, ils ne doivent pas déterminer la guérison autrement que par le procédé naturel.

Mais, tout en admettant que la pathologie n'est qu'un dérangement de la physiologie dans certains cas, et que l'état physiologique tend toujours à reparaître preuve qu'il n'est pas détruit, on pourra faire des objections et dire : comment peut-on admettre que les virus soient des produits qui correspondent à quelque chose de physiologique ? Cela est parfaitement admissible et vrai. Le virils morveux se forme sous nos yeux par excès de travail ; l'abstinence rend la morve aiguë, qui devient contagieuse, tandis que la chronique (farcin) ne l'est pas. C'est, l'affaiblissement du système nerveux. La section du sympathique ou de la 5e paire produirait-elle un virus morveux ? Dans le rein, la section des nerfs produit un véritable virus transmissible. C'est do-ne par altération nerveuse. Ces altérations nerveuses amènent une décomposition putride qui se verse dans le sang et l'infecte d'une manière continuelle ; ces venins ou virus deviennent alors transmissibles. Le virus syphilitique a dû se produire ainsi. Le virus rabique se produit aussi sous l'influence nerveuse ; vient-il des glandes salivaires ou de la muqueuse buccale ? Toutes ces questions sont de la pathologie expérimentale ; il faut savoir comment ces virus se forment. Ce sont des altérations de liquides sous des influences nerveuses. Il y en a sans doute beaucoup qui sont produits par les nerfs. Ce sont des altérations de liquide ou tissus physiologiques ; exemple : rein ; le sang de rate, le sang d'animaux morts de faim sont aussi des virus. -Voir si par la dialyse on ne pourrait pas séparer un corps toxique cristallin dans tous ces venins, virus ou liquides septiques. C'est probable, car Renault dit que le chlore ne détruit pas le virus morveux. Voir le vaccin ; étudier avec ces idées les maladies virulentes, qui résultent des altérations spéciales des liquides normaux sous l'influence du système nerveux ou autrement ; d'où l'on voit que des influences morales peuvent produire des maladies septiques. La substance septique peut donc naître dans l'individu, se former dans le milieu intérieur (sang).

C'est donc dans les éléments histologiques normaux, sains ou altérés, dans les liquides normaux, sains ou altérés, qu'il faut chercher les causes de tous les phénomènes physiologiques et pathologiques, mais sans croire qu'il y a un état pathologique idéal, une entité.

La maladie a une forme évolutive par la nature même de l'organisme ; une cause agit, augmentation de la maladie ; elle n'agit plus, décroissance de la maladie. Nous avons dans la section du nerf de la glande sous-maxillaire l'image d'une maladie évolutive. Nous coupons le nerf : statu quo pendant quelques jours. C'est l'incubation, puis, quand le nerf est détruit, la glande fonctionne toujours, et la glande s'altère, diminue de volume : maladie ; puis le nerf se rétablit, la glande sécrète de moins en moins, et l'état normal revient. C'est le déclin de la maladie. Supposez qu'un virus agisse sur un nerf pour se reproduire, vous aurez la même image.

En résumé, d'après tout ce qui précède, nous avons vu qu'aujourd'hui, par l'analyse successive que la science a introduite, nous sommes conduits à admettre que la médecine expérimentale repose uniquement comme base essentielle sur l'étude des éléments organiques considérés soit à l'état physiologique, soit à l'état pathologique. C'est sur cette base unique que reposent les trois branches de la médecine expérimentale, savoir : la physiologie, la pathologie et la thérapeutique expérimentales.

Partie 1 1 ?

Actuellement nous avons vu que tout élément organique peut être considéré comme se réduisant à une cellule. De sorte que, en fin de compte, toute la physiologie et la pathologie animales et végétales ne seraient qu'une cellule. C'est là un idéal que Virchow a voulu réaliser dans la pathologie cellulaire, un idéal auquel la science arriverait. Mais toutes les choses se perdent par leur excès et si la généralité est bonne, quand elle est poussée trop loin, elle est absurde ; il faut conserver le sentiment du spécial dans cette généralisation, car, autrement, ce serait de l'uniformisation, au lieu d'être de la généralisation.

Sans doute la science consiste à ramener le particulier au général et à comprendre toutes les variétés dans une unité typique. En biologie comme ailleurs, cela paraît devoir être la règle et la tendance des hommes philoso-phiques. Cependant par cette recherche on arrive à une conception idéale typique qui n'est rien moins que pratique. En effet, que l'on finisse, avec Darwin, par arriver à une espèce unique et qu'après, dans cette espèce unique, on finisse par arriver à un individu unique, et qu'enfin dans cet individu unique, on finisse par arriver à un tissu unique, on aura une cellule qui sera le commencement, l'origine de tout ce qui existe d'animé. Mais à quoi cela se rapporte-t-il en réalité ? A rien. Est-ce que nous ne sommes pas obligés de compter avec tout ce qui existe et est-ce qu'il y a autre chose que des indi¬vidus ? Que, de même, dans la théorie de Gœthe, on arrive à prouver qu'une feuille, une fleur, etc. sont la même chose originellement, ne sommes-nous pas obligés de les considérer en réalité comme des choses distinctes ? Et si l'on peut dire que la vérité est dans le type, la réalité est toujours en dehors de ce type et elle en diffère constamment. Or, pour le médecin, c'est là une chose très importante. C'est à l'individu qu'il a toujours affaire, Il n'est point le médecin du type humain, de l'espèce humaine ; il est le médecin d'un individu et d'un individu même qui est placé dans des conditions particulières.

L'observation que je fais ici n'est pas neuve. Elle paraît être la même qui divisa autrefois les universaux et les nominalistes, ou, autrement dit, les idéalistes et les réalistes ou sensualistes. Elle se retrouve dans cette philo¬sophie de la nature où tout est dans tout, où l'on veut tout ramener à quelque chose d'uniforme. C'est toujours la cause des discussions que j'ai eues dans mes travaux. Ainsi, quand j'ai dit que le sue pancréatique émulsionne la graisse, j'ai dit que c'était une propriété spéciale ; on a objecté de suite que d'autres liquides possédaient cette propriété à des degrés divers. Quand j'ai dit que le foie fait du sucre, on a de suite objecté que d'autres organes en faisaient. Encore la même chose pour le grand sympathique ; on a voulu, pour généraliser, ramener le grand sympathique au type il système cérébro-spinal ; j'ai lutté contre cela parce qu'il y a des particularités appartenant aux nerfs du grand sympathique, bien que ce ne soit cependant toujours que des nerfs de sensibilité et de mouvement.

Conséquemment j'avais la tendance à spécialiser et les autres la tendance à réunir. C'est pour cela qu'on m'a fait le reproche de ne pas être généralisateur, tandis qu'on considère ceux qui tendent à effacer toutes ces spécialités comme des généralisateurs.

Je pense que les vrais esprits philosophiques sont ceux qui recherchent la vérité et qui la trouvent. Or, je soutiens ici que la vérité consiste non seulement dans la connaissance du type, mais surtout dans la connaissance des rapports de l'individu avec le type. Admettant même le type morbide, le type physiologique, il faut connaître les rapports qui existent entre le cas particulier et le type.

Dans l'évolution organique, la nature procède par différenciation en partant d'un type originel ; sans doute on peut considérer que l'être organisé dérive d'une cellule originelle, l’œuf, mais ce qu'il importe de savoir, c'est qu'il sort de cette cellule, de ce moule organique, par une succession de diffé¬renciations, des individualités qui vont en se multipliant et en se différenciant de plus en plus à mesure qu'elles s'éloignent de leur origine. De même, dans un arbre, à mesure que les branches s'éloignent du tronc, elles présentent des différences anatomiques et physiologiques d'autant plus grandes, et alors on peut dire que ces différenciations sont plus grandes relativement à l'éloigne¬ment, C'est comme seraient les degrés de la machine de Dubois ; à mesure qu'on s'éloigne du zéro, les degrés, pour la même grandeur, présentent une intensité croissante très rapidement. Les individus qui proviennent de race et de souche communes, à mesure qu'ils s'éloignent de la souche, se différencient de plus en plus et au point de perdre la propriété d'être greffés les uns sur les autres et de pouvoir se reproduire entre eux. Ils diffèrent au point de perdre en quelque sorte leur communauté de sève et de tendre à former des espèces différentes. (Greffer des extrémités d'arbres vieux avec des branches jeunes sorties du tronc; étudier les greffes sous ce rapport.) Cependant toutes ces différenciations sont les seules réalités.

En résumé, la vérité ne se trouve ni dans le type idéal (universaux), ni dans l'individu (nominaux). Ceux qui soutiennent qu'il n'y a que des individus suppriment J'espèce, le type qui a cependant une existence en nous, c'est-à-dire dans notre esprit. Ceux qui soutiennent qu'il n'y a de vrai que le type idéal qui est en nous suppriment les individus qui ont aussi une existence très réelle en dehors de nous, c'est-à-dire dans le monde extérieur. La vérité réelle ou la vérité vraie doit réunir ces deux éléments et les comprendre dans une même unité. Or, c'est ce qu'on appelle le rapport. La vérité est donc dans le rapport qui existe entre le type idéal et l'individu. La nature a un type idéal en toute chose, c'est positif ; mais jamais ce type n'est réalisé. S'il était réalisé, il n'y aurait pas d'individus ; tout le monde se ressemblerait.

Cependant on peut dire que tous les individus pris en masse et fondus donneraient une résultante qui serait le type, mais, dans l'état des choses, il n'en est point ainsi et l'individu est en réalité le rapport qui existe entre ce type total et la fraction de ce type qu'il représente ou, en d'autres termes, la diffé¬rence qui le sépare de ce type.

Dans le règne minéral, la différenciation des individus n'existe pas ; il n'y a pas de cristaux individuels. L'individualité qui D'est qu'un écart en degré, une fraction du type, n'existe que dans les êtres vivants et, à mesure que l'être s'élève, l'individualité se multiplie et s'accentue davantage. Chez les animaux et végétaux sauvages les individus se ressemblent davantage, l'individualité est plus faible que chez les animaux ou végétaux domestiques. C'est dans l'homme où l'individualité acquiert son minimum de développement. Toute¬fois, on peut dire que l'individu a son type original, c'est-à-dire une qualité qui n'appartient qu'à lui et qui, en réalité, constitue pour l'artiste l'essence qu'il faut saisir. Un individu peut avoir un côté du caractère du type exagéré ; ainsi les passions, les sentiments sont exprimés plus fortement par un individu que par le type. Pourrait-on dire qu'il y a une compensation et que chaque individu représente les défauts et les qualités du type exagéré d'une manière compensante ; je ne le crois pas.

Mais, laissant de côté le point de vue purement philosophique et restrei¬gnant ces idées à ce qui concerne exclusivement la médecine expérimentale, je dirai que cette idée du rapport entre le type et l'individu constitue toute la particularité de chaque être, de chaque état physiologique ou pathologique. C'est en un mot la clef de l'idiosyncrasie, sur laquelle repose toute la médecine. C'est elle, en effet, qui doit nous donner l'explication du passage de la santé à la maladie. Elle est la mesure, elle est une question de degrés qui cependant joue un rôle aussi important que s'il s'agissait d'une question de nature. Il est nécessaire de nous arrêter sur ce sujet important et de bien expliquer ce que nous entendons par l'idiosyncrasie, qui est la variété organi¬que et physiologique la plus élevée et comment elle est contenue cependant dans un type ou une identité de nature qu'on peut concevoir.

J'ai dit qu'un des obstacles les plus considérables de la biologie en général et de la médecine expérimentale en particulier résidait dans l'individualité. L'expérimentation dans les êtres bruts ne rencontre pas ces difficultés.

En effet, quand on a trouvé la loi d'un phénomène, il faut nécessairement pour s'en rendre maître, pouvoir placer toujours l'être, qui est le siège du phénomène qu'on veut produire, dans des conditions identiques. Or, cela est très facile dans la nature inorganique. Il suffit de réaliser les conditions exté¬rieures à l'être ; le baromètre, le thermomètre peuvent réaliser ces desiderata.

L'être brut n'a aucune spontanéité par lui-même, aucune différence indivi-duelle ; dès lors on peut être sûr du résultat obtenu. Mais, quand il s'agit d'un être vivant, l'individualité vient apporter un élément de complexité effroya¬ble ; outre les conditions extérieures à l'individu, vous avez encore à considérer et à régler les conditions organiques intrinsèques, celles de ce que j'appelle le milieu intérieur.

Mais ce n'est point encore tout ; outre l'individualité organique qui fait que l'être vivant est séparé du milieu extérieur comme un tout à part (microcos¬me), vous avez encore une individualité spécifique, c'est-à-dire un être qui réagit comme être vivant particulier. Ce n'est point encore tout ; dans cette individualité spécifique, vous avez encore une individualité idio-syncrasique, c'est-à-dire une individualité personnelle, car il est clair que tous les individus de la même espèce ne se ressemblent pas. Vous pouvez encore avoir des indi¬vidualités de variétés héréditaires et transmises par une série de générations. Mais faut-il ajouter pour rendre ce tableau déjà si complexe encore plus effrayant pour J'expérimentateur, faut-il ajouter que ce n'est point encore tout ? En effet, outre ces individualités organiques, spécifiques, personnelles, idiosyncrasiques qui sont fixes, nous avons encore des individualités idio¬syncrasiques qui ne sont point fixes et qui varient suivant l'état dans lequel se trouve l'individu. De telle sorte que non seulement l'individu ne ressemble pas à un autre, mais l'individu ne ressemble pas à lui-même dans les divers moments de son existence. Il y a l'âge, le sexe qui amènent des différences. Mais enfin encore, outre l'âge, il y a encore d'autres causes de variétés qui se rencontrent dans l'état d'abstinence, de digestion, d'influence morale, etc. ou dans certaines conditions qui nous sont inconnues et que nous ne pouvons supprimer.

On voit donc au milieu de quelle complexité inouïe on est obligé d'agir. Mais le but que doit se proposer la médecine expérimentale, c'est précisément de réduire toutes ces variétés idiosyncrasiques à une loi dont chaque cas particulier ne soit qu'un rapport. C'est là la véritable philosophie scientifique. La philosophie des sciences ne consiste pas à réduire tout à un type, à deux ou plusieurs types. Ce qu'il importe de savoir, c'est comment ce type, sous des influences variées, peut arriver à des modifications, à un épanouissement par différenciation, qui constitue toutes les diversités que nous avons sous les yeux.

Mais toutes ces variétés individuelles idiosyncrasiques, fixes ou mobiles, doivent être liées à des conditions organiques qu'il s'agit de déterminer. Ces conditions ne sont que des conditions anatomiques, chimiques, qu'il s'agit de pouvoir caractériser. Autrefois j’avais cru remarquer que des variations anatomiques (anomalies) sont très nombreuses chez les animaux domestiques et chez l'homme tandis qu'il y a beaucoup moins de variétés chez les animaux sauvages . Mais, dans tous les cas, indépendamment de ces conditions anatomiques, il y a aussi des qualités de tissus ou d'éléments histologiques différentes qui correspondent à ces variétés idiosyncrasiques. Mais ce que je désire établir ici, c'est que toutes ces variétés idiosyncrasiques, acquises ou non, ne sont que des différences de degrés dans les propriétés, mais jamais une différence de nature de ces propriétés ; ce qui permet de prévoir qu'il y a une loi dont chacun de ces degrés représente un échelon. C'est toujours dans les organes, dans les tissus, ou dans les éléments de tissu que ces différences se rencontrent. Il est probable qu'elles peuvent se rencontrer dans tous les éléments histologiques, globules du sang, muscles, nerfs, glandes, etc. C'est dans l'élément histologique que se trouve la propriété irritable ou excitable ; c'est dans le sang que se rencontre la cause irritante ou excitante. L'idiosyn¬crasie est donc donnée par le degré d'irritabilité de tel ou tel élément histolo¬gique ou par la résultante de toutes ces irritabilités, ce qui donne l'individualité physiologique.

L'organisme ou les parties organiques vivantes sont susceptibles de réagir contre les agents qui leur sont extérieurs. C'est ce degré de réaction qui carac-térise l'individualité ou l'idiosyncrasie. Ce degré de réaction caractérise la santé ou la maladie. Quand c'est un degré d'irritabilité accidentel ou acquis, il constitue la prédisposition individuelle.

En résumé, on voit que la médecine doit avoir pour objet de pénétrer dans toutes ces variétés d'organisation et de propriétés que peut éprouver l'orga¬nisme. C'est là le vrai but philosophique du médecin. L'expérimentation seule, à l'état normal et à l'état pathologique, peut arriver à cette analyse. Toutes les inventions anatomiques, normales ou pathologiques, sont insuffisantes et ne peuvent conduire qu'à des systèmes. Les modifications ou les altérations anatomiques ne nous traduisent pas nécessairement les modifications ou les altérations physiologiques. Tantôt ce sont de simples modifications de pro¬priétés physiques ou chimiques, comme je le montrerai. L'anatomie patholo¬gique est donc loin d'avoir l'importance qu'on voudrait lui donner. En un mot, la médecine expérimentale doit avoir pour objet :

l˚ de faire sur l'individu vivant, sain, des expériences de vivisection et physico-chimiques qui lui dévoilent la propriété de tous les organes, de tous les éléments histologiques à l'état normal ;

2˚ de faire sur l'individu vivant et malade de différentes manières des expériences parallèles de vivisection et physico-chimiques qui lui apprennent les modifications des propriétés qu'ont subies les organes ou les éléments histologiques, à l'état pathologique ;

3˚ de déduire, d'après ces études expérimentales, les conditions qui peuvent modifier l'organisme ou les éléments à l'état normal et les faire passer de l'état sain à l'état pathologique et, par contre, d'examiner comment l'orga¬nisme ou les éléments repassent de l'état morbide à l'état sain, soit spontané¬ment, soit à l'aide d'agents susceptibles d'aider la marche de la nature.

Mais tout cela, je le répète, ne peut être atteint que par une expérimenta¬tion soutenue et non par des systématisations anatomico-pathologiques. Je vais essayer dans ce qui suivra d'indiquer comment la médecine expérimentale doit, suivant moi, procéder pour atteindre son but. Mais il est indispensable que je donne un coup d'œil général sur la manière dont nous pouvons dans l'état actuel de nos connaissances comprendre l'organisme et la vie d'une manière générale, soit à l'état normal, soit à l'état pathologique.

La vie est un contact entre l'organisme et le monde extérieur que l'on sup-prime l'une ou l'autre de ces deux conditions, la vie cesse.

Cependant la vie est dans l'organisme, car, dans la vie latente, on fait cesser les manifestations de la vie ou, du moins, elles sont devenues si lentes qu'elles peuvent être considérées comme nulles.

Mais, pour la médecine, on ne saurait considérer les conditions de la vie d'une manière aussi générale. Il faut voir chez l'homme ainsi que chez les animaux élevés, outre le milieu cosmique général, un milieu propre qui est le sang ou les liquides animaux dans lesquels sont plongés les organes ou tissus, soumis à des conditions particulières, à des excitations propres qui sont celles du système nerveux. De sorte qu'il y a le milieu sanguin et le milieu moral ou nerveux à considérer.

Enfin, si le milieu extérieur est indispensable à la vie, le milieu intérieur ne lui est pas moins indispensable. Si l'on enlève le sang, aussitôt la vie cesse, comme quand on enlève le milieu extérieur. Quand on modifie le sang, les phénomènes de la vie sont modifiés, comme quand on modifie les conditions du milieu extérieur. Le sang, - milieu intérieur - peut être modifié par des choses ou conditions apportées du dehors, mais il peut aussi être modifié par des conditions et des choses créées au dedans de l'organisme. Le système nerveux devient un puissant modificateur des humeurs ; il peut créer des substances virulentes septiques (exemple : rein, la rage et la morve).

Le sang remplit donc les fonctions d'un milieu qui peut être normal, altéré ou vicié; mais il remplit encore les conditions d'un liquide nutritif et ce liquide est constitué par une véritable sécrétion organique, par une formation organi¬que analogue à celle qui a lieu à la surface du blastoderme lors du développe¬ment initial. Dans le blastoderme tout est confondu, intestin, foie. C'est l'organe digestif qui fait le sang les éléments n'en sont pas du tout absorbés à l'extérieur, exemple l'albumine qui ne reste pas dans le sang ; il est probable qu'il n'y a pas de colloïdes absorbés par l'intestin, il n'y a que des cristalloïdes.

En résumé, la première chose à considérer est donc le sang, qui est le milieu organique immédiat. Mais il y a aussi des liquides qui ne sont pas en circulation, qui imbibent les tissus, les sucs propres qui se versent dans le sang par endosmose dans certains cas.

Avec le sang autour duquel se groupent les appareils digestifs, respiratoire et sécrétoire il faut considérer ce qu'on appelle les épithéliums, les muqueuses, le tissu conjonctif dans lesquels se passent tous les phénomènes de chimie animale et d'évolution organique. C'est dans un stroma de ce genre que se développe l'œuf, l'ovaire. Les glandes, les sécrétions ne sont elles-mêmes que des phénomènes d'évolution chimique.

Après le sang et les phénomènes d'évolution chimique qui s'y rattachent viennent à considérer les muscles et les nerfs.

Enfin, si l'on veut faire une classe particulière des phénomènes évolutifs de l'embryon, on le peut, mais ces phénomènes ne diffèrent pas quant à leur nature des phénomènes nutritifs proprement dits.

Maintenant nous avons l'organisme total qui est composé par un ensemble d'éléments et qui agit et réagit dans le milieu extérieur sous l'influence des excitations cosmiques. Mais nous avons aussi chacun des organes ou des tissus ou des éléments de tissu qui réagissent dans le milieu intérieur (sang), sous l'influence des excitations organiques (globules du sang, système nerveux, sensibilité).

En vertu de quelle cause l'organisme ou ses éléments réagissent-ils ? L'organisme réagit en vertu de sa sensibilité ; il agit en vertu de la volonté qui n'est qu'une modification de la sensibilité. Certains animaux, certains organes peuvent aussi réagir en vertu d'actions sensibles inconscientes, actions réflexes, enfin les tissus, les éléments organiques, en vertu d'une propriété qui est la seule qui caractérise la vie, en vertu de l'irritabilité ; cette irritabilité peut être mise en jeu par le sang, par des agents extérieurs, mais dans les animaux élevés, elle est mise en jeu par le système nerveux, la sensibilité qui est l'excitant organique spécial, c'est-à-dire qui est créé par l'organisme.

Chaque partie de l'organisme est harmonisée dans le tout, mais chaque partie a cependant son indépendance, son autonomie, comme l'on dit : déjà van Helmont avait compris cette indépendance par ses archées. Aujourd'hui on a porté cette autonomie jusque dans les éléments histologiques, jusque dans la cellule. Toutes ces propriétés se groupent et s'enchaînent pour produire les phénomènes, mais de ce que toutes ces propriétés constituent un anneau il n'en est pas moins vrai que chaque anneau de cette chaîne est indépendant par ses propriétés de celui qui le suit ou le précède. C'est là une cause qui fait si souvent tromper relativement aux relations de cause à effet. Nous voyons une succession de phénomènes, mais nous ne pouvons pas supposer que le phénomène qui précède est la cause de celui qui le suit.

Il y a dans l'organisme des propriétés physiques et chimiques. Les phénomènes physico-chimiques sont inséparables des phénomènes vitaux et même psychiques, mais il n'y a pas engendrement des phénomènes vitaux par les chimiques ; il n'y a que parallélisme et cela est vrai pour tous les phéno-mènes vitaux depuis les plus infimes jusqu'aux plus élevés, jusqu'aux phénomènes intellectuels.

Mais, au fond de tout cela, le principe d'action de tout être vivant, c'est l'irritabilité.

L'irritabilité est la propriété fondamentale. Sans elle l'organe ne sent pas les excitants et reste en repos.

Tout ce qui est vivant est irritable ; tout ce qui n'est pas vivant n'est pas irritable.

Pourrait-on dire d'après cela . la vie, c'est l'irritabilité, c'est-à-dire la propriété de réagir? Non. La vie, c'est la création; la mort, c'est la destruction.

On a admis dans les éléments histologiques plusieurs irritabilités ; l'irrita-bilité fonctionnelle, l'irritabilité nutritive, etc.

C'est donc l'irritabilité qui est la cause intime du fonctionnement des orga-nes ; c'est l'excitant qui en est la cause occasionnelle. La matière organique est inerte, comme la matière brute. La matière vivante, l'élément histologique est créé par la force vitale, mais il n'a pas la propriété de se donner le mouvement par lui-même ; la matière vivante est inerte comme la matière brute. Tout excitant doit être extérieur à l'organe ou à l'organule.

L'excitant, pour les éléments histologiques, est dans le sang et dans les nerfs ; il n'y a que ces deux excitants ; en général, dans les nerfs, se trouve l'excitant fonctionnel ; dans le sang, l'excitant nutritif. Dans le nerf, l'excitant destructif (mort) ; dans le sang, l'excitant créateur (vie).

L'irritabilité et l'excitation, telles sont les deux conditions de la vie, soit à l'état normal, soit à l'état pathologique. Les anciens considéraient l'irritabilité et l'action des agents extérieurs (W. Edwards) sur tout le corps. Brown et Broussais plaçaient l'irritabilité et l'action des agents extérieurs dans les organes. Virchow a placé l'irritabilité et l'action des agents dans les éléments histologiques.

La pathologie ne doit donc invoquer que les mêmes propriétés fondamen-tales de la physiologie. Brown et Broussais semblent avoir été les premiers à comprendre cela. Les déviations de l'irritabilité fonctionnelle donnent la clef d'une foule de maladies. Les déviations de l'irritabilité nutritive ou évolutive donnent la clef d'une foule d'affections morbides (tissus hétérologues). Lorsque l'irritabilité est morbide, on lui donne le nom d'irritation, mais l'une ne paraît être qu'un degré de l'autre. La cellule, excitée normalement, se nourrit et conserve ses propriétés ; la cellule irritée prolifère et s'altère, donne un tissu hétérologue. Virchow ne veut pas que les nerfs soient des causes d'irritation. Je pense le contraire et je crois que le système nerveux qui est un excitant normal peut devenir un excitant pathologique.

Les propriétés de la matière vivante sont le résultat de la force vitale. Mais leur destruction est le résultat des excitants par des causes extérieures, agents physiques et, sous ce rapport, les vitalistes avaient raison de dire que les agents extérieurs détruisent l'organisme et que la force vitale les conserve. Mais, d'un autre côté, la force vitale ne peut que créer, elle ne manifeste pas les phénomènes de la vie. Ce sont les agents ou excitants qui le font, mais en détruisant l'organe. Mais la manifestation des organes nerveux qui n'est que la mort détermine la manifestation des muscles et ceux-ci d'autres éléments.

L'irritabilité elle-même n'est qu'une résultante des agents extérieurs. La force vitale crée l'élément et il vit avant d'avoir une fonction déterminée, une irritabilité déterminée. Mais, quand il a une fonction, l'irritabilité détruit l'or¬gane sans qu'il fonctionne ; exemple: un muscle au chaud perd ses propriétés sans fonctionner ; donc l'irritabilité est elle-même une destruction .

L'irritabilité est donc elle-même une fonction . Elle use la matière vivante et même on peut dire que la matière vivante s'use en raison directe de l'intensité de son irritabilité. L'irritabilité est en raison directe de l'intensité des phénomènes physico-chimiques de la chaleur. Mais l'irritabilité n'est pas créée par les phénomènes physico-chimiques ; elle n'est que développée et elle est une manifestation vitale qui met l'organe ou l'élément dans une disposition à fonctionner sous l'influence des excitants.

Quand on éteint les phénomènes physico-chimiques, on éteint l'irritabilité et cependant l'élément vit ; on ne peut donc pas dire que l'irritabilité caracté¬rise la vie.

On a longtemps cherché la caractéristique entre les êtres vivants et les êtres bruts. Tiedemann, qui a écrit deux volumes sur ce sujet, finit par dire que les êtres bruts sont des corps qui ne peuvent être modifiés que par des causes extérieures et que ces modifications amènent les corps à tomber en indiffé¬rence chimique avec le milieu ambiant, tandis que les corps vivants ne tombent jamais en indifférence chimique et possèdent en eux une cause d'action spontanée et qu'ils ne sont par conséquent pas liés aux conditions extérieures. C'est là une vérité pour les animaux supérieurs qui ont un milieu intérieur constant et qui est maintenu constant par le système nerveux, mais pour les animaux à sang froid, pour les végétaux, il y a une liaison avec les conditions extérieures et les conditions détruisent l'organisme. Si l'organisme vivant ne tombe pas en indifférence chimique avec le milieu ambiant, c'est parce que la force vitale crée incessamment de nouveaux organes et de nouveaux aliments à ce minotaure qu'on appelle la vie et qu'on devrait appeler la mort. Quand la force vitale ne crée plus d'organes ou d'éléments, l'organis¬me meurt et tombe en indifférence chimique avec le monde extérieur.

En résumé, c'est sur les propriétés élémentaires que se placent, comme nous l'avons déjà dit, la physiologie, la pathologie et la thérapeutique.

La physiologie n'est que l'expression normale des phénomènes de la vie.

La pathologie est l'expression anormale des phénomènes de la vie. Toute¬fois il serait très important de pouvoir se faire une idée exacte de ce que c'est qu'une maladie, une maladie locale, une maladie générale localisée, etc.

Lorsqu'une lésion locale traumatique survient, elle amène la fièvre par certains produits de décomposition absorbés ou par continuité nerveuse irritative ; la question est indécise. Mais une maladie générale se localise dans les poumons, dans le foie, dans la peau. Coze et d'autres prétendent que c'est l'organe d'élimination de la substance morbigène qui détermine l'action locale. Expériences sur injections de substances s'éliminant par divers organes qui devenaient malades.

Mais ici cette expression anormale est toujours relative ; ainsi ce qui est normal pour un organisme peut être une maladie pour un autre ; il y a une maladie de Bright normale chez le chat, un foie gras chez les jeunes chats et chiens ; on ne peut pourtant pas dire que ces animaux soient malades.

La thérapeutique est une expression des phénomènes de la vie sous l'influence d'agents qui créent des conditions particulières dans lesquelles vivent et réagissent les éléments histologiques.

Les substances toxiques et médicamenteuses employées en thérapeutique paraissent agir sur les divers éléments histologiques. Je me suis appliqué à démontrer dans les Leçons sur les substances toxiques et médicamenteuses que les poisons et les médicaments analysent les tissus élémentaires et agis¬sent toujours d'une manière générale sur un élément histologique (muscles, nerfs moteurs ou sensitifs ; peut-être cellules, globules du sang).

Mais est-ce bien sur l'élément histologique que la substance agit ou sur une condition propre à tel ou tel élément histologique ? C'est une des questions les plus intéressantes à bien fixer, afin de savoir au juste ce que c'est qu'un médicament, un poison, un contrepoison, un aliment.

J'ai dit que chaque substance toxique ou médicamenteuse agit sur des éléments histologiques distincts. Cependant il n'est pas possible de com¬prendre qu'une substance puisse agir sans l'intermédiaire du sang (poulets qui ne se développent plus quand les vaisseaux arrivent, exemple : tétards, asticos qui ont des muscles et qui vivent dans l'upas et dans le curare, etc. ) De sorte qu'on pourrait toujours dire que c'est primitivement sur le sang que la substance a agi.

Le curare et l'upas agissent en effet, je crois, sur le sang ou ses produits ou le plasma. Mais il faut admettre alors que la substance produit une altération du sang qui arrête la nutrition d'un élément histologique et pas d'un autre. Par exemple, le curare arrêterait la nutrition du nerf par les extrémités, comme quand on suspend le cours du sang ; l'upas arrêterait la nutrition de la fibre musculaire en déterminant une réaction acide, et ainsi de suite pour la digita¬line et autres substances. (Reprendre l'étude des substances toxiques et médicamenteuses particulières.) L'action médicamenteuse toxique est du reste extrêmement variable suivant les doses de la substance qu'on administre. C'est là un des points les plus intéressants à étudier.

Partie 2

Mais actuellement comment pouvons-nous concevoir les idiosyncrasies et les prédispositions que nous avons considérées comme étant le but principal que la médecine expérimentale devait s'attacher à poursuivre.

idiosyncrasies

Les idiosyncrasies se traduisent par des degrés d'irritabilité des organis¬mes, des organes ou des éléments organiques, mais, au fond, elles consistent en une prédisposition, une aptitude spéciale de l'élément histologique.

Ces degrés d'irritabilité peuvent être acquis ou naturels.

On peut reconnaître des éléments histologiques sanguins (globules), musculaires, nerveux, épithéliaux et conjonctifs. On peut reconnaître des proprié¬tés communes générales à chacun de ces éléments, mais il y a cependant des particularités appartenant à chacun de ces éléments. Il y a de ces éléments qui possèdent des degrés d'irritabilité différents.

D'abord tous les éléments ne perdent pas leur irritabilité avec la même rapidité chez tous les animaux. Mais cela ne paraît pas constituer une diffé¬rence radicale. Ainsi, chez les animaux à sang froid (grenouilles), les muscles perdent moins vite leur irritabilité que chez les animaux à sang chaud. Mais cela tient aux conditions de la température, car, en refroidissant des lapins par mon procédé de section de la moelle épinière au-dessous des nerfs phréniques, les muscles du lapin deviennent comme les muscles de la grenouille très électromoteurs et ne perdent que lentement leur irritabilité ; de même, en réchauffant la grenouille, ses muscles deviennent moins électromoteurs et perdent leur irritabilité plus vite ; ils se rapprochent ainsi des muscles des animaux à sang chaud. Il en est de même Ides autres éléments histologiques nerveux, sanguins, épithéliaux, vibratiles, etc.

Mais, bien que l'élément histologique soit d'autant plus apte à réagir et à être impressionné par les agents extérieurs qu'il est plus irritable, le degré d'irritabilité ne constitue pas à lui seul l'idiosyncrasie.

Il faut concevoir que les éléments histologiques peuvent être vivants et être néanmoins dépourvus d'irritabilité, par exemple muscles ou animaux à l'état de vie latente, muscles refroidis, etc. Donc, il n'est pas tout à fait exact de dire : tout ce qui est vivant est irritable. On pourrait dire : tout ce qui mani¬feste vie est irritable et doit être irritable, mais l'élément peut être vivant sans manifester la vie et alors l'irritabilité est latente, comme les autres manifes¬tations de la vie. De sorte que l'irritabilité n'est rien autre chose que la première manifestation générale de la vie.

L'irritabilité, cette manifestation initiale de la vie, apparaît sous l'influence des conditions extérieures capables d'éveiller l'apparition des phénomènes physico-chimiques . De sorte qu'il y a par cela un parallélisme entre l'appa¬rition des phénomènes vitaux et celle des phénomènes physico-chimiques sans qu'on puisse dire pour cela que les phénomènes physico-chimiques engendrent les phénomènes vitaux. Le contraire est même démontré ; car, si les phéno¬mènes vitaux ne peuvent apparaître sans accompagnement de phénomènes physico-chimiques, ceux-ci apparaissent très bien sans être suivis par les phénomènes vitaux (exemples : muscles empoisonnés, oeuf non fécondé).

Or, l'élément organique vivant, mais engourdi et non irritable, se réveille donc en quelque sorte sous l'influence des agents extérieurs, chaleur, humi¬dité, oxygène, etc. Hé bien ! c'est l'aptitude différente que cet élément possède pour ressentir l'influence des agents extérieurs et devenir irritable qui constitue l'idiosyncrasie. Or, l'élément organique manifeste la vie en se décomposant et les agents extérieurs le rendent irritable dès qu'ils commencent à le provoquer à se décomposer. Tous les éléments organiques ne se décomposant pas avec la même facilité sous la même intensité d'agents extérieurs, il en résulte qu'il y a entre eux des différences qui sont ce que nous appellerons des idiosyncrasies. Il y a là quelque chose d'analogue à ce qui se passerait pour un chimiste qui décomposerait divers sels par les agents extérieurs, en supposant qu'on puisse dire que le sel manifeste sa vie par ses décompositions. Sous l'influence de la chaleur, les carbonates se décomposeront en sulfates ; par l'eau, à la même température, les uns se dissoudront avant les autres, etc. Hé bien! nous dirions que ces différences à la décomposition sont les idiosyncrasies, soit pour la matière inorganique, soit pour la matière organique ; et on pourrait admettre avec assez de raison que les tissus les plus altérables sont les plus aptes à devenir irritables et à manifester la vie.

En résumé, l'idiosyncrasie est l'aptitude innée que possède un élément organique à manifester plus ou moins facilement l'irritabilité, qui est la mani-festation vitale fondamentale. C'est une sorte de sensibilité réelle qui appar¬tient à chaque matière, à chaque élément organique. J'admettrais donc que toute matière vivante créée est sensible à l'action des agents extérieurs qui tendent à la décomposer. Or, la matière la plus sensible est celle qui devient irritable la première et celle qui est le moins sensible devient irritable la dernière. Comme un individu entier qui présente des degrés de sensibilité divers, de même l'élément histologique.

J'admets donc que tous les éléments organiques sont inconscients, mais sensibles à des degrés divers aux agents extérieurs. Chaque élément est sen¬sible à sa manière, comme l'être tout entier l'est par le système nerveux. Mais le système nerveux n'est qu'un appareil le perfectionnant. Les êtres vivants sont tous sensibles, même les végétaux. Mais j'entends ici par sensibilité la propriété vitale inconsciente que possède la matière organique vivante de recevoir l'impression des agents extérieurs.

Or, cette sensibilité idiosyncrasique à recevoir l'impression des agents extérieurs est sans doute différente pour les divers éléments histologiques. Mais, ce qui nous intéresse, c'est de savoir que cette sensibilité organique, comme nous l'appellerons désormais, n'est pas la même pour les mêmes éléments chez les mêmes animaux. Ainsi, on pourrait dire qu'il existe sous ce rapport une échelle physiologique, comme il existe une échelle zoologique, bien qu'elles ne soient pas parallèles, ainsi que nous le verrons.

Mais, ce qu'il nous faut bien remarquer, c'est que, chez le même animal, les éléments histologiques n'ont pas tous la même sensibilité organique. Ainsi, suivant les organes, l'élément nerveux, l'élément musculaire, glandulaire possèdent des sensibilités diverses. En effet, comment comprendre autrement que dans le même milieu intérieur, par conséquent pour des conditions exté-rieures identiques, nous ayons des mêmes éléments plus ou moins irritables? C'est qu'ils possèdent une sensibilité organique différente, ce qui fait que dans des conditions identiques, ils ne se décomposent pas semblablement et n'ont pas un degré d'irritabilité semblable, d'où les différences de réaction qu'ils manifestent sous l'influence de leurs excitants naturels ou normaux (nerfs, poisons). Ainsi les fibres musculaires de certains muscles sont plus irritables, plus accessibles aux poisons que d'autres. Il y a une sorte d'échelle histo¬logique physiologique dans les systèmes musculaire, nerveux, etc. Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que ces différences de sensibilité organique peuvent se rencontrer en quelque sorte dans les mêmes organes. Ainsi les fibres musculaires des ventricules du cœur sont les premières en rigidité cadavérique et les fibres des oreillettes sont les dernières à devenir rigides et à sentir l'effet du poison. Le ventricule du cœur est le primum moriens, l'oreillette l’ultimum moriens. Dans le système nerveux, il y a peut-être encore des particularités plus intéressantes à étudier.

Mais il est très important d'ajouter que cette sensibilité organique des éléments histologiques peut varier suivant diverses circonstances.

D'abord il y a des conditions innées et héréditaires ; il y a ensuite des conditions acquises. Ainsi un nerf séparé de sa cellule devient plus irritable, s'empoisonne plus vite par le curare. Les maladies sont toujours en général, au début, une exaltation de l'irritabilité, ainsi que je l'ai montré pour l'empoison-nement par le curare ; puis l'irritabilité se perd ensuite.

Il y a un fait très remarquable, c'est que cette sensibilité organique s'émousse sous l'influence de l'action répétée des mêmes agents; ainsi des poisons, des agents physiques n'agissent que plus difficilement, c'est ce qui a lieu pour le crapaud qui devient insensible à son venin, ce qui a lieu pour la torpille qui devient insensible à l'électricité, pour certains poissons qui vivent dans des sources très chaudes et deviennent insensibles à la chaleur. C'est là une tolérance, mais ce n'est pas une différence absolue : c'est une résistance plus grande, comme les mangeurs d'opium, les fumeurs habitués, etc.

Il sera utile d'étudier si ces idiosyncrasies ou cette sensibilité organique ne peut pas varier en plus ou en moins suivant certaines conditions extérieures qu'on pourrait connaître afin de les empêcher. Ainsi une foule de prédis¬positions arrivent par des causes extérieures ; ces prédispositions ne sont que des sensibilités organiques spéciales de certains éléments qui font que tel individu s'enrhume ou contracte une maladie sous une influence qui ne lui aurait pas donné cette maladie dans un autre moment.

Les états de digestion, d'abstinence, de veille, de sommeil, d'âge, de sexe peuvent aussi apporter des modifications dans cette sensibilité organique spéciale qui fera le véritable désespoir du médecin et du biologue, tant qu'on n'aura pas rattaché toutes ces variétés aux causes prochaines qui les déter¬minent ou les règlent.

L'organisme se mithridatise, c'est-à-dire s'habitue non seulement aux agents physiques, comme la sensibilité de la peau s'émousse, mais il se mithridatise contre des agents morbides. Ainsi le vaccin qui empêche la variole pendant un temps si grand ! La syphilisation, la vaccination de la péripneumonie contagieuse ! Comment agissent toutes ces vaccinations ? Quelle modification est imposée à l'organisme ? Recherches très intéressantes à ce sujet.

Les contagions sont des questions expérimentales. Elles tiennent à des idiosyncrasies spéciales. Car une contagion n'a pas toujours lieu ; il faut donc que l'individu soit prédisposé. Il y a des êtres qui ne sont jamais prédisposés, de sorte qu'il n'y a jamais transmission. Mais cela même n'est pas absolu. Car il faut qu'un poison soit général ; on pourrait probablement mettre des individus dans des conditions telles qu'ils fussent sensibles à la transmission. Cette question domine toute la question de transmissibilité des maladies des animaux à l'homme et vice-versa. Ce sont des idiosyncrasies qui ont leurs conditions. Mes expériences sur le crapaud prouvent que ces idiosyncrasies peuvent être surmontées par des doses très élevées. Le-, expériences de la torpille sont dans le même cas. Les expériences de Bier montrent qu'on l'habitue au venin. Les mithridatés sont dans ce cas ; ce sont des idiosyn¬crasies naturelles ou acquises, mais ce sont toujours des conditions de nerfs plus ou moins excitables qui sont la condition physiologique. Il faut déterminer ces conditions ; exemple : l'alcool diminue l'excitabilité nerveuse ; reprendre mes expériences d'excitabilité des nerfs, qui sont plus excitables dans certaines conditions et quand ils sont séparés des centres.

Ces questions forment un des chapitres les plus intéressants de la médecine expérimentale.

En résumé, l'idiosyncrasie n'est que le degré actuel mais variable à l'infini de la sensibilité organique pour un même milieu ; ajoutez à cela qu'on peut encore faire varier cette sensibilité organique en modifiant le milieu et on aura l'idée de l'immense complexité de la médecine. Mais cependant c'est sur cette dernière possibilité de pouvoir modifier la sensibilité organique en modifiant le milieu qu'est fondée toute la thérapeutique préventive et efficace. On pourra arriver à mithridatiser l'organisme contre certaines actions toxiques ou nuisibles en modifiant le sang ; exemple : les gens ivres ; l'alcool, l'ivresse empêchent l'action de certains poisons ; poisons contre poisons.

Tout ce qui abaisse l'organisme et abaisse l'irritabilité, abaisse la susceptibilité pathologique. Il est probable qu'en abaissant un organisme élevé, une maladie aiguë cesserait et il est possible que ce qu'on appelle des contro-stimulants ne soient que des commencements d'empoisonnement qui abaissent l'organisme et font diminuer les phénomènes inflammatoires. En effet, la respiration diminue, ainsi que la circulation. Mais on pourrait produire le même effet sans empoisonner le malade par une substance toxique, en changeant son milieu respirable, ou en abaissant sa température par de l'huile sur la peau. En effet les animaux à sang froid ne sont pas susceptibles de maladies inflammatoires et les animaux à sang chaud vivent plus activement que les animaux à sang froid ; mais aussi ils meurent beaucoup plus active¬ment. Car ce que nous appelons la vie n'est pas autre chose que la mort des tissus, des organes, c'est-à-dire la décomposition par les agents extérieurs. Sous ce rapport, on pourrait dire que la maladie n'est souvent dès l'abord qu'une exagération de la vie et qu'une exagération de décomposition organique.

On ne saurait dire que la maladie ait introduit quelque chose d'absolument nouveau. Chaque état pathologique a son représentant physiologique et on ne peut pas dire que ce qui se fait après la mort ne se fait pas pendant la vie ; car la manifestation de la vie n'a lieu que par la mort des organes.

J'ai montré qu'il se fait du sucre pendant la vie et après la mort on a tiré de là une conclusion fausse (Pavy) ; on a supposé que le sucre ne se faisait qu'après la mort. Il se fait pendant la vie ; seulement il est emporté à mesure par le sang et le tissu du foie n'en contient réellement pas, tandis que le Sang qui sort de cet organe en contient d'autant plus que les phénomènes physico-chimiques de l'organisme sont en général plus développés. Ce n'est pas la mort qui fait le sucre, ce sont les conditions physiques de destruction de l'organe qui sont d'autant plus intenses que la manifestation vitale est plus énergique. Il en est de même pour la formation de l'acide carbonique ; il se fait après la mort, mais aussi pendant la vie, de la formation de la cholestérine, de beau¬coup d'autres corps chimiques. Ces choses-là se font après la mort comme pendant la vie, parce qu'elles sont l'expression de la destruction des organes. La destruction des organes se fait pendant la vie comme après la mort et on peut même dire que tout organe ne fonctionne qu'en échappant momentané¬ment à la force vitale. Un nerf séparé est plus excitable quand il commence à mourir. C'est donc une hérésie d'attribuer des forces à la vie, à la mort. Il n'y a que des conditions produites. La manifestation de la vie est un résultat de l'ensemble d'un certain nombre de conditions harmonisées. La manifestation de la vie peut ne pas avoir lieu parce que tous les organes ou tissus ne fonc¬tionnent plus ou que les rapports des organes ont été brisés. La manifestation de la vie est morbide parce que les conditions vitales se trouvent exagérées ou diminuées ; mais les conditions sont toujours normales ; il n'y a que désaccord. Un concert discordant et odieux peut néanmoins être produit par de bons instruments mais ne jouant pas en harmonie les uns avec les autres. La résultante qui est l'expression vitale totale n'existe pas, quoique les organes ou les tissus existent toujours. Dans beaucoup de cas ce dérangement morbide ne serait qu'une exagération de fonction - la fièvre est une exagération sympathique - diabète : exagération du foie, etc.

La vie, ainsi que je l'ai dit précédemment, est donc composée de deux choses la création vitale d'un organe, d'un organule, ou d'un organisme puis la destruction normale et évolutive de cet organisme. En effet, la vie suppose un mouvement dans le temps, un commencement, un milieu, une fin ; une création, une mort ou cessation. La substance organique, une fois créée, doit se détruire et sa destruction est ce qui constitue sa manifestation vitale. Cha¬que organule se détruit sans cesse, se renouvelle sans cesse et est remplacée par de nouvelles créations. En sorte qu'il n'y a de vital que la création des organules, mais tout le reste qui constitue la manifestation vitale est physico-chimique.

Nous pouvons reproduire en dehors de l'organisme tout ce qui est manifestation vitale et ce qui n'est pas vital à proprement parler ; exemple : digestions artificielles, contraction musculaire, évolution d'œuf, fécondations artificielles. Mais nous ne ferons jamais un œuf, ni une cellule quelconque, ni un globule du sang. La création organique nous est interdite, tandis que la création minérale nous est accessible. Nous pouvons prendre les éléments séparés d'une matière inorganique et en faire un composé à notre gré. Nous ne pouvons pas prendre les éléments matériels d'une substance vivante et les grouper de manière à faire cette substance vivante. Mais est-ce simplement une plus grande difficulté, une plus grande complexité ou bien une impossibilité ? Je pense que c'est une impossibilité.

En effet, nous pouvons constituer la matière brute, parce que sa nature est d'être en indifférence chimique. Mais la matière vivante doit être en état permanent d'instabilité et de renaissance ; la destruction de cette matière doit ramener par cela même sa renaissance. Je crois qu'il y a là quelque chose de spécial qu'il ne sera jamais en notre pouvoir de reproduire. Nous pourrons faire, comme dit Gerhardt, toutes les matières de la fleur ; mais nous ne ferons jamais la fleur. Les phénomènes physico-chimiques qui se passent dans les êtres vivants sont eux-mêmes évolutifs. Ils peuvent être réglés par la volonté, par les nerfs.

À ce propos, il importe de faire encore une remarque importante sur l'influence des nerfs sur les phénomènes physico-chimiques de l'organisme, c'est-à-dire sur les manifestations de la vie. Le système nerveux, le moral est une force spéciale aux êtres vivants et cette force domine toutes les autres. Les nerfs dominent les humeurs. De sorte que l'influence morale agit chimique¬ment et domine les humeurs. La joie, la musique font produire plus ou moins d'urée. Nous verrons donc plus loin qu'il faut absolument être neuro-pathologiste et lui subordonner l'humorisme (sic). Les anciens médecins avaient raison d'attribuer au moral une grande influence sur les maladies. Or, le moral affecté peut devenir lui-même une cause prédisposante de maladies.

En résumé, la prédisposition est le pivot sur lequel doit tourner toute la pathologie expérimentale. Car la pathologie suppose deux choses :

1˚ passage de l'état de santé à l'état morbide ;
2˚ retour de l'état morbide à l'état de santé ou mort.

passage de l'état de santé à l'état morbide

Il n'est pas possible de comprendre le passage de l'état de santé à l'état morbide sans une cause prédisposante et déterminante. Il est bon d'entrer à ce sujet dans quelques détails.

Quand les médecins énumèrent les causes des maladies, ils en citent en général un grand nombre et attribuée plusieurs causes à une même maladie. Or, je crois que c'est là une erreur. De même qu'un phénomène physiologique n'a qu'une seule cause qui réside dans la propriété d'un tissu liée intimement à une manifestation déterminée, de même une manifestation morbide doit être liée à une cause matérielle unique, mais pouvant survenir par divers procédés qui ne sont point des causes réelles. En effet, la cause d'un mouvement animal est toujours la contraction musculaire. Maintenant la volonté peut être une cause, un agent excitant ; les nerfs moteurs ou les muscles par le sang peuvent encore être des causes de mouvements. Enfin, des sensations conscientes ou non conscientes peuvent aussi être des causes de mouvements réflexes. Maintenant la nature de l'excitant porté sur le nerf ou sur le muscle pourra être variée à l'infini, mais il y aura toujours comme expression finale la même chose, c'est-à-dire contraction musculaire. Or, comme nous ne pouvons pas admettre scientifiquement qu'une cause différente produise un effet identique ; que nous devons admettre, au contraire, qu'un effet identique est toujours le résultat d'une cause identique, nous devons reconnaître que tous ces agents variés, ces procédés divers par lesquels peut arriver la contraction musculaire, arrivent tous en définitive à produire une action intérieure identique dans le muscle, action qui devient la cause efficiente et prochaine de la contraction musculaire. En un mot, la cause unique de la manifestation physiologique réside dans la propriété du tissu qui peut à la vérité être mise en jeu par une foule d'excitants extérieurs, mais ces excitants extérieurs à l'élément ne sont pas les causes réelles ou prédisposantes ; ce ne sont que les causes occasionnelles.

De même, pour l'état pathologique, la cause de la manifestation morbide ne peut résider que dans une modification déterminée dans les propriétés de l'élément histologique et à une modification déterminée répond une manifesta-tion déterminée, de sorte que la cause de la maladie doit encore ici être regardée comme unique. Une foule de causes occasionnelles pourront venir mettre en jeu cette prédisposition morbide. Ce sera tantôt le froid, le chaud, la fatigue, etc.

Mais dans tout cela on ne peut pas dire que ce soit véritablement la cause. Car une même cause doit toujours agir de même. Si l'impression de froid était la cause de la pneumonie, tous les individus atteints devraient avoir des pneumonies ; donc c'est la condition prédisposition qui est la cause réelle. Maintenant on ne peut pas même dire encore que le froid soit la cause de la pneumonie ; on a vu des gens prendre des pneumonies sans sortir de chez eux. Ce pourrait aussi bien être le chaud qui pût déterminer la pneumonie. C'est une rupture d'équilibre d'état physique qui produit le phénomène normal ou anormal, d'autant plus sûrement que l'action est plus brusque. Il faut appliquer ici ce qu'on sait pour la contraction musculaire ou pour l'excitabilité nerveuse. Toute action brusque, tout changement d'état brusque produit la manifestation du phénomène avec d'autant plus d'intensité que le changement est plus brusque, sans avoir égard à l'intensité. Les actions lentes n'ont pas d'action ; ce sont les changements brusques qui produisent le plus d'effet et l'intensité de ces effets est en rapport avec l'intensité de la rapidité et non avec l'intensité réelle de l'agent.

Cette théorie des causes morbides peut s'appliquer à tout, exemple : la morve, la pellagre sont des cachexies, je suppose, qui sont dues à une cause unique dans l'altération des humeurs, mais qui peuvent être produites par des circonstances variées, ma pour la pellagre ou excès de travail pour la morve.

Donc, si l'on veut guérir une maladie, ce n'est pas à la cause occasionnelle qu'il faut s'adresser, mais à la cause réelle de la maladie, c'est-à-dire à la modification de propriété ou de structure de l'élément histologique ; c'est à la propriété musculaire ou nerveuse qu'il faut s'adresser dans la convulsion ou le tétanos, à l'altération des humeurs dans la morve, à l'altération du poumon dans la pneumonie ; cela ne suffirait pas de remettre l'individu au chaud. Il faut en un mot que pour attribuer à une chose le rôle de cause, on puisse faire cesser l'effet en enlevant la cause : sublatà causà, tollitur effectus.

Il y a cependant une remarque importante à faire ici. C'est en ce qui concerne la cause de la prédisposition, ou plutôt la condition qui favorise le développement de cette prédisposition.

Ainsi le froid, l'humidité, la mauvaise nourriture sont des conditions qui peuvent engendrer des maladies diverses ; les influences morales sont égale-ment des conditions qui peuvent agir sur l'organisme. Or, si dans ce cas, avant que la prédisposition soit formée, avant que la maladie soit développée, vous enlevez l'individu à la condition qui créait la prédisposition, vous pourrez empêcher la maladie, mais, une fois la maladie formée, c'est fini ; vous avez beau enlever l'individu à la condition qui l'avait formée, la maladie suivra désormais son cours. Toutefois il n'en sera pas moins utile de soustraire l'individu à la condition morbigène, parce que, si la maladie poursuit malgré cela son cours, elle pourra se terminer plus heureusement. Pour les affections nerveuses, cela est très frappant ; on irrite un nerf périphérique par un clou, il y a fièvre ; si on coupe le nerf avant, il n'y a pas fièvre ; mais si on coupe le nerf après, il y a fièvre ; de même pour le tétanos. Si une passion non satisfaite peut produire une aliénation, dans le commencement en satisfaisant la passion, la raison revient mais, si on attend trop, l'altération morbide est produite et la maladie doit suivre son cours ; on a beau alors satisfaire la passion, la folie continue (Cerise, Morel, etc.). En résumé, tant que la maladie n'est pas confir-mée, on peut s'adresser à la cause immédiate du phénomène morbide, cause qui peut être très variée et pour laquelle il n'y a pas adéquation avec l'effet produit. Mais, une fois la maladie établie, il y a désormais une adéquation établie entre l'altération pathologique et le retour évolutif de l'état normal ; rien ne peut empêcher la maladie de continuer. On peut seulement rendre le retour à la santé plus facile. (Gall, Recherches médico-philosophiques.)

On voit donc ainsi qu'il y a une succession évolutive dans l'action des conditions et des causes.

Il y a d'abord des conditions physico-chimiques et morales dans lesquelles l'individu se trouve placé, sous l'influence desquelles la maladie se déve¬loppe ; tant que la maladie n'est pas développée, on peut soustraire l'individu à ces conditions et la maladie ne se développera pas. Mais une fois la maladie développée, elle suivra son cours ; la soustraction des conditions ne l'arrêtera pas, cela ne pourra que la faire terminer plus heureusement. La grande chose sera donc d'éviter les conditions qui prédisposent à certaines maladies. Il semble donc que l'action des influences qui provoquent des maladies modifie d'abord la fonction d'une manière passagère et légère puisque en enlevant la condition, bientôt tout revient dans l'état normal ; mais, si la condition modificatrice dure plus longtemps, elle amène une modification fonctionnelle durable qui ne disparaît plus quand on éloigne la condition modificatrice. C'est comme dans la modification des espèces on a fixé l'état morbide, comme on fixe la variété dans l'espèce une fois que la tendance de la nature à revenir à l'état normal a été vaincue, il y a un état nouveau qui ne peut revenir que par une régénération de matière, ce qui amène une évolution morbide.

En résumé, le passage de l'état de santé à l'état pathologique suppose donc une modification qui survient sous l'influence de conditions extérieures qui amènent une modification de texture et de propriétés dans l'élément histolo¬gique. Les conditions doivent créer la prédisposition morbide, c'est là la cause unique ; ensuite les causes déterminantes peuvent être variées à l'infini. Les causes occasionnelles même les plus énergiques n'agissent pas toujours ; les virus, les venins n'empoisonnent pas toujours ou ne produisent pas toujours leurs effets parce que les individus ne sont pas prédisposés. La prédisposition est donc la chose essentielle ; le venin, le virus n'est même pas absolu ; il y a la rage spontanée, il y a la morve spontanée qui cependant se transmettent par virus.

Le passage de l'état morbide à l'état de santé exige aussi certaines condi¬tions. Il faut sans doute que l'individu ait été soustrait à la condition qui avait produit la maladie, quoiqu'il puisse en quelque sorte avoir été vacciné pour les maladies qu'on n'a qu'une fois.

Le retour évolutif d'un organe malade à l'état de santé doit être considéré en général comme la végétation nutritive qui s'était arrêtée et qui reparaît, comme dans la glande sous-maxillaire privée de ses nerfs. C'est quelquefois aussi une élimination d'une substance nuisible qui s'était introduite et peut-être fixée dans l'organisme. Une maladie doit être considérée comme analogue à un empoisonnement; lire la préface de Lehmann, ainsi que Schmidt sur le choléra, où une maladie n'est qu'une diffusion troublée.

La cause morbifique ne peut agir qu'en pénétrant dans l'organisme c'est-à-dire dans le milieu intérieur ; lorsqu'on veut administrer des médicaments pour favoriser cette action réparatrice, il faut aussi faire pénétrer les médicaments dans le milieu intérieur pour le modifier. Nous savons qu'il est très difficile de savoir comment les médicaments peuvent agir, même les spécifiques. Toute¬fois, s'ils provoquent le retour à la santé, ils ne doivent pouvoir le faire qu'en déterminant des conditions identiques à celles qui surviennent naturellement ou en les activant simplement. Il me paraît que les médicaments doivent souvent agir en déprimant, ce qui doit arrêter la destruction organique. C'est peut-être l'action des saignées coup sur coup de Bouillaud ; cela s'appelle juguler la maladie, c'est-à-dire qu'on empêcherait l'augmentation en mettant un individu dans les conditions d'un animal à sang froid. Toutefois cet affai¬blissement paraîtrait mauvais pour les affections où il pourrait y avoir une affection septique. Spencer Wells qui fait manger les malades.

La diète, en effet, n'agit qu'en déprimant, mais elle peut être nuisible. C'est une étude très intéressante à reprendre, mais il faut la fonder sur l'étude de l'inanition à l'état de santé et à l'état de maladie. Ce seraient là les premières questions générales qu'il faudra étudier.

Je pense d'ailleurs que la thérapeutique expérimentale doit être basée sur l'action des médicaments à l'état sain et à l'état pathologique. En effet, il est tout naturel qu'un individu malade se trouve dans une disposition idiosyncra¬sique qui modifie l'action du médicament ou plutôt du poison. En effet, il n'y a de médicaments que les poisons : ubi virus, ubi virtus. Les médecins qui admettent une action médicamenteuse sur l'homme qui est autre que l'action toxique sont victimes d'une illusion (Pidoux). C'est le cas de tout ce qu'on administre et qui provoque une modification ; exemple : toute espèce de médicament modifie (Lugol) ; la soude modifie (Civiale) ; alors on peut croire qu'un médicament qui est un poison déterminé, si on le donne à une dose très légère, produit une modification qui n'a aucun rapport avec sa nature, mais elle ne lui appartient pas, et elle n'est que passagère.

L'abaissement de l'organisation par la diminution d'activité des agents extérieurs diminue la destruction des parties et, par conséquent, l'épuisement de l'individu ; mais elle ne paraît pas empêcher la force végétative ou réparatrice d'agir. Si l'on ne tient pas compte de ces choses, on peut souvent faire plus de mal que de bien par des moyens qu'on croit excellents. Ainsi on dit d'une manière générale qu'il faut ventiler beaucoup ; hé bien ! des faits prouvent que dans des salles mal aérées des malades amputés guérissent mieux que dans des salles bien aérées. Il peut se faire en effet que dans un air peu renouvelé l'individu s'abaisse peu à peu comme un oiseau sous cloche et qu'il résiste mieux à la cause morbifique qui l'épuise. Dans ce cas la venti¬lation qui active la combustion est mauvaise. Mais quand il y a un miasme qui se développe comme chez les femmes en couches, alors la ventilation est bonne ; mais il ne faut pas croire qu'elle est toujours bonne. Je crois qu'il y a des cas où il faut abaisser l'organisme et ne pas ventiler. On pourrait mettre un animal malade sous cloche ; son système nerveux s'abaisse, l'animal devient à sang froid ; on lui donne juste de l'air pour ne pas mourir et alors les agents toxiques agissent sur lui avec beaucoup moins d'activité et ainsi se trouve créée une idiosyncrasie favorable pour ne pas contracter la maladie ou, pour favoriser la guérison. C'est comme le cas de l'ivresse ou de l'action de l'éthérisation pour empêcher l'action de l'acide prussique. Ce sont là des sujets d'étude de la première importance sur lesquels toute la thérapeutique expéri¬mentale doit être basée. En effet, en abaissant ou en élevant physiologi¬quement l'organisme, c'est comme si on augmentait ou diminuait la dose de poison. Vous vous rendez ainsi maître doublement de l'organisme. Il faut donc traiter séparément : principes ou bases de la physiologie, de la pathologie, de la thérapeutique expérimentales.

Au point de vue physiologique: un individu qui se porte bien, qui est vigoureux est maintenu abaissé par l'action sympathique qui contracte les vaisseaux ; les nerfs retiennent les organes, empêchent la mort, c'est-à-dire la destruction. La force plastique a le temps d'agir ; elle agit en sens inverse de l'énergie du fonctionnement destructif ; il faut donc que ce dernier se repose.

Au point de vue pathologique, un individu fatigué, a la peau brûlante ; nerf sympathique relâché ; destruction des tissus ; aucune force plastique dimi¬nuée ; destruction d'organes ; action putrides diverses engendrées.

Au point de vue thérapeutique, abaissement de l'organisme et repos ou diminution des causes d'excitation ; l'oxygène et la chaleur sont des causes d'action parce qu'ils affaiblissent le corps ; alors la réparation organique revient. Les médicaments abaissent, c'est-à-dire rendent malade inversement. L'abaissement organique me paraîtrait le grand principe thérapeutique vital.

J'ai dit plus haut qu'il me paraît que les médicaments doivent souvent agir en déprimant, ce qui doit arrêter la destruction organique. Mais ce qui n'arrête pas pour cela la réparation organique. Ces deux choses ne paraissent pas nécessairement liées. Ainsi, J'ai fait des plaies au cou sur des marmottes endormies ; il n'y a pas eu de pus du tout et cependant la cicatrisation a été très rapide, bien que l'animal eût été très abaissé : car il n'avait dans le rectum que 4 à 5º au-dessus de zéro. De même chez les grenouilles, il ne se fait pas de pus en hiver, mais la cicatrisation se fait néanmoins aussi vite. Ce serait peut-être un bon moyen pour les réunions par première intention de refroidir les plaies. Cela tient probablement à ce que l'on diminue la circulation. La force végé¬tative cicatricielle qui est la force réparatrice évolutive, qui est la force agres¬sive par opposition à la force régressive des Allemands, paraît indépendante de la digestion. D'abord, la marmotte endormie ne digère pas et ensuite j'ai vu qu'en faisant certaines maladies par introduction de sondes dans le cœur, l'animal continue à manger et il meurt cependant en mangeant. Sans doute parce que la force végétative s'est arrêtée et il vit tant qu'il a à dépenser. Mais il ne fait plus de matière glycogène dans le cœur. Ce sera une singulière maladie à étudier. C'est un beau cas de pathologie expérimentale. L'animal est, dans ce cas, comme un muscle séparé du corps ou comme le cœur. d'une grenouille séparé, il vit tant qu'il épuise ses matériaux, mais il ne peut plus se nourrir.

Chez la marmotte, en effet, le tissu était exsangue. En liant l'artère d'un membre, une plaie de ce membre guérira peut-être plus vite et sans pus, tandis que sur l'autre membre non lié, il y aurait suppuration et guérison plus tardive. Chez des grenouilles, en été et en hiver. En effet, l'inflammation et l'endo-lorissement de la plaie qui dépend du sympathique produit une congestion qui s'oppose à la cicatrisation et forme du pus. Voir si, en coupant un nerf sensitif (racine rachidienne) avant son ganglion, une plaie se guérirait mieux dans la partie insensible. C'est là une série d'expériences très importantes à faire pour la chirurgie. En mettant les moignons dans C02, peut-être se cicatriseront-ils plus vite. La force végétative siège dans le tissu conjonctif et la cicatrisation peut se faire dans cette sorte de blastème appelé lymphe plastique, mais sans la participation des globules du sang qui sont plutôt nuisibles, surtout quand il y a congestion.

L'étude des conditions et des phénomènes propres au passage de l'état de santé à l'état de maladie et de l'état de maladie à l'état de santé constitue donc la médecine entière. La médecine expérimentale n'est pas autre chose et cela comprend tout. Ce qu'on appelle la nosologie, l'étiologie, l'anatomie patholo-gique ne sont que des branches qui sont comprises dans cela. Il y a ce qu'on appelle la médecine légale qui n'est qu'une application spéciale. Du reste nous reviendrons plus loin sur la classification des connaissances médicales.

Ce qu'il s'agit de rappeler ici c'est qu'il n'y a, dans toute cette évolution de phénomènes, que des modifications de propriétés physiologiques tenant à des conditions déterminées et étant liées à des altérations matérielles précises et également déterminées. Il n'est pas possible de transiger avec ce principe ; autrement on admet des effets sans causes déterminées et on est en dehors de la science.

Il ne peut pas y avoir un phénomène physiologique sans un élément anato-mique normal ; il ne peut pas y avoir un phénomène pathologique sans un élément anatomique anormal.

Maintenant, que la lésion du tissu soit visible ou non, il faut l'admettre. Car, comme le dit l'Ecclésiaste, nos vrais yeux sont dans la tête, et les yeux de l'esprit nous montrent des choses que les yeux du corps ne nous font point voir. Nos instruments optiques, naturels ou artificiels, sont d'ailleurs très bornés. Toutes les fois qu'on voit quelque chose, on peut dire qu'il y a quelque chose ; mais, quand en ne voit rien, on ne peut pas dire qu'il n'y a rien. Cela est vrai pour la vue simple et pour la vue au microscope. Quand on enlève la rate et qu'on ne voit rien, peut-on dire qu'il n'y a rien ? Évidemment non. On ne peut que dire qu'il n'y a rien d'appréciable pour nous dans l'état actuel de nos connaissances et de nos moyens d'investigation. N'ai-je pas fait voir en effet qu'après la section du sympathique cervical, on n'avait pendant longtemps rien vu d'autre que la modification de la pupille, et cependant il y avait les phénomènes calorifiques que tout le monde a vus depuis que je les ai signalés et que personne n'avait vus avant, bien qu'ils existassent comme aujourd'hui ?

Nous pouvons dire que nous sommes entourés d'une foule de phénomènes que nous ne voyons pas parce que nous ne les savons pas. Nous ne pouvons donc que dire que nous ne voyons rien, mais pas qu'il n'y a rien. Et d'ailleurs n'est-il pas évident que la vue est bien insuffisante pour nous instruire. Que pouvons-nous voir au microscope dans un mélange d'oxygène et d'hydro¬gène ? Rien, et cependant c'est un mélange explosible. Que pouvons-nous voir dans l'oxyde de carbone ? Rien, et dans le globule du sang qui a été en contact avec lui ? Rien, et cependant le globule du sang est inerte et a perdu toutes ses propriétés physiologiques.

Pour voir quelque chose, il faut qu'il y ait une réfraction différente dans la matière, autrement nous ne voyons rien (Brücke) ; c'est pourquoi nous employons des réactifs pour rendre apparents les objets sous le microscope et établir une différence de réfraction lumineuse entre deux substances qui possédaient la même réfraction.

En conséquence, les médecins qui admettent des lésions de forces quand ils ne voient rien sont donc absurdes et antiscientifiques. Il y en a en effet qui ont admis des lésions du principe vital (Barthez) ; le principe vital n'existe pas. C'est comme si on admettait dans une pile dérangée une lésion de l'électricité ; ce ne serait pas moins absurde que d'admettre une maladie de la force vitale. On n'admettra pas non plus nécessairement une maladie du cuivre et du zinc dans la pile, mais un simple dérangement dans leurs rapports peut suffire. De même un simple dérangement moléculaire ou un changement des rapports dans les particules vivantes peut produire un arrêt de fonction, une maladie, etc.

Les médecins qui admettent des névroses sont également absurdes s'ils admettent une lésion fonctionnelle sans lésions matérielles. La lésion maté¬rielle est nécessaire, quelle que soit la doctrine que l'on soutienne, que l'on soit matérialiste ou vitaliste. En effet je pense que la matière n'engendre pas les phénomènes vitaux, mais je pense qu'elle est la condition indispensable de sa manifestation et que la matière donne la forme absolue à la manifestation vitale, de sorte qu'il ne peut pas y avoir modification dans la forme de la manifestation vitale sans modification de la matière. Peut-on dire que dans les animaux il y a équivalence entre les phénomènes vitaux et les phénomènes physico-chimiques ? Ce serait possible ; mais dans tous les cas je pense que c'est comme dans la machine à vapeur, qu'il y a énormément de force perdue et non transformée en effet utile. Les expériences de Béclard, qui ont été répétées, paraissent prouver qu'il y a moins de chaleur produite dans la con¬traction d'un muscle chargé, ce qui indiquerait que cette chaleur en moins s'est changée en mouvement. Y aurait-il changement de chaleur en électricité ? Les animaux à sang froid possèdent dans leurs muscles et dans leurs nerfs une puissance électro-motrice considérable. Quand on refroidit un lapin par section de la moelle, la propriété électro-motrice de ses muscles et de ses nerfs augmente considérablement. (Réfléchir s'il y a possibilité d'établir une équi¬valence.) Dans tous les cas je ne crois pas que cela puisse s'appliquer aux phénomènes végétatifs. Un oeuf fécondé ne se développe que sous l'influence de la chaleur. Un œuf fécondé absorbera-t-il plus de chaleur qu'un œuf non fécondé dans lequel rien ne se développe, expérience délicate, mais curieuse. Voir si on peut la juger autrement.

Pflüger a vu également qu'il n'y a pas de rapport entre la force électro¬motrice d'un muscle et sa contractibilité vitale. J'avais déjà vu que les deux choses ne disparaissent pas nécessairement ensemble. C'est une simple coïnci¬dence, mais non un rapport de cause à effet ; démontrer que les phénomènes chimico-physiques n'engendrent pas les phénomènes vitaux.

Maintenant je serais d'accord si l'on veut simplement dire que les névroses sont des lésions qui ne se traduisent pas à nos moyens d'investigation et qu'elles ne détruisent pas l'organe, de manière à ce qu'il peut reprendre subite¬ment ses fonctions. On peut comparer cela à de l'huile qui enraye les roues d'une machine, mais c'est toujours une lésion qui se traduit matériellement, et non pas une lésion dynamique, ce qui est profondément absurde. Il peut y avoir des maladies mortelles dans lesquelles on ne voit rien, péritonite, tétanos, etc. ; de même, dans les chiens qui meurent étiques en mangeant toujours et n'ayant pas cependant de matière glycogène dans le foie. Comment le cathétérisme du cœur peut-il produire cette maladie? Est-ce une altération qui empêche la formation des globules du sang ? Est-ce quelque chose d'analogue à ce qu'a vu Lancereaux ? Et cependant il y a évidemment lésion matérielle ; car c'est l'instrument qui pêche. C'est comme si l'on disait d'un homme qui a les doigts liés et qui ne peut pas agir pour écrire, qu'il y a lésion dans la force de volonté ou de l'intelligence. C'est l'instrument mais pas la force qui peut être malade ; seulement la force peut se mal manifester, si l'instrument est défectueux ou altéré.

En résumé, il y a donc une anatomie normale et une anatomie patholo¬gique correspondant chacune à la physiologie et à la pathologie. Mais je n'entends pas que l'anatomie comprenne seulement l'étude des formes organiques ; elle comprend l'étude des propriétés et des caractères physiques et chimiques des matières.

Relativement à l'anatomie normale, je dirai en outre qu'il y a une anatomie cadavérique en quelque sorte et une anatomie vivante fonctionnelle ou encore physiologique. Il faut examiner les tissus à l'état de repos, à l'état de fonction; de même le sang dans les organes en repos et en fonction, et à l'état de maladie; ce sont les seules bonnes analyses qu'on peut faire aujourd'hui en se plaçant à ce point de vue. Ainsi on peut saisir avec l'alcool, par exemple, des villosités en fonction et puis, par l'éther et autres agents chimiques, étudier l'anatomie prise sur le fait de la fonction. On peut de même faire des injections sur le vivant ; ceci se trouve dans mon traité de vivisections.

L'anatomie pathologique elle-même ne doit pas seulement comprendre les tissus hétérologues et leurs formes, mais surtout leurs propriétés ; les virus, les venins, les liquides altérés, tout cela est de l'anatomie pathologique. Il faudrait connaître les propriétés du cancer vivant, ses propriétés comme ferment. Il faut aussi faire l'anatomie pathologique vivante et fonctionnelle. C'est le rôle de la pathologie expérimentale. Il faut étudier les tissus et le sang des organes sains, puis les rendre malades et étudier le sang et les tissus à ce nouvel état et déterminer ainsi les conditions pathologiques comparativement avec les conditions physiologiques pour chaque tissu et pour chaque organe. Ce sera, si l'on veut, la physiologie pathologique étudiée parallèlement à la physiologie normale.

Maintenant devrons-nous faire une classification des maladies, une nosologie ?

Il est évident que tout ce qui a été fait jusqu'ici ne peut être considéré que comme insuffisant. Ainsi la classification en pyrexies et apyrexies n'exprime rien ; examiner toutes les classifications ; les classifications fondées sur les caractères extérieurs ou celles fondées sur les lésions pathologiques, comme le veut Piorry, ne peuvent exister ; celle de Piorry est prématurée et mauvaise. Les classifications anatomiques, mauvaises ; par diathèse, mauvaises; les classifications par traitement, singulières etc.



Notes de l'article