La grippe ou influenza (1908) André/Rapports

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Rapports de la grippe avec diverses maladies


 
 

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Chapitre
Rapports de la grippe avec diverses maladies
Auteur
Gustave André
Extrait de
La grippe ou influenza (1908)
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La grippe épidémique chez les enfants

Cette page introduit un chapitre de l'ouvrage La grippe ou influenza, rédigé en 1908 par Gustave André.

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Rapports de la grippe avec diverses maladies


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Il peut arriver que la grippe évolue parallèlement à une autre maladie aiguë ou chronique, fièvres éruptives, fièvre typhoïde, coqueluche, rhumatisme articulaire aigu, érysipèle, névroses, paludisme, diabète, goutte, emphysème pulmonaire, tuberculose pulmonaire, affections hépatiques, urinaires, cardiaques, etc. L'une de ces maladies peut précéder ou suivre l'influenza. Dans ces circonstances, comment se comporte la grippe ? Quelles sont les modifications cliniques subies par les maladies parallèles ou consécutives ? Autant de questions pour lesquelles nous ne possédons, il faut bien le dire, que des données insuffisantes.

Pour la grippe et la fièvre typhoïde, les liens pathologiques sont assez bien établis ; nous avons déjà traité cette question à propos des formes abdominales et nous avons analysé, à ce sujet, le remarquable mémoire de Potain. L'association de ces deux maladies infectieuses constitue un type hybride, perverti et qui a grande chance de revêtir des allures graves ; cette sommation pourtant n'est pas certaine et le problème


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n'a jamais été réellement envisagé dans les diverses épidémies que nous avons traversées. Les six cas de Potain se sont tous terminés par la guérison, sans complications et sans reliquats bien sérieux. Pourtant, chez un malade traité en ville plus tard, le dénouement fut fatal. Après la défervescence de la dothiénentérie, et alors que la convalescence paraissait certaine, la grippe se réveilla avec une violence extrême et occasionna la mort. Dans un cas de Ménétrier où la fièvre typhoïde succéda manifestement à la grippe, les choses se passèrent assez bien et l'infection éberthienne, bénigne dans ses allures, parut céder le pas à celle de Pfeiffer.

Rendu a observé un cas plus sérieux. Un garçon apprenti avait présenté des signes de fièvre catarrhale grippale pendant cinq ou six jours ; il était mieux et avait repris son travail, lorsqu'il fut pris d'une fièvre typhoïde à allures sévères et insolites, telles qu'un mutisme absolu, de l'albuminurie, etc. ; finalement, il fut atteint d'une otite suppurée.

A. Siredey prodigua ses soins à un de ses amis chez qui survint, au cours de la grippe, une fièvre typhoïde avec dénouement mortel, après des symptômes comateux, à la fin du second septénaire. Il semble bien, d'après Siredey, que la grippe ait été le véritable facteur de l'aggravation de la fièvre typhoïde, en entraînant des complications rénales.


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Nous avons eu l'occasion d'examiner récemment (novembre 1906), avec le Dr Ch..., un homme de quarante ans qui, après avoir présenté des phénomènes très nets de grippe, fut pris de délire, de diarrhée, et chez qui se montrèrent de vraies taches rosées lenticulaires ; les urines étaient albumineuses. La convalescence parut s'établir, péniblement d'ailleurs, lorsque le malade succomba inopinément à des troubles urémiques.

Dans plusieurs observations de Widal, la grippe éclose la première ne semble pas avoir activé la dothiénentérie. Chantemesse, par contre, a vu un soldat, sortant d'une grippe légère, succomber en quelques jours à une fièvre typhoïde dont le diagnostic ne pouvait faire de doute.

Pourquoi la grippe jouirait-elle d'ailleurs du privilège d'atténuer l'infection éberthienne, alors qu'il est avéré qu'elle stimule toutes les maladies infectieuses ? On en a la preuve pour la pneumococcie, la streptococcie, la staphylococcie, la colibacilhémie, la tuberculose. L'influenza, au même titre que la rougeole, a pu favoriser plus d'une fois l'avènement d'une granulie.

Hanot a cité deux cas où une infection streptococcique est survenue dans le cours de la grippe. Dans un de ces cas, celle-ci affecta la forme typhoïde, puis éclatèrent une broncho-pneumonie, un épanchement pleurétique et finalement une


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méningite circonscrite de la base qui emporta le malade. On trouva le streptocoque dans le liquide pleural, dans le suc du poumon, dans le foie, dans la rate, etc.

Le rôle de la grippe dans l'apparition du rhumatisme articulaire vrai parait réel. C'est l'opinion de G. Weber qui, depuis 1889, a vu fréquemment des malades atteints de rhumatisme présenter des symptômes d'infection grippale. Dans ses recherches à l'hôpital Beaujon, il a pu déceler, chez des sujets atteints de rhumatisme aigu, l'existence antérieure d'une grippe ; d'où la nécessité chez les rhumatisants d'obtenir une asepsie rigoureuse de la bouche et des fosses nasales.

Dans un cas de grippe avec fièvre à type septicémique, Carrieu et Pelon, de Montpellier, ont obtenu la guérison avec le sérum de Marmorek. Il avait existé des troubles cérébro-méningés.

Cette observation, lue au Congrès français de Médecine de 1898 tenu à Montpellier, est intitulée : Grippe avec fièvre à type septicémique. Traitement par les injections de sérum antistreptococcique de Marmorek. Guérison. Elle est fort intéressante et remarquable par plusieurs points : d'abord, l'existence d'accidents méningés au début, une pleuro-pneumonie consécutive ; ensuite, un type bien particulier de la courbe thermique, enfin, la méthode thérapeutique mise en œuvre.


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Des exemples de cette forme inquiétante de la maladie, disent les deux auteurs, ont été rapportés par Gaucher, Comby, Juhel-Rônoy, Sevestro, etc. Le diagnostic de méningite fut d'abord posé, mais cette méningite guérissait. La courbe du malade de Carrieu et Pelon fit hésiter le diagnostic entre celui de fièvre rémittente paludéenne non traitée et celui de septicémie. Le sujet n'avait jamais eu de paludisme et la quinine, par voie hypodermique, n'avait aucune prise sur la fièvre. Il n'existait aucun foyer de suppuration (tissu cellulaire sous-cutané, articulations, séreuses) qui put expliquer cette fièvre. Le Professeur Carrieu, pensant qu'il s'agissait d'une septicémie due au streptocoque, prescrivit une injection de 15 centimètres cubes de sérum de Marmorek. L'état général du malade s'améliora rapidement. La septicémie était bien due au streptocoque que l'on trouva dans les crachats.

Nous avons déjà parlé de l'observation de Ch. Garnier concernant une pneumonie grippale se compliquant de phtisie caséeuse.

Maladies chroniques

C'est sur le terrain névropathique que la grippe exerce surtout son action néfaste ; toutes les névroses sont aggravées par elle. Les observations dans ce sens abondent, et de nombreux auteurs ont mis en relief ce fait incontesté. Nous citerons Grasset, Le Joubioux,


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Joffroy pour l'hystérie ; Séglas, Mairet, G. Ballet, pour les psychoses et la neurasthénie ; Villard pour la chorée ; Marriot, Kræpelin pour l'épilepsie. Les attaques de migraine, les crises épileptiformes, les névralgies diverses subissent une stimulation qui a pour résultat de multiplier leur apparition et de prolonger leur durée.

Les alcooliques, comme on pouvait s'y attendre, sont fâcheusement impressionnés par les toxines grippales, non seulement dans leur système nerveux, mais encore dans toutes les affections viscérales, plus ou moins latentes, dont ils sont porteurs. Ils voient leur tremblement s'accentuer, les fonctions cardiaques s'affaiblir et devenir irrégulières ; ils éprouvent des nausées, des vertiges, des ictus congestifs. En temps d'influenza, leurs bronchites, leurs broncho-pneumonies s'accompagnent volontiers de délire. La dyspnée, dans ces circonstances, est très prononcée et la bronchoplégie est imminente. S'ils se relèvent, ils traînent une convalescence pénible, et des maladies, latentes jusqu'alors, telles que myocardite scléreuse, cirrhose hépatique, etc., deviennent manifestes. Rendu, qui a étudié cette question, a vu chez un alcoolique une vieille affection du foie retentir sur le cœur et provoquer un ictère hémaphéique et de l'acné. Des accidents graves peuvent se développer chez les hépatiques, notamment la dilatation cardiaque


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rapide par action des toxines sur les nerfs du cœur.

La lithiase biliaire peut s'aggraver notablement du fait de la grippe ; Comby a publié sur ce sujet une observation très concluante. Nous avons nous-même entendu, tout récemment, un malade nous affirmer que sa première colique hépatique avait apparu quelque temps après une attaque d'influenza.

Qu'il s'agisse d'une dyspepsie, d'un ulcère de l'estomac, d'une appendicite assoupie depuis longtemps, on voit surgir des accidents parfois redoutables qui peuvent mettre la vie en péril.

Nous donnons des soins, depuis plusieurs années, à une dame âgée aujourd'hui d'une quarantaine d'années qui, lors de la grande épidémie de 1889-1890, éprouva, dans la convalescence d'une grippe moyenne, des troubles gastriques intenses, bientôt compliqués d'hématémèses. Depuis cette époque, cette personne est en proie périodiquement à des troubles significatifs, douleurs vives xyphoïdo-vertébrales, vomissements alimentaires ou sanguinolents. Elle rattache sans hésitation tous ces phénomènes à son attaque de grippe déjà lointaine.

Ce fait démontre une fois de plus la vérité de la théorie infectieuse de l'ulcère simple de l'estomac soutenue, si nous ne nous trompons, par le Professeur Letulle. Un fait récent, qui n'a rien à



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voir d'ailleurs avec la grippe, nous a démontre le bien fondé de l'opinion de Letulle. Il s'agit d'une jeune femme de trente ans qui n'avait jamais éprouvé le moindre trouble dyspeptique, et qui, quelques mois après sa quatrième grossesse, essuya une atteinte de rhumatisme articulaire aigu. Après la sédation des douleurs articulaires, il survint des douleurs gastriques violentes accompagnées d'abondantes hématémèses qui ont profondément anémié la malade. Nous ajouterons, pour être complet, que ce rhumatisme, très net d'ailleurs, avait cessé assez brusquement et avait été suivi presque immédiatement des phénomènes gastriques en question.

Le sulfate de quinine employé pendant la grippe n'empêche pas les paludéens de voir réapparaître les accès de fièvre intermittente. R. Grenier a publié six observations très nettes de réveil d'un impaludisme ancien. Pendant la convalescence de la grippe, il se produisit des accès à type quotidien. L'action de la quinine sur ces accès fut d'une efficacité rapide, alors qu'elle avait été d'un effet nul pendant la fièvre catarrhale.

On connaît les longues trêves de la tuberculose pulmonaire avec guérison apparente ; une grippe inopportune peut remettre tout en cause. Six faits rapportés dans la Revue de la Tuberculose, en 1897, sont très démonstratifs à cet égard. Dans l'un



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d'eux, un homme de cinquante-deux ans avait eu, trente ans auparavant, une tuberculose pleurale qui paraissait guérie à tout jamais ; survint une grippe qui ralluma l'affection ancienne et emporta le sujet. Dans une observation de Huchard, une vieille fille de soixante ans, arthritique, avait essuyé une première poussée tuberculeuse à vingt et un ans, puis une autre dix ans après, une troisième et une quatrième à quarante-cinq et cinquante-deux ans ; c'est la grippe qui causa l'aggravation rapide d'une tuberculose considérée comme éteinte (Thèse Colonna d'Istria, Paris, 1895). La cause de ces longues trêves paraît être la constitution arthritique des sujets.

Il n'y a pas de raison pour que la syphilis ne puisse subir un réveil plus ou moins évident par le fait de la grippe. Une observation de Holz paraît, à ce point de vue, assez concluante. Il s'agit d'un homme de trente-cinq ans chez qui, à propos d'une infection grippale, il apparut des douleurs orbitaires très vives qui furent bientôt suivies d'une petite tuméfaction du bord supérieur de l'orbite avec épaississement de l'os. Un traitement antisyphilitique fit disparaître rapidement cette lésion.

D'après Bouloumié, la grippe exerce une action réelle chez les arthritiques, non pas précisément en réveillant les manifestations articulaires, mais en troublant les fonctions digestives et rénales et



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en provoquant directement la gravelle biliaire. Nous avons quelques raisons de penser que, chez les goutteux, la grippe favorise l'apparition de crises aiguës. D'après Maurice Faure, elle peut créer des complications rhumatismales et névropathiques, ainsi que des infections naso-pharyngiennes.

Il n'est pas de praticien qui n'ait observé certaines conséquences funestes de cette affection chez les vieux emphysémateux, chez les cardiaques et chez les albuminuriques. La bronchite capillaire, la bronchoplégie, l'asystolie et l'urémie sont d'une fréquence inusitée dans les périodes d'épidémie.

Au point de vue chirurgical, Verneuil a bien mis en relief l'action fâcheuse de l'influenza sur les blessures et les opérations, en favorisant la tendance à la pyohémie. D'après l'éminent clinicien, dans l'histoire de cette maladie, comme dans celle de certaines maladies infectieuses, un chapitre spécial doit être consacré par les chirurgiens, ou, tout au moins, pour leur usage et à leur profit. On a pu constater, pendant l'épidémie de 1890, des complications procédant nettement du processus suppuratif. Lorsque la grippe fomente des désordres chirurgicaux, c'est en entraînant des collections purulentes ou des épanchements cavitaires, soit primitifs, soit secondaires, uniques ou multiples, et, dans ce dernier cas,


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tous les signes classiques de l'infection purulente peuvent faire explosion. Une inflammation suppurative, bénigne dans sa manifestation primordiale, peut envahir les méninges, comme on l'a vu à la suite d'abcès de la paupière, de l'oreille et du sinus maxillaire. Le pronostic des suppurations de cette origine est donc sérieux et l'intervention chirurgicale s'impose assez fréquemment, notamment pour les pleurésies purulentes.

Nous relevons, dans la communication faite par Verneuil à l'Académie de Médecine en 1890, deux observations bien significatives à cet égard. Il s'agit, dans la première, d'un charretier de vingt-neuf ans, robuste et bien portant, quoique entaché d'alcoolisme, et chez qui une grippe de moyenne intensité avait laissé à sa suite une convalescence imparfaite. Une rechute donna lieu à une broncho-pneumonie et provoqua consécutivement un abcès sous-pectoral à pneumocoques, une arthrite purulente sterno-claviculaire et une endocardite végétante. Malgré le drainage de l'abcès, le sujet succomba. La deuxième observation concerne une dame de quarante-quatre ans qui, à la fin d'une convalescence de grippe, subit l'ablation partielle du sein pour une petite tumeur de date récente, non adhérente à la peau ni aux parties profondes et avec quelques petits ganglions dans l'aisselle. La plaie opératoire suivit


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une marche très simple et très naturelle, Malheureusement, consécutivement au réveil des accidents grippaux, il survint une pyohémie tardive et la malade succomba treize jours après l'opération.

Il existe souvent un contraste frappant entre la bénignité réelle des affections locales et des opérations pratiquées contre elles et la gravité extrême des accidents généraux consécutifs. La terminaison funeste doit être sans conteste attribuée à l'infection en question. Si l'on excepte, dit Verneuil, les opérations d'urgence (qui forment toujours une catégorie à part) et celles que nécessitent les affections qui compliquent la grippe, toute opération qui serait permise chez un patient ordinaire sera ajournée chez un convalescent de cette maladie jusqu'à rétablissement complet. Il ne faut pas d'ailleurs oublier que la convalescence est généralement tardive et que les rechutes sont fréquentes et graves. Si l'ajournement trop prolongé de l'intervention était susceptible, de menacer gravement la santé du sujet, il faudrait bien sans doute entreprendre l'opération, mais instituer sans délai un traitement préalable vigoureux au moyen des ressources de l'hygiène et d'une thérapeutique rationnelle.

Le rôle du chirurgien devient très délicat quand la grippe, à titre de maladie intercurrente, vient s'abattre sur un malade, un opéré ou un



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blessé, car elle peut imprimer des modifications très sérieuses à la maladie ou au processus réparateur de la blessure.

D'après Berger et Peyrot, les affections chirurgicales, au cours de l'épidémie de 1890, se seraient comportées chez les malades d'une façon normale. Par contre, Desmons, de Bordeaux, conseille, en dehors des cas d'urgence, de s'abstenir autant que possible, pendant les épidémies d'influenza, de toute opération en général, mais spécialement de celles qui doivent porter sur les cavités buccales, nasales, pharyngiennes et respiratoires.

William H. Bennet a publié quatre observations très brèves, mais qui justifient les craintes à concevoir, non seulement quand une blessure survient après la grippe, mais encore lorsque cette dernière infection se manifeste dans le cours d'une affection chirurgicale ; l'éminent chirurgien a pu constater une tendance très marquée à la pyohémie et à la dispersion des foyers purulents. « En vérité, déclare-t-il, pour retrouver dans ma mémoire de tels exemples d'infection purulente aiguë, il faut me reporter à la période pré-antiseptique de la chirurgie. »

Verneuil a, lui aussi, eu à déplorer l'avènement de suppurations plus ou moins étendues dans certaines affections antérieures à la grippe (kystes de l'ovaire, hydarthroses, cystites, etc.). Il put voir


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surgir chez certains blessés des phlébites, des artérites et des lymphangites. L'influenza retarde les cicatrisations, désunit les plaies opératoires déjà fermées. Quelquefois, le traumatisme réveille cette affection, et celle-ci, à son tour, aggrave le traumatisme ; ce sont alors des complications diverses : état fébrile, broncho-pneumonies intenses, septicémie, pyohémie, sphacèle des plaies avec érysipèles ou lymphangites sur les bords. On doit insister très rigoureusement sur le drainage et les lavages antiseptiques après l'incision des abcès grippaux. On a remarqué que cette affection accélérait la marche des tumeurs.

Dans le service du Professeur Trélat, des opérés ont eu à souffrir de cicatrisations entravées par la grippe survenant peu de temps après l'intervention chirurgicale. Des abcès froids grattés et bourrés de gaze iodoformée ne se sont réparés que très lentement.

Déjà, avant que la sollicitude de Verneuil eût été mise en éveil, le Professeur Jeannel, de Toulouse, avait entretenu ses élèves de l'action funeste de l'influenza chez des opérés qui, dans des circonstances normales, eussent guéri sans incidents. Chez une jeune femme ayant subi l'ablation des deux ovaires, dix jours après la guérison d'une grippe légère, les choses avaient si bien marché que le succès ne pouvait faire l'ombre d'un doute, Pourtant, l'opérée, à la grande sur-


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prise du chirurgien, succomba avec des phénomènes de péritonisme, du délire, du trismus et de la contracture des membres. Le savant Professeur rejeta avec raison l'idée d'une infection d'origine abdominale et conclut nettement au réveil néfaste d'une grippe à forme abdominale. L'autopsie, comme on s'y attendait, ne révéla aucune lésion, même minime, soit dans le péritoine, soit dans le petit bassin.

De tous ces faits, il faut conclure avec Verneuil que des opérations rationnelles, d'ordinaire bénignes, irréprochablement exécutées, peuvent amener une mort inattendue, si elles sont pratiquées trop près d'une attaque de grippe.

Influenza et grossesse

Consulter Demelin (Journ. des. Pratic, 1896). A. Paré, Mauriceau, Dionis, Levret, etc., avaient remarqué l'action fâcheuse de la grippe sur la grossesse. De nos jours, Labadie-Lagrave, Queirel, etc., accusent cette maladie de produire l'avortement. Rufllé (Thèse Lyon, 1894), à propos d'obstacles suscités à la grossesse, place la grippe au même rang que le choléra, la variole, la fièvre typhoïde et le paludisme. Séguel (Thèse Paris, 1895) est moins pessimiste et donne des chiffres moins décourageants. Pour ce dernier auteur, au moment du travail, les contractions utérines seraient peu énergiques et très espacées : d'où une durée in-


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solite de l'accouchement. Pendant les suites de couches, il est quelquefois difficile de différencier la grippe de l'infection puerpérale. C'est ainsi que, en 1901, nous avons traité, conjointement avec les Professeurs Secheyron et Ch. Morel, de Toulouse, une jeune femme récemment accouchée, chez qui la température, les frissons, l'agitation nous firent conclure à une fièvre puerpérale, Au bout de quelques jours, l'apparition d'un léger délire et un certain degré de ballonnement du ventre nous fit songer à la fièvre typhoïde. Enfin, l'éclosion d'une congestion pulmonaire mobile nous fit accepter définitivement le diagnostic d'influenza qui, heureusement, fut le vrai.

Dans les cas sévères, après les couches, on voit surgir des frissons, de la fièvre, de la trachéo-bronchite, de la broncho-pneumonie. Après une rémission trompeuse, la fièvre se rallume et la broncho-pneumonie évolue pendant des semaines. Parmi les complications, il faut citer la pleurésie, la conjonctivite purulente, l'abcès de la glande vulvo-vaginale, le phlegmon du ligament large, la phlegmatia alba dolens, etc.

Chez le nouveau-né, d'après Fiessinger, Comby, Cadet de Gassicourt, etc., les troubles respiratoires seraient très rares. Voici, d'après Strassmann, comment évolue la grippe chez le nouveau-né : la maladie débute le troisième, le sixième ou le neuvième jour. L'abaissement de la température


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peut aboutir à 35° et même à 32° (?). Runge admet au contraire, la production, d'hypérthermie. Il existe du coryza, de la dyspnée, de l'enrouement, de la diarrhée; l'amaigrissement est très rapide. Dans les cas sérieux, l'enfant est plongé dans une somnolence plus ou moins marquée. La maladie dure trois ou quatre jours, quand elle est bénigne. Les complications oculaires et auriculaires (Comby), la pneumonie, la broncho-pneumonie sont très fréquentes. L'enfant peut succomber au bout de trois jours avec de la contracture tétanique (Ruffié). S'agit-il d'une infection intra-utérine, ou d'une contagion s'exerçant post partum ? Le débat n'est pas tranché. Il est probable que les deux modes d'invasion existent.

Le Dr Séguel, dans une thèse remarquable (Paris, 1895), a étudié la grippe dans ses rapports avec la grossesse, les suites de couches elles maladies de l'appareil génital de la femme. Au Moyen-Age, nous rappelle l'auteur, l'influenza comme cause d'accouchement prématuré et d'hémorragie a été notée par de nombreux médecins : Valesco, de Tarente, en 1410 ; Forest, en 1657 ; Pasquier, en 1411 ; Ch. Guillemeau, en 1621 ; Bartholin, en 1672 ; Mauriceau, en 1694 ; Dionis, en 1718 ; Beccaria, en 1730 ; Levret, en 1763 ; Baudelocque, en 1781, etc., etc. La notoriété de ces observateurs rend indiscutable la réalité de ces faits.


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Ménétrier, cité par Séguel, a publié, dans sa thèse bien connue, plusieurs observations de grippe compliquant la grossesse. L'observation XX, notamment, a trait à l'histoire d'une femme de vingt-cinq ans qui, atteinte d'une pneumonie de cette origine, fit une fausse couche de trois mois et demi, le septième jour de sa maladie. Le Professeur Proust et le Dr Bertillon, rappelle encore Séguel, affirment que neuf mois après la grande épidémie de 1889-1890, le nombre des naissances diminua sensiblement. D'après Proust, la grippe semble agir d'une façon défavorable sur la grossesse et ses suites. Dans son exposé historique, l'auteur cite encore une observation de G. Meyer, de Berlin, concernant un avortement dû à l'influenza. Il rappelle les faits de Bonnemaison, de Toulouse, prouvant l'identité existant, au point de vue de l'origine, entre les fièvres puerpérales, purulentes, typhoïdes, les érysipèles, certaines pneumonies et, en général, toutes les affections malignes. Il s'agit, comme nous l'avons déjà vu, des manifestations septicémiques et pyohémiques de la grippe. Dans cet historique, figure l'opinion du Professeur Leyden (International Klinisch, 1890) sur la tendance des femmes atteintes d'influenza aux métrorragies et aux autres variétés d'hémorragie. Huber, en revanche (Centralblatt, 1890), nie l'action de la grippe sur la fréquence des avortements.


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De 1890 à 1895, nombreux sont les auteurs qui se sont préoccupés de cette question ; Séguel cite les Professeurs Proust, Verneuil, Bouchard, J. Teissier, les Drs Widal, Troisier, Labadie-Lagrave, Trastour, Queyrel, Rémy, etc.

Sa thèse, très documentée, rapporte dix observations d'hémorragies utérines en rapport avec l'influenza, observations empruntées à divers cliniciens. Il y aurait, d'après Séguel, quelque chose de plus qu'un simple hasard dans ces métrorragies ou ces règles plus ou moins abondantes, faisant irruption à diverses époques de l'évolution grippale. Pour ce qui concerne les lésions génito-urinaires de même origine, notre auteur relate quelques observations empruntées à la thèse de Leclerc (Strasbourg, 1891) et concernant des tumeurs diverses, telles que myomes sous-séreux, kystes ovariques, carcinome des ovaires, tuberculose des organes génitaux, etc. D'après Leclerc, l'influenza favoriserait même la transformation des tumeurs bénignes en tumeurs malignes. À propos de cette action dans la grossesse, la thèse du Dr Séguel renferme des observations très significatives dues au Professeur Queyrel, de Marseille, du Professeur Rémy, de Nancy, et une observation inédite recueillie à la Clinique Baudelocque. Les cas de Queyrel sont fort instructifs ; il s'agit de phénomènes grippaux avec température élevée et apparition de dou-



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leurs bien avant le terme. La rupture de la poche des eaux peut se faire prématurément, avant tout début du travail, au début même du travail, enfin, à la dilatation complète. Les contractions utérines semblent plus languissantes. La grippe peut aussi déterminer des suppurations dans divers organes et simuler parfois la fièvre puerpérale.

Mlle Schirsky (Thèse Paris, 1898) a étudié également la maladie dans ses rapports avec la puerpéralité. Ce court, mais substantiel travail est surtout constitué par un important faisceau d'observations. Il résulte de ces recherches cliniques que la grippe présente une certaine gravité pendant la grossesse, et l'auteur signale surtout, comme cause de complications, la ténacité de la toux. Les placentas ne présenteraient pas de lésions réellement grippales, et, chez les femmes accouchées, on n'observerait pas d'hémorragies graves dans les suites de couches. En revanche, elles seraient plus facilement infectées, et, dans ces circonstances, ces infections secondaires de la maladie pourraient acquérir une gravité particulière. L'auteur signale aussi des complications associées et une phlegmatia alba dolens suscitée peut-être par le bacille de Pfeiffer.



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