Si le roi m'avait donné Paris (chanson)

De Wicri Musique
Près du Gué-du-Loir, le château de la Bonne-Aventure (à Mazangé) qui est chanté dans le refrain...

Si le roi m'avait donné Paris est une ancienne chanson française.

Une discussion reprise du Courrier de Vaugelas montre une attribution possible mais contestée à Pierre de Ronsard.

Elle a été immortalisée dans le répertoire des chansons pour enfants et par Molière dans sa pièce Le Misanthrope.

Paroles et musique


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\lyricmode {
    Si le Roi m’a -- vait don -- né
     Pa -- ris sa grand vi --  i -- lle.
   Et qu’il me fal -- lût quit -- ter
   L’a -- mour de ma mi -- i -- e.
   Je di -- rais au roi Hen -- ri
   Re -- pre -- nez vo -- tre Pa -- ris,
  J'ai -- me mieux ma Mie au gué
  J'ai -- me mieux ma Mi -- i -- e.
}}
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Des références et reprises contrastées

Le Misanthrope

Cette chanson a été reprise par Molière dans le Misanthrope. Plus précisément dans la scène II de l'acte I, Oronte demande son avis à Alceste sur un somment qu'il vient de composer.

Oronte demandant son avis à Alceste en présence de Philinthe :
Est-ce qu'à mon sonnet vous trouvez à redire ?

Voici la réponse d'Alceste :

Oronte

Voilà qui va fort bien, et je crois vous entendre.
Mais ne puis-je savoir ce que dans mon sonnet…

Alceste

Franchement, il est bon à mettre au cabinet.
Vous vous êtes réglé sur de méchants modèles,
Et vos expressions ne sont point naturelles.

Qu’est-ce que Nous berce un temps notre ennui
Et que, Rien ne marche après lui ?
Que, Ne vous pas mettre en dépense
Pour ne me donner que l’espoir ?
Et que, Philis, on désespère,
Alors qu’on espère toujours ?

Ce style figuré, dont on fait vanité,
Sort du bon caractère et de la vérité ;
Ce n’est que jeu de mots, qu’affectation pure,
Et ce n’est point ainsi que parle la nature.
Le méchant goût du siècle en cela me fait peur ;
Nos pères, tout grossiers, l’avaient beaucoup meilleur,
Et je prise bien moins tout ce que l’on admire,
Qu’une vieille chanson que je m’en vais vous dire.

Si le roi m’avait donné
Paris, sa grand’ville,
Et qu’il me fallût quitter
L’amour de ma mie,
Je dirais au roi Henri :
Reprenez votre Paris ;
J’aime mieux ma mie, ô gué
J’aime mieux ma mie.

La rime n’est pas riche, et le style en est vieux :
Mais ne voyez-vous pas que cela vaut bien mieux
Que ces colifichets dont le bon sens murmure,
Et que la passion parle là toute pure ?

Si le roi m’avait donné
Paris, sa grand’ville,
Et qu’il me fallût quitter
L’amour de ma mie,
Je dirais au roi Henri :
Reprenez votre Paris ;
J’aime mieux ma mie, ô gué
J’aime mieux ma mie.

Voilà ce que peut dire un cœur vraiment épris.
(À Philinte, qui rit.)
Oui, monsieur le rieur, malgré vos beaux esprits,
J’estime plus cela que la pompe fleurie
De tous ces faux brillants où chacun se récrie.


Chez les nourrices

Chansonsetrondes00weck 0021.jpg

Dans son recueil Chansons et rondes enfantines publié en 1870, Jean-Baptiste Weckerlin donne les paroles suivantes[1] :

L’ENFANT
Je suis un petit garçon
De belle figure
Qui aime bien les bonbons
Et les confitures
Si vous voulez m'en donner
Je saurai bien les manger
La bonne aventure oh gai !
La bonne aventure
LA MAMAN
Lorsque les petits garçons
Sont gentils et sages,
On leur donne des bonbons,
De belles images ;
Mais quand ils se font gronder,
C’est le fouet qu’il faut donner,
La triste aventure,Oh gai !
La triste aventure !
L’ENFANT
Je serai sage et bien bon,
Pour plaire à ma mère,
Je saurai bien ma leçon,
Pour plaire à mon père ;
Je veux bien les contenter.
Et s’ils veulent m’embrasser…
La bonne aventure, Oh gai !
La bonne aventure !

Reprises opportunistes

Cet air très populaire a fait naturellement l'objet de multiples reprises. Sur ce wiki, on trouve par exemple un compliment dédicacé à Stanislas Leszczynski par le jardinier du château de la Malgrange (près de Nancy).

Le Courrier de Vaugelas bpt6k58338043 1.jpeg

Discussion chronologique

Dans la revue le Courrier de Vaugelas, plusieurs échanges entre Éman Martin et les lecteurs évoquent l'origine de cette chanson.

Explication de 0 gué

Un premier échange initialise le débat à partit d'une question d'un lecteur.


- 186 (G) -
Question
Puisque, non seulement vous permettez, mais encore, que vous provoquez les questions sur la langue, je m'adresse à vous pour un éclaircissement qui me fait défaut depuis longtemps. Tous connaisses le refrain : J'aime mieux. ma mie, o gué, J'aime mieux ma mie, qui se trouve dans le Misanthrope de Molière. Auriez-vous la complaisance de me dire ce que signifie ici : o gué ?
Réponse

On trouve ce qui suit aux pages 7 et 8 de la ""Biographie d'Alfred de Musset, récemment publiée par son frère, M. Paul de Musset :

«... Selon l'armoriai de France, les armes de la famille de Musset sont d'azur à l'épervier d'or, chaperonné, longé, perché de gueules, avec cette devisé : Courtoisie, Bonne-Aventure aux preux. La Courtoisie et la Bonne-Aventure étaient deux terres patrimoniales. La première appartenait encore à la famille au milieu du siècle dernier; la seconde, qui a fait partie du patrimoine d'Alfred de Musset, fut occupée par Antoine de Bourbon; père de Henri IV, pendant le séjour dé la cour de France aux châteaux d'Amboise et de Blois. Elle est située à deux lieues de Vendôme, au confluent du Loir et d'une petite rivière, dans un lieu qu'on appelle le Guè-du-Loir. Antoine de Bourbon, comme on sait, ne menait pas une vie fort édifiante... Pour se distraire des ennuis de la représentation, il quittait souvent la cour, et se rendait à ; la Bonne-Aventure, où il donnait asile à des donzelles encore moins vertueuses que les filles d'honneur de la reine Catherine. Le secret de ces parties de plaisir fut mal gardé ; le bruit en vint aux oreilles du poète Ronsard, qui se trouvait à la Poissonnière, non loin de Vendôme. Ronsard fit sur les fredaines du roi de Navarre une chanson dont le refrain était : La Bonne-Aventure au gué, la bonne aventure! Cette chanson satirique parcourut toute la France, et l'air en a été conservé par les nourrices. »

Or, attendu que le refrain des couplets cités par Alceste dans le premier acte du Misanthrope dérive évidemment de celui de la chanson de Ronsard, j'en tire cette triple conclusion :

1° Que, gué, dans.le refrain en question, est une abréviation de Gué-du-Loir;
2° Que l'auteur a mal orthographié en mettant devant gué un o, signe du vocatif, et.que c'est l'article composé au qu'il faut dans cet endroit;
3° Que ledit refrain est un non-sens des plus complets, lé mot gué ne pouvant naturellement aller qu'avec la Bonne-Aventure, nom de la propriété possédée jadis au Gué-du-Loir par Antoine de Bourbon.

C'est grâce à la connaissance du passage cité plus haut que j'ai pu enfin répondre à cette question, dont je cherchais la solution depuis fort longtemps. Aussi j'adresse mes bien sincères remerciements à M. Loiseau, professeur au lycée de Vanves, qui, non content de me l'avoir signalé de vive voix, a bien voulu m'en envoyer une copie quelques jours après.


Réparation d'une offense à la chronologie

Voici une rectification publiée quelques mois après.


- 58 (G) -

A la page 186 de la 7e année, j'ai donné comme récente la découverte du sens de O gué(, qui se trouve dans le refrain : « J'aime mieux ma mie, o gué «. C'est une erreur que M. F. B., de Rouen, a bien voulu me signaler en ces termes :

Il y a longtemps que le sens de la vieille chanson citée avec tant d'éloges par Alceste, dans le Misanthrope, est connu;
Dès 1854, M. Léon Feugère l'avait révélé par une note de ses Morceaux choisis des Classiques français à l'usage des classes supérieures. Delalain 3° édit., p. 168.
Il disait, en effet :
« M. Ampère a dit récemment dans son rapport sur les Poésies populaires de la France : « Le Henri de cette vieille chanson, comme l'appelait Molière, n'est point Henri IV, mais Henri II. Suivant M. de Péligny (Histoire archéologique du Venddmôis, in-4°, 1849, p. 342), elle aurait été composée par Antoine de Navarre, duc de Vendôme, qui réunissait de gais convives au château de Bonnaventure (ou la Bonne Aventure), près le Gué-du-oir, et se plaisait à y composer avec eux de joyeuses chansons. Le refrain, qui fait allusion à la position du manoir, doit donc être orthographié au Gué, et non O gué, comme cela a eu lieu dans la suite par corruption. Cf-. là Vie militaire et privée de Henri IV (par Musset Pathay), in- 8% 1803, p. xxxix. »

Rectification

Voici enfin une nouvelle rectification venant de Paul de Musset (frère d'Alfred).


- 58 (G) -

A la page 53 de la présente année, j'ai inséré une note destinée à montrer que l'explication de ô gué dans le refrain « J'aime mieux ma mie, 6 gué » était antérieure à la Biographie d'Alfred de Musset, où je croyais qu'elle avait paru pour la première fois. Mais cette note contenait deux erreurs, l'une relative au Henri de la chanson dont je viens de rappeler le refrain, et l'autre, à son auteur, ce qui m'a valu la rectification que l'on va lire :

Paris, le 30 novembre 1877.
Monsieur,
Le numéro du Courrier de Vaugelas du 15 octobre 1877 contient un article intitulé « Réparation d'une offense à la chronologie » dans lequel vous revenez sur l'explication que vous aviez donnée précédemment du sens des mots 6 gué! dans la chanson « J'aime mieux ma mie ô gué » citée par Alceste au 1" acte du Misanthrope. Votre explication était bien plus près de la vérité que la rectification du 15 octobre, où je remarque plusieurs erreurs. La page xxxix du livre de mon père, M. de Musset-Pathay, sur la Vie militaire et privée de Henri IV, a été citée d'une manière incomplète et inexacte par M. de Pétigny dans son Histoire archéologique du Vendômois, et cette citation fausse a été maintes fois reproduite par d'autres. Si vous aviez lu cette page xxxix, vous y auriez vu que Antoine de Bourbon avait loué à la famille de Musset un petit château appelé la Bonne-Aventure, sis au guë-du-Loir, à deux lieues de Vendôme (le bail existe encore); que ce prince y rassemblait, non pas seulement de gais convives, mais des demoiselles de moyenne vertu; que le poëte Ronsard, qui habitait la Poissonnière, à quatre lieues de là, fit une chanson satirique sur les fredaines du roi de Navarre, dont le refrain était : la bonne aventure au gué, la bonne aventure ! et que telle est la seule origine des mots ôguè, dont la raison d'être se trouve dans le nom et la situation géographique du château de la Bonne-Aventure, ce qui a permis à Ronsard de jouer sur le mot.
Il résulte de cette historiette que la chanson d'Alceste est postérieure à celle de Ronsard, car les mots ô gué! n'ont pu se trouver nulle part avant que Ronsard eût tiré de son obscurité le hameau du Gué-du-Loir. Cette chanson satirique sur le roi de Navarre courut toute la France, et puis on l'oublia, et il en resta le refrain : « la bonne aventure ô gué » que les nourrices et les bonnes d'enfants chantent encore. Selon toute apparence, l'auteur inconnu de la chanson d'Alceste a composé son couplet après la mort de Ronsard (1585), lorsque le sens des mots ô gué était perdu, puisqu'il les emploie d'une manière qui n'a point de sens. Quant à l'idée que cette chanson aurait été faite par Antoine de Bourbon lui-même, c'est une fantaisie qui ne repose sur rien et ne supporte pas l'examen. Il n'en est point question dans le livre de mon père sur Henri IV, et si M. de Pétigny l'a imaginée pour dissimuler les moeurs légères d'Antoine de Bourbon, elle est puérile.
Dans ce qui précède, non plus que dans ce que vous a écrit votre correspondant de Rouen, M. F. B., on ne trouve rien qui puisse déterminer auquel des trois Henri s'applique le couplet de la chanson du Misanthrope; je ne vois donc aucune raison de croire que ce soit le roi Henri II, plutôt que Henri III ou Henri IV.
Recevez, Monsieur, l'assurance de ma considération très distinguée.
Paul DE MUSSET.

Comme je cherche la vérité, même dans ce qui n'est qu'accessoire relativement aux questions que je traite ici, je me suis empressé de reproduire, aussitôt que possible, la communication que M. Paul de Musset m'a fait l'honneur de m'adresser.


Voir aussi

Notes
Sur ce wiki


Liste des œuvres parodiées ou dérivées :