Scriptorium (1970) de Meeüs

De Wicri Musique

Musique des XVe et XVIe siècles : travaux sur le « tactus »


 
 

Titre
Musique des XVe et XVIe siècles : travaux sur le « tactus »
Auteur
Françis de Meeüs
In
Scriptorium tome 24, numéro 1 pages 125-128 , 1970.
Source
Persée,
https://www.persee.fr/doc/scrip_0036-9772_1970_num_24_1_3410

Cet article a été rédigé à propos de la publication posthume d'un ouvrage d'Antoine Auda sur la théorie et les pratiques du tactus.

Le texte

L'article

De nombreux travaux ont paru ces dernières années sur le « tactus ». Ils ont attiré l'attention des érudits et des musicologues sur cette forme de battue et de mesure qui s'appliquerait à l'ensemble de la musique antérieure au milieu du XVIIe s. et particulièrement à celle des XVe et XVIe siècle. En rendant compte d'un ouvrage récent sur le sujet, nous rappellerons quelques étapes de ces recherches. Nous serons heureux en même temps d'évoquer la mémoire d'un érudit qui s'est particulièrement signalé dans ces travaux et qui était loin d'être un inconnu pour les lecteurs de Scriptorium. Il avait en effet donné dans notre Revue une série d'études. Avant de mourir, l'auteur a pu condenser une dernière fois son enseignement, et nous donner, en un corps parfaitement coordonné, l'ensemble de ses conclusions sur le sujet. Il s'agit d'un ouvrage posthume, mais auquel l'auteur avait travaillé de longues années ([NDLA 1]).

Dès l'abord, la somptueuse impression de ce texte sur papier de luxe, les planches de musique ancienne, gravées en deux couleurs, l'abondance de nous en imposent. Elles sont dignes du sujet et de la mémoire de celui qui nous transmet ses ultimes enseignements. Il s'agit d'une œuvre posthume, en effet, dernier écho d'une voix qui s'est éteinte. L'a. a pu heureusement, malgré son grand âge, mettre le point final à cette œuvre importante, couronnement de sa carrière. Des mains amies en ont assuré la publication. Disciple de Tirabassi, autre érudit qui fut, lui aussi, durant de longues années, l'hôte de notre pays, l'a. avait consacré son existence à l'étude de la musique ancienne et particulièrement au problème du « tactus ». Son nom était bien connu de nos lecteurs. Il avait en effet publié dans Scriptorium une série d'études. Relevons quelques titres :

  • La transcription en notation moderne du « Liber Missarum » de Pierre de la Rue (dans Scriptorium, t. I, 1946- 1947, p. 119-128) ;
  • Antonio Tirabassi (1882-1947) (ibid., t. I, p. 321-325) ;
  • La Prolation dans l'édition princeps de la « Messe de V Homme armé » de Palestrina et sa résolution de 1599 (ibid., t. II, 1948, p. 85-102) ;
  • Le Tactus, clef de la paléographie musicale des XVe et XVIe siècles (ibid., t. II, p. 257-274) ;
  • Le Tactus, principe générateur de de la musique polyphonique classique (ibid., t. IV, 1950, p. 44-66).

Lorsqu'il faisait paraître ces études, l'auteur avait déjà à son actif toute une série de publications, et sa réputation de musicologue avait largement dépassé nos frontières[NDLR 1]. Après quelques publications mineures, parmi lesquelles nous citerons l'Office de Saint-Trudon (Schola Sanctorum, Paris, 1911) et Etienne de Liège (Publicalions de V Académie royale de Belgique, Bruxelles, 1923), qui le signalèrent à il avait publié un ouvrage qui avait fait sensation : La musique et les musiciens de l'ancien Pays de Liège (Bruxelles, 1930, 300 p.), et qui lui avait valu le Prix Rouveroy. En même temps il collaborait à de nombreuses revues musicales tant dans notre pays qu'à l'étranger (Ada musicologica de Copenhague, notamment). La même année 1930 voyait paraître un ouvrage intitulé : Les modes et les tons de la musique et spécialement de la musique médiévale (Mémoire couronné par l'Académie royale de Belgique) (Bruxelles, 1930, 200 p.). Enfin en 1947, l'auteur nous donna un ouvrage monumental sur un sujet qu'il avait approfondi de plus en plus : Les gammes musicales: Essai historique sur les modes et les tons depuis l'antiquité jusqu'à l'époque moderne (Bruxelles, 1947, 400 p.). Sujet extrêmement complexe, véritable labyrinthe, a-t-on dit, où l'auteur s'efforçait de découvrir quelques avenues, de se tracer une voie. Cet ouvrage l'opposa à de nombreux savants. Mais A. A. ne redoute pas la contradiction et il défend ses thèses avec énergie.

Il ne faudra pas souhaiter d'être son contradicteur. Par la quantité des matériaux apportés, cette œuvre restera un monument dont la consultation s'imposera toujours. A ce sujet on pourra consulter l'analyse qu'en a donnée ici même É. Closson, autre musicologue bien connu (cf. Scriptorium, t. II, 1948, p. 132-139). Signalons encore deux autres ouvrages que publie vers cette époque l'auteur Ce sont, tout d'abord, les « Motets wallons » du manuscrit de Turin : Vari 42, édition de textes musicaux d'après les principes du « tactus » (Bruxelles, 1953). Voir notre analyse dans Scriptorium, t. VIII, 1954, p. 164-166; cf. aussi p. 166-167, les remarques d'A. Goosse. C'est en effet vers les problèmes du « tactus » que l'auteur désormais se tourne de plus en plus, comme le montrent les articles de lui que nous avons cités plus haut. C'est de la même inspiration que naîtra la publication des œuvres de Barthélémy Beaulaige (1544-?), poète et musicien prodige (Bruxelles, 1958, 240 p. in-4°), jeune musicien, mort presque oublié. Dans cet ouvrage et dans le précédent, Antoine Auda A. mettait en œuvre ses principes sur le « tactus » en transcrivant dans ce système de mesure les œuvres de musique ancienne. Dans la recension que j'ai faite de l'un et de l'autre de ces ouvrages, je relevais surtout les points concernant le tactus. Dans la recension concernant le dernier de ces travaux, j'étais amené à faire quelques réflexions. Qu'on me permette de me citer. Après avoir fait allusion aux publications antérieures de l'auteur sur le tactus, j'ajoutais : « Nous voudrions signaler toutefois que parmi les autorités que M. A. citait jadis en faveur de ce mode de battue musicale, se trouvaient des auteurs médiévaux bien antérieurs à l'époque dont il s'occupait. Un Hucbald de Saint-Amand, par exemple (plus exactement : Pseudo-Hucbald du Xe s.), d'autres encore (cf. Scriptorium, IV, 1950, p. 48 et notes). Ces auteurs sont connus sous le nom de théoriciens Leur témoignage est forcément de valeur assez mince en ce qui regarde la musique du XVe s. Il est par contre beaucoup plus frappant pour ce qui concerne la musique grégorienne, dont ils traitent. Le fait ne peut surprendre ceux qui sont au courant des controverses sur le rythme grégorien. Mais ces textes bel et bien « mensuralistes » des auteurs grégoriens médiévaux sont assez encombrants pour ceux qui prônent une exécution plain-chantiste du répertoire. Mais ils sont là : on ne peut les écarter. On cherche alors par divers moyens à en minimiser la portée. M. Auda a-t-il bien perçu lui-même toute la valeur de ces textes? Il ne semble pas. » (Cf. Scriptorium, t. XIV, 1960, p. 159.) Je m'étais vivement intéressé à ces travaux de M. A. sur le tactus, précisément parce qu'ils me semblaient d'une importance considérable pour des recherches sur le chant grégorien dont je m'occupais. Le principe de la battue en tactus était le seul système de battue possible, à mes yeux, pour la plus grande partie du répertoire. Il pouvait même s'étendre à l'ensemble de celui-ci. Mais peut-être, après tout, l'apparent manque de logique que je reprochais alors à M. A. n'en était-il pas un. La battue au tactus, système de battue rudimentaire et primitif mais extrêmement simple, était sans doute un système d'application universelle, uniformément répandu, et cela depuis les temps les plus anciens. L'a. était donc en droit, semble-t-il, d'appuyer ses conclusions sur des textes très anciens pour éclairer le procédé susdit. Les travaux de A. A., en plus de leur intérêt propre, m'avaient donc particulièrement intéressé, mais peut-être pour un domaine auquel lui-même n'avait pas songé. Il en est ainsi de bien des recherches. Elles ont parfois des résultats que le premier chercheur n'avait guère pu prévoir. Le tactus, cette battue élémentaire, semblait bien celle qui avait toujours prévalu avant du système de notre battue moderne. Sans doute ces conclusions de l'a. bouleversaient certaines de nos habitudes de pensée et surtout d'écriture. On ne s'étonnera pas des réactions qu'elles ont pu provoquer. Certaines susceptibilités personnelles ont parfois été éveillées. On s'en apercevra en lisant, par exemple, les p. 65 et 66 du t. IV (1950) de Scriptorium. Certaines réunions de la paisible Société belge de musicologie ont parfois été orageuses. Il est cruel de demander à un savant de refaire l'œuvre de sa vie. Or c'est ce que l'a. demandait à certains. Bien plus, des intérêts plus prosaïques et moins nobles peuvent être mis en cause. C'est ce dont A. Tirabassi, en tout cas, avait pu faire l'expérience (cf. notice de A. Auda à son sujet). C'est un peu sa propre situation, sans doute, que décrivait l'a. en retraçant la physionomie et la carrière de son maître. Il est certain qu'à s'en tenir aux de l'a., il fallait mettre au pilon les grandes éditions des musiciens du XVe et surtout, car elles étaient plus importantes, du XVIe s. : celles de Palestrina et d'autres. On devine les réactions et, aussi, celles de leurs interprètes les plus autorisés. Mais tout ceci passe. Les remous de l'opinion sont chose transitoire. Ce qui est véritablement acquis finit toujours par s'imposer. Dût-il y avoir quelque faille dans certaines conclusions de l'a. — et c'est chose humaine — ce qu'il y a de positif dans son enseignement, comme dans celui de Tirabassi, son maître, restera acquis à la science. Et, à l'avance, nous lui devons notre gratitude.

Nous n'entrerons guère dans beaucoup de détails concernant l'ouvrage que nous recensons. D'une part, le sujet est déjà suffisamment connu et l'a. nous a abondamment éclairé à ce propos dans ses travaux antérieurs, d'autre part, nous en avons nous-même parlé avec suffisamment de détail dans nos précédentes et entrer dans des particularités nous entraînerait fort loin. Jetons un coup d'œil sur l'ensemble du volume. Quatre parties ou chapitres : I. Le tactus. - II. Les proportions. - III. Canons et résolutions. Battues. Barres. - IV. Dans la première partie l'a. étudie successivement la mesure métrique, puis la mesure rythmique. Pour le premier de ces points, il nous explique ce qu'il faut entendre par les modes, les temps et les prolations et il y joint le tableau des mètres. Pour le second point, il nous parle du tactus minor, du tactus major, du tactus proportionné et termine de nouveau ce point par l'explication de la prola- tion, appliquée à ce domaine, et par le tableau des rythmes. Le chapitre II, consacré aux différentes proportions est plus important, près du double du premier. Toutes les proportions y sont successivement envisagées avec détail, le chapitre étant divisé en deux parties : A. les proportions diminuantes ; B. les proportions augmentantes. Suit l'étude des différents canons (chap. Ill) et la transcription, à titre d'exemples, de différentes partitions de Praetorius, C. Cavaglieri et P. A. Valeriano (chap. IV). Ces différents documents et ces textes d'une haute technicité, semblent, croyons- nous, épuiser le sujet. Disons combien nous nous réjouissons de voir enfin condensé et coordonné en un volume tout l'enseignement de l'a. sur le sujet. Le tout est traité avec le soin et le détail qu'on pouvait souhaiter, avec de nombreux documents à l'appui, reproduction de textes de musique ancienne, interprétés ensuite au moyen du tactus. Le sujet était difficile mais d'une importance considérable pour la exacte de la musique, antérieure au milieu du XVIIe s., en particulier de la musique des XVe et XVIe s. L'ouvrage est précédé d'une introduction et d'une abondante bibliographie. L'éditeur, qui a souhaité garder l'anonymat, mais dont je crois savoir qu'il est particulièrement compétent en matière de musicologie, y a ajouté une notice bio-bibliographique très précieuse. Ant. Auda était, on le sait, d'origine française, mais établi depuis de longues années dans notre pays. La mémoire de ce savant modeste, mais au labeur opiniâtre, honore à la fois son pays et le nôtre.

Bruges, Abbaye de Saint-André
Francis de Meeûs

Notes de l'auteur

  1. Auda (Antoine). Théorie et pratique du tactus : Transcription et exécution de la musique aux environs de 1650. Un vol. gr. in-4°, de xxvin-176 p., avec portrait, 161 flg. music, imprimées en noir et rouge dans le texte et h. t., rel. toile. Œuvres de Dom Bosco, 270, chaussée de Stockel, Woluwe-Saint-Lambert, Bruxelles 15 (Belgique).

Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. La Beelgique
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