Scriptorium (1946, 1) Auda

De Wicri Musique

La transcription en notation moderne du « Liber missarum » de Pierre de la Rue


 
 

Titre
La transcription en notation moderne du « Liber missarum » de Pierre de la Rue
Auteur
Antoine Auda
In
Scriptorium, tome 1, numéro 1, pages 119-128 , 1948.
Source
Persée,
https://www.persee.fr/doc/scrip_0036-9772_1946_num_1_1_2044

L'article

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119

Pierre de La Rue passe pour avoir été le compositeur favori de Marguerite d'Autriche. La publication de son « Liber Missarum », première transcription moderne, par le Docteur Tirabassi accrédite une telle croyance [119 1].

En effet, sa présentation luxueuse, tant en ce qui concerne la beauté de la notation musicale que le richesse des miniatures, prouve hautement la faveur particulière accordée au compositeur par la Gouvernante des Pays-Bas. Faveur d'autant plus appréciable qu'elle ne fut point éphémère : Pierre de la Rue étant mort depuis plusieurs années lorsque fut commandé ce précieux manuscrit. L'intention de Marguerite était, très probablement, de l'offrir à sa nièce Catherine d'Autriche, épouse de Jean III, roi du Portugal. Cette conjecture nous est suggérée par la présence du couple royal, reproduit en touches délicates dans les deux premiers folios de cet important codex, et dont nous sommes heureux d'offrir au lecteur la reproduction (voir Pl. 18-19).

Ainsi s'explique le silence observé à son égard par le catalogue de la bibliothèque ducale primitive. Ce n'est que tardivement, lors de l'acquisition de la de M. van Hulthem, en i836 que le « Liber Missarum » vint, sous la cote i5o7Ô, prendre la place qui lui revenait à plus d'un titre. Nous connaissons peu de chose du curriculum vilœ de Pierre de la Rue. La majeure partie de son existence semble s'être déroulée au service de la chapelle des Ducs de Bourgogne, en qualité de Ténor et de Compositeur. Sa présence, signalée en 1492, se retrouve sur toutes les listes de l'Etat de la chapelle ducale jusqu'en i5i3.

Le fait que Philippe le Beau, le 3 novembre i5o5, accorde une pension à son père, maître Jean, domicilié à Tournai, donne à penser que cette ville pourrait être le berceau de sa famille, et non Courtrai, comme on le croit généralement, parce qu'il y décéda le 20 novembre i5i8.

Pierre de la Rue a été élève d'Ockeghem. Il est cité en cette qualité et sous la forme familière de son prénom : Pierchon, dans la « Déploration » sur la 120 mort de ce maître, mise en musique pour chœur à 5 voix, par Josquin des Prez, autre élève d'Ockeghem :

Acoustrez vous d'habitz de deuil Josquin, Brumel, Pierchon, Compère, Et plorez grosses larmes d'oeil : Perdu avez vostre bon père.

Pierre de la Rue aborda avec bonheur tous les genres de composition usités à son époque : messes, motets, chansons, madrigaux. Son nom revient à maintes reprises avec ceux des plus illustres compositeurs que renferment les manuscrits de la bibliothèque des Ducs de Bourgogne, réunie aujourd'hui à la Bibliothèque royale de Belgique, et dont voici les cotes: 9126, 228, 11239, 6428, 2i5, On le rencontre aussi dans les manuscrits des bibliothèques d'autres villes, par exemple : Malines, Munich, Florence, Rome, etc.

Les plus anciens recueils imprimés reproduisent ses œuvres, tels : Harmonica muélceâ Odecathon, de Petrucci, i5oi ; Madrlgall a quattro vocl mutate, de A. Gar- dane, 1644; Blclnla galllca, latlna et germanlca, de Rhaw, 1644, e^c* Une brève analyse de quelques compositions de Pierre de la Rue se trouve dans le dernier ouvrage du regretté André Pirro : H lé to Ire de la Jfîuélque de la fin du XIFe élècle à la fin du XVIe (1).

La partie paléographique du Liber Jilééarurn mérite d'être examinée avec soin, parce que la transcription de la notation proportionnelle exécutée par A. Tira- bassi, diffère complètement de la méthode suivie jusqu'à nos jours par les musicologues.

Alors que de tous côtés se publient de superbes éditions des maîtres de la Renaissance, il est nécessaire d'attirer l'attention des musicologues sur la qualité de leur méthode de transcription. Ne pas tenir compte des progrès réalisés dans le domaine de la paléographie musicale, c'est s'exposer à livrer au public des éditions surannées, déficientes, ne satisfaisant pas aux exigences de la critique historique. On ne peut considérer comme définitives, en dépit de la notoriété des transcripteurs, parce cfue défectueuses au point de vue paléographique, des publications comme les Œuvres de Philippe de Monte, édition de la « Musica sacra » de Malines ; Ockegbem, par Dragan Plamenac, dans « Deutsche Gesellschaft fur Musikwissenschaft » ; Guillaume de Jïacbaut, dans « Publikationen altérer Musik » ; Trolé Cbanéonnleré du XVe élècle, par Mmes Rokseth, Thibault et Droz. Nous pouvons ajouter les nombreuses polyphonies publiées par les « Denkmâler » autrichiens, par la « Plainsong und Mediaeval Society » etc.

Fondée sur une solide base scientifique que renforce une surabondante de textes originaux (2), la méthode de transcription adoptée pour le

(1) Paris, 1940, pp. 228-232.

(2) A. Tirabassi. La tnemre daiu La notation proportionnelle et <ta transcription moderne, Brux. 1924.

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LA TRANSCRIPTION DU « LIBER MISSARUM » DE P. DE LA RUE

Liber JUiédarum fait apparaître les erreurs et anachronismes dont fourmillent

les éditions actuelles de la musique des XIVe-XVTe siècles.

Ne pouvant aborder tous les points de la question, nous examinerons seulement

les fautes concernant : a) la traduction de la durée des notes, b) l'emploi de

la mesure.

Nous choisissons l'exemple nécessaire à notre démonstration dans la messe de

L'homme armé de Pierre de la Rue. Le thème de cette chanson, on le sait,

a servi de pièce d'épreuve à la presque totalité des compositeurs de l'époque.

\J Agnué Dei se présente ainsi, dans le manuscrit N° 9126 de la Bibliothèque

royale de Belgique :

.9

n o

Fig. 1

Cette mélodie représente comme une synthèse d'un chant à quatre voix. Un signe de mesure spécial pour chaque voix et la clé, figurée par un bémol — usage propre à la solmisation . — ■, font de cette pièce un exemple des plus curieux de la paléographie musicale (1).

La rubrique qui accompagne la notation : Fuga quatuor vocum ex unica, complète les renseignements nécessaires à sa réalisation par le chanteur ou le transcripteur.

I. Transcription défectueuse de la durée des notes

NOTES. — Nous allons, en premier lieu, rechercher quelle sera la durée des notes en fonction des différents signes mensurels placés au début de la portée. Ils appartiennent tous à l'ordre du Tempe (2).

La signification de ce terme : « Temps » n'a pas été exactement comprise par les musicologues, qui lui ont appliqué le sens de notre solfège : « le temps est une partie d'égale durée de la mesure ». C'est pourquoi ils donnent à la brève placée sous le signe du tempe parfait intégral (integer valor), figuré par une circonférence : O, la valeur de trois temps. Or, le temps, dans la musique proportionnelle, a une autre signification : il indique le rapport de subdivision entre la brève et la éemibrhe. En d'autres termes, dans le temps parfait intégral, la brève contient trois semibrèves; dans le temps imparfait intégral, seulement

(1) S. Heyden. De Arte canendi, Nuremberg, 1640, p. 112, et Glarean, Dodecachordon, Bâle, 1547, p. 44&, ont adopté une autre disposition. Au lieu de faire suivre les signes d'après leur degré de valeur, comme dans notre manuscrit, ils ont préféré les faire succéder en suivant l'ordre des voix, ce qui ne modifie en rien la portée de notre démonstration.

(2) « Ce n'estoit assés d'avoir inventé des nottes pour signifier les sons, et de leur avoir assigné diverse figure, pour recognoistre telles qu'elles ont esté monstrées cy-dessus, si on ne les ramenoit a une certaine mesure, pour cognoistre la valeur ou la durée, et la longueur des sons signifiés par les figures susdictes : partant ont esté instituez trois ordres de mesure, ou bien (comme disent aucuns) trois degrets appelez : Mode, Temps, Prolation. » P. Mail- lart, Led Tond ou Discoure dur led Moded de Mudlque, Tournai, 1610, p. 341.

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LA TRANSCRIPTION DU « LIBER MISSARUM » DE P. DE LA RUE

deux. Il ne s'ensuit nullement que la brève parfaite doive se traduire par une mesure à trois temps et l'imparfaite par une mesure à deux temps ou à quatre temps, ainsi qu'on est accoutumé de le faire.

La brève représente l'unité de valeur de Y ordre du Temps, envisagé sous ses diverses espèces : parfait, imparfait, diminué, proportionné. L'unité de mesure se nomme Tactus. Il se compose de deux mouvements : un levé (aréié) et un baissé (théàLS). Ce double geste correspond à la durée d'un battement du pouls, soit un total d'environ 76-80 tactus par minute. Par là se trouvent exprimés la durée individuelle des notes et le tempo ou mouvement du morceau.

L'erreur fondamentale des transcripteurs réside dans l'assimilation malheureuse qu'ils font du tactus avec le temps moderne. Ils ne se sont pas aperçu que le tactus se compose de deux mouvements, et le temps d'un àeul (1). L'on pressent les conséquences fâcheuses qui peuvent résulter de cette confusion. De plus, circonstance aggravante, dans la musique moderne, le temps s'emploie par série de deux, trois, etc. unités, pour former une mesure, tandis que le tactus compose, à lui seul, toutes les mesures de la musique proportionnelle. En conséquence, la brève du temps parfait intégral vaut trois tactus, soit six battements, la brève du temps imparfait intégral vaut deux tactus, soit quatre battements, la brève du temps proportionné vaut un tactus, soit trois semibrèves pour deux battements.

La valeur du tactus correspond à la semibrève du temps parfait et imparfait integer valor.

Examinons maintenant comment les deux systèmes de transcription se Les adeptes du système usuel traduisent notre exemple de cette manière :

S9

Temps parfait intégral :

Fig. 2

zr-

5 mesures = i5 battements

Certains préfèrent opérer différemment : les trois temps ne sont plus compris dans une seule mesure, mais partagés en deux parties inégales, de sorte que le troisième temps de la mesure de l'exemple précédent devient successivement le premier et le deuxième temps de celui-ci :

ï

jœ:

Fig. 3

71/2 mesures

= i5 battements

(1) En réalité, le frappé seul compte dans le tactus, d'où une grande facilité pour y exécuter deux ou trois notes, néanmoins pour nous faire mieux comprendre nous emploierons le mot battement pour désigner les mouvements du tactus.

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LA TRANSCRIPTION DU « LIBER MISSARUM » DE P. DE LA RUE

Le cas se présente couramment dans la messe L'homme armé de Palestrina, publiée par Mgr Casimiri (1). Transcription d'après le tactus :

JUL

-e-

■&■ -o-

-A-.-i

Fig. 4 (2)

TJ U U i5 mesures = 3o battements

La valeur des notes n'est pas rendue avec plus d'exactitude dans la transcription

du tempt proportionné, figuré par le chiffre 3, isolé ou apposé à un signe du Temps,

comme le montre la figure î.

Ici les transcripteurs augmentent la durée des notes alors qu'ils l'ont diminuée

précédemment, fig. 3 et 4.

Transcription d'après le système habituel :

Fig. 5

5 mesures = i5 battements

Temps proportionné : <£ ♦ 3

La base scientifique leur faisant défaut, il n'est pas surprenant de voir les transcripteurs se débattre vainement avec certaines difficultés paléographiques. Pour sortir d'embarras, l'on recourt au coup de pouce et parfois, à des expédients peu recommandables. Témoin la transcription de la présente partie vocale, imposée par la nécessité de faire concorder cette partie avec les trois autres. Elle a été adoptée par Combarieu (3) et par P. Bohn (4) qui, de son propre aveu, copie Bellermann.

(1) Le opère complete di G. Pierluigi da Palestrina, Rome, 1939, Vol. VI, p. 97 ss. Voir notre critique concernant la transcription de cette messe, dans les Acta Mudicologica, vol. XIII, pp. 39-59, Copenhague, 1941 ; la défense de Mgr Casimiri : La polifonia vocale del dec. XVI e la dua Tradcrizione in figurazione mudicale moderna. A propodito di una critica di Antoine Auda, Rome, 1942, brochure de 67 pages. Oddervatore Romano du 17 juin 1942 ; et notre réponse, Acta Mudicologica, vol. XIV, 1942, pp. 27-73.

(2) Le choix de l'unité de valeur peut varier, sans porter préjudice à l'application de la règle, à condition que le nombre des battements reste le même. Nous adoptons le chiffrage 1/1 préférablement à 2/4 ou $ pour distinguer les pièces transcrites d'après le tactus de celles qui suivent le système ordinaire de transcription. Les deux signes indiquent une mesure à deux battements. Nous disposons l'ordre des voix comme Combarieu, afin de faciliter au lecteur le travail de comparaison entre les diverses versions. Dans le même but, nous limitons les différentes clés aux deux seules employées de nos jours par les chanteurs : clés de Sol et de Fa.

(3) H id taire de la ffîuàique, T. I, p. 414.

(4) P. Bohn. Glareani Dodekachordon. Traduction allemande avec transcription des exemples de musique en notation moderne, dans les publications de la « Gesellschaft fur Musikforschung» T. XII, Leipzig, 1889, p. 402. Une légère variante distingue la version de Combarieu, avec ses deux voix graves en mesure 6/2, et celle de Bohn, où seule la partie du Ténor use de cette mesure.

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LA TRANSCRIPTION DU « LIBER MISSARUM » DE P. DE LA RUE

(»):

^

Fi

21/2 mesures = 5 battements

Le nombre des battements est bien réduit, comparé à celui de la figure précédente. Bien que se rapprochant, par le rythme, de la transcription par tactus, sa notation n'en demeure pas moins aussi fautive que celle de la figure 5. Transcription par tactus :

4fr I *>•

■&-

r 1 r r P

Fig. 7

5 mesures = 10 battements

II y a une grande similitude entre cette notation et celle de la figure 5. En réalité, l'écart est beaucoup plus considérable qu'il ne paraît. En effet, la ronde pointée de la figure 5 compte trois battements ou temps, celle de la figure 7, seulement deux. La raison en est que le temps proportionné — que l'on peut comparer au triolet actuel — se compose de trois éléments d'une valeur égale à deux éléments de même figure. En l'occurence, le tactus comprend trois minimes au lieu de deux, ou une semibrhe parfaite à la place d'une semibrève imparfaite.

Il est inutile de donner d'autres exemples de la déplorable interprétation des signes de durée des notes. Ceux que nous venons de citer parlent suffisamment en notre faveur.

II - Transcription défectueuse de la mesure

— Non moins fautive apparaît la transcription des signes de mesure de la notation proportionnelle.

On objectera, peut-être, qu'à cette époque, l'usage des barres de mesure n'ayant pas cours, nous ignorons la manière dont on partageait alors les diverses valeurs de notes ?

Nous allons prouver qu'aucune des deux parties de cette proposition n'est valable.

Et d'abord, peut-on imaginer des chanteurs capables d'exécuter convenablement un chant à plusieurs voix, sans l'aide d'un signe de ralliement, d'un point de repère entre les diverses parties polyphoniques ? Sans nier absolument cette possibilité, une telle exécution ne peut avoir lieu qu'à titre exceptionnel ou être réalisée par des chanteurs de choix. La vérité, c'est que la musique faisait usage de battements, comme de nos jours, et ces battements étaient réglés par la mesure dénommée tac tué. Qu'est-ce que le tactus ?

LA TRANSCRIPTION DU « LIBER MISSARUM » DE P. DE LA RUE

Le tactus est un signe visuel ou auditif qui fixe la durée des différentes valeurs des notes et des pauses. « Par mesure, on entend, un certain touchement ou tact qui se faict par un esgual abbaissement et ellévation de la main ou du pied, et qu'on remue ainsi esgualement et avec proportion en chantant, afin de s'arrêter sur les aucunes voix autant de temps qu'on demeure à baisser ladite main ou pied pour frapper ou toucher à quelque chose, et à la lever, qui est une mesure entière, et sur les autres la moitié de ce temps là qui est compris par un seul baisser ou un seul lever » (1).

Un système de mesure aussi simple et aussi naturel explique l'absence de barres de mesure. De plus, à l'instar de la notation grégorienne d'où la notation proportionnelle tient son origine, il possède l'avantage de faire percevoir plus aisément les divers éléments du rythme, ainsi que le dessin de la ligne mélodique. La mesure moderne se sert des barres pour marquer la carrure et le retour périodique des accents forts et faibles de la mélodie. D'un côté, règne une liberté rythmique complète ; de l'autre, une impitoyable symétrie, un rigoureux des divisions rythmiques.

Adopter les signes modernes de la mesure dans la transcription de la musique proportionnelle, c'est dénaturer le caractère des œuvres qu'elle représente. Toutefois, l'usage des barres est tellement ancré dans la pratique que leur absence dérouterait les chanteurs. La prudence recommande de ne point les proscrire mais plutôt de les disposer de manière qu'elles ne portent aucun préjudice à l'exécution des chants, telle que l'a voulu l'auteur. On obtient ce résultat avec la transcription par tactus, dans laquelle une barre est placée après deux battements, c'est-à-dire à la suite de chaque tactus, ce qui l'assimile à la mesure moderne à deux temps : 2/4 ou (fc .

C'est parce que les œuvres des XIVe-XVIe siècles ont été conçues en vue d'une exécution en mesure de deux battements, que leur réalisation en toute autre mesure se heurte à des difficultés innombrables. Nous comprenons très bien l'embarras de Bellermann, Bohn et Combarieu, lorsqu'ils voulurent mettre en partition Y Agnuâ Del noté plus haut (fig. 1).

Comment faire accorder une voix qui chante alla brève, c'est-à-dire à deux temps ( « <$. * , temps imparfait diminué), une autre à trois temps binaires (O, temps parfait intégral), la suivante, à trois temps ternaires ( $ 3, temps proportionné ou triple), et la voix grave, à quatre temps (C temps imparfait intégral), soit quatre espèces de mesure à réaliser dans une même battue 1 Malgré leur habileté, ces musicologues n'ont pu nous présenter une partition cohérente, comme on peut le constater par ce fragment :

(1) Pierre Dav antes dit Antesignanus. Nouvelle et facile Jltéthode pour chanter, i56o, dans Monalàhejle fiir Mu/ikgeéchichte, 1861, n° 11, p. 168.

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LA TRANSCRIPTION DU « LIBER MISSARUM » DE P. DE LA RUE

XE

-o-

Fig. 8

La transcription avec le tactus se joue de toutes les difficultés que peut offrir la paléographie musicale de la Renaissance. Ramenés à leur principe, tous les signes se résolvent logiquement et naturellement au moyen du tactus. Ainsi se présente l'exemple précédent :

XE

XE

XE

3

-e-'

o Q

Fig. 9

Par cette méthode, le caractère de l'œuvre ne subit aucune altération, tandis qu'il est plus ou moins gravement dénaturé par l'autre système. La transcription ainsi exécutée est l'expression de la vérité, parce qu'établie sur des données scientifiques et historiques.

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LA TRANSCRIPTION DU « LIBER MISSARUM » DE P. DE LA RUE

Une dernière question reste à résoudre, celle de Y emploi dcé barreà par les compositeurs de la musique proportionnelle.

La création d'une œuvre polyphonique se comprend difficilement sans de la partition, avec des barres de division comme points de repère. La place de celles-ci n'est pas nécessairement symétrique, elles peuvent séparer un nombre varié de notes et former des groupes de valeur différente. Ainsi, dans la notation dite franconienne, l'on rencontre des barres de division seulement à la fin des phrases ou des membres de phrases (1), ou après une simple note, ou plus, après un ou plusieurs neumes, suivant le goût du copiste (2).

f

ï

ï

1

l

I:

Kr

ï 11 m mi v vi vu vin

Haec eft fïmpîex concordantiarum compofino fccundum pra?dicfhs regu- lasjpoflec enim multo fubtilnis QC vèlo- tïus conftririjhoc modo.

Sequïtur Refolucio.

Fig. 10

ALTVS.

TENOR,

BAS,

Fig. 11

{Compendium muàlcœ, Berne i537, F. 7 :.° et v°)

(1) De Coussemaker. Histoire de U Harmonie, au JHoyen Age, et son Art harmonique aux

et XIIIe diècled. Voir aussi le remarquable « Conductud » : Parce Virgo, dans le manuscrit n° 42 de la Bibliothèque nationale de Turin.

(2) Led JUiracleà de Notre-Dame, Bibliothèque royale de Belgique, manuscrit n° 335j (10747) ff. 102-110.

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Le besoin de symétrie, dans la disposition des barres, apparaît avec la notation blanche qui succéda à la notation noire ou franconienne. Les causes en sont diverses : grande variété dans l'emploi des figures et valeurs de notes, des formules rythmiques, accroissement du nombre des voix, etc., conséquences du développement de l'art de la composition.

Le plus ancien document, à notre connaissance, de l'emploi régulier des barres de mesure nous est fourni par A. Lampadius.

Après avoir expliqué une première manière d'établir la partition : en séparant par des barres les accords consonants, il en conseille une autre, plus rapide et donnant un meilleur résultat, elle consiste à placer une barre après chaque tactus, ainsi que le montre son exemple (fig. 10). La partition terminée, on extrait les parties séparées pour l'usage des chanteurs (fig. 11). C'est en rédigeant les parties séparées, travail qui peut être exécuté par tout autre que le compositeur, que la fantaisie dans l'emploi des signes, non de la mesure, mais de la durée proportionnelle des notes, peut se donner libre cours. Nous avons signalé ailleurs (1) d'autres partitions; elles portent toutes une barre après chaque tactus.

Lorsque fut passé l'engouement des signes et formules énigmatiques, et qu'on voulut représenter d'une façon simple, claire et précise la mesure du tactus, les signes du tempà Imparfait intégral et diminué furent les plus employés, au point que vers la fin du XVIe siècle, on n'en connaît guère d'autres. La mesure en tactus proportionné continua d'être en usage à cause du rythme ternaire qu'il est seul à représenter.

De notre exposé, il ressort que la transcription de la musique polyphonique des XIVe-XVIe siècles, pour être réalisée d'une manière fidèle et exacte, doit s'exécuter d'après le système du Tactus, découvert (2), défini méthodiquement (3) et illustré (4) par le Docteur A. Tirabassi. Toute autre méthode de transcription dénature les sentiments, fausse le caractère exprimés par le compositeur, parce que fondée sur l'arbitraire ou la dextérité de l'opérateur, au lieu de reposer sur la science paléographique et une saine critique.

Les travaux de cet eminent musicologue marquent une date dans l'histoire de la musique, parce que son système de transcription de la musique proportionnelle, en dépit de l'indifférence générale qui l'a accueilli, n'en demeure pas moins la découverte la plus importante faite par la science musicologique au cours de ce demi-siècle.

Bruxelles Ant. Auda

(1) Acta Muàicologia, T. XIV (1941), p. 60 et suiv.

(2) La JHedure dans la Notation proportionnelle et sa transcription moderne, Bruxelles 1924.

(3) Grammaire de la Notation proportionnelle et sa transcription moderne, Bruxelles, 1928.

(4) Pierre de la Rue. Liber Miééarum, Bruxelles, 1941.

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Notes de l'article

Page 119

  1. Bruxelles, 1941, porte comme sous-titre : Deuxième partie de la thèée : La JHeéure danâ la Notation proportionnelle, présentée en 1924 à l'Université de Bâle.

Voir aussi

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