Roland de Lassus (1898) Declève/Biographie

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Cette page introduit des extraits d'un ouvrage intitulé Roland de Lassus (1898) Declèves écrit en 1898 par Jules Declève.
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Le texte

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Le texte

ROLAND DE LASSUS

SA NAISSANCE

SON NOM, SA FAMILLE, SA VIE, SES VOYAGES

SON SÉJOUR A MUNICH SA MORT

Naissance et nom

Roland de Lassus est né à Mons en 1520.

Cette date, indiquée par Vinchant dans ses Annales du Hainaut, est rendue inattaquable par les témoignages de Locrius (Chronicum belgiurn, 1616). de l’historien de Thou, (1620), de Swertius (Athenœ Belgicœ, 1628) & d’autres biographes qui ont écrit dans des temps rapprochés de celui où vécut l’illustre musicien.

Son nom est Roland de Lassus. S’il a pris, selon la mode du temps, et surtout à la suite de ses voyages, les noms d'Orlando Lasso,


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Orlando di Lasso, Orlando de Lasso, Orlando di Lassus, Orlando de Lassus, Orlandi de Lassus, Orlande de Lassus, il n’a jamais pris celui de De Lattre qui n’était pas le sien.

Tandis qu’à Mons on a traduit de Lassus par de Lattre, les Allemands ont adopté les variantes de Lassen, Lassin, Lasichen et les Français parfois celle de Lassé.

Dans une lettre publiée par F Emancipation, le Messager des sciences historiques &, en 1852, par les Bulletins de F Académie royale des sciences, des lettres & des beaux-arts de Belgique, Emile Gachet a combattu, avec raison, la manie, devenue si commune, de refaire les noms de beaucoup d’hommes célèbres, sous prétexte que ces derniers ne portent pas leurs véritables noms de famille.

Nous ne pouvons nous attarder à transcrire toutes les considérations présentées par Gachet sur les transformations étonnantes des noms.

La reconstitution des noms primitifs crée, le plus souvent, des confusions inextricables.

Un exemple :

Érasme, fils de Gérard, a associé le latin Desiderius au grec Erasmos & a fait, de cet assemblage, le nom sous lequel il est connu.

Que l’on reconstitue le nom primitif de ce grand homme, qui le reconnaîtra?

On a admis, avec raison, les terminaisons latines données par leurs propriétaires à certains noms, tels Bollandus, Sandcrus, Jansenius , etc.,


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et l’on a respecté des changements qui s'éloignent beaucoup du nom primitif: Divœus (Van Dieve), Dodonœus (Docloens), Zypaeus (Vancler Zype), Otto Vœnius (Van Vien), Grotius (De Groot), Vesale (Van Wesel), etc.

Pour d'autres, on a traduit.

Le cas de Roland de Lassus provient de la terminaison soi-disant latine. Mais de Lassus est un nom français & wallon , tout aussi bien que Bertrand Dessus-le-Moustier , nom d’un acquéreur de l’auberge de la Noire-Tieste dont nous parlons plus loin.

Lassus signifie tout simplement là sus, là dessus, là haut , & ce n’est que par plaisanterie que Roland a parfois traduit son nom par fatigué, lassé, ennuyé (lassus).

Dans le Glossaire de la langue romane de Roquefort (tome 2 , p. 66), on trouve ce poème curieux qui marque bien la signification du mot Lassus telle que nous l’avons donnée ci-avant.

Or prions Jhesus,
Qui ou ciel lasus
Est, où il se délitte (1),
Qui s’amour sajus (2),
Nous envoyé en jus (3)
De grâce confite (4).
(le malheur de la France.)

(1) Se plaît, se réjouit, se délecte.
(2) Sajus, ici-bas.
(3) En jus, sur terre.
(4) SLa pièce peut donc se traduire: Or prions Jésus, qui est au ciel, là haut où il se délecte, pour qu’il nous envoie ici bas (sur terre) son amour de grâce conlit.

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Et cette autre pièce :

Mais vous aurez tost pour conserve

Mon esprit qui vous en viendra,

Et de lassus (i) vous subviendra

Pour estre partout mes tesmoings.

( LE MISTÈRE DES ACTES DES APOSTRES. )

Dans le Glossaire de Gachet, p. 841, (2) on trouve le sens véritable du mot lassus , dans un serment :

« Par les Dieux de lassuz & par ceulx de lassons. »

Littré, dans son Dictionnaire, cite ces phrases d’auteurs anciens:

« Baligans gist là jus en la vallée.

L’expression là jus est encore fréquemment employée dans les communes wallonnes.

« Là sus au ciel mainte estoile flambie.

Dans une chanson, Charles d’Orléans dit:

Puis çà, puis là,

Et sus & jus (3)

De plus en plus Tout vient & va.


(1) De lassus, de là sus, do là haut, d'en haut, du ciel.

(2) Gachet fait remarquer que l'on faisait souvent le redoublement de la lettre s


pour la fortifier.

(3) Et sus & jus: en haut, en bas.



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Rabelais a souvent employé le mot lassus pour là sus, là dessus, là haut.

Vinchant donne une inscription qui se trouvait dans la chapelle de l’hôpital Saint-Nicolas, à Mons:


Ichi fut ce tableau donnet Par sœur Marie Simon Qui gentiment l’at ordc nnet Par un zèle de dévotion. Peuple, priez au hault Sion, Qu’après la vie transitoire,

Son âme en consolation Puisse voiler là sus en gloire.


La famille de Lassus existait à Mons dès le XIV me siècle, mais les documents que Ton conserve au bureau de l’état civil ne peuvent donner aucun renseignement, puisque les plus anciens registres paroissiaux sont, pour les naissances & bap¬ têmes, ceux de l’ancienne église Saint-Germain et ils ne remontent qu’à 1566.

Dans les temps anciens, les formalités d’inscrip¬ tion n'étaient pas régulières, malgré l’ordonnance rendue au Concile de Trente (1545-1563) de tenir, dans chaque paroisse, des livres de baptêmes, et celle du duc d'Albe sur le même sujet (1569).

Le synode provincial de Cambrai, tenu à Mons, en 1586, stipulait que le curé aurait dans sa paroisse un livre sur lequel il devait inscrire exactement les noms & prénoms du baptisé, des père & mère, des parrain & marraine, ainsi que



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le jour du baptême. Il lui était enjoint de s'opposer à ce qu’on donnât aux enfants des noms payens ou profanes.

L’état civil fut complété par l’édit perpétuel des Archiducs (1611), les édits de Marie-Thérèse (1778), & de Joseph II (1784-1786), les lois de [792 & de 1795, la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) & la Constitution belge de T83T.

On comprendra la difficulté grande d’établir

l’origine de la famille de Lassus à Mons & la

parenté entre les membres de cette famille, en

l’absence de tout document authentique émanant

des ministres du culte exerçant comme officiers

de l'état civil au XVI e siècle.

On trouve des hameaux ou anciens fiefs portant le nom de Lassus, dans beaucoup de localités :

Province actuelle de Hainaut: Acren (la ville d’Acren, dite la ville de Lassus, 1289), Blandain, Callenelle, Quartes, Ramegnies-Chin ;

Flandre occidentale : Fief dépendant du château de Courtrai ;

Département du Nord (France) : Lompret (canton du Quesnoy-sur-Deule), Wavrechain-sous- Faulx (canton de Bouchain).

Lassus est un village dépendant des Vosges, et Lassons, un village du département de l’Aveyron.

Il existe en France des familles de Lassus.

On se demande si c’est de l’un des fiefs ci-dessus que proviendrait la famille de Lassus à Mons. La terminaison serait favorable à cette hypothèse.



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En 1365, Isabeau de Lassus occupait une maison de la Ghierlande, rue où est né Roland. En effet, il y a toutes raisons de croire que les parents de Roland habitaient à l’issue de la « Noire Tiesie, » auberge située en la Grand rue.

Une charte, du 26 février 1374, fut donnée à Mons en la maison « Nicaise de Lassus». (*)

Le 23 septembre 1385, Nicaise de Lassus, dit de Nivregies, bourgeois de Mons, vendit une maison sise rue des Telliers. (~)

Nicaise de Lassus, homme de la cour de Mons, prit part à la rédaction de la Charte octroyée par cette cour au château de Mons, le 6 novembre 1391, en interprétation de l’ordonnance du 5 août précédent sur les homicides, etc.; il y apposa son sceau, qui a malheureusement été détruit. ( 1 2 3 ) Le compte de la grande Maltôte de Mons, pour l’année 1557, mentionne Jannette de Lassus, fille de Georges de Lassus qu'il avait eue de Catherine de Reumont, sa femme.

Un registre aux fourmortures, de 1483 à 1507, fol. 121 v°, cite Piérart de Lassus, cuvelier, demeu¬ rant â Mons, qui épousa, en premières noces, Nicolle de Florebecq dont il eut une fille Jannette de Lassus, & en secondes noces Quentine Piérart.


(1) Inventaire des archives des commanderies belges de l’ordre Saint-Jean de Jérusalem, dit de Malte, par M. Léop. Devillers, p. 56.

(2) Greffe de Mons.

(3) Inventaire des archives des Etats de Hainaut, par M. Léop. Devillers. tome I. p. 5. — Cartulaire des comtes de Hainaut, par le même, t. II, p. 506.





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Ce Piérart de Lassus vendit, le 18 février 1512, une maison en la rue des « Grouseliers. »

Un acté du n janvier 1509, n. st., mentionne une maison située en la Grand’rue, tenant à Piérart de Lassus. (*)

Jeanne de Lassus, veuve de Jean du Spinoit, demeurant à Mons, vendit sa part de l'héritage d’une maison située rue des Juifs, le 17 mai 1549.

Quant au faux monnayeur dont Vinchant a parlé, il a existé & il est appelé dans la sentence du 14 février 1550 (1551, n. st.) « Jehan de Lassus, alias le Prescheur, aussy natif de la ditte ville de Mons. » ( 1 2 3 )

On ignore quel était le degré de parenté de ce Jehan de Lassus avec Roland; mais, à coup sûr, il n’était pas son père. Fétis, mettant à profit des notes de M. Léopold Devillers, archiviste de l’État à Mons, a hautement répudié l'opinion de Vinchant, admise d’abord par lui, comme par H. Delmotte & son traducteur allemand Dehn & par Adolphe Mathieu. O

Un registre de l’office de la vingtaine de la Draperie de Mons, cite, en 1556, Marion de Lassus.

Catherine de Lassus, veuve de Jean Lambert, est citée en 1590 dans un procès relatif à son testament. (Conseil de Hainaut, n° 67,848.)


(1) Greffe tle Mons.

(2) Registre aux criées criminelles ou livre rouge, de 1548 à 1583, fol. V. Archives de l'Etat, à Mons.

(3) Voir l’annexe A.




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Dans les registres paroissiaux de 1 état civil de Mons, dont les tables ont été dressées par le regretté Th. Bernier, d’Angre, on trouve: Nicolas de Lassus, baptisé en l’église de Saint-Germain, le 16 novembre 1575, fils d’Augustin; Jeanne de Lassus, morte le 27 juin 1608; Jean de Lassus, seigneur de Warquignies, mort le 6 Janvier 1638, enterré à Sainte-Waudru ; Jeanne-Françoise de Lassus, fille de François & d’Anne d'Assonville, baptisée à Saint-Germain, le 19 septembre 1650; Anne de Lassus, inhumée le 22 juillet 1663 (pa¬ roisse de Sainte-Waudru) ; Philippe-Nicolas de Lassus, baptisé à Saint-Germain, le 8 Mai 1665, fils de Jean & de Jeanne-Madeleine du Gaillez; Jeanne de Lassus, morte le 19 juillet 1666; Philippe- André de Lassus, fils des susdits, baptisé à Saint- Germain, le 23 janvier 1667. ( A )

Au i8 me siècle, on rencontre encore: Antoine- Joseph Lassu (sfr), qui épouse Marie-Joseph Dela- noye, le 14 juillet 1715; Bauduin-Joseph Lassus, fils des précédents, né le 22 avril 1716; Marie- Catherine Lassus, morte le 18 juin 1720; Marie- Anne Lassus, fille d’Antoine-Joseph & de Marie- Joseph Delanois; Marie-Joseph, fille de Bauduin Lassus & de Marie-Antoine Normand, née le 7


(1) Rappelons qu’en 1330, Michel (le Lassus, juge rentier du chapitre de Lille, se servait d’un sceau sur lequel figure un écu portant une faulx accompagnée de trois râteaux, au filet en bande sur le tout. (.Sentence confirmative d’une rente à Marquette, du 14 décembre 1330, aux Archives départementales du Nord, à Lille).




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janvier 1745 & décédée le 30 mars 1747; Pierre- Joseph Lassus, fils des susdits, né le 31 mai 1747; Marie-Anne Lassus, fille des mêmes, née le 13 août 1748; Catherine-Joseph, fille des mêmes, née le 15 janvier 1750 ; Pierre-Joseph, fils des mêmes, né le 25 juillet 1751; Marie-Françoise Lassus, fille des mêmes, née le 18 novembre 1753; Marie-Joseph Lassus, fille des mêmes, née le 15 mars 1757; Marie- Élisabeth Lassus, épousa Martin-Joseph Chevry, le 8 février 1750, & mourut le 14 octobre 1774.

Il est difficile de trouver dans ce relevé de quoi établir la généalogie de la famille du grand musicien montois.

Nous avons seulement tenu à prouver que la famille de Lassus a existé à Mons, depuis le XIV e siècle jusqu'à la fin du XVIII e .

Les débuts

Roland fréquenta très jeune les écoles & reçut, dès l'âge de sept ans, une éducation musicale soignée.

Après Samuel à Quickelberg, contemporain et ami de Lassus, Vinchant dit, dans ses Annales du Mainaut, qu’il fut enfant de chœur en l’église de Saint-Nicolas de la rue d'Havrecq (Havré). Puis, il ajoute : « & ainsy quitta le pays & s’en alla en Italie avec Ferdinand de Gonzague. »

Fut-il enlevé trois fois à cause de sa voix pure & mélodieuse, comme on l’a prétendu, & ses parents donnèrent-ils enfin leur consentement à ce qu’il demeurât à Saint-Didier, près de Fer¬ dinand de Gonzague, général au service de



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Charles-Quint & vice-roi de Sicile? Ce qui paraît certain, c’est qu’en compagnie de ce personnage il alla, vers l’âge de douze ans, à Milan, puis en Sicile & que, pendant ces voyages, il continua de s’instruire dans son art. Il apprit à jouer du luth & cultiva aussi le chant.

A l’âge de dix-huit ans, il s’attacha à Con¬ stantin Castriotto qui le conduisit à Naples, où il entra chez le marquis de la Terza & y demeura trois ans. En effet, c’est en 1541 que nous le voyons arriver à Rome, où il est reçu avec bienveillance par le cardinal-archevêque de Florence, dans le palais duquel il loge pendant six mois.

A vingt & un ans, il obtient la place de maître de chapelle de Saint-lean-de-Latran.

Cette nomination, qui étonne à l’âge de ce jeune musicien, est prouvée par les registres de l’église dont l’abbé Baini a donné un extrait.

Le Catalogue chronologique de Baini semble établir, par la nomination de Rubino comme successeur de Lassus, en 1548, que c’est pendant cette même année, ou en 1549, que Roland vint à Mons pour revoir ses parents, mais que ceux- ci n’existaient plus quand il arriva dans sa ville natale.

Puis, il s’éloigne avec Jules-César Brancaccio, et visite l’Angleterre & la France.

Fétis se demande, avec raison, où il trouva ce Jules-César Brancaccio, de la noble famille napolitaine des Brancacci, & où ils allèrent, car




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les séjours à Londres & dans une ville importante de France ne sont pas établis par des preuves écrites.

En effet, d’une part, la dédicace à Guillaume de Bavière, d’un ouvrage publié à Paris chez A. Le Roy & R. Ballard, dit que Lassus voyait Paris pour la première fois en 1571; d’autre part, le séjour en Angleterre ne laisse aucune trace.

A Paris, en 1571, Adrien Le Roy le logea dans sa maison, le présenta à la cour, où le roi Charles IX l’accueillit avec bienveillance et lui fit de riches présents.

Le séjour à Anvers, en 1554, est établi par Samuel à Quickelberg, qui se trouvait en cette ville. Il y vivait, dit-il, dans la société des hommes les plus distingués, les plus savants, et des plus nobles familles auxquels il inspira le goût de la musique.

Plusieurs publications des éditeurs T3 r lman Susato & de Jean de Laet datent de cette époque (iSSS^SS^)-

C’est de cette ville qu’il fut appelé à Munich, en 1557, avec d’autres Belges, par le duc Albert de Bavière, le plus grand protecteur de l’art musical en Allemagne, en qualité de musicien de sa chapelle.

En même temps qu’il cultivait la musique et la composition, Roland apprit le latin & les langues modernes.



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Que lui, Wallon, ne soit pas arrivé à con¬ naître la langue de Virgile aussi bien que le char¬ mant poète dont il devait un jour mettre les vers en musique, cela est probable; que l'allemand qu’il parlait ne fût pas toujours pur, cela se comprend. Mais il connut l’italien autant que le français, dont il ne respecta pas toujours les lois rigoureuses.

Roland partit donc pour Munich avec plu¬ sieurs musiciens distingués des Pays-Bas.

M. Léon de Burbure a fait de patientes recherches dans les archives de Notre-Dame d’Anvers pour découvrir les noms des chantres qui ont suivi Lassus à Munich; il en a trouvé six qui ont quitté le chœur de cette église depuis le 24 juin 1556 jusqu’au 24 juin 1557, savoir:

Joachim Van Sceveninghe, cantor & vicaire, que Trojano appelle Gioachin; Petrus de Edam- mis (d’Edam) ; Cornélius de Burgos, cantor, appelé Cornelio par Trojano; Martinus de Hove, vicaire; Wilhelmus de Diest; ce sont ces deux derniers que Trojano appelle Martin & Guillaume (Flamands); Dominus Johannes Martini.

D’autres avaient aussi abandonné l’église d’Anvers après que Lassus eut été nommé maître de chapelle, en 1562; mais on ne trouve à la chapelle ducale, en 1568, que Gaspard Hutters, appelé simplement Gaspar par Trojano.

Les talents de Roland de Lassus justifièrent, à Munich, la réputation dont il jouissait déjà dans le monde artistique.



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Le duc Albert, rendant justice à son mérite, conçut pour lui une vive affection & fut même son collaborateur en lui donnant les paroles de plusieurs hymnes & de' quelques odes en latin.

Roland épousa, en 1558, un an après son arrivée à Munich, Regina Weckinger, dame d’honneur de la cour. Cette union fut très heu¬ reuse ; nous en reparlerons plus loin.

Il fut nommé, en 1562, maître de la chapelle ducale, l’une des plus célèbres de l’époque.

Au XVI ème siècle, une véritable révolution s’était produite dans l’orchestre. Il ne faudrait pas croire pourtant qu’on arriva, du premier coup, à la sonorité limpide & vibrante des orchestres de nos jours. Le violon, quoique bien construit, n’était pas très répandu, & l’on resta longtemps encore fidèle à toutes les variétés des violes dont le son était loin de valoir celui du violon. Les accompagnements des violes étaient faits par le clavecin, la guitare, la harpe & les instruments de la famille du luth. Des orgues de petite dimension tenaient lieu d’instruments à vent. On avait aussi des flûtes hautes & basses, jouant à plu¬ sieurs parties. Mais, en somme, tous ces instru¬ ments réunis n’avaient qu’une sonorité douce et sourde.

A la cour de Bavière, les instruments à vent (cornets, trombones, etc.) ne se joignaient aux voix que dans les offices des dimanches et



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fêtes. Les violons ne servaient que pour la musique instrumentale ou pour accompagner les voix dans la musique de chambre, pendant le dessert des repas de la cour, sous la direction de Lassus.

En 1568, la chapelle comptait des joueurs de viole & de cornet, au nombre de douze.

Plus tard, le nombre des musiciens fut aug¬ menté & l’on compta seize enfants, six castrats, treize contralto ou hautes-contre, quinze ténors, douze basses & trente instrumentistes, formant un ensemble de quatre-vingt-douze exécutants.

Massimo Trojano donne la liste des princi¬ paux artistes qui composaient la chapelle, en 1568. On y remarque:

BASSES CHANTANTES

Hans Fischer Franz Flori Gallo Rueff Richard d’Alberti Octayien d’Alberti.


TENORS


Don Carlo

Livizzano

Don Alessandro

Ramedello

Cornelio



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Giorgio

Wolfgang

Henri

Gioachin.


CONTRALTO OU HAUTES-CONTRE


Gaspar Piler

Francisco di spagna Martin Guillaume Christophe Haberstoch

VlLBALDA.


Flamands


En plus, douze soprani ou enfants de chœur, tous élèves de Lassus.

Les trois organistes étaient :

Messer Guiseppe da Lucca, qui avait été élève d’Adrien Willaert;

Marsolino de Crémone, homme de grand talent;

Messer Ivo de Vento, compositeur de mérite.

Ces organistes étaient alternativement de service pendant une semaine.

Les joueurs de viole, dans la musique du duc de Bavière, étaient:

Messire Antoine Morari, qui jouait non-seule¬ ment de la viole de Braccio (dessus de viole), mais aussi du cornet, de la basse de viole & de la guitare;

Baptiste Morari, son frère, contralto de



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viole, lequel était aussi fort habile sur la basse de viole & sur le luth;

Annibal Morari, dessus de viole, beaucoup plus jeune que ses frères;

Cerbono Besutio, ténor de viole;

Mathieu Besutio, neveu du précédent, basse de viole (tous deux jouaient de tous les instru¬ ments à vent);

Lucio Besutio, dessus de viole, qui jouait aussi de la lyre, instrument du genre des violes, monté d’un grand nombre de cordes qu’on pin¬ çait en accords ou qu’on jouait avec l’archet en accords ou en arpèges;

(Les instrumentistes ci-dessus étaient de Ber- game).

Cristoforo de Cremone, contrebasse de viole.

Parmi les instruments à vent, on distinguait aussi :

Dominico, de Venise, qui jouait du cornet avec beaucoup de douceur ainsi que du trombone;

Francesco de Lucques, ténor de cornet;

Sébastiano d’Alberti, compositeur qui jouait la cinquième partie du cornet;

Philine Cornazzano, contralto de cornet et jeune artiste d’un talent remarquable ;

Simon Gatti, basse de cornet.

Après la mort du duc Albert, le personnel de la chapelle fut réduit.

En 1593, il se composait des artistes ci-après, savoir :


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TÉNORS

Jean Fischer

Chrétien Hug

Henri de Blau

Wolf Schoensleder

Rodolphe de Lassus (fils de Roland)

Pierre Antoine Pietra

Ferdinand de Lassus (fils de Roland).

HAUTE-CONTRE

Gaspard Thainer.

BASSES

Jean Geringer Wolff Fischer

JONAS BASSANIUS Jacob Carlo.

INSTRUMENTISTES

Vileros Cornezano Balthazar Cornezano Hercule Tertius (aumônier)

Jules Gilgi

Martin Ai.onzo (valet de chambre du Duc)

Antoine Patard

Jacob Baumann

Horace Sega

Antoine Morari

Mathieu Besutio

Ernest de Lassus (fils de Roland).



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ORGANISTE


Guillaume Pichler.


Neuf trompettes de la cour;

Deux timbaliers;

Et enfin Jean Landschreiber, surveillant des six castrats.

De tous les artistes de la liste de 1568, Antoine Morari & Mathieu Besutio étaient les seuls qui s’y trouvassent encore.

Les fêtes données à Munich, en 1568, à l’occasion du mariage de Guillaume, fils aîné du prince régnant Albert, avec Renée de Lorraine, nous montrent Lassus sous un aspect que les biographes anciens n’ont pas connu.

Pendant une semaine, ce fut une série de bals, festins, tournois, cortèges, mascarades. On chanta des messes & des motets. Virtuoses belges & italiens firent merveille. Ces derniers avaient été recrutés à Ferrare.

La veille du mariage du duc Guillaume, celui-ci avait exprimé au maître de chapelle le désir de voir jouer une comédie ; &, loin de répondre que la chose était impossible pour le lendemain, Lassus s était entendu avec Massimo Trojano & ils avaient ensemble fixé le sujet et le canevas à amplifier sous le titre de la Cortegiana inncimorata .

C’était un tour de force qui fait supposer





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que le grand musicien s’était montré déjà im- pressario habile & prompt.

Comme le raconte Massimo Trojano, une comédie italienne fut donc improvisée, le lende¬ main, après souper.

Toutes les dames sérénissimes y assistèrent.

La plupart ne comprenaient rien au langage des auteurs, mais Lassus, notamment, joua son rôle avec une telle grâce, une telle dextérité qu’il fit rire à gorge déployée tout le monde.

Ce récit de Massimo Trojano a été publié dans une étude de M. Edmond Van der Straeten, intitulée: Cinq lettres intimes de Roland de Lassus (Gand, 1891).

Le commentateur ne s’est pas borné à traduire et à transcrire; il a donné des aperçus humoris¬ tiques qui font connaître la personnalité de l’artiste, beaucoup mieux que les hommages & les thèmes laudatifs amplifiés à plaisir par les historiens.

Dans la Cortegiana innamorata, Lassus fit le Magnifico, sous l'appellation de Messer Pantalone di bisognosi, messire Pantalon des nécessiteux.

Jean-Baptiste Scolari, de Trente, parut sous les traits de Zanni, l’Arlequin.

Massimo Trojano eut trois rôles: le paysan, au prologue; l’amant, sous le nom de Polydore, et l’Espagnol désespéré, appelé Diégo de Mendoza.

Carlo Livizzano simula le serviteur de Poly¬ dore ; George d’Ori, de Trente, le serviteur de l’Espagnol.



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Le marquis de Malespine représenta la cour¬ tisane amoureuse, Camille. Sa servante fut Hercule Tertius.

A l’issue du prologue, Lassus fit chanter un délicieux madrigal à cinq voix.

Bientôt arrive sur la scène Massimo Trojano.il est vêtu de velours cramoisi orné de larges galons d’or, avec capote de velours noir, fourrée de magnifique zibeline. Il loue le sort d’être heu¬ reux & de pouvoir se réjouir dans le royaume des galants.

Un serviteur de son frère Fabrice , envoyé de la campagne, lui présente une lettre remplie de très mauvaises nouvelles. Après l’avoir lue, Polydore pousse un profond soupir, appelle Camille, l’embrasse & part.

Du côté opposé à la scène, entre Lassus, le Magnifique, portant un pourpoint de satin cramoisi, des bas d’écarlate à la vénitienne & une robe noire qui lui descend jusqu’aux pieds. Rien qu’à voir son masque, l’assistance éclate de rire.

Muni d’un luth, il chante, en s’accompagnant:

« Bienheureux soit celui qui, passant par cette « vie, ne soupire point ! »

Il répète la canzone , puis se met à se plaindre de l’amour:

« Pauvre Pantalon, fait-il, tu ne peux passer « cette rue sans envoyer des soupirs à l’air et « des larmes à la terre ! »

On rit, dans l’auditoire, à se tordre, surtout



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pendant le long discours que Pantalon tient par¬ fois seul, parfois avec Camille, sur le perfide amour.

Survient Zanni, qui, ne reconnaissant pas son maître , pour ne pas lavoir revu depuis des années, le heurte violemment. Une dispute s’élève, mais elle se termine bientôt à l’amiable.

Ne se sentant plus de joie, Zanni empoigne Pantalon, le jette sur ses épaules & le fait tour¬ noyer comme une meule. Pantalon exécute le même manège: tous deux roulent à terre.

Lorsqu’ils sont debout, les vieux souvenirs sont évoqués. Zanni apprend la mort de la femme de Pantalon. Tous deux se mettent à hurler comme des loups. Zanni pleure à chaudes larmes, en songeant aux macaroni & raffioli que jadis il reçut d’elle.

Ces lamentations finies, Zanni consent à por¬ ter des poulets, de la part de son maître, à la chère Camille, & même à lui parler en sa faveur; or, il fait tout le contraire.

Pantalon parti, Zanni, timide <Sc craintif, va déposer ses hommages aux pieds de la belle qui s’en éprend & l’admet dans sa casa.

En même temps, vibre une mélodieuse mu¬ sique formulée par cinq voix & autant de violes. L’auditoire n’a pas discontinué de rire.

Pantalon rentre. Il s’étonne de l’extrême retard que met Zanni à lui apporter la réponse. Le serviteur arrive, muni d’une lettre de Camille



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qui lui dit que, s’il tient à être agréé, il doit se travestir de la façon que lui indiquera Zanni.

Les voilà tous deux à échanger soigneusement leurs habits.

Arrive l’Espagnol, le cœur consumé de jalou¬ sie & de rage. Il narre à son serviteur ses exploits de bravoure & énumère combien d’enne¬ mis il a, de sa main, envoyés à l’Achéron.

Et dire que, maintenant, une vile femme le prive de son cœur !

N’y tenant plus, il s’en va trouver Camille, et la prie de le recevoir dans son intimité. A l’aide de paroles flatteuses, Camille se fait donner un collier d’or, en y joignant la promesse d’accueillir le soupirant chez elle.

Pantalon se présente alors, vêtu du costume de Zanni & celui-ci portant les habits de Pantalon.

Il fait longuement la leçon au Magnifique et lui montre de quelle façon il doit s’introduire chez Camille. Ils entrent.

Ici, une mélodie à quatre voix, deux luths, un clavecin, un fifre & une basse de viole.

Polydore, l’amant favorisé de Camille, est de retour de la campagne & s’en va trouver sa maîtresse. Il y rencontre Pantalon vêtu d’habits grossiers. Il veut savoir quel est ce drôle, et apprend que c’est un portefaix, chargé par elle d’expédier un coffre renfermant les vêtements de sœur Doralice de SantaCa taldo.

Plein de confiance, l’amoureux engage le


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portefaix à exécuter son message le plus vite possible. Pantalon-Zanni, peu rompu au métier, s'excuse sur son grand âge & finit par refuser net¬ tement. Alors Polydore, indigné, s’arme d un bâton et roue de coups le récalcitrant commissionnaire.

Durant cette algarade, l’auditoire se tient les côtes.

Au bruit de la bastonnade, Zanni prend l’alarme, & trouvant par hasard un sac vide, s’y introduit prestement.

La servante de Camille porte le sac au milieu de la scène, comme s’il renfermait un cadavre.

A 1 heure indiquée, l'Espagnol vient frapper à la porte du logis. La servante lui annonce que Polydore est revenu des champs. A cette nou¬ velle, l’Espagnol s'irrite, lève les yeux au ciel, et sAxclame en soupirant: ahi amargo de mi?

Sur ce, il heurte le sac où s’est blotti Zanni, tombe dessus, se relève, délie le sac, en expulse Zanni & lui assène de nombreux & vigoureux coups de bâton. Zanni s’enfuit, poursuivi avec acharnement.

Sa- vengeance assouvie, Polydore impose à Camille l’obligation de se marier. Elle refuse, puis finit, à force d’instances, par céder. On convient qu elle sera l’épouse légitime de Zanni.

Bientôt arrivent Pantalon, muni d’une provi¬ sion d’armes, & Zanni, ayant deux arquebuses sur l'épaule, huit poignards à la ceinture, une




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targe & une épée à la main, & sur la tête un casque rouillé. Ils brandissent, en guise de provo¬ cation, ces instruments de destruction & cherchent leurs ennemis.

Pendant que Camille invite Polydore à s’en¬ tendre avec Pantalon, celui-ci voit son adversaire et le montre à Zanni qui, pris de frayeur, pré¬ tend que son maître doit dégainer le premier, tandis que lui entend que ce soit Zanni.

Finalement, après s’être disputés sur le choix des armes, une grotesque escarmouche a lieu. Camille s’interpose, on se réconcilie.

La belle est donnée à Zanni; & pour célé¬ brer une si belle alliance, on danse un ballet à l’italienne.

Trojano, de la part de Lassus, vient faire ses excuses à l'auditoire. La pièce, dit-il, n’est certainement pas digne des sérénissimes princes présents, mais le temps a manqué, on s’est efforcé de faire pour le mieux.

Quelle orlande ! dirait-on à Mons.

Tout, dans cette farce, résidait dans l’impro¬ visation; le scénario n’était qu’une sorte de thème sur lequel les acteurs brodaient les fan¬ taisies les plus folles, sans compter les escar¬ mouches & les bastonnades sans nombre.

Lassus avait certainement observé & étudié le caractère spécial de la comédie italienne dont les personnages semblaient descendre directement des anciens mimes.





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Arlequin & Polichinel, qui étaient les types plaisants de poltron & de bouffon, existaient, paraît-il, avant Plaute, & ils continuèrent leurs farces pendant le moyen âge, lorsque le théâtre régulier n’existait pas encore.

Au reste, ils ne furent pas répudiés, même par les Princes de l’église, & Saint Thomas d’Aquin, qui ne les trouvait pas de mauvaise compagnie dans certains cas, disait que le jeu est nécessaire à la conservation de la vie.

Saint Antonin approuvait Saint Thomas sur ce point, mais il ajoutait cette restriction: « Aucun « ecclésiastique ne doit jouer Arlequin & Polichinel « ne doit pas faire sa parade dans l’église . »

C’est à l’abri de ces autorités que les mimes continuèrent à obtenir faveur.

D’autres types agrandirent plus tard le drame.

Les acteurs paraissaient en masque.

A l’origine, différents personnages repré¬ sentaient quelque district ou ville d’Italie. Ainsi, Pantalone était un marchand vénitien; il Dottore } un médecin de Bologne; Spaviento, un Napolitain fanfaron; Pullicinella, un plaisant de la Pouille; Giangurgalo & Coviello, deux paysans de la Calabre; Gelsomino, un fat romain; Beltrame, un niais de Milan; Brighella, un procureur de Ferrare; Arlecchino, un effronté valet de Bcrgame.

Chacun de ces personnages avait un costume qui lui était propre, un masque particulier, et le dialecte du lieu qu’il représentait.



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Outre ceux-là, & quelques autres dont quatre au moins figuraient dans chaque pièce, il y avait les amorosos ou innamoratos, c’est-à-dire quelques hommes ou quelques femmes qui rem¬ plissaient les rôles sérieux, & Mércildine, Spillette et d’autres femmes qui jouaient les rôles de servettas ou soubrettes.

v

Les pièces jouées étaient appelées Commedia delïArte, & elles étaient remplies de gesticulations et de bouffonneries.

Chacun des acteurs, avec son caractère dra¬ matique, inséparable de sa personne & de son costume, avait l’imagination & la mémoire rem¬ plies de tous les bons mots caractéristiques ou lazzi particuliers au personnage représenté.

Tout ce que l’auteur avait à faire était d’in¬ venter le cadre d’une intrigue qui mît ses artistes dans une situation dramatique les uns envers les autres.

Les acteurs imaginaient le dialogue suivant l'occasion, de même que les acteurs modernes accompagnent leurs rôles de gestes & de mouve¬ ments propres.

Le cadre s’appelait scénario & il était rempli par les acteurs, soit impromptu, soit après avoir médité les incidents d'avance.

Cette espèce de comédie, extrêmement popu¬ laire, contribua souvent à l'amusement de la bonne société & ne fut pas même dédaignée par les hommes de génie.





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Flaminco délia scala a laissé environ cinquante scénarios semblables, arrangés pour la représen¬ tation.

Le procédé employé dans la Cortegiana inna- morata de Roland de Lassus & Massimo Trojano est bien celui que nous avons exposé ci-dessus.

Les Italiens possédèrent cependant, de bonne heure, un théâtre régulier. La comédie de Rib- biena, intitulée La Calandra , à l’imitation des drames de Térence & de Plaute, fut jouée pour la première fois en 1490.

Elle fut suivie des productions d’Arioste, de Trissin & d'autres auteurs du même ordre, mais ce genre nouveau ne conquit pas vite la popularité qui seule pouvait le faire prospérer.

Dans un temps plus rapproché de nous, Gol- doni s’est affranchi des règles classiques & a voulu fondre dans les anciennes mascharatas d’origine italienne la variété & les attributs de la comédie proprement dite.

Il a adopté Arlequin & le reste de sa troupe sous les caractères qu’ils avaient & s'est efforcé de les enrôler dans le service plus régulier du drame.

Cet écrivain habile & spirituel a conservé toute la licence de la commedia delTarle; mais au lieu de s’en tenir aux à-propos & à l’esprit grotesque des personnages qu’il faisait paraître sur la scène, il a composé lui-même des dialogues qui montrent souvent beaucoup de verve & même de pathos.




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Il fallait toute la richesse d'une imagination comme celle de Goldoni, pour donner de la nou¬ veauté & de l’intérêt à un système dramatique dans lequel un si grand nombre de personnages avaient un caractère fixé & ^prescrit, à peine susceptible d’être varié.

Plus que tous autres documents, la corres¬ pondance de Roland de Lassus nous a permis de le juger comme homme.

Il était gai, aimable, spirituel ; il cultivait les bons mots, les calembourgs, & accompagnait ses sorties de grivoiseries parfois au gros sel.

Sa correspondance révèle ses goûts, ses habi¬ tudes.

Dans une lettre au duc Guillaume, du n septembre 1573, il ne cache pas qu’après manger il faut boire (oportet bibere).

Il pratique encore la pêche à la ligne pour

éviter le vice (!.) mais il regrette de ne plus

jouer à la balle.

Roland rédigeait ses lettres de la façon la plus étonnante. Le style en est barriolé, la langue employée souvent multiple, l’idée parfois stupé¬ fiante de fantaisie.

Dans la lettre conservée au dépôt des Archives de l’Etat à Mons, datée de Munich le 16 juin 1575, & adressée au duc Guillaume de Bavière, lettre remise par Fétis en 1849, il débute en patois milanais &, vers la fin, se sert du pretto italiano entremêlé de français.



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Voici la copie de ce document:

Mons r S or meser, si à la fe: patron de mi poltron, per cento (è quaranta, che lutta notte canta, voile) mi stravicomando a Vra (in voj e la di voj per voj, o hoj). Ex tia , con la mia sapientia, pien discientia, d’esperientia cou vehementia, venga il cancaro a lapestilentia, volendo io cominciar a scriuer con prudentia, mi soprariua una cadentia, del cocchiero di Vra Ex tia , cosj son foriato a lasciar le rime e sciuere in prosa, no di botonj o rosa, voglio dir che essendo ariuato per la idio gratia in casa mia, ho ritrouato la mia consorte in assaj bona sorte, no temendo la morte, poi che no ha da viuere in corte, cosi lej et io mj, con ogni humilia basamo le manj di Vra Ex tia , insieme con le petit Guillaume, qui est part de mo ame, sans oublier madame la princesse Renée, compagne espouse consegliére e singu¬ lière en toutte vertu; qui ne le croit baise mo eu. A dieu, Mons r . no pas bossu , De Minichen, le, 16e. de junius del 7;.

De Vra Ex tia

seruiieur, no patron, mais poltron,

Orlando Lasso.

Au dos se trouve la suscription suivante :

AW lllustrissimo & Ex mo principe Guilelmo, Duca de le duc Bauière, mio S r & palrone sempre oss mo .


Au bas de cette suscription on a noté:

R te Lanndshuut den 20° junü a 0 7;, Cant\ huet\.

Original, sur papier en une feuille (1), munie du cachet de Lassus (2).


(1) Cette feuille a pour diagramme l'aigle à deux tètes couronnée.

(2) On y distingue ses armoiries surmontées des lettres O. L.



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Cette lettre est réellement stupéfiante ; et quelle traduction en donner ?

Certes, dit M. E. Vander Straeten, le maître obéissait à la mode des sentences & des devises qui sévissait alors partout ; mais la loi du bon sens avait aussi ses rigueurs, & il était réellement déplorable de voir une nature aussi sonore dis- soner ainsi à plaisir sous l’approbation du prince de Bavière. Dans cette lettre, pourquoi tous ces mots en ta & en tia, qui sont des hors-d’œuvre ?

Le poltron (paresseux sans doute ?) se recom¬ mande à son patron & s’attarde en nombreux détours de phrases pour arriver à dire qu’il est rentré, grâce à Dieu, dans sa maison (voglio dir che essendo arrivato per la idio gratia in casa mia) & que la santé de sa femme est assez bonne (ho ritrovato la mia consorte in assaj bona sorte). Et pourquoi ces abus de mots en orte pour faire des compliments avant de terminer une missive, dont le véritable but échappe, par un baisement de main &. une polissonnerie !

Roland utilise, dans ses lettres, toutes les langues qu’il a apprises, pour composer le plus étonnant ensemble qu’il soit possible d’imaginer.

En 1567, il disait au duc Guillaume, en lui dédiant de nouvelles chansons allemandes à cinq voix :

« Comme tous ceux qui se servent de plusieurs « langues, leur emploi laisse un peu à désirer chez « moi, mais j’aime le latin, le wallon, le français



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« et le néerlandais quelque soit le chant visé, en « dehors de ceux que, monseigneur, vous voulez « accepter & ordonner de retenir particulièrement « à cette cour. »

« Pour cela, je me montre un sujet soumis, « d’autant plus volontiers qu’il est visible que « votre Altesse marche entièrement sur les traces « de sa Majesté votre père, dans toutes les choses « avantageuses; de même aussi que vous excellez « dans cet art récréatif & noble non seulement « par l’exercice admirable de la voix, mais encore « pour plusieurs instruments. »

Pendant les années 1572 à 1579, dit M. le D r Haberl, en son étude insérée dans le Kirchenmusi- kalisches Jahrbuch , de Ratisbonne (1891-1892), — période dans laquelle Roland de Lassus, dans toute la force de l’âge viril, travaillait avec une célérité, une puissance de production & un désir de création incroyables comme compositeur, — il existe une série de lettres à ce jeune duc Guil¬ laume qui habitait ordinairement la campagne, au château de Transnitz.

Dans ces épîtres familières, le grand maître se montre en robe de chambre. En dehors de ses réparties sensées & de son jugement sain, il fait preuve d'une gaîté communicative & d’habileté bouf¬ fonne traduites en expressions latines, wallonnes, françaises & néerlandaises, entremêlées de bribes espagnoles.

Nous pouvons à peine comprendre une telle



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correspondance à notre époque civilisée, aux façons extérieures si polies.

M. Haberl a eu la bonne fortune d’acquérir une copie certifiée par le conservateur, M. Jules- Joseph Mayer, des lettres autographes que possède

r

la Bibliothèque royale de la cour & de l’Etat à Munich. Ces autographes appartenaient antérieu¬ rement au baron de Aretin, qui en donna con¬ naissance à l’Académie royale des sciences.

A la mort du baron de Aretin, la veuve écrivit à M. G. Dessauer, disant qu’elle considérait ces lettres comme devant être affectées à l’intérêt public & M. Dessauer, sous condition d'en faire une copie, les remit, le 16 Août 1868, à la Biblio¬ thèque royale qui lui en accusa réception le 18 Août.

L’impression générale laissée à M. Haberl, après la lecture de ces lettres, est que celui qui les écrivit était d’un caractère loyal, sincère, franc, probe ; qu’il eut pour le duc Albert et pour le jeune duc Guillaume, son plus intime ami & maître, un attachement & une reconnais¬ sance touchants dans leur naïveté; qu’il s’exprimait, non dans un langage de courtisan, mais d’une manière cordiale, intime, & qu’il était aimé et respecté de toute la famille ducale.

En 1572, Roland a été visiter deux fois le duc Guillaume à la campagne. Il lui faisait part de son retour à Munich, en juillet, par la pluie. Le soir, il boira dans son jardin à la santé de son maître.


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En août il présente les compliments de sa femme & de son petit Rudolfe au duc & à sa compagne Reneta*

Dans sa lettre du 7 octobre 1572, il écrit de Landshut au duc Guillaume qu’il a séjourné six semaines dans son jardin (à la campagne) ; qu’alors la peste sévissant à Munich, il a été mandé par le duc Albert d’aller lui rendre visite à Staren- bergem à cause de la maladie régnante. Le duc aurait voulu l’envoyer à Tachau, mais Roland ayant demandé, par lettre, d'aller à Landshut avec toute sa famille, & son Excellence ayant consenti, il avait fait ses préparatifs & était parti pour cette dernière résidence royale.

Il attendait avec impatience le retour du duc comme les Juifs attendent le Messie & saluait aussi le prince Ferdinand.

Le 29 juillet 1573, étant parti sans avertis¬ sement (de Landshut probablement) il promet un petit présent au duc & à sa compagne Renata (peut-être une partition) espérant être pardonné.

Le 26 novembre 1573, le duc Guillaume étant à Friedberg, Roland s’excuse de n’avoir pas pu lui écrire depuis longtemps, contrairement à son habitude, ayant beaucoup travaillé «mon pauvre et débile esprit nuict & jour».

Le 14 août 1574, il annonce au duc son heureux retour à Munich de sa visite à Landshut où il s’est amusé divinement.

« Ma femme, mon petit Guillaume se portent




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« relativement bien, dit-il, Dieu soit loué. Des « compliments aussi à la duchesse Renata. »

Comme on le voit, ces lettres montrent l’inti¬ mité la plus complète entre Roland & la famille du duc régnant. — Ce sont des compliments, des accusés de réception & des remercîments.

Souvent aussi, on trouve dans ces missives des renseignements relatifs à la chapelle & aux engagements des artistes & des comédiens.

De Munich, le 26 novembre 1573, il raconte au duc Guillaume qu'étant à Friedberg, il a reçu des nouvelles de Brachery lui annonçant qu’une troupe de comédiens jouera, pendant tout le carna¬ val ; & que, parmi eux, se distingue particulièrement un certain Zanni.

Le duc se trouvant à Inspruch, en 1574, Roland lui fait savoir, de Rotkholz, en face de Ienbach, dans l’Inn, le 12 février, que la société a quitté la résidence de Landshut, lundi dernier, par un temps des plus mauvais; que, le troisième jour, le temps a continué; qu'ils ont dû prendre un traineau avec six caballi pour transporter toutes les caisses & les boîtes. Qu’à part cela, ils ont trouvé bon logement partout mais très cher, qu’on a dû payer dix bazzi par personne. Il ajoute qu’il est curieux de savoir si les deux sonalory venuti du Milano ont plu & il espère que tous les matins, passant par monts & par vaux, arriveront des vœux pour leur conservation.

De Klausen, le 16 février 1574, il fait savoir


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au duc qu’il se porte bien, ainsi que ses compa¬ gnons de voyage, particulièrement Zanni si gai, qu’à ses farces il fallait rire jusqu’aux larmes.

Il ajoute que, de Florence, on annonce un danseur extraordinaire (saltatore) & il souhaite de pouvoir l’engager pour la cour de Bavière quand il rentrera de Naples; que sans mission du prince, il ne fera rien.

De Trieste, le 20 février 1574, il profite d’un jour de repos, (la conservation des chevaux & des ânes l’exige) pour donner des nouvelles de son heureux voyage.

Il demande qu’on envoie les cadeaux du duc par eau jusqu’à cinq milles allemands de Mantouc et il espère que lui & sa société arriveront le premier jour du carême. Il répète un on dit « que le duc de Ferrare devait être fiancé à la princesse Maximilienne. » Et il termine en disant que lui & ses compagnons, Joan Pietro et autres, baisent la main de son Excellence ainsi que de la duchesse Renée, du prince Ferdinand et de Madame la sposa, se dir si osa ainsi Maximilienne.

De Mantouc, le 26 février 1574, il écrit que

.loan Pietro & lui ont reçu la lettre du duc et

le remercient. Ils ont remis les cadeaux au duc de Mantouc. Il écrira plus longuement sous peu.

Brachcry lui a parlé d’un jeune artiste « chc « suona c canta in lento » dont l’égal n’existe plus dans toute 1 Italie. Il se trouve près de l’Evêque





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à Rimini. Il cherche à le gagner. Il a écrit à Brachery sous l’adresse d’Andréa Gabrielis et espère avoir une réponse à Rome.

Il ne peut engager le cornet du duc de Parme, il a près de soixante ans.

Il a écrit de Trieste à Anthoine de la Viola, mais il n’a pas encore eu de réponse.

Roland prie de faire des compliments à son épouse Régina, attendu que le temps lui fait maintenant défaut & qu’il ne peut écrire particu¬ lièrement.

Le 3 mars 1574, il va à Ferrare & à Bologne avec Joan Pietro, & ces deux artistes sont très bien accueillis dans ces différentes villes.

A Bologne, il se met en rapport avec Gerardo Magnifico Venturino, qui faisait rire et pleurer inévitablement; il engage un danseur et son enfant, une basse de chambre; deux artistes romains; Julio, chanteur organiste, luthiste, sa femme & ses trois enfants; la signora Ipolita, son frère & un serviteur, Lorenzino; Jean-Baptiste, accompagné de son père, bon sonneur de cornet, en tout vingt personnes qui réclament, outre leurs frais de route, une somme anticipée de cinquante écus.

Le 7 mars 1574, il est à Florence où l’en¬ thousiasme qu’il avait montré pour Gérard le magnifique disparaît, ayant reconnu qu’il présente toujours les mêmes farces. Il l’abandonne.

Il se met alors en rapport avec Jan Maria,




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auteur d’une petite comédie, & dirigeant un per¬ sonnel de six acteurs rompus au métier, et sachant exécuter des danses & autres galanteries.

Le voyage à Rome, où le pape Grégoire XIII allait créer notre concitoyen chevalier de Saint-Pierre à l’éperon d’or (1574), avait pour but de s’entendre avec un organiste de premier ordre pour la chapelle de Munich.

A la basilique de Saint-Pierre fonctionnait un organiste appelé, à bon droit, Prince des musiciens: Marc Houterman, de Bruges.

Il était l’alter ego de Palestrina.

Houterman éluda la demande qui lui fut faite, et ce sous des prétextes, & il resta à Rome.

Lassus fut reçu dans cette ville avec les plus grands honneurs & choyé, acclamé par toute la colonie néerlandaise.

Le 14 mai 1574, il répond de Munich, à une lettre du duc qui lui demandait un violon (musicien), & à la suite d’une lettre d’Anthoine (sans doute de la Viola) il dit en plaisantant que celui-ci est un homme effronté & insatiable.

Dans cette lettre on voit que le duc Albert n’a emmené avec lui (où?) que Joseph, organiste, le neveu de Andréas, Josquin des bruières, Jan Batista, Hans Fischer, Joachim, Henrj, Marco des 4 frères. « Roland a des pensées sombres » mais il « prie Guillaume de lui pardonner: « ie suis un petit « entré en la mélancolie (!), me lamentant de mes « brouillcries; après la mort, je ni penseraj plus ».



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Il baise la main de son Excellence, de la prin¬ cesse Renata et de la princesse Dorotea.

Le 14 août 1574, il prie le duc de prendre à son service « il Julio Giglio ; » il aurait plus de plaisir avec lui seul, qu’avec toute sa musique.

La lettre de Munich, du I er mars 1575, est une recommandation pour Floris qui veut retour¬ ner dans les Flandres; il demande une avance d’argent pour son voyage.

Cette demande a abouti, comme on le voit par la lettre du 7 mars 1575.

Par la lettre, de Munich, du 24 mars 1575, au duc à Landshut, il fait savoir qu’il a reçu la dernière lettre par Wagner & remercie. Il a appris, depuis quelques jours, que son Excellence veut se rendre à Munich avec toute la famille pour séjourner régulièrement à la vieille cour; que, pour cela, il est au paroxisme du plaisir.

Après des remercîments sublimes (?!), du 28 mars 1575, « portés au plus haut degré dans le but de faire rire », il dit qu'il ne peut répondre à l’invitation du duc malade qu après le retour de Fossa, & quand il sera plus libre dans son service.

« Il baise la main du duc ; sa femme & tout « son petit ménage en font autant ».

De Munich, le I er avril 1575, il accuse récep¬ tion d’une lettre de rimes drôles & de plaisanteries d’avril .

Le 25 avril 1575, il donne suite à l’invitation faite en mars par le duc.





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Le 6 mai 1575, il a été chez Fugger avec Lizentiat Miller & a fait part du salut & de l'in¬ vitation de son Excellence. Il s’agit probablement de Fugger, le mécène des arts.

En hâte de Munich, le 14 mai 1575, au duc Guillaume, à Landshut:

C’est avec plaisir qu’il attend le duc à Munich où, à l'occasion, on pourra débuter avec Fugger. Il annonce le retour de Joseph Fossa avec Cristofle Haberstock & le fils de Simon prince mort, Jan Tomaso gênant, lequel chante assez bien ténorant.

En juin 1575, le duc Albert se serait rendu en personne chez Roland pour transformer l'invi¬ tation en une visite à Landshut. Le maître de chapelle veut examiner s’il y a possibilité d’une exécution musicale, avec le concours des jeunes gens qu’il loge chez lui pour leur donner l'en¬ seignement. Une permission du duc aurait été donnée à « Carlo tenoristo italiano » pour un voyage à Rome.

On avait vendu à celui-ci, à un prix raison¬ nable, le cheval que Guillaume avait laissé pour le service de Roland.

En ce qui concerne ses affaires d’argent, le maître de chapelle en aurait longtemps causé à Fugger, mais jusqu’alors il manquait une indication quant à l'achat projeté d’un terrain. (?)

En juin 1575, on s’est mis d’accord avec Fugger au prix de 1600 florins, mais rien n'indique de quel terrain il s’agit.



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De Munich, du 3 septembre 1575, au duc, à Landshut :

Lettre de remercîments, parce que le duc Guillaume se dérange à ce point de lui écrire si souvent de sa propre main.

De Munich, du 16 septembre 1575, au duc Guillaume, à Friedberg:

Il recommande Brachero (ou Brachery ?) qui doit aller à Landshut & il s’ennuie de ne pouvoir l’accompagner.

De Munich, du 23 janvier 1576 :

Remercîments pour une lettre autographe du duc. Miller & lui ont bu, à différentes reprises, à sa santé.

De Munich, du 23 mars 1576, au duc, à Landshut :

Il a reçu la lettre du duc, par l’intermédiaire du prince Ferdinand. Le prince & lui ont fait un concert intime.

Il a rendu visite à « Anthonius de Viola » qui souffre un peu de la fièvre.

De Munich, du 4 avril 1576, au duc Guillaume, à Landshut:

Accusé de réception d’une lettre.

Il expédie, par l’intermédiaire de Lizentiat Miller, un exemplaire de ses « chansons todes- ches. » Cette 3 me partie est dédiée à M. Ernesto, administrateur de l’institution Idildesheim & Frey- sing & est datée du i er avril. La i re partie a été dédiée au duc Guillaume, la 2 me à Ferdi-



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nand, duc de Palatinat. 11 se plaint dans cette lettre d’un certain « Cosimo ».

De Munich, du 12 avril 1576, au duc Guil¬ laume, à Landshut :

Il est remis avec Cosimo. Il fait part de la maladie de son fils Rodolphe.

De Munich, du 24 mai 1576, au duc Guil- laum, à Landshut :

Il envoie « un libro Missarum cum aliis mot- tettis » & une chansonnette en « bergamasco ». Quant à ce que le duc désire encore, il peut l'avoir à Nuremberg, à Venedig & à Paris.

« Demandant en tel chascun logo tutte Topere « stampate de la musica orlandesca par ainsi « quella sera servita & obedita, Domine ita. » Il parle de la cédule d’Adam Berg (imprimeur à Munich), « si v re Ex ce la fait paier, il ni aura plus à crier. » Il ne voit le prince Ernest que le dimanche à la messe; il lui paraît très vertueux & ne souvre pas à lui. Il recherche l’occasion de recevoir le duc à Munich avec Gregersdorf & Zanni « man- gialardo » pour rester dix jours dans sa petite demeure.

Il emploiera journellement dix florins, cela fera cent florins. Il a composé un mottet depuis le départ du duc « lequel plaira à son Excellence « pour la façon nouvelle ». Il l’a envoyé au duc Albert avec une lettre joyeuse (de tournure gaie). Il en montrera une copie à Guillaume, quand celui-ci rentrera à Munich. Il a aussi écrit au




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prince Ferdinand, à Cosimo & à l’ami Lizentiat Miller.

De Munich, du 16 juillet (sans indication de l’année), au duc Guillaume, à Ratisbonne :

Il prie de présenter ses respects à l’empereur Maximilien & au prince héritier de Cologne, et fait part de la mort de son jeune fils « e mio « figliolo morto in terra, ma vivo in cielo ».

De Munich, du 17 juillet 1576, au duc Guil¬ laume, à Ratisbonne :

Il fait des excuses d’importuner encore le duc pour obtenir une lettre de recommandation pour Anttonio Gosurino qui doit finir quelques affaires à Ratisbonne.

De Munich, du 8 octobre 1576, au duc Guillaume, à Landshut:

Il accuse réception de sa lettre & promet la composition des chansonnettes campagnardes en¬ voyées. Il a porté l’autre chanson « Canzone del perhauser », le 4, à la nouvelle fête & il espé¬ rait rencontrer le prince en personne, mais celui-ci était déjà parti pour Ratisbonne.

Le duc Guillaume lui a envoyé quatre pièces de vingt marks au lieu de six florins; il remettrait bien l’excédant, mais il doute que son Excellence veuille l’accepter; au surplus, il ne veut pas verser de Peau à la mer .

De Munich, du 12 octobre 1576, au duc Guillaume, à Ratisbonne :

« La chanson germanica est Iam positam in



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mnsica. » Le duc Albert devait aller le lundi suivant à la chasse à Tours & il attendait avec impatience le retour de Guillaume.

De Munich, le n mars 1578, au duc Guil¬ laume, à Landshut:

Il raconte des plaisanteries dans lesquelles interviennent des allusions aux « mottetti di Cle- « mens non papa », au morceau de Crequillon « pis « ne me peut venir », à son propre mottet à six voix « Timor & tremor (avec les quatre fiaschi « di semitoni per bequardo), à T« Utimi miei sos- « pirj », de Verdellott, & au « dissimulare » de Ciprian, à T « io penso al martyre », d’Archadelt, et à un « Agnus Dei » d’Isaac. En post-scriptum, il demande de recevoir jusque Pâques 200 thalers dont 50 pour Bracheri, & le reste pour acheter des Nicolas à Venise ; il préférerait recevoir cette somme à Landshut & non à Venedig seu¬ lement, pour ne pas devoir se mettre en rapport avec Fugger.

De Venedig, du 2 mai 1578, au duc Guil¬ laume, à Landshut:

il était arrivé heureusement & bien portant, le i cr mai, à Venedig, & demeurait chez Bracherj. Il racontera les particularités de son voyage par « Ispruch » etc., à son retour à Landshut; &, en attendant, il se recommande à la prochaine faveur de S. Ex ce .

De Munich, du 18 juillet 1579, au duc Guil¬ laume, à Landshut :



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Il fait savoir qu’il souffre de coliques vio¬ lentes, mais qu’il sera bientôt guéri, & il expédie un écrit de Dubuisson qui lui fait part de bonnes nouvelles du duc de Wurtemberg.

Nous avons vu combien Roland de Lassus était facétieux. Il poussait la « joyeuseté » jusque dans ses signatures. En voici quelques échantillons :

De vra Ex tia serviteur no patron, mais poltron, Orlando Lasso.

Di vestra Ex tia humilissimo servo, Orlando Lasso.

Secrétaire publique (s/c), Orlando magnifique.

Orlando Lasso. Col cor non basso.

Di vra Ex tia humilissimo servitore, Orlando Lasso.

Orlando Lasso ma di bon core.

Orlando Lasso senza spasso.

Orlando poltron valente.

Orlando di La Sol (en notes de musique).

De V re Exc e , très humble & léal serviteur, Orlando Lasso.

Di vra Ex tia humilissimo servitorissimo,

Orlandissimo Lassissimo amorevolissimo.

Humble serviteur de V re Ex tia , Orlando Lasso, per obedientia.

De V re Ex ce humilissimo servitore, Orlando Lasso a tutte l’hore.

De V re Ex ce très humble & petit serviteur, Orlando Lasso, de bon cueur.

Humilissimo servo Orlando Lasso, non cervo.



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Voici un incident très important de la vie de Roland de Lassus :

En 1574, le roi de France, Charles IX, lui avait fait offrir la maîtrise de sa chapelle avec un traitement considérable.

La musique seule pouvait apporter quelque soulagement aux tortures morales de ce souverain.

Sur l’autorisation du duc Albert, Lassus avait accepté de se fixer à Paris; mais ayant appris, à Francfort, la mort du roi Charles IX, qui expira le 30 mai 1574, il retourna à Munich, où le duc le rétablit dans ses fonctions & le combla de nouveaux bienfaits.

M. S.-W. Dehn, bibliothécaire de la ville de Berlin, a découvert, en 1849, une lettre prouvant que des offres magnifiques avaient été faites au grand musicien par la cour de Saxe pour le décider à aller se fixer à Dresde, sous la condition d’écrire la musique des livres des psaumes imprimés à l’usage de l’église réformée.

Il répondit que, quelque fussent les avantages qu’on pût lui offrir dans ce monde, il ne se déci¬ derait jamais à trahir les intérêts de sa religion en coopérant, même d’une manière détournée, au succès du protestantisme.

Ce fut surtout à Munich que le talent de Roland prit un essor immense. Sa renommée justifia le titre de Prince des musiciens qui lui fut donné.

Ses appointements, comme maître de chapelle,



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étaient de quatre cents florins, somme considérable pour l’époque.

Le duc Albert mourut le 24 octobre 1579. Il avait assuré à Lassus, le 23 avril 1579, les dits quatre cents florins pendant le reste de sa vie.

Le duc Guillaume lui montra autant d’estime que son prédécesseur & lui confirma son traite¬ ment.

Le maître de chapelle avait amassé, grâce à ses économies, une somme de 4400 florins placée à la caisse du trésor & qui produisait un intérêt de cinq pour cent. Roland eut des scrupules qu’expliquent les idées du temps & il remit ces intérêts au duc Guillaume; mais celui-ci fit déli¬ vrer un acte par lequel une somme équivalente lui fut donnée en propriété, afin de ramener, par ce moyen ; le calme dans sa conscience.

Ces scrupules, que l’on a souvent commentés, reposaient sur l’adage admis autrefois: « Nummus minimum non pcirit, — l’argent n’engendre pas l’argent. »

On se préoccupait moins du taux plus ou moins élevé de l’intérêt, que du principe qui condamnait l’intérêt dans les prêts.

Il serait oiseux de rappeler ici les discussions qui eurent lieu, à différentes époques, à propos de l’intérêt, & de faire intervenir, à l’instar de Voltaire, dans son Dictionnaire philosophique, la Sorbonne, Montesquieu & tant d’autres qui disaient non, & les Juifs, les négociants hollandais, les



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universités d’Oxford & de Salamanque qui disaient oui.

L’ancienne législation considérait le prêt comme essentiellement gratuit. Sans doute, cette manière de voir n’était pas absolument sans excep¬ tion, mais elle était très répandue.

Cependant, le croirait-on? la gratuité du prêt a été défendue, de nos jours encore, avec un acharnement digne d’une meilleure cause.

« Service pour service, » disait Bastiat. Celui qui accorde terme rend service. Au contraire, les partisans du système de Proudhon se rappro-

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chaient, quant aux effets, de la théorie de l’Eglise qui interdisait le prêt à intérêt comme contraire à la justice & à la morale.

Pour ceux qui n’étaient pas commerçants ou qui n’avaient pas société à gain ou à perte avec marchands, & qui ne voulaient pas se mettre en

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opposition directe avec les canons de l’Eglise, ils avaient la ressource de vendre un capital moyennant une rente perpétuelle. On a même douté quelque temps si l’Église pouvait l’auto¬ riser, & enfin elle a été approuvée.

La constitution de la rente diffère essen¬ tiellement du prêt en ce que le principal est aliéné à perpétuité, sans qu’il y ait aucun droit de le réclamer, tant qu’il y a sûreté pour le payement des arrérages.

On ne pouvait, dit Dumées, (Jurisprudence du Hainaut français), excuser le prêt en disant




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que celui qui emprunte peut avoir en vue d’em¬ ployer l’argent en acquisitions d’héritage ou d’une charge qui produisent des fruits. Cet emploi est étranger à la nature & à l’objet principal du prêt; il ne doit point entrer en considération pour renverser une loi sage & nécessaire. En admettant une exception, on éluderait la force de la loi.

Voici l’acte de donation relatif à cette affaire de prêt à intérêt :

« Nous, Guillaume, par la grâce de Dieu, duc de la Haute & de la Basse Bavière, Comte Palatin du Rhin, etc., etc., savoir faisons :

« Nous reconnaissons, par les présentes , tant en notre nom qu’en celui de nos héritiers & descen¬ dants princes régnants, qu’Orland de Lassus, notre sujet fidèle, aujourd’hui notre maître de chapelle, ci-devant celui de notre père chéri le prince Albert, duc de la Haute & Basse Bavière, comte Palatin du Rhin, de glorieuse mémoire, a successivement, et ce en quatre fois , mis à intérêt de cinq pour cent un capital de quatre mille quatre cents florins (lequel l’est encore); & que ce capital peut, en vertu d’actes authentiques passés en conséquence, être retiré ou révoqué après quelques années & après avoir perçu les intérêts.

« Mais qu’Orland animé par son zèle & par sa conscience véritablement chrétienne, & voulant avant tout plaire à notre mère la Sainte-Eglise qui.




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par sa doctrine divine, nous prodigue tant de conso¬ lations pour notre bonheur, soit temporel, soit spiri¬ tuel, déclare lui-même que les intérêts qu'il a reçus jusqu'à présent n'étaient justes ni convenables , qu'il s'en désistait pour cette raison & nous les restituait à compter de l'époque ou il les avait touchés.

« D'une autre part, considérant les bons et loyaux services qu'il a rendus à feu notre bien aimé père de glorieuse mémoire, notre bon plaisir est, mû que nous sommes par notre propre volonté, de lui faire restituer des intérêts dont il s'était désisté, pourquoi nous les lui donnons, rendons, remettons et lui en faisons présent en retour, portant ceci à sa connaissance, ainsi qu'à celle de ses héritiers.

« Nous les autorisons, par les présentes, à agir avec ce bien comme bon leur semblera, et, afin de prévenir toute contestation, erreur, objec¬ tion, etc., à cet égard, & ce tant de notre part que de celle de nos héritiers, nous lui avons délivré le présent acte muni de notre propre signature & de notre sceau pour lui servir, ainsi qu'à ses héritiers en cas de besoin.

« Ainsi fait dans notre ville de Munich, le Dimanche Oculi, dans le carême, le six mars l'an de notre Seigneur & Sauveur, jySo.

(signé) Guillaume ».

Cette rétrocession clôturait tout débat pour un fait particulier, mais ne pouvait résoudre la question des prêts à intérêt, l'Eglise ne reconnais-



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sant pas alors dans les lois humaines la force de rendre licites les usures les plus usitées & autori¬ sées.

Le duc Guillaume eut des scrupules, comme son maître de chapelle, relativement aux prêts qui se faisaient en Bavière & il s’adressa au Pape Grégoire XIII, le consultant relativement à la coutume qui régnait dans ses Etats de prêter avec un intérêt de cinq pour cent.

Le Pape, se conformant à la tradition, répondit à ce prince, le 27 mai 1581, qu’aucune coutume et qu’aucune loi ne pouvaient rendre licite la perception d’un tel intérêt.

Le Pape Alexandre III enseignait la même doctrine. Et c’est sur ce principe que le concile de Malines (1570), le concile de Milan & l’assem¬ blée du clergé de France, tenue à Melun (1579) ont formellement & expressément décidé que les tuteurs & même ceux qui sont chargés de l’admi¬ nistration des hôpitaux ne pouvaient prêter à intérêt l’argent des mineurs & celui des hôpitaux, sous prétexte qu’ils en sont comptables.

Voici deux actes, tirés des archives des anciens domaines de Bavière, & relatifs à notre illustre compatriote :

Le 2 septembre 1589, Roland prête au digne Monsieur Wolfgang Achter, curé à Kotalting , 80 florins. En retour, le maître de chapelle aura droit à deux journées de travail dans ses pâtu-



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rages à Geyfering jusqu à ce que la dite somme soit restituée.

Le 16 mars 1591, Roland prête à Valentin Mayr, à Geysing, yo florins. Le débiteur lui alloue la jouissance déune partie de terres labourables dans les champs vers Holzhausen. Ces terres doivent rester en la possession du maître de chapelle jusqu à ce que M. Mayr aura rendu les yo florins.

Dans un acte des archives communales du

royaume de Bavière, du 19 juin 1584, Roland

reconnaissait avoir reçu du duc Guillaume une

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concession d'eau passant dans son jardin, situé vis- à-vis du mur d’enceinte, près de la porte Wür- zerthôr & touchant à sa maison d’habitation dans le Graggenau.

Le 17 janvier 1587, le duc Guillaume fit présent à Roland d’un jardin à Meising. Ce jardin avait 40 aunes de largeur sur 60 de longueur. Il tenait, par derrière, à la grand’route de Furs- tenfeld & aboutissait, du devant, au vieux bourg de Draexls. Sa clôture était en planches. Le maître de chapelle parle souvent de ce jardin dans ses lettres au duc Guillaume.

Roland avait épousé comme nous l'avons vu, en 1558, un an après son arrivée à Munich, Régina Weckinger, dame d’honneur de la mai¬ son ducale.

De ce mariage sont issus quatre fils : Fer¬ dinand, Rodolphe, Jean, Ernest & deux filles,




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Anna qui épousa M. Mundtprottin ou Mund- praden, & Régina, qui épousa un seigneur d’Ach, disent les biographes. Or, nous trouvons que Régina s’était mariée, en 1596, au peintre Jean Van Achen, qui alla se fixer à Prague. Un con¬ temporain, racontant cet évènement, dit que Van Achen « avait épousé la fille de l’Orphée de notre « temps, l’illustre de Lasso ».

L’empereur donna même à son peintre, comme présent de noces, une coupe en vermeil. L’histoire des peintres célèbres du XVI e siècle nous a permis de rectifier & de fixer certains points de la biographie de la famille de Lassus.

Le peintre Van Achen fut sans doute anobli, mais nous ne savons à quelle époque.

Ferdinand, qui épousa Judith Schloglin ou Schleghin, fut d’abord musicien de la chapelle du comte Frédéric de Hohenzollern ; puis, en 1593, ténor à la chapelle ducale de Bavière. En 1602, il succéda à Jean de Tosta dans la direction de cette chapelle, avec charge de surveillance et d’instruction des enfants de chœur. Il fut compo¬ siteur & coopéra à la publication du « Magnum opus musicum. » 11 mourut le 27 août 1609.

Rodolphe fut ténor à la chapelle ducale (1593) et organiste de la cour (1609). Il fut compositeur de mérite &, comme son frère, collaborateur du « Magnum opus musicum ».

La réputation de cet artiste était celle d’un musicien si distingué que, lorsque Gustave



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Adolphe vint à Munich, il l’honora d’une visite et lui demanda plusieurs morceaux de sa com¬ position.

Il mourut en 1625.

Ursule, épouse de Rodolphe de Lassus, était une fille de Jérôme Van Ruepp, propriétaire de la maison située au n° 25 du Marienplatz, et de son épouse Marguerite Tichtlin von Tut- zing.

Les familles Ruepp & Tichtlin appartenaient à la classe patricienne; elles furent élevées à la dignité de baron & de comte.

Delmotte avance qu’après le décès de Ro- dolphe, sa veuve Ursule supplia l'Electeur de lui permettre d’être, par continuation, soumise à la juridiction de la maison de la cour électorale, • au lieu de ressortir de la juridiction de la muni¬ cipalité. Cette faveur lui fut accordée.

Jean & Ernest furent aussi attachés à la chapelle ducale, le premier en qualité de haute- contre, le second comme instrumentiste (1593).’

Parmi les enfants de Ferdinand, on cite:

Ferdinand, qui fut également compositeur et maître de chapelle du duc Maximilien (1616) et plus tard juge de district & caissier de Reispach. Il mourut en 1636.

Gaspard, qui fut aussi musicien;

Guillaume, qui commença sa carrière comme enfant de chœur, devint valet de chambre de l'Électeur Maximilien, puis caissier à Rosenheim,



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chef douanier à Brunnau & enfin commissaire des comptes près la chambre aulique électorale de Munich (1614).

Ferdinand, que Ton suppose être arrière- petit-fils de Roland de Lassus, était, en 1645, valet de chambre de l’Électrice Marie-Anne.

Georges-Guillaume de Lassus, arrière-petit- fils de Roland, fut chanteur dans la chapelle de la cour électorale (1628), puis valet de chambre de l’Électeur, &, plus tard, caissier ou payeur de la cour. Il mourut en 1652.

En 1645, il avait vendu sa part du moulin d’Untermenzing, qui était un des revenus de sa charge, à sa belle-sœur Anne-Marie, veuve de Ferdinand Vachner, pour 550 marks.

Guillaume, que l’on suppose être un des quatre enfants de Georges-Guillaume, fut douanier à Regensberg, au service du gouvernement bavarois.

Le 6 novembre 1587, le duc Guillaume avait accordé que l’épouse de Roland, si elle survivait à son mari, pourrait toucher, pendant tout le reste de sa vie, une pension annuelle de cent florins, payable sur la chambre des domaines du prince.

Indépendamment de la propriété de Meising, Roland de Lassus en possédait une à Putzburnn, dans le district de Wolfarths-Hausen. Son fils Rodolphe comparut, au nom de ses parents, à l’acte de vente de cette propriété à un habitant de Munich, pour le prix de 425 florins, le 14 décembre 1588.




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En 1587, Roland de Lassus, se sentant fatigué, obtint du duc Guillaume d’être déchargé, du moins en partie, du service trop rigoureux de la chapelle: ce qui lui permit de se rendre, pendant quelque temps, chaque année, dans sa propriété de Meising, sur l’Amber.

Son traitement fut alors réduit à 200 florins, mais le duc promit de s’occuper de deux de ses fils: Ferdinand & Rodolphe.

Bien que le décret du duc Guillaume ne put sortir tous ses effets, comme on le verra plus loin, nous en donnons ici le texte :

« Nous Guillaume, par la grâce de Dieu, duc de la Haute & Basse-Bavière, comte palatin du Rhin, etc., etc., savoir faisons :

« Nous reconnaissons, par les présentes, tant en notre nom qu'en celui de nos héritiers & des¬ cendants princes régnants, que, vu les bons & loyaux services rendus par notre bien aimé & fidèle sujet Or land de Lassus à feu notre père le prince Albert, duc de la Haute & Basse -Bavière, comte palatin du Rhin, de glorieuse mémoire, nous avons voulu, pour P en récompenser & le favoriser, lui accorder, en premier lieu , une démission honorable de ses fonctions de maître de chapelle de la cour, attendu que ce service est trop pénible, lui laissant toutefois la faculté de visiter la chapelle quand bon lui semblera.

« Mais, vu qu'il ne lui est retiré qu'une partie





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de ses appointements, il ne pourra cesser entièrement ses fonctions, & à cause de cela nous voulons bien lui permettre de passer, chaque année, quelque temps dans le sein de sa famille à Meising sur l’Amber, ou dans tout autre lieu du duché, mais toujours après avoir au préalable demandé la per¬ mission, &, pourvu qu'il soit tenu de se rendre à chaque instant, à notre invitation, quand nous jugerons convenable de le faire rappeler.

« En considération de tout ce que dessus, il lui sera déduit sur ses appointements une somme de deux cents florins par an, mais seulement à dater de deux ans, en comptant d'au jour dé hui, cest- à-dire à dater du commencement de ijço.

« En second lieu, nous accordons en retour à Ferdinand de Lassus, fils d'Orland, aujourd'hui au service de Monseigneur Frédéric, comte de Hohen- zollern, notre bien aimé cousin, une place dans notre chapelle, avec deux cents florins d'appointements par an, avec le droit d'être admis à la table des officiers de la cour, s'il ne préfère qu'on lui paie son ordinaire. Le tout à la condition qu'il quittera le service du dit comte, pour remplir, lorsque son père sera absent, les fonctions de ce dernier ou celles de son maître de chapelle Jean à Tosta, toujours en se conformant à notre volonté & ci nos ordres.

« Finalement, comme Rodolphe de Lassus, autre fils d'Orland, nous a présenté une très humble demande à l'effet d'obtenir notre permission de pouvoir se marier, en la lui accordant nous lui




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conférons une place d'organiste avec un traitement de deux cents florins par an, à condition qu'il apprendra à chanter aux jeunes gens faisant partie de notre chapelle & qu'il les instruira dans la composition musicale ou en toute autre chose qui lui sera ordonné.

« En foi de quoi, nous avons délivré les présentes à Orland de Lassus, signées de notre main et pourvues de notre sceau ducal.

« Ainsi fait à Munich, le 6 me jour du mois de Décembre l'an de Notre Seigneur & Rédempteur f-C. ijSj.

« (Signé :) Guillaume. »

Par suite de circonstances dont nous allons présenter un résumé, les avantages faits par le document ci-dessus aux fils de Roland ne purent être attribués de suite. Mais, lorsque Ferdinand succéda à Jean Tosta, en 1602, & qu’il logea chez lui les enfants de chœur qu’il était chargé d'instruire, il reçut un traitement annuel de trois cents florins, plus cent trente-deux florins par an pour la dite école de chant.

Tosta avait eu cinq cents florins par an (cent florins de plus que Roland), plus dix florins pour un habit & vingt florins pour le logement.

Ferdinand était propriétaire d’une maison à Munich ; il la fit agrandir en 1605, afin de pou¬ voir y placer l'école ducale de chant. Le duc lui accorda, comme subside, pour frais de construc-




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tion, une somme de cent florins, au lieu de lui donner les bois qu’il avait demandés.

En 1609, le traitement de Rodolphe, comme organiste de la cour, était de trois cents florins.

La perte de deux cents florins par an avait été très sensible à Roland de Lassus, qui renonça au projet de passer une partie de l’année à la campagne ; & il continua de s’acquitter, avec tout le zèle possible, de ses fonctions, tout en s’occu¬ pant de ses compositions musicales.

Régina écrivait, en parlant de son mari : « et « il a toujours dit que Dieu -lui ayant donné la « santé, il ne lui était pas permis de rester à rien faire ».

Ce travail opiniâtre, ce surmenage intellectuel devinrent funestes au point d'attaquer les facultés mentales de ce compositeur fécond.

Un jour qu’il revenait de Meising, Régina lui trouva l’esprit troublé & elle fît avertir la princesse Maximilienne, sœur du duc Guillaume, qui envoya le docteur Mermann auprès du malade.

Grâce à ses soins, la santé du maître s’amé¬ liora, mais sa raison ne revint point.

« Il n’est plus, dit Régina, ce qu'il était ci- « devant, gai & content; mais il est devenu sombre « et parle toujours de la mort ».

Après la promesse de lui continuer son trai¬ tement entier, la lettre de Lassus exprimant l’in¬ tention de quitter le service de la chapelle, si le duc Guillaume voulait lui laisser les 400 florins


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que déjà le duc Albert lui avait promis, — « en « y ajoutant encore une somme quelconque » — cette lettre, disons-nous, constituait une démarche folle, résultat de son état maladif.

Régina s’en excusa dans une requête où elle disait :

« Ce serait le faire mourir que de le mettre « hors du service de la chapelle ».

Guillaume fit savoir que tout resterait comme de coutume, mais que, s'il faisait une seconde demande, elle ne serait pas accueillie & qu’il pourrait alors, s’il le voulait, s’en aller en congé.

Roland ne vécut pas longtemps dans cet état ; il mourut le 14 juin 1594.

Cette date de 1594 a été fixée, d’une façon irréfutable, par le professeur Dehn, de Berlin, dans une lettre adressée à la Société des sciences, des arts & des lettres du Hainaut en 1854. En outre, il existe un document authentique : une lettre autographe de la veuve de Lassus écrite à l’archiduchesse d’Autriche Marie. Régina fait savoir à la princesse que son mari est décédé le 14 juin 1594. Cette lettre est aux archives de la cour & de l’Etat, à Vienne.

Peu de temps avant sa mort, Lassus avait institué une distribution annuelle d’aumônes à perpétuité aux pauvres, dans l’hôpital du Saint- Esprit, à Munich. Cette distribution devait être faite le dimanche après la Saint-Michel.

11 fonda, aussi à perpétuité, un anniversaire



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à célébrer le jour de la Saint-Jean-Baptiste, dans l’église de Meising, sur l'Amber. Cet anniversaire consistait en deux messes & un requiem en mu¬ sique.

Voici la traduction de quelques actes relatifs à la famille du célèbre musicien; ces actes sont extraits des archives royales de Munich, des archives d’anciennes communautés religieuses, de correspondances & des registres des domaines :

Le iqfévrier 1612, Judith de Lasso, née Schleglin, veuve, vend au respectable ecclésiastique, M. Georges Schôn, aumônier & secrétaire de son Excellence le duc Guillaume de Bavière, & à tous ses héritiers, 10 fl. (Rf). de rente existant sur sa propre maison et cour situées à Munich dans la « Graggenau », ainsi qu'une maison faisant le coin & touchant d'un côté à celle de Martin Làmpels & de derrière aux écuries de son Excellence le duc Albert ; donc le sol & ses dépendances, devant, de côté, derrière, le tout, sans charges ni redevances, pour la somme de 200 fl. (Rf.) en bonne monnaie courante du pays.

Signataire : la ville de Munich.

Témoins : Jean Philip Menzl & Jean Schrejl.

Le 14 novembre 1614, Jean Schmàlzl & Marie, son épouse, vendent à la noble Dame Régina Van Ach, née de Lasso, leur maison à Geising qui, auparavant, appartenait à défunte Hélène Verhol-


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zerin, à Munich, sans charges & avec les biens fonds pour 1600 florins, & 16 florins (du Rhin) cT arrhes .

Signature : M. Sébastian Prélat, à Furstenfeld.

Témoins : les honorés Guillaume Vogl, directeur du prince, à Geising, & Michel Augustin, camérier, à Furstenfeld.

Le 18 septembre 1614, Rudolph de Lasso, com¬ positeur titré & organiste de la cour de Bavière, Anna Mundtprodtin, née de Lasso, Régina Von Ach, née de Lasso, Judith de Lasso, née Schlàglin, la veuve de Ferdinand de Lasso, maître de chapelle de son Excellence le prince de Bavière, fondent une messe anniversaire pour leurs chers parents défunts Orlando de Lasso, maître de chapelle de son Excellence le prince de Bavière & sa femme Régina, née Wàkhingerin, à Saint-Jean-Baptiste, église à Geising. En conséquence, ils ont remis aux prieurs (fabrique de 1*église) 80 florins comptants.

On devait célébrer dans la dite église, chaque année, quatorze jours avant ou après la Saint- Georges, un service (messe chantée) & deux messes basses; ces messes étaient annoncées, du haut de la chaire, le dimanche, avant leur célébration. Après l'office divin, on devait distribuer aux pau¬ vres 1 florin 20 kreutzers. Rudolph de Lasso avait remis à la fabrique de l’église une lettre de fon-



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dation scellée. Le curé Biaise Magold de Bruck, président à Furstenfeld, ainsi que les fabriciens, avaient donné un engagement signé par lequel ils s’obligeaient à maintenir la dite fondation.

L’engagement était pourvu du sceau de Jean Mair (de Vierkirchen), juge à Bruck.

Le 27 avril 1616 ", madame Régina Von Ach, née de Lasso, a prêté à Christoph Pfaffenzeller, fabricant de caisses à Geising, 70 florins pour que celui-ci puisse dégager un champ.

Au lieu de percevoir les intérêts de cette somme, la dite dame avait le droit de faire fruc¬ tifier ce champ pendant sept années, temps pendant lequel l’argent prêté devait lui être payé par annuités de dix florins chacune.

Le 20 août 1635, le prince-évêque Adam von

Freysing, accorde à Sébastien Paurn , avocat du

conseil aulique de P Electeur de Bavière, à Munich, comme porteur d'un fief des enfants de feue Mar¬ guerite de Lasso, les nommés Georges, Guillaume et Anna-Franzisca de Lasso; puis, au nom des enfants de feue Christine Juingerin, les nommés Georges, Frédéric, Marie, Sophie Juingerin; enfin, au nom de Marie- Jeanne, Jean-Georges, Jean, Marie- Madeleine, Anne-Marguerite, Ignace, Marie-Cathe¬ rine, comme étant les enfants des filles légitimes de Guillaume de Lasso, la métairie de Stôffling




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dans la paroisse d’Echinger, canton judiciaire d’Er diriger, & dépendant ainsi de F évêché Freising de Le h en.

Dans le Répertoire de la noblesse de Bavière, par Maximilien Gritzner, on trouve ce changement de dénomination fait le io juillet 1688 :

Les biens (terres labourables) situés à Enterspinn (arrondissement judiciaire de Schwaben) & appar¬ tenant à de Lasso formeront un domaine de gentil¬ homme, y compris trois autres biens dont la juridiction lui fut concédée (ci Fexception du droit de chasse).