Accent (Jean-Jacques Rousseau)

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Cette page introduit une réédition numérique de l'article « Accent » Dictionnaire de la musique de Jean-Jacques Rousseau[1].

L'article dans le dictionnaire

Accent


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On appelle ainsi, selon l'acceptation la plus générale toute modification


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de la voix parlante, dans la durée ou dans le ton des syllabes et des mots dont le discours est composé ; ce qui montre un rapport très exact entre les deux usages des Accens et les deux parties de la mélodie, savoir le rythme et l'intonation. Accentus, dit le grammairien Sergius dans Donat, quasi ad cantus.

Il y a autant d'accent qu'il y a de causes générales de ces modifications.

On distingue trois de ces genres dans le simple discours; savoir, l'Accent grammatical, qui renferme la regle des Accens proprement dits, par lesquels le son des syllabes est grave ou aigu, et celle de la quantité, par laquelle chaque syllabe est breve ou longue : l'Accent logique ou rationnel, que plusieurs confondent mal-à-propos avec le précédent; cette seconde sorte d'Accent, indiquant le rapport, la connexion plus ou moins grande que les propositions et les idées ont entr'elles, se marque en partie par la ponctuation : enfin l'Accent pathétique ou oratoire, qui, par diverses inflexions de la voix, par un ton plus ou moins élevé, par un parler plus vif ou plus lent, exprime les sentiments dont celui qui parle est agité, et les communique à ceux qui l'écoutent. L'étude de ces divers Accens et de leurs effets dans la langue doit être la grande affaire du musicien, et Denis d'Halicarnaffe regarde avec raison l'Accent en général comme la semence de toute musique.


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Aussi devons-nous admettre pour une maxime incontestable que le plus ou moins d'Accent est la vraie cause qui rend les langues plus ou moins musicales : car quel serait le rapport de la Musique au discours, si les tons de la voix chantante n'imitaient les Accens de la parole? D'où il suit que, moins une langue a de pareils Accens, plus la mélodie y doit être monotone, languissante et fade; à moins qu'elle ne cherche le bruit et la force des sons le charme qu'elle ne peut trouver dans leur variété.

Quant à l'accent pathétique et oratoire, qui est l'objet le plus immédiat de la Musique imitative du théâtre, on ne doit pas opposer à la maxime que je viens d'établir, que tous les hommes étant sujets aux mêmes passions, doivent en avoir également le langage: car autre chose est l'Accent universel de la Nature qui arrache à tout homme des cris inarticulés, et autre chose l'Accent de la langue qui engendre la mélodie particulière à une Nation. La seule différence du plus ou moins d'imagination et de sensibilité qu'on remarque d'un peuple à l'autre, en doit introduire une infinie dans l'idiome accentué, si j'ose parler ainsi. L'allemand, par exemple, hausse également et fortement la voix dans la colère; il crie toujours sur le même ton : l'italien, que mille mouvements divers agitent rapidement et successivement dans le même cas, modifie sa voix de mille manieres. Le même fond de passion règne dans son ame: mais quelle variété


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d'expressions dans les Accens et dans son langage! Or c'est à cette seule variété, quand le Musicien sait l'imiter, qu'il doit l'énergie et la grâce de son chant.

Malheureusement tous ces Accens divers, qui s'accordent parfaitement dans la bouche de l'Orateur, ne sont pas si faciles à concilier sous la plume du Musicien déjà si gêné par les regles particulières de son art. On ne peut douter que la Musique la plus parfaite ou du moins la plus expressive, ne soit celle où tous les Accens sont le plus exactement observés; mais ce qui rend ce concours si difficile est que trop de regles dans cet art sont sujettes à se contrarier mutuellement, et se contrarient d'autant plus que la langue est moins musicale; car nulle ne l'est parfaitement : autrement ceux qui s'en servent chanteront au lieu de parler.

Cette extrême difficulté de suivre à la fois les regles de tous les Accens, oblige donc souvent le Compositeur à donner la préférence à l'une ou l'autre, selon les divers genres de Musique qu'il traite. Ainsi les airs de Danse exigent sur-tout un Accent rhythmique et cadencé, dont en chanque Nation le caractère est déterminé par la langue. L'accent grammatical doit être le premier consulté dans le récitatif, pour rendre plus sensible l'articulation des mots, sujette à se perdre par la rapidité du débit, dans la résonance harmonique : mais l'Accent passionné l'emporte à son tour dans les airs dramatiques; et tous deux y sont subordonnés


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sur-tout dans la symphonie, à une troisième sorte d'Accent, qu'on pourrait appeler musical, et qui est en quelque sorte déterminé par l'espece de mélodie que le Musicien veut approprier aux paroles.

En effet, le premier et le principal objet de toute Musique est de plaire à l'oreille; ainsi tout air doit avoir un chant agréable : voilà la première loi, qu'il n'est jamais permis d'enfreindre. L'on doit donc premièrement consulter la mélodie et l'Accent musical dans le dessein d'un air quelconque. Ensuite, s'il est question d'un chant dramatique et imitatif, il faut chercher l'Accent pathétique qui donne au sentiment son expression, et l'Accent rationnel par lequel le Musicien rend avec justesse les idées du Poète; car pour inspirer aux autres la chaleur dont nous sommes animés en leur parlant, il faut leur faire entendre ce que nous disons. L'accent grammatical est nécessaire par la même raison et cette regle, pour être ici la dernière en ordre, n'est pas moins indispensable que les deux précédentes, puisque les sens des propositions et des phrases dépend absolument de lui des mots : mais le Musicien qui fait sa langue a rarement besoin de songer à cet Accent; il ne saurait chanter son air sans s'apercevoir s'il parle bien ou mal, et il lui suffit de savoir qu'il doit toujours bien parler. Heureux, toutefois, quand une mélodie flexible et coulante ne cesse jamais de se prêter à ce qu'exige la langue! Les Musiciens Français ont en particulier des secours


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qui rendent sur ce point leurs erreurs impardonnables, et sur-tout le traité de la Prosodie Française de M. l'abbé d'Oliviet, qu'ils devraient tous consulter. Ceux qui seront en l'état de s'élever plus haut pourront étudier la Grammaire du Port-royal et les savantes notes du Philosophes qui l'a commentée. Alors en appuyant l'usage sur les regles, et les regles sur les principes, ils seront toujours sûrs de ce qu'ils doivent faire dans l'emploi de l'Accent grammatical de toute espèce.

Quant aux deux autres sortes d'accent, on peut moins les réduire en regles, et la pratique en demande moins d'étude et plus de talent. On ne trouve point de sang-froid le langage des passions, et c'est une vérité rebattue qu'il faut être ému soi-même pour émouvoir les autres. Rien ne peut donc suppléer à ce génie qui réveille à volonté tous les sentiments; et il n'y a d'autre art en cette partie, que d'allumer en son propre coeur le feu qu'on veut porter dans celui des autres. (Voyez Génie.) Est-il question de l'Accent rationnel : l'art a tout aussi peu de prise pour le saisir, par la raison qu'on n'apprend point à entendre à des sourds. Il faut avouer aussi que cet Accent est, moins que les autres, du ressort de la Musique, parce qu'elle est bien plus le langage des gens que celui de l'esprit. Donnez donc au Musicien beaucoup d'images et de sentiments et peu de simples idées à rendre : car il


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n'y a que les passions qui chantent, l'entendement ne fait que parler.


Voir aussi

Notes