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HISTCNRS (2000) Wyart

De Wicri France
(Redirigé depuis Histoire CNRS (1986) Wyart)

Entretiens avec Jean Wyart

La naissance du CNRS


 
 

Cette sculpture de Luca della Robbia illustre une discussion entre Platon et Aristote.Elle est ici utilisée pour signaler un paragraphe sujet à controverses. Point de vue
Cette page reprend le contenu d'une série d'entretiens oraux avec Jean Wyart. Jean Wyart s'y exprime très librement ce qui rend ses témoignages d'autant plus précieux.

Cette page introduit une réédition des « Entretiens avec Jean Wyart », publiés sur le site HISTCNRS[1] en 2000.

Ces entretiens ont été réalisés par Jean-François Picard et Elisabeth Pradoura les les 5, 12 et 20 mars 1986.

logo travaux L'ensemble des entretiens est en ligne sur ce wiki. Un travail d'annotation sémantique et de dicussion est maintenant possible

Pour une meilleure lisibilité dans un contexte hypertexte, ces entretiens ont été structurés en plusieurs parties.

 

Le début de ces entretiens retracent la naissance du CNRS.

L'article original

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Né le 16 octobre 1902 à Avion, décédé le 13 mars 1992 à Paris. Professeur à l'université de Paris VI, UER des sciences de la terre, laboratoire de minéralogie. En 1923, il fut reçu à Normale et à Polytechnique. Il choisit la première. Après l'agrégation, il occupa un poste d'assistant de la chaire de minéralogie. En 1933 il devient le plus jeune maitre de conférences de l'université. Co-éditeur d'Acta Crystallographica dès 1947, il fut dix ans plus tard Président de l'Union Internationale de Cristallographie. Il réalise pour le Palais de la Découverte la salle de cristallographie. il a installé en 1941 le Centre de Documentation du CNRS, dont il resta directeur jusqu'à sa retraite. Membre de l'Académie des sciences, 1959 - 1992.


Vous avez été témoin de la naissance du CNRS...

Pour discuter ce paragraphe

...et aujourd'hui, le CNRS est mort. Enfin, je veux dire qu'il n'a plus cette liberté du début, qu'il est devenu très administratif. Maintenant, quand on veut une mission, il faut prévenir deux ans à l'avance, c'est grotesque. Le CNRS après de beaux débuts a eu des fonctionnaires qui jouaient les importants et qui ont empêché les scientifiques de travailler. Il avait été créé par des professeurs d'université qui voulaient une certaine liberté. La recherche a besoin de liberté. Avec le CNRS, on a voulu se libérer du poids de l'administration. J'ai connu cette première période, c'était magnifique. Il y avait des types responsables, Laugier et Longchambon, ensuite Jacob et Georges Dupont, après ce fut Joliot. La belle période, ça a été ça. C'est une question d'hommes.


N'y a t'il pas également à l'origine du CNRS, le rôle de certaines disciplines scientifiques ?

A l'origine, l'affaire était purement dirigée vers les sciences exactes et un peu vers la biologie, mais en retrait. La biologie n'avait pas encore subi sa transformation moléculaire. La biologie moléculaire est d'ailleurs une conséquence des progrès apportés par les méthodes physiques - et en particulier les rayons X - dans la détermination des structures atomiques. La biologie a pris son essor bien après la guerre, lorsque l'on a commencé à faire l'analyse de structures de molécules compliquées à partir des cristaux, de la diffraction cristalline des rayons X. Au début donc, c'étaient les sciences exactes, les mathématiques et l'astronomie tenaient la vedette, puis venaient la physique et la chimie.


Comment le CNRS a t-il été créé ?

L'origine du CNRS remonte au Front Populaire. Le président du Conseil, Léon Blum, avait demandé à Jean Perrin ce qu'il voulait faire. Perrin était un type merveilleux, mais il était un peu pagaye. Il donnait un rendez-vous et il ne venait pas. Il était d'une gentillesse extrême, mais ce n'était pas un administrateur, au contraire. Très rapidement, il a conseillé au gouvernement de créer un sous-secrétariat d'Etat à la Recherche scientifique qui a été confié à madame Joliot. Mais ça embêtait celle-ci et elle ne savait pas trop quoi faire. Au gouvernement non plus, on ne savait pas. Puis, il y a eu l'histoire des médailles. Le gouvernement avait dit à Jean Perrin et aux savants qui l'entouraient et avaient la réputation d'une sensibilité de gauche : on va vous donner un budget et vous vous débrouillerez. Vous êtes mieux au courant que nous de ce qu'on doit faire pour aider la recherche.

Au début, on a donc créé quelques postes de techniciens pour les mettre à la disposition des chercheurs. J'ai eu l'un des premiers en 1937. On a donc embauché une dizaine de 'travailleurs scientifiques', des ingénieurs chômeurs intellectuels. J'ai donc eu l'un des tout premiers, Salaignac, un type admirable qui travaillait auparavant dans un laboratoire médical où il faisait des clichés aux rayons X. Je l'ai recruté par l'intermédiaire de Pierre Urbain, le fils de Georges Urbain, le pontife qui faisait un peu la loi avec Jean Perrin dans le monde scientifique de l'époque.

Il y avait donc déjà vaguement l'idée de créer ce qui est devenu ensuite le CNRS. C'est à dire un organisme qui recruterait des gens qui pourraient faire carrière dans la recherche (comme aujourd'hui) en leur donnant des moyens de fonctionnement en dehors de la lourdeur de l'Education Nationale.


L'affaire des médailles

Donc Perrin et son groupe ne savaient en fait pas trop quoi faire. Subitement, quelqu'un a eu une idée lumineuse : des médailles pour le prestige de la science. On va créer un grand prix, dans le style du Nobel, un Nobel et des petits sous-Nobel, des tas de médailles, le vrai gag ! Mais des appétits se sont éveillés. A Paris, le milieu scientifique était plutôt pour les médailles. Mais assez rapidement, l'affaire a fait scandale. On savait qui allait avoir la première, il s'agissait de Georges Urbain. Puis on a vu arriver une masse de types qui faisaient de la lèche à Urbain pour avoir les suivantes. Là-dessus mon camarade normalien André Weil est intervenu pour contrer cette affaire de médailles. C'était le frère de la philosophe Simone Weil, un professeur de mathématiques à l'université de Strasbourg, le pape des Bourbaki, le groupe de mathématiciens qu'il avait créé. C'est un type qui avait la foi de sa soeur (elle est morte tragiquement en Angleterre pendant la guerre) et qui, étant pacifiste, a refusé d'être mobilisé à la déclaration de guerre. Comme officier, il a été dégradé, puis il est parti en Amérique où il est devenu l'un des grands mathématiciens mondiaux avant d'être élu à l'Académie des Sciences. Avec Weil, dans le camp des anti-médailles, il y avait Yves Rocard et toute une bande de normaliens provinciaux dont mon grand ami Jean Delsarte professeur à Nancy.


Rocard et Delsarte n'étaient pas du même bord politique que Perrin

Yves Rocard était un type génial. Alors qu'il n'avait que 25 ans, il avait élucidé un terrible accident de chemin de fer, le déraillement inexplicable d'un train qui avait provoqué des centaines de morts. Rocard était extrêmement fort pour tout ce qui concernait les phénomènes vibratoires. Le bon physicien, c'est le type qui devant un phénomène, sait classer les paramètres par ordre de grandeur. Dans le cas du déraillement, il a réussi à éliminer toutes les causes superflues pour arriver à une équation extrêmement simple, celle du pendule amorti. Mais pour arriver là, il faut être génial. Quand il a annoncé son résultat, personne ne l'a cru, une blanc-bec qui sortait à peine de la faculté. Mais des expériences sur modèles réduits ont prouvé qu'il avait raison. Par la suite, on a eu recours à lui pour la construction d'un pont sur la Seine. Puis pour concevoir des ailes d'avion. Bref, il a joué un rôle énorme dans la recherche.


Retour sur l'affaire des médailles

Moi, j'étais le seul anti-médailles parisien. Il y avait aussi Henri Cartan dans ce groupe. Bref, je me souviens des démarches à la Chambre des députés et au Sénat. Nous étions très remontés, notamment Rocard qui publiait des pamphlets anonymes ! Nous avions la conviction que ce système de médailles était en contradiction avec l'idée qui aboutirait au CNRS. Nous pensions que plutôt qu'un système de récompenses, il fallait organiser un service qui puisse acheter de l'appareillage scientifique, financer des mission, payer des collaborateurs techniques, etc. Finalement, c'est cette situation qui a prévalu. Nous étions très jeunes à l'époque, nous étions donc assez accrocheurs, mais il y avait tout de même avec nous des gens plus rassis comme Henri Laugier, un vrai politique. Laugier avait un titre de Professeur, mais en fait il n'a jamais fait de cours.


Henri Laugier

Indiscutablement, Laugier a joué un rôle considérable dans la mise en place du CNRS. C'était un type éblouissant, extraordinaire, mais il est évident qu'il était moins scientifique que politicien. Cela dit, il aimait la science et nous disait même comment il fallait faire des cours. C'était un radical socialiste, l'éminence grise d'Yvon Delbos qui avait été ministre de l'Education nationale et qui a joué un grand rôle sous la troisième République. C'était un humoriste qui adorait tendre des piéges aux gens. Il aimait voir comment ils allaient réagir quand il distribuait les fonds secrets, ça l'amusait. Il prenait la vie sous une certaine forme, il était resté célibataire, mais il était lié à la femme d'un sénateur d'Oran (mme Cutoly), une personne qui s'occupait de peinture et Laugier était très amateur d'art. Il lié à Picasso, à Matisse. Il avait une collection de tableaux sensationnelle dont il a fait don à l'Etat à sa mort. Quand les médailles ont étés balayées, Henri Laugier et le comité des normaliens qui avait oeuvré contre, ont créé le CNRS Appliqué en 1938. Laugier s'est alors établi Quai d'Orsay au service de la Recherche, devenu depuis quai Anatole France (le siège du CNRS). Il y avait là un appartement au quatrième étage. Il s'agissait d'assurer la succession du sous-secrétariat d'Etat de madame Joliot qui s'en était débarrassée sur Laugier. Il a pris madame Mineur comme secrétaire et comme directeur adjoint, chargé des applications techniques, Henri Longchambon.


Henri Longchambon

Longchambon avait ceci de particulier que c'est moi qui lui ai succédé à la Sorbonne. Quand j'étais à l'ENS, je faisais de la physique avec Eugène Bloch (qui est mort plus tard dans un camp allemand) et qui était lié avec Charles Mauguin, professeur de minéralogie cristallographie de la Sorbonne. En 1925, c'est Bloch qui m'a envoyé chez Mauguin, lequel avait besoin de quelqu'un pour faire ses calculs. C'est comme cela que j'ai été attiré par les rayons X puisqu'il était alors le seul à en faire en France. Comme assistant dans ce laboratoire, il y avait Henri Longchambon qui venait d'être nommé maître de conférence, puis il a été nommé à Montpellier et enfin à Lyon ou il est devenu le plus jeune doyen de fac de sciences de France. Bref, c'est Longchambon qui m'a conseillé de rester à l'université plutôt que de retourner à l'ENS. Ce qu'il y a d'extraordinaire, c'est que Longchambon est devenu ministre par la suite (ministre du ravitaillement après la guerre), donc que j'ai eu comme prédécesseur un ministre, mais aussi comme successeur dans ma chaire de Jussieu, avec Hubert Curien ministre de la Recherche dans les années 1980. En 1938, Longchambon arrive donc de Lyon pour s'occuper de la recherche appliquée dans ce CNRS qui n'était guère plus que cet appartement du 4 ème étage du Quai d'Orsay. Dans son équipe il y avait Boutillier, un très brave type, mademoiselle Lapierre sa secrétaire et un troisième dont le nom ne me revient pas (il avait vaguement été ingénieur des T.P. à Lyon), mais qui a joué un grand rôle notamment pour s'occuper des travaux lancés par le CNRS. A l'époque, j'étais maître de conférence, ayant été nommé en 1933 à la Sorbonne. Dès son arrivée, Longchambon m'a appelé pour me demander si je pouvais l'aider. C'était un copain, on se tutoyait. C'est comme cela que j'ai assisté à la naissance du CNRS.


La naissance du CNRS Appliqué

C'était pittoresque. Tous les types travaillaient comme des brutes, aussi bien Henri Laugier, plus fantaisiste et plus politique, qu'Henri Longchambon, plus introverti et plus organisateur. A minuit, tous étaient encore au quai. Moi, j'y retournais le soir, après mes cours. Minuit passé, nous allions chez Longchambon qui habitait un hôtel à Saint-Germain. On travaillait vraiment dur. La guerre arrivait. En 1938, c'est Munich. Il s'agit d'équiper les laboratoires. Il faut préparer la recherche pour la guerre. C'est comme cela que nous avons bâti le CNRS avec une structure qui a ensuite été fortement perfectionnée par Joliot. Après Munich, on s'est dit : quels sont les types qui pourraient être utiles pour la préparer cette guerre du point de vue scientifique ? Même si ça ne sert pas, il faut que nous fassions un inventaire des laboratoires français, inutile de donner des équipements à des gens qui n'en auront aucun usage. Laugier et Longchambon ont donc imaginé d'installer un corps de chargés de missions. Il y en a eu quatre : Andant, adjoint d'Aimé Cotton et professeur à la Faculté de pharmacie, Champetier le chimiste, Félix Trombe et moi. Chacun faisait son boulot. Nous n'étions pas appointés. Quoique chargés de mission, nous n'avions aucun statut. On nous payait notre billet de chemin de fer et c'est tout. Nous nous étions partagés la France pour faire cette grande enquête sur l'état des laboratoires. On s'occupait de toutes les disciplines dans chaque université visitée, cela pour ne pas perdre de temps. Je suis allé à Lille, à Strasbourg, à Marseille, à Montpellier et à Grenoble. Je faisais mes cours au début de la semaine et dès le mercredi soir je prenais le train. Quand on allait à Marseille, il fallait y passer la nuit. On restait deux jours dans chaque université pour voir tous les laboratoires. Je me souviens de Grenoble où l'université était toute neuve, mais où on ne faisait rien. On trouvait dans les couloirs des appareils qui avaient coûtés très chers et qui étaient là depuis deux ans sans avoir été jamais déballés.


Comment expliquer cette situation ?

Les gens se laissaient vivre. Ils avaient leur métier, ils donnaient des cours, ils avaient des heures supplémentaires et puis, il faut reconnaître qu'ils n'avaient pas d'aide. Un professeur était livré à lui même, il devait faire ses manipulations tout seul. Alors on finit par se fatiguer. Au début, quand je faisais mes rayons X dans le labo de Mauguain, avant d'avoir Salaignac en 1937, je fabriquais moi même mes tubes à rayons X. Il fallait faire le vide. S'il était insuffisant. Paf ! on allumait un arc électrique. Le téléphone sonnait, il fallait tout arrêter. Ensuite tout remettre en route, faire le cliché. C'était long et on ne pouvait faire que ça. Quand on a eu les aides techniques, ça a été un grand progrès. En province, les gens resté livrés à eux même finissaient par se fatiguer.


A l'époque, est-ce que la situation était meilleure à l'étranger ?

Bien meilleure ! Par exemple, dans les laboratoires anglais que je connaissais bien, il y avait des techniciens. Le recrutement de techniciens, cela a été le principal argument en faveur de la création du CNRS. Plutôt que des médailles, ce que nous voulions, c'était des aides pour faire nos manipulations. Pour développer des photos par exemple, il n'est pas besoin d'être un grand savant. Alors développer une photo... Auparavant, à la Sorbonne, nous devions manier le balai nous-mêmes pour avoir des laboratoires propres. Le notre était d'ailleurs le plus propre de tous. Il est vrai qu'aujourd'hui, il y a du personnel d'entretien, mais il coûte cher et c'est bien moins propre qu'avant. Il n'y a pas de doutes qu'il ne faut pas trop d'organisation. Il faut être un peu anarchiste pour faire de la science.


Voir aussi

Notes