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HISTCNRS (2000) Wyart, partie 4

De Wicri France

Entretiens avec Jean Wyart

Le CNRS à la Libération


 
 

Cette sculpture de Luca della Robbia illustre une discussion entre Platon et Aristote.Elle est ici utilisée pour signaler un paragraphe sujet à controverses. Point de vue
Cette page reprend le contenu d'une série d'entretiens oraux ou Jean Wyart s'est exprimé avec une très grande liberté de parole. Elle nous donne le témoignage d'un grand chercheur qui a été aussi un acteur courageux dans cette période troublée.

Cette page introduit la quatrième partie du texte des « Entretiens avec Jean Wyart », publiés sur le site HISTCNRS[1] en 2000.

Il reprend le contenu d'une série d'entretiens avec Jean Wyart réalisés en 1986 par Jean-François Picard et Elisabeth Pradoura les les 5, 12 et 20 mars 1986.

Pour une meilleure lisibilité dans un contexte hypertexte, ce texte a été découpé en plusieurs parties.

 

La quatrième partie de cet entretien a pour thème : Le CNRS à la Libération.

L'article original

La Libération

La libération de Paris, ça s'est fait dans des conditions un peu extraordinaires. Les communistes étaient particulièrement bien organisés. L'Ecole de Physique et de Chimie était un centre F.F.I. On y mobilisait des volontaires à la suite de l'appel de Rol-Tanguy, le chef de l'insurrection parisienne. L'etat-major se trouvait au Collège Stanislas. J'allais en vélo de la rue Vauquelin à Stanislas, où j'avais un lit. Je ne couchais plus chez moi, rue Lacépède. Il y avait des forces allemandes au Sénat, ce qui m'obligeait à faire un détour. Finalement, tout s'est bien passé pendant l'insurrection. Les Allemands auraient pu faire sauter le Sénat, mais le général responsable du Gross Paris, s'est finalement bien conduit. Il n'y a pas eu beaucoup de morts, alors que ça aurait pu être catastrophique. Ca s'est un peu gâté quand la division Leclerc est arrivée. Les Leclerc et les Américains bivouaquaient au Jardin des Plantes, puis il y a eu une alerte. Les allemands étaient encore au Bourget. C'est la seule fois de toute la guerre où j'ai obligé ma femme à descendre mon gosse dans la cave. J'étais (re)marié à l'époque et j'avais un petit gosse de trois-quatre mois. Il est tombé des bombes au métro de la rue de Navarre. Il y avait une bouche d'entrée qui n'existe plus à l'angle de la rue de Navarre et de la rue Monge. Là, il y a eu une vingtaine de tués. Les vitres de tous les immeubles, sauf les miennes, ont été brisées.


Frédéric Joliot remplace Charles Jacob à la direction du CNRS

A la libération, Dupont et Jacob sont débarqués et Joliot, devenu communiste, est nommé directeur du CNRS. Mais c'est alors qu'on a vu les salauds sortir de leurs trous. J'avais une mitraillette qui n'a jamais servi contre les Allemands, mais qui m'a permis d'empêcher certains français de faire des saloperies. En particulier, d'empêcher des gens qui n'avaient pas bougé pendant la guerre de coller Jacob en prison. Il a fallu que je m'interpose : "si quelqu'un touche à Jacob, je lui flanque une rafale". Il s'agissait d'universitaires qui le détestaient, phénomène si classique dans le milieu. Certes, il avait été pétainiste. Qu'on le révoque, d'accord. Mais qu'on le foute en taule, non ! C'était un homme honnête, il n'avait rien fait de mal. Je voyais Joliot tous les jours à l'époque. C'est là que j'ai vu des scènes incroyables, des types très connus, des manitous formidables, venir se jeter à genoux dans son bureau, le suppliant : "ne me faites pas arrêter !". On ne savait même pas quelles saletés ils avaient fait. L'un d'eux, un professeur du lycée Saint-Louis, avait envoyé une lettre de dénonciation de ses collègues à l'ambassadeur Abetz. Celui-ci avait été si dégoûté qu'il avait renvoyé le torchon au proviseur, lequel l'avait gardé tranquillement jusqu'à la Libération. Le type a été révoqué et il est parti à l'étranger. Puis il est revenu en France et, devenu gaulliste comme beaucoup d'anciens pétainiste, il a fini professeur à la Sorbonne et membre de l'Institut. A la libération, toutes les petites rancunes personnelles sont ressorties… Même dans mon laboratoire, j'avais deux garçons de labo dont l'un était neutre, un brave type, et l'autre se disait vaguement de sensibilité résistante, en réalité il faisait surtout du marché noir. Mais, il voulait tuer le premier qui était le plus brave des types. Malgré tout, dans ce milieu où on est encore à peu près évolué. Il y a des choses qu'un intellectuel ne fait pas, mais à Abbeville, chez mes parents, je revois encore tous ces braillards qui se proclamaient résistants... Quant à Jacob, il a repris sa chaire à la Sorbonne jusqu'à son décès en 1962.


L'épuration de la Maison de la Chimie

A la Libération, Jean Gérard a été arrêté. Pas par les Français, mais par les Américains. En fait, ils ont trouvé dans les archives que les Allemands avaient abandonné au Sénat que Jean Gérard était l'un de leurs agents. En réalité, je crois que Gérard avait surtout fait son beurre avec sa Soprodoc. Bref, les Américains le mettent en cabane et Joliot m'appelle me demande de m'occuper de la Maison de la Chimie. J'en ai donc été nommé administrateur provisoire, tout en continuant à faire mes cours et à m'occuper du centre de documentation. La maison de la chimie avait un président, Gabriel Bertrand, un type magnifique, mais complètement obnubilé par Jean Gérard. L'affaire devenait empoisonnante. Surtout que les Américains ont bientôt viré leur cuti : toute cette clique CNRS-Joliot, c'est bolcheviques et Cie. et qu'ils ils ont passé la main à la Justice française. Gérard a mobilisé tout un tas d'avocats, il avait le soutien de l'industrie chimique, nous on était devenus des dangereux communistes. En fait il y a eu pas mal de manœuvres de part et d'autre et j'ai fini par convoquer une assemblée générale extraordinaire et j'ai fait nommer administrateurs Joliot et des gens avec lesquels on avait le bon contact, Jolibois ou Landucci, la patron de Kokak par exemple. Quant à Jean Gérard, il a fini par laisser tomber le contentieux et il a été libéré. Je me souviens de l'avoir rencontré deux ou trois ans plus tard dans une réunion à Londres. On s'est trouvé nez à nez, on s'est regardé et on à éclaté de rire. Ca s'est terminé comme ça. En réalité, la Maison de la Chimie, c'est une façade, une belle demeure du XVIII ème siècle pour faire des réceptions, mais ce n'est pas un endroit adéquat pour travailler. Le CNRS pendant un certain temps, a simplement pris la bibliothèque et j'y ai installé la documentation en sciences humaines.


Au Commissariat à l'énergie atomique

Avec Joliot au CNRS, ça a magnifiquement marché. Quand il est parti au CEA, je l'ai beaucoup regretté. Bien sur il y avait son engagement, le Mouvement de la Paix, etc. A ce propos, je vous ai parlé d'Yves Rocard. après la guerre, il a joué un très grand rôle au Commissariat, mais surtout pour les aspects militaires, en particulier par la détection des expériences nucléaires russes et américaines. Lui qui n'avait pas fait de service militaire à cause de sa surdité, était devenu amiral après la guerre. Il avait quitté la France pour l'Angleterre avec ses travaux sur le magnétron. Il était devenu conseiller scientifique de la Marine, et il avait toujours une voiture avec un matelot chauffeur qu'il a gardé jusqu'à la retraite. Je me souviens que lorsque on a fait exploser la première bombe atomique au Sahara, il avait fait un petit trou dans le mur, du coté de l'explosion et il avait regardé le départ du coup, puis le panache dans l'image projetée sur la cloison opposée. Dés le lendemain, il avait appliqué des relations très simples comme la loi de Mariotte, et il avait calculé la puissance de la bombe. A l'issue de leurs calculs les techniciens militaires avaient trouvé un chiffre très différent et Rocard de commenter : "Ils se sont foutus dedans". Effectivement, c'est lui qui avait raison. Ce qui l'a coulé, c'est le pendule. J'ai voulu le mettre en garde lorsqu'il a voulu publier son livre sur la radiesthésie. Rocard pense qu'il y avait des gens plus sensibles que d'autres au phénomène de résonance magnétique. Dans le sang circule des petits doublets magnétiques, enfin certaines molécules sont magnétiques. On a découvert que dans le cerveau du pigeon voyageur, il y avait des petites particules qui semble leur permettre de s'orienter grâce au magnétisme terrestre. Avec son marin chauffeur, il faisait des manipulations. De fait, le type travaillait très facilement de la baguette. Lorsqu'il a présenté sa candidature à l'Académie, je lui ai dit : "si jamais tu sors ce bouquin chez Masson, c'est foutu !". Il a tellement fait de choses en physique que son élection aurait honoré l'Académie, je dirais même qu'elle se déshonorait en ne l'élisant pas, il y a là une bande de types qui ne lui arrivent pas à la cheville. Son livre n'est pas paru à ce moment là, mais il s'est tout de même fait battre d'une voix ou deux. Il avait critiqué certains membres de l'Institut. Il faut dire qu'il a un plume extraordinaire. Il est capable de ridiculiser un bonhomme en deux phrases. Bref, il était un individualiste génial.


Au CNRS, Georges Teissier prend la suite

Joliot a donc été remplacé par Teissier, un de mes camarades de l'E.N.S. Mais, nos tempéraments ne s'accordaient pas. C'est un type qui voyait tout par le petit bout de la lorgnette, il n'avait pas l'ampleur de vue d'un Joliot. Et puis, il était très influencé par tous les biologistes qui étaient allés aux Etats-Unis pendant la guerre, Boris Ephrussi, Louis Rapkine et qui ne juraient que par l'Amérique. Cette fameuse biologie moléculaire commençait à naître et Teissier était très influencé par tous ces biologistes qui avaient leurs propres réseaux d'information. Bref, Teissier n'a jamais été très favorable à la documentation et j'ajoute que nos tempéraments ne collaient pas. Un jour je me suis vraiment fâché : "tu n'es qu'un con. Je ne veux plus te voir. Si tu as un peu de courage, fous moi donc à la porte !" . Bien entendu, il n'en a rien fait et c'est mon adjoint chargé des problèmes administratifs, Gabriel Picard, qui a du jouer les intermédiaires.


Voir aussi

Notes