Les indicateurs de Science, Technologie et Innovation
Par Patrick Séchet, ex-ingénieur de l'IRD, intervenant de la coopération ST&I entre le Brésil et la France.
Les indicateurs de Science, Technologie et Innovation (ST&I) ont pour principale finalité de situer dans le contexte international les performances en la matière d’un pays donné. En effet, les indicateurs dits d’output (les comptages de publications scientifiques essentiellement, mais aussi des brevets déposés dans les systèmes internationaux) rendent possible une comparaison des productions scientifique et technologique nationales avec celles des autres pays. En même temps, les indicateurs de ST&I permettent de suivre l’impact de la politique correspondante de ce pays car, sous réserve de disposer également d’indicateurs d’input (qui mesurent les investissements tant humains que financiers concédés par le pays pour se maintenir dans la compétition scientifique mondiale), il devient aisé d’évaluer le résultat obtenu en termes de publications suite aux efforts consentis.
Ce sont donc des outils essentiels de pilotage de sorte que tous les grands pays scientifiques font des efforts pour se ménager l’accès à une base d’indicateurs de ST&I complète et cohérente au niveau national. France et Brésil ne font pas exception à cette règle, mais ils ont connu des fortunes diverses dans leurs démarches pour se doter d’un observatoire national des sciences, des technologies et de l’innovation.
En France, la volonté de monter un observatoire public de ST&I a vu le jour dans les années quatre-vingts : elle est l’œuvre de quelques personnalités scientifiques (Pierre Papon, Rémi Barré), dont la ténacité a abouti à la création en 1990 à Paris de l’Observatoire des sciences et des techniques (OST)[1]. Structure originale construite sur la base d’un partenariat contractuel entre les différents ministères concernés et les grands acteurs de la recherche que sont les organismes publics français (CNRS, INRA, etc.), l’OST dispose actuellement d’un budget annuel d’environ trois millions d’euros et est fort d’une équipe d’une trentaine de personnes. Sa mission est de concevoir et produire des indicateurs sur la recherche et le développement (R&D) et de mettre ceux-ci (et son expertise) à la disposition de l’ensemble des acteurs du système français de recherche et d’innovation.
Pour s’acquitter de cette mission, l’OST a progressivement construit une base de données qui rassemble, structure et harmonise des corpus d’informations (publications scientifiques, brevets, données sur l’éducation, participation aux programmes européens, etc.) provenant de diverses sources. Cette base n’est pas une simple compilation de données, mais constitue un instrument original et performant pour la production d’indicateurs de forte valeur ajoutée. Grâce à elle, et à l’expertise développée dans ce domaine, l’OST publie depuis 1992 un rapport biennal dans lequel il propose de nombreux indicateurs de référence permettant de mieux connaitre le paysage français et international et d’en mesurer les évolutions. La dixième édition de cet ouvrage date de 2010[2]. Comme les précédentes, elle est organisée en trois grandes parties géopolitiques - la France, l’Union européenne, le monde - chacune d’entre elles étant elle-même divisée en chapitres dans lesquels sont analysées successivement les dépenses de R&D, les ressources humaines, la production scientifique, la production technologique et la participation à l’espace européen de la recherche.
En complément de cet élément structurant de sa production, l’OST participe à des travaux de R&D dans le domaine des indicateurs de ST&I, réalise des études régionales ou thématiques et produit à la demande des indicateurs quantitatifs spécifiques. Face à la multiplication et diversification des besoins en indicateurs de ST&I dans un contexte de compétition internationale accrue, la propre production du rapport biennal évolue vers la mise en place d’une interface on-line qui permettra à l’utilisateur de définir les tableaux qu’il souhaite visualiser.
Au Brésil, la première institution qui s’est efforcée de produire des indicateurs de ST&I dans les années quatre-vingts est le Conseil national de développement scientifique et technologique (CNPq)[3], notamment en termes de dépenses de R&D du gouvernement fédéral. Deux autres initiatives ont eu lieu en parallèle, à l’Institut brésilien d’information en science et technologie (IBICT)[4] dans le domaine de la production scientifique et à la coordination de perfectionnement du personnel de niveau supérieur (CAPES)[5]), dans le champ de l’enseignement supérieur.
Le programme d’indicateurs de ST&I de la Fondation de soutien à la recherche de l’Etat de São Paulo (FAPESP)[6], qui a vu le jour un peu plus tard, mérite aussi d’être signalé. Il a produit périodiquement à partir de la fin des années quatre-vingt-dix un rapport très complet de statistiques et d’indicateurs reflétant la situation et les principales tendances de l’activité scientifique et technologique de cet Etat, comparativement aux efforts et résultats nationaux et internationaux. Les trois publications correspondantes, Indicateurs de science, technologie et innovation de São Paulo, en 2001, 2004 et 2010[7], constituent à ce jour un travail d’excellence réalisé au Brésil dans ce domaine.
Depuis 1999, le Ministère Science, Technologie et Innovation (MCTI)[8] assume la responsabilité de l’organisation et de la divulgation des informations de ST&I du pays, par le biais de sa Coordination générale d’indicateurs (CGIN)[9]. Initialement ce sont les indicateurs d’input qui ont été privilégiés, à travers le dimensionnement des ressources humaines et financières investies en science et technologie sur la base méthodologique des manuels de la famille Frascati de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE)[10]. Les indicateurs d’output ont quant à eux été développés plus récemment, d’abord limités à la seule production scientifique et ensuite élargis aux dépôts de brevets et aux transferts de technologie entre pays.
L’ensemble des indicateurs de ST&I ainsi disponible pour le Brésil est accessible sur le site web du MCTI. Il est en outre périodiquement incorporé dans les publications du Réseau ibéro-américain et interaméricain d’indicateurs de science et technologie (RICYT)[11], qui couvre en particulier toute l’Amérique latine. Il y a bien sûr encore des lacunes importantes dans cet ensemble d’indicateurs, particulièrement en ce qui concerne la régionalisation (obtention d‘indicateurs pour chaque Etat de l’Union).
Un effort approprié est toutefois en cours de réalisation pour produire et divulguer des indicateurs de CT&I spécifiques de l’intérêt des unités de la fédération, grâce à une initiative commune du MCTI, du Conseil national des secrétariats d’Etat de CT&I (CONSECTI)[12] et du Conseil national des Fondations d’Etat de soutien à la recherche (CONFAP)[13]. La mesure des dépenses en R&D de chaque Etat devrait constituer le premier résultat de cette initiative encore récente (2011).
Vu ainsi, les situations brésilienne et française semblent aujourd’hui identiques, avec la mise à disposition publique et centralisée sur un site web d’indicateurs nationaux de ST&I élaborés conformément aux recommandations internationales et régulièrement mis à jour, même si ces indicateurs sont encore nettement plus complets et détaillés en France. Reste toutefois que la précieuse coopération entre acteurs et décideurs de la recherche instaurée par l’OST-Paris et qui est à la base de ses indicateurs n’a pas son équivalent actuellement au Brésil, quand bien même elle a pu être expérimentée à trois reprises avec succès par la Fapesp, pour les rapports publiés dans les années deux mille.
C’est sans doute le principal handicap qui reste encore à surmonter pour que l’on puisse considérer que le Brésil dispose désormais d’un observatoire de ST&I doté de toutes les capacités d’évolution et d’adaptation aux nouveaux besoins d’indicateurs qui ne manqueront pas d’apparaître.
- ↑ Le site web de l'Observatoire des sciences et des techniques
- ↑ Le Rapport d'indicateurs 2010 - OST
- ↑ Le site web du CNPq
- ↑ Le site web de l'IBICT - Instituto Brasileiro de Informação em Ciência e Tecnologia
- ↑ Le site web de la CAPES Coordenação de Aperfeiçoamento de Pessoal de Nível Superior
- ↑ Le site web de la FAPESP - Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo
- ↑ Os Indicadores de Ciência, Tecnologia e Inovação em São Paulo constroem um panorama sobre a situação atual da produção científica e tecnológica do Estado procurando oferecer elementos sobre a evolução do setor
- ↑ Le site web du MCTI - Ministério da Ciência e Tecnologia. Une page spécifique consacrée aux indicateurs
- ↑ La CGIN - Coordenação-Geral de Indicadores sur le site du MCTI
- ↑ Manuel de Frascati : méthode type proposée pour les enquêtes sur la recherche et le développement expérimental, 6ème édition
- ↑ Le site web du RICYT - Red de Indicadores de Ciencia y Tecnología Iberoamericana e Interamericana
- ↑ Le site web du CONSECTI - Conselho Nacional de Secretários para Assuntos de Ciência, Tecnologia e Inovação
- ↑ Le site web de la CONFAP Conselho Nacional das Fundações Estaduais de Amparo à Pesquisa