La recherche scientifique, un nouvel Eldorado ?

De IHEST France Brésil

Extrait des Carnets du voyage d'études au Brésil de la promotion Claude Lévi-Strauss, 2009-2010, de l'IHEST


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El Dorado est un des grands mythes que l’Amérique latine a fait naître dans l’esprit européen. D’abord donné à un grand roi couvert d’or, ce nom ne tarda pas à désigner le pays légendaire à la découverte duquel se lancèrent, en pure perte, les plus intrépides conquistadors. Il faut attendre 1804 pour qu’Alexandre von Humboldt établisse la fausseté dumythe. Voltaire a consacré un célèbre chapitre de Candide à la visite de l’El Dorado : « En attendant, on leur fit voir la ville, les édifices publics élevés jusqu'aux nues, les marchés ornés de mille colonnes, les fontaines d'eau pure (…). Candide demanda à voir la cour de justice, le parlement ; on lui dit qu'il n'y en avait point, et qu'on ne plaidait jamais. Il s'informa s'il y avait des prisons, et on lui dit que non. Ce qui le surprit davantage, et qui lui fit le plus de plaisir,ce fut le palais des sciences, dans lequel il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d'instruments de mathématique et de physique ». (Candide, chap. 18.). <br\><br\> Le Brésil, 10ème PIB mondial, a fait renaître l’idée d’unEl Dorado du XXIème siècle. S’agit-il de la renaissance du mythe qui expose les prétendants à l’aventure à de grandes désillusions, ou, au contraire, le Brésil est-il bien la nouvelle terre promise de la recherche ?<br\><br\>

La recherche au Brésil : un El Dorado pour qui ?<br\> Le géant économique analphabète [1]<br\>

Avec seulement 25% de sa population en capacité de comprendre un texte et une exclusion sociale nettement segmentée par le poids de son histoire, le Brésil peut-il compter sur la recherche comme moteur de développement interne ? Aujourd’hui le sénateur Cristovam Buarque, militant isolé de la cause « éducationniste », n’hésite pas à parler du Brésil comme d’un « incinérateur de cerveaux ». En construisant un système éducatif pour toute la société le Brésil transformerait les universités en véritable El Dorado pour le potentiel humain aujourd’hui laissé pour compte et surmonterait son déficit croissant en main d’oeuvre qualifiée.<br\> <br\>

Une recherche sectorielle et sous pression <br\>

S’inspirant de la France, le Brésil s’est doté d’une loi pour l’innovation en 2004 et, en 2005, de la « loi du bien » correspondant au crédit d’impôt recherche français. Cependant, l’application de ces textes, rendue difficile par un système très procédurier, est minée par des acteurs sociaux dont les intérêts économiques outrepassent les incitations ou les restrictions mises en place par l’Etat fédéral. En appuyant les grands lobbies industriels, dont la stratégie repose sur de grands projets technologiques, le « tout soja », le « tout café » ou le « tout canne à sucre », les grands équipements et l’exploitation pétrolière, la recherche concourt à faire du Brésil un véritable El Dorado pour les firmes brésiliennes comme étrangères. Mais force est de constater qu’elle sert moins l’intérêt général de long terme que la croissance des chiffres d’affaires. Des fortunes considérables se sont édifiées dans ces secteurs et la recherche en devient l’outil et le bénéficiaire : son classement mondial pour le secteur agronomique, par exemple, en témoigne. Cette recherche est donc sensiblement liée aux secteurs industriels forts du Brésil, en particulier la production de matières premières, ce qui explique la faiblesse des recherches en STIC, en logistique et transport, en SHS et plus encore dans une approche interdisciplinaire.<br\>

Conscient du potentiel limité des transferts de technologie, le Brésil affiche sa volonté de moins dépendre des entreprises étrangères, attirées par ses ressources. Il entend ainsi accroître très sensiblement ses capacités d’innovation qui ne bénéficient pour l’instant qu’à une poignée de grands champions industriels nationaux. <br\> <br\>

La recherche au Brésil : une affaire brésilienne<br\><br\>

Historiquement peu porté à peser véritablement sur les grands équilibres mondiaux, le Brésil manifeste aujourd’hui une volonté nette d’apparaître dans les classements internationaux. Rompus aux évaluations drastiques, les chercheurs brésiliens semblent constituer les étoiles montantes de la recherche internationale. Cependant le nombre de chercheurs étrangers installés au Brésil est encore faible.

Cette situation s’explique sans doute, au moins en partie, par un apprentissage de la langue portugaise très minoritaire, et qui pousse les jeunes chercheurs étrangers à préférer le Mexique ou l’Argentine. Les échanges scientifiques sont très déficitaires. Si les jeunes occidentaux votent avec leurs pieds, on peut constater que le Brésil est plus un El Dorado pour les affaires que pour la recherche. L’école polytechnique de São Paulo illustre cette situation. Alors qu’elle envoie annuellement 450 étudiants dans 24 écoles françaises en vue d’un double diplôme, elle n’accueille que 63 jeunes français (pour une période de six mois à un an).<br\><br\>

La recherche au Brésil : «un investissement obsessionnel»[2]<br\>Des ressources inépuisables<br\><br\>

Au-delà du patrimoine régional amazonien, qui reste encore un front pionnier pour la recherche, non seulement dans le domaine de l’exploitation agricole, mais aussi dans celui de l’étude de la biodiversité ou de l’impact du changement climatique global notamment grâce aux observations par satellites, la région du Cerrado est le cas typique d’un possible El Dorado. Cette vaste zone de savane, aussi grande que le bassin amazonien, longtemps restée à la traîne du développement, constitue un nouveau front pour la recherche, tantpour l’inventaire de son patrimoine biologique que pour les opportunités de développement agricole : en partenariat avec les organismes français CIRAD et IRD, le Brésil a relevé le défi de produire massivement un café de qualité sur une terre naguère ingrate et stérile désormais destinée à devenir prospère et un grenier pour demain. Pour parvenir à cet objectif compétitif, la recherche joue un rôle essentiel.<br\>

Avec 12% des réserves d’eau douce du monde, l’hydroélectricité représente 75% de la ressource énergétique du pays, un chiffre qui potentiellement peut encore croître. Les grands succès de la R&D (notamment française avec Alstom, Rhodia …) laissent pendants de vastes chantiers de recherche, pour améliorer la qualité du transport de l’énergie électrique et les procédés de production. On notera quelques projets éoliens qui devraient voir le jour.<br\><br\>

Les gisements de pétrole repérés (le Brésil sera le 5ème producteur mondial à moyen terme) et les besoins de consommation du pays donnent au fait pétrolier une dimension stratégique. Sur ce front, la recherche est une dimension essentielle (exploitation, techniques de forage, qualité des carburants, dimension économique et sociale). La disponibilité de l’hydraulique et du pétrole ne doit pas occulter d’autres fronts de recherche, comme celui des carburants alternatifs issus de la biomasse avec en tout premier lieu l’éthanol de canne à sucre mais aussi le charbon de bois pour la sidérurgie et plus récemment, pour la chimie, des recherches sur des carburants et des molécules obtenus par des procédés biotechnologiques. Même si ces secteurs de la R&D sont cloisonnés, voire étanches entre eux, c’est le caractère inépuisable des ressources et l’énormité du marché à conquérir qui en fait des El Dorado incontestables. <br\> <br\> La volonté d’excellence et ses moyens<br\><br\> Le dynamisme de la recherche brésilienne s’appuie sur une volonté explicite de viser la meilleure place possible dans la compétition mondiale. L’État de São Paulo représente, à lui seul, l’El Dorado scientifique du Brésil : ayant décidé dès 1932 de consacrer au moins 10% de ses ressources fiscales à l’éducation et à la science (aujourd’hui 13%), il forme 48% des doctorants brésiliens et produit 52% des publications.<br\> Le bras armé de l’Etat de São Paulo pour le développement des sciences est la fondation d’Etat pour la recherche ([www.fapesp.br/ FAPESP]), créée en 1962, financée exclusivement par l’État (1% de ses revenus fiscaux par an, soit 254M€). Appuyée par le patronat pauliste (FIESP), elle trouve encore des relais de cofinancement dans les organes fédéraux (CNPq) ou les organismes étrangers (CNRS, INRA, etc.). Plus généralement, s’il arrive que le dispositif brésilien souffre de ralentissements bureaucratiques, il n’en reste pas moins une corne d’abondance pour les chercheurs. Les taux de sélection sont faibles,même si les capacités d’évaluation (soit par reviews ad hoc, soit par la CAPES) sont très développées. Une chose paraît certaine : les crédits de recherche ne sont pas difficiles à lever.<br\><br\>

Le cas des bio carburants<br\><br\> Le Brésil a fait le pari stratégique des carburants alternatifs. Ce choix est renforcé par son bilan environnemental positif : réduction de 80-90% des émissions de CO2. Mais la motivation profonde n’est-elle pas de tirer profit d’une capacité de culture extensive de la canne à sucre, appuyée par un lobby ultra puissant, et dont les effets sur l’aménagement du territoire ne sont pas mesurés ? Les groupes français n’ont pas attendu l’émergence du Brésil sur la scène mondiale pour y investir massivement (Louis Dreyfuss commodities : 1942, Tereos 1976, Sucre et denrées 1964, etc.). Le marché de l’éthanol, déjà très structuré, n’est pas saturé ; il entame sa consolidation sur le marché intérieur brésilien et se place en position de leader sur le marché mondial. Plus généralement, le pari de la canne à sucre ouvre au Brésil des perspectives nouvelles : éthanol, sucre, plastique, énergie, diesel, etc. (15% de l’énergie renouvelable du Brésil). L’industrie a relevé le pari du flex fuel : avec 37 000 stations services, 37%de la flotte en circulation, 12 constructeurs ayant adapté leur moteur : la seule puissance du marché intérieur brésilien est déjà en soi un marché de croissance. L’éthanol est assurément un front pionnier et un El Dorado financier pour la recherche.<br\><br\>

Conclusion<br\><br\> Dans le moyen terme, le Brésil est bien un El Dorado pour la recherche et le développement. Non seulement, la croissance a résisté à la crise mieux qu’ailleurs, mais la double perspective des Jeux olympiques et de la coupe du monde de football sont le signe d’une reconnaissance mondiale : le Brésil est l’endroit où il faut être. Les revenus tirés de la R&D ne pourront que croître dans les années à venir à condition que le flux de connaissance de l’université vers les entreprises s’intensifie.<br\> À plus long terme, le Brésil offre deux fronts pionniers pour la recherche qui prennent la forme d’une double réconciliation. Il lui faut tout d’abord réconcilier ses élites avec les masses sous éduquées. On peut avoir de ce facteur inégalitaire une vision positive : c’est davantage dans l’enseignement que dans la recherche que le Brésil est un El Dorado, et les sciences de l’éducation devraient appuyer la constitution d’une politique volontariste. L’autre front est celui d’une réconciliation de la recherche brésilienne avec celle du reste du monde.<br\><br\> Après s’être focalisé sur une phase d’industrialisation nécessaire les dirigeants semblent avoir la volonté de se tourner vers l’innovation grâce aux acquis de la recherche mais le processus est encore balbutiant.<br\><br\> Cette perspective passe par un autre défi : les pays étrangers, et la recherche française en premier lieu, pourront-ils découvrir le Brésil autrement qu’en accueillant des chercheurs dans leurs laboratoires ?

  1. Cristovam Buarque
  2. Evandro Mirra



Comment citer cette page / Como citar esta página :
"La recherche scientifique, un nouvel Eldorado ?", Wiki France-Brésil de l'IHEST, http://france-bresil.ihest.eu/La recherche scientifique, un nouvel Eldorado ? (Page consultée le 31/10/2025)