Le changement climatique, impact et atténuation

De IHEST France Brésil

Par Michel Petit[1], publié in A3 magazine. Rayonnement du CNRS, n° 66, printemps 2015, pp. 16-18[2].

Résumé

Depuis 1950, l’atmosphère et l’océan se sont réchauffés de façon indiscutable ; les émissions récentes anthropiques de gaz à effet de serre (GES) n’ont jamais été aussi élevées ; leur concentration dans l’atmosphère atteint des valeurs inconnues depuis plus de800 0 00 ans et suffit à expliquer le réchauffement observé. Ce phénomène va s’amplifier selon toute vraisemblance et l’humanité serait bien avisée d’y faire face de deux manières complémentaires.
L’adaptation regroupe toutes les mesures propres à minimiser les dommages d’un changement climatique d’ores et déjà inéluctable tandis que la mitigation vise à réduire la rapidité et l’ampleur du changement climatique de façon à ce que les coûts d’adaptation et les coûts résiduels après adaptation ne soient pas excessifs. C’esttout l’enjeu de la COP 21 qui se réunira en décembre 2015 à Paris

Le changement climatique actuel et ses effets

Depuis 1950, l'atmosphère et l'océan se sont réchauffés de façon indiscutable ; les quantités de glace et de neige ont décru et le niveau de la mer a augmenté régulièrement. L'origine humaine de ces changements est incontestable : les émissions récentes anthropiques de gaz à effet de serre (GES) n'ont jamais été aussi élevées ; leur concentration dans l'atmosphère atteint des valeurs inconnues depuis plus de 800 000 ans et suffit à expliquer le réchauffement observé. De plus, il convient de souligner que l’augmentation de la quantité de CO2 présente dans l’atmosphère est bien inférieure à celle relâchée par les activités humaines. Elle n’en représente qu’environ la moitié, le reste ayant été absorbé par l’océan et par la biosphère terrestre.

Au cours des dernières décennies, de nombreux systèmes naturels et humains ont connu des modifications aussi bien sur les continents que dans les océans, attribuables aux changements climatiques observés, qui témoignent de la sensibilité de ces systèmes au climat. Dans de nombreuses régions, les changements dans les précipitations et la fonte de la neige et de la glace ont affecté la quantité et la qualité de l'eau disponible. L’aire de répartition de nombreuses espèces, terrestres, aquatiques et marines a évolué, ainsi que leurs activités saisonnières, leurs trajets de migration et les interactions entre espèces. De nombreuses études sur les récoltes montrent des baisses de rendement tant dans diverses régions du monde que pour diverses espèces cultivées. La fréquence des vagues de chaleur a cru dans une grande partie de l'Europe, de l'Asie et de l’Australie jusqu’à voir doubler leur probabilité en certains endroits. De même, dans une majorité des terres émergées, le nombre des précipitations extrêmes a augmenté, entraînant des risques accrus d'inondation à l'échelle régionale. Depuis 1970, des niveaux extrêmes ont été atteints par la mer, par exemple en cas de tempête. Les impacts de certains événements extrêmes récents liés au climat, tels que les vagues de chaleur, les inondations, les cyclones, les feux de forêt, révèlent la vulnérabilité et l'exposition de certains écosystèmes et de nombreuses sociétés humaines à la variabilité climatique actuelle.

Les changements climatiques au cours du XXIe siècle et leurs conséquences

Les émissions de GES dépendront de la démographie, du développement socio-économique et des politiques de réduction des émissions. Le dernier rapport du Giec (2013/2014) rend compte des travaux récents qui font largement appel à des « évolutions représentatives des concentrations » de GES, appelées en anglais Representative Concentration Pathways, ou en abrégé RCP. En effet, les scénarios d’émission précédents qui dataient de 2000 et qui ne tenaient pas compte des politiques volontaristes de réduction des émissions qui sont maintenant sérieusement envisagées devaient être remis à jour. Pour éviter de consacrer un grand nombre d’années à étudier la faisabilité de ces nouveaux scénarios avant que les climatologues puissent les utiliser, il a été décidé de choisir a priori un nombre limité de variations des concentrations au cours du XXIe siècle, considérées comme représentatives des futurs possibles. Un travail important de chercheurs de toutes disciplines concernées a permis de retenir quatre évolutions représentatives des concentrations ou RCP.

Ces quatre scénarios ont été choisis parmi les scénarios existants qui intègrent, de façon cohérente, les évolutions du monde socio-économique, des émissions, des concentrations, du climat et leurs conséquences. Ils sont désignés par la valeur du forçage radiatif auquel ils conduisent en 2100, exprimés en W/m². On parle ainsi des RCP2,6 ; 4,5 ; 6 et 8,5. L’évolution la plus modérée des concentrations et donc le forçage le plus faible correspond aux politiques les plus volontaristes des réductions d’émission. L’autre extrême correspond au maximum des émissions envisagées dans la littérature. Les deux autres RCP correspondent à des hypothèses intermédiaires. Les quatre « Évolutions représentatives des concentrations » incluent tous les facteurs susceptibles d’influencer le climat. Elles ne sont ni des prévisions ni des recommandations politiques. Leur seule ambition est d’être un outil de travail permettant d’explorer la gamme des évolutions possibles du climat et de ses conséquences, ainsi que la possibilité de respecter les évolutions des concentrations qu’elles supposent. Chacune d’elles est utilisée en parallèle comme une hypothèse de départ pour les modélisations du climat et comme un objectif pour les mesures conduisant à une telle évolution des concentrations.

Les discussions politiques internationales ont conduit à se fixer comme objectif de limiter l’accroissement de la température moyenne mondiale à deux degrés par rapport à sa valeur moyenne au cours de la période 1860-1880. Pour atteindre cet objectif, il faudrait, d’après les simulations numériques du climat que les émissions cumulées depuis 1870 restent inférieures à une fourchette de 2550 à 3150 GtCO2. Cette fourchette correspond à diverses hypothèses sur les autres facteurs concernés. Les émissions cumulées jusqu'en 2011 sont évaluées à 1900 GtCO2 et il ne nous resterait donc à émettre que de 650 à 1250 Gt CO2, soit 20 à 40 ans d’émissions au rythme actuel.

Les précipitations ne varieront pas de façon uniforme. Selon le scénario RCP8,5, elles croîtront en valeur moyenne annuelle aux hautes latitudes et dans le Pacifique équatorial. Dans la plupart des régions sèches des latitudes moyennes et subtropicales, elles diminueront, tandis qu'elles augmenteront dans la plupart des régions humides des latitudes moyennes. Les épisodes de précipitations extrêmes affectant la plupart des terres émergées des latitudes moyennes et les régions tropicales humides deviendront plus intenses et plus fréquents.

L'océan continuera à se réchauffer au cours du XXIe siècle, sa température de surface augmentant le plus sous les tropiques et dans les régions subtropicales de l'hémisphère nord. En outre, il absorbe une partie du CO2 émis et la valeur de son pH, de l’ordre de 8,1 en 2000, diminuera de 0,06 à 0,07 pour le scénario RCP2,6 et de 0,3 à 0,32 pour le scénario RCP8,5. L'élévation du niveau de la mer est de mieux en mieux comprise et ses simulations de plus en plus crédibles. A la fin du siècle, son niveau devrait augmenter de 0,25 à 0,55 m pour le RCP2,6 et de 0,45 à 0,8 m pour le RCP8,5. Les variations locales peuvent être significativement plus élevées. Un océan arctique entièrement libre de glace à la fin de l'été est vraisemblable au milieu du siècle pour le RCP8,5.

La surface occupée par le pergélisol superficiel sur une épaisseur de 3,5 m diminuera de 37 % pour le RCP2,6 et de 80% pour le RCP8,5. Le volume total des glaciers (en excluant les calottes du Groenland et de l’Antarctique et les glaciers périphériques de ce dernier) devrait décroître de 15 à 55 % pour le scénario RCP2.6 et de 35 à 85 % pour le RPC8,5.

De nombreuses espèces seront en danger, particulièrement lorsque le changement climatique s’ajoutera à d’autres stress. Les coraux et les écosystèmes polaires sont très vulnérables. Les systèmes côtiers et les régions de faible altitude seront particulièrement affectés par la montée du niveau de la mer qui se poursuivra pendant des siècles. La plupart des plantes ne pourront pas modifier leur aire géographique à une vitesse compatible avec la rapidité observée et prévue du changement climatique. Il en ira de même, sauf dans les pays montagneux, pour la plupart des petits mammifères et des mollusques d’eau douce, pour le RCP4,5 et les scénarios plus émissifs.

À partir du milieu du siècle, la sécurité alimentaire sera compromise pour les populations qui tirent leur alimentation de la pêche et d’autres écosystèmes locaux. La productivité du blé, du riz et du maïs dans la plupart des régions tropicales ou tempérées diminuera pour des accroissements de température de 2° ou plus, par rapport à la fin du XXe siècle. Les ressources en eau de surface et souterraine seront réduites dans la plupart des régions subtropicales sèches, entrainant des conflits entre les divers usages de cette eau.

Dans les régions urbaines, le stress thermique, les tempêtes et les précipitations extrêmes, les inondations, les glissements de terrain, le manque d’eau et des hautes eaux océaniques exceptionnelles feront courir des risques aux populations, aux avoirs, à l’économie et aux écosystèmes. Les régions rurales connaîtront des risques majeurs liés au manque d’eau, à l’insécurité alimentaire, à des modifications des régions de production de récoltes, alimentaires ou non. Le changement climatique peut induire des déplacements de populations privées de ressources et de manière indirecte amplifier les risques de conflits engendrés par d’autres causes bien répertoriées.

Les conséquences des changements climatiques au-delà de 2100

Le réchauffement continuera après 2100, dans tous les scénarios RCP à l’exception du RCP2,6. Les températures de surface resteront constantes à des niveaux élevés pendant des siècles après la cessation complète des émissions anthropiques de CO2. Les biomes, le carbone dans les sols, les couches de glace, les températures de l’océan et le changement du niveau de la mer continueront à évoluer pendant des centaines à des milliers d’années après que la température de surface aura été stabilisée.

Que faire face au changement climatique ?

La mitigation (ou atténuation des émissions) et l’adaptation sont des approches complémentaires pour réduire les risques du changement climatique à diverses échéances. La mitigation à court terme et au cours de ce siècle peut réduire substantiellement les effets du changement climatique dans les dernières décennies du XXIe siècle et au-delà. La mitigation présente des bénéfices annexes mais aussi des risques qui sont toutefois moins sévères, moins largement répandus et moins irréversibles que ceux du changement climatique. Retarder la mise en œuvre de la mitigation ou limiter l’usage des options technologiques accroît les coûts nécessaires pour maintenir les risques climatiques à un niveau donné, à long terme.

L’adaptation peut être bénéfique face aux risques actuels et dans le futur pour répondre aux risques émergents. Sa planification et sa mise en œuvre peuvent être améliorées par des actions complémentaires menées à tous les niveaux, des individus aux gouvernements. Ces actions dépendent de valeurs sociétales, d’objectifs et de perception des risques. L’analyse des divers intérêts, des circonstances, des contextes socioculturels et des attentes peut aider à prendre les bonnes décisions. Un dépassement temporaire des concentrations visées est prévu dans tous les scénarios de mitigation permettant d’atteindre en 2100, environ 450 ppm CO2 équivalent[3], ainsi que dans la plupart des scénarios visant 500 ppm. De tels scénarios sont fondés sur la disponibilité et un large recours aux bioénergies avec captage et stockage du CO2 produit et sur une reforestation dans la deuxième moitié du siècle.

L’évaluation des coûts économiques globaux varie fortement selon les méthodes et les hypothèses, mais augmente avec la rigueur des mesures d'atténuation. Des scénarios supposant un effort mondial et immédiat, un seul prix mondial du carbone et une large disponibilité de toutes les technologies clés, ont été publiés. Pour atteindre une limitation du réchauffement de 2° en 2100 et au-delà (par rapport aux niveaux préindustriels), le coût cumulé jusqu’à cette date des mesures nécessaires, représente une perte dans l’économie mondiale d’une valeur médiane de 4,8%. Cette estimation ne tient pas compte des avantages de la réduction du changement climatique, des co-bénéfices ni également des effets secondaires indésirables éventuels. Elle est à comparer avec la croissance globale sur la même période qui est estimée à une valeur comprise entre 300 % et 900 %. En l’absence ou avec une disponibilité réduite de technologies de mitigation importantes, comme la bioénergie, le captage/stockage du carbone (CSC), l’utilisation combinée du CSC avec la bioénergie, le nucléaire, l’éolien et le solaire, les coûts de mitigation croissent substantiellement. Repousser les efforts de mitigation accroît de même son coût à moyen et long terme.

Aucune des méthodes de grande échelle permettant de réduire la quantité d’énergie solaire absorbée par le système climatique n’est incluse dans les scénarios étudiés. Leur déploiement entraînerait de nombreuses incertitudes, des effets parasites, des risques et aurait des implications éthiques sans pour autant réduire l’acidification de l’océan. Si on devait les interrompre, les températures de surface croîtraient très rapidement avec des conséquences néfastes sur tous les écosystèmes sensibles aux changements rapides.

Les options possibles d’adaptation et de mitigation sont nombreuses, mais aucune d’entre elles ne peut suffire à elle seule. La sélection des mesures retenues mais aussi leur mise en œuvre effective dépendent des choix politiques et de la coopération à tous les niveaux. Elle peut être favorisée par des réponses intégrées qui lient adaptation et mitigation avec les autres objectifs sociétaux. Toutes ces questions sont au cœur des négociations internationales de la « COP 21 », prévues à Paris en décembre 2015. Cette réunion est la 21ème « conférence des parties » à la convention de Rio de 1992 sur le climat. De telles conférences se tiennent annuellement, celles dont les résultats ont été le plus médiatisés sont celles de Kyoto et de Copenhague. Puisse la conférence de 2015 se conclure par des progrès quant aux réponses au changement climatique dont l’humanité est à la fois responsable et victime.

Notes

  1. Michel Petit, ancien élève de l’École Polytechnique, docteur en sciences physiques, a été chercheur au Centre National d’Études des Télécommunications de 1960 à 1978. Il a occupé par la suite de hautes fonctions au Centre National de la Recherche Scientifique, à la représentation de la France devant les Communautés Européennes, au Ministère de la Recherche, au Ministère de l’Espace puis au Ministère de l’Environnement. Il a été enfin directeur général adjoint de l’École Polytechnique, chargé de la recherche, de 1994 à 2000. Michel Petit a été membre du Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’Évolution du Climat (GIEC) de 1992 à 2002 et responsable du thème transversal « Incertitudes et gestion du changement climatique » pour l’établissement du 4ème rapport du GIEC de 2002 à 2007. Membre correspondant de l’Académie des Sciences, il est l’auteur avec Éric Orsenna de l’ouvrage Climat : une planète et des hommes (Paris : Le Cherche-Midi 2011).
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  3. C’est-à-dire que l’augmentation de l’ensemble des GES conduirait au même pouvoir réchauffant global que le seul accroissement de la concentration du CO2 à la valeur de 450 ppm