Le Brésil, pays émergent ?
Extrait des Carnets du voyage d'études au Brésil de la promotion Claude Lévi-Strauss, 2009-2010
Introduction
Le Brésil compte parmi les 4 principaux pays émergents : les BRIC ou Brésil-Russie-Inde-Chine. Bien que cette qualification ne soit pas facilement appréhendable[1], le Brésil, terre de paradoxe, combine certains aspects des pays du tiers monde (population très jeune, fortes inégalités sociales, violence, risque d’instabilité politique, etc.) mais également les performances proches de pays développés (grand éventail d’activités économiques, capital humain, marché intérieur intense, etc.) auxquels il convient d’ajouter des ressources naturelles massives et diversifiées.<br\><br\>
Une économie volontariste qui cherche une véritable dynamique <br\><br\> Depuis les années 2000, le Brésil bénéficie d’un cycle économique vertueux alliant baisse de l’inflation et diminution de la dette publique. Parmi les BRIC, le Brésil est le pays qui maîtrise le mieux sa croissance ; il a réussi à limiter la hausse des prix grâce à une politique monétaire rigoureuse. Son PIB le place comme la plus grande puissance d’Amérique Latine et parmi les 8 plus grandes économies du monde, dépassant le PIB français dès 2010.<br\><br\> Signe d’une confiance dans l’économie brésilienne, le rythme annuel des investissements étrangers a progressé pour atteindre 45 milliards de dollars en 2008, soit 50% des investissements en Amérique du Sud et l’équivalent de 7% des investissements dans les pays en développement. Depuis 2006, le pays est même devenu exportateur de capitaux (20 milliards d’investissements externes soit 10% des sommes consacrés par les pays en développement). Récemment revue à la hausse, la notation du crédit souverain par les trois grandes agences internationales classe désormais les emprunts garantis par le Brésil dans la catégorie « investissement ».<br\><br\> Le Brésil a axé sa croissance sur son commerce extérieur (20% du PIB) en particulier grâce à l’accroissement de sa production agricole et énergétique.<br\><br\> Par sa superficie, le Brésil est le cinquième plus grand pays du monde. Cet immense territoire de 8,5 millions de km2 présente des milieux climatiques divers et d’importantes richesses naturelles. Le complexe agro-alimentaire est puissant, l’agriculture s’est modernisée. Après une phase d’expansion des territoires exploités, elle y développe des rendements de plus en plus élevés, et intensifie l’usage des machines et des engrais. Leader sur ses principaux marchés cibles : 1er producteur de café et de canne à sucre, 2ème producteur de viande, 2ème producteur de bioéthanol, 3ème producteur de maïs, le Brésil s’est imposé comme la « ferme du monde » en devenant le second exportateur agro-alimentaire après les Etats-Unis.<br\><br\>
Les richesses minières sont considérables et parfois encore insoupçonnées. Le Brésil est au 2nd rang mondial pour le minerai de fer et la Bauxite. Déjà autosuffisant, sa production d’hydrocarbures est croissante, ainsi, le Brésil vient de mettre à jour des gisements qui lui permettront de passer de la 24ème place actuelle au 5ème rang des réserves mondiales. Le Brésil est la 1ère puissance industrielle d’Amérique latine. La production a été multipliée par 4 depuis la fin des années 60. L’industrie brésilienne s’est fortement diversifiée, elle est devenue exportatrice de produits de haute technologie : plates-formes pour l’exploitation de pétrole, 3ème producteur mondial d’avions, des véhicules automobiles… Dans ces secteurs de pointe, les installations sont dotées des équipements et des compétences au niveau des pays industrialisés, les sites offrent l’image d’une organisation parfaite et d’une propreté exemplaire, les investissements semblent réguliers, les options stratégiques apparaissent affirmées jusqu’à doter certains sites d’infrastructures logistiques dédiées.<br\><br\>
Néanmoins la croissance du PIB reste faible (<5%), au prix de tensions inflationnistes. Pour la première fois néanmoins, Morgan Stanley prévoit 6,8% de croissance en 2010.<br\><br\> Parmi les freins à son développement, notons les points de blocage suivants :<br\><br\> L’intensité en R&D du Brésil est faible (1,2% du PIB en 2006) : elle est inférieure à celle de la Chine et de la Russie. Le Brésil rencontre des difficultés à développer de nouveaux secteurs économiques d’excellence à forte valeur ajoutée. Peu d’entreprises privées ou publiques se sont tournées vers l’innovation, malgré le lancement d’un plan national en 2007 sur 4 ans pour la science, la technologie et l’innovation et une autorisation dans le secteur pétrolier à faire appel aux modalités d’investissements reposant sur des clauses de partage de la production.<br\><br\> Le pays est très protectionniste : il est difficile pour un étranger d’accéder légalement au marché du travail, les négociations pour implanter des entreprises étrangères sont compliquées et doivent s’accompagner d’un transfert de technologie.<br\><br\> Les infrastructures de transport, les réseaux de production et de transport énergétique sont sous-dimensionnés ; ils réclament des investissements majeurs[2].<br\><br\> Le partenariat avec le secteur financier est faible. Les banques semblent plus préoccupées à développer leur marché qu’à jouer le rôle de tiers financeur. Le niveau des taux d’emprunts est très élevé et les problèmes de sécurité financière empêchent probablement les pouvoirs publics de financer en toute confiance les initiatives privées.<br\><br\>
Une dynamique démographique favorable mais un schisme social handicapant. <br\><br\> La population du Brésil est un de ses atouts économiques essentiels mais il ne peut pas sortir de la pauvreté en comptant simplement sur une politique de croissance… <br\><br\> Au Brésil, la dynamique démographique est particulièrement favorable : 194 millions d’habitants et un taux de croissance de 1,6% par an, la moitié de la population a moins de 20 ans et le taux de mortalité est bas. Le taux de dépendance restera jusqu’en 2040 très bas et place donc le Brésil dans une situation de bonus démographique. La population est mobile et conserve l’esprit pionnier et la main d’œuvre est importante.<br\><br\> Le développement du marché intérieur sera moteur pour le Brésil mais il est limité par de très fortes inégalités. Ramené à sa population et à la parité de pouvoir d’achat, le PIB par habitant est de 8 600 $ par personne [3] en 2009 : supérieur à ceux de la Chine et de l’Inde mais néanmoins inférieur à celui de la Bulgarie, de la Roumanie ou de la Turquie. La raison en est simple : le Brésil est un des 2 pays où l’inégalité de revenus est la plus importante au monde (indice Gini = 0,5933). Ainsi, la large population pauvre (34%) voire indigente (14%) est trois fois plus importante que la majorité des pays disposant d’un PIB par habitant équivalent.<br\><br\> Le développement d’une classe moyenne, qui représenterait plus de la moitié des ménages aujourd’hui grâce à la politique de redistribution engagée par le président Lula, est un levier de transition important dans l’utilisation de cet atout démographique. Le programme « Bolsa Familia » garantit ainsi à 50 millions de Brésiliens un minimum vital et un salaire minimum de 460 réais.<br\><br\> Le Brésil doit également faire face à l’inégalité d’accès à la terre. Ainsi, malgré une réforme agraire engagée par le Président Lula, 4,5 millions de familles réclament une terre. Situation absurde qui voit le Brésil exporter 40 millions de tonnes de denrées alimentaires par an, alors qu’un tiers de ses habitants a faim. La conséquence immédiate : un exode en direction des grandes villes et l’occupation de la terre sans titre de propriété. Un programme de construction populaire « Minha casa, minha vida » a été mis en place et devrait permettre d’accéder à des maisons à 28 000 réais.<br\><br\>
…ni sans relever le défi central de l’éducation, germe de l’exclusion sociale
Par rapport aux pays de niveau de développement comparable, le Brésil a une population moins bien éduquée, ce qui contribue aux inégalités flagrantes en matière de distribution de revenus et constitue un obstacle majeur à la diffusion du progrès technique : 10% de la population est analphabète et 25% est illettrée. Si l’enseignement supérieur est de bon niveau, le Brésil est l’un des pays où l’éducation infantile et primaire est la plus faible, et se retrouve parmi les plus mauvais pays en terme d’éducation : 126ème sur 142 pays. Ceci est dû en grande partie au faible niveau de qualification des enseignants brésiliens. Une véritable volonté politique se développe ces dernières années pour élever le niveau de l’éducation du Brésil. Le nombre d’individus ayant accès à l’enseignement s’est considérablement accru et le niveau moyen de scolarisation de la population s’est significativement élevé. Si le Brésil compte les meilleures universités d’Amérique Latine, il n’est cependant pas un marché mature en matière d’éducation supérieure, et les établissements français n’ont pas encore pris la destination de ce BRIC, moins populaire que la Chine et l’Inde.<br\><br\> Si le modèle social brésilien se caractérise par un métissage culturel et historique, l’exclusion est d’abord sociale avant d’être raciale même si de fait les populations les plus pauvres sont majoritairement issues des descendants d’esclaves ou d’indigènes. La forte pression démographique accentue ces inégalités : la main d’œuvre abondante est souvent sous payée, le pouvoir d’achat est très faible et ne permet pas toujours d’accéder à la nourriture essentielle. L’explosion sociale est menaçante. Les équipements industriels et de recherche modernes contrastent avec le travail d’esclaves aux champs pour la production d’éthanol de canne, ce qui fait le bonheur des grands promoteurs fonciers. En ville les inégalités sont encore plus flagrantes, elles concernent les ¾ de la population qui y vit, La moitié des agglomérations urbaines sont des mégalopoles, caractérisées par un centre urbain riche avec des gratte-ciel modernes, des quartiers résidentiels luxueux, et d’immenses bidonvilles appelés favela (1/3 des 5 554 municipalités abritent des favelas).<br\><br\>
La légitimité du Brésil à l’international dépendra de sa capacité à régler certaines tensions internes<br\> Le Brésil devient un acteur international influant mais doit conforter son positionnement...[4] <br\><br\>
L’attitude historiquement défensive de la diplomatie brésilienne issue de la Doctrine de Rio Branco se traduit par un Brésil très prudent sur la scène internationale. Le Brésil élabore des alliances pragmatiques. Il est le principal artisan de l’intégration économique avec ses voisins, l’Argentine, l’Uruguay, le Paraguay dans le cadre du MERCOSUR. Premier pas vers la création d’une zone de libre-échange entre les Amériques et un possible accord de libre-échange avec l’Union Européenne, engagé par le Président Lula afin d’accroître l’influence de son pays dans le concert universel des nations.<br\><br\> Incarnant une nouvelle dimension, le Brésil a intensifié dernièrement ses relations avec la Chine qui est devenue le deuxième fournisseur du Brésil et le lanceur des satellites brésiliens. La nouvelle étape de prise de responsabilité au sein de la gouvernance mondiale s’est trouvée accélérée par l’invitation récente faite aux 3 nouvelles puissances : Chine, Inde et Brésil de participer aux grandes décisions mondiales de politique économique du fait du développement de leur richesse. D’invité aux G20 depuis 2009, le Brésil a été élu membre non permanent du Comité de Sécurité de l’ONU pour une période de deux ans à compter du 1er janvier 2010. Le Brésil compte bien asseoir son autorité et a déjà obtenu de l’Iran le principe d'être médiateur sur l'accord du combustible nucléaire (selon l'agence Fars du 05 mai). Assumant désormais son rôle de leader des pays du Sud, le Brésil est contraint de consolider son positionnement international et se doit d’intégrer les préoccupations environnementales. Depuis fin 2009, le Brésil lutte résolument contre le réchauffement climatique et a pris "l'engagement volontaire" de réduire jusqu'à 39 % ses émissions de gaz à effet de serre par rapport aux prévisions de 2020 (en réduisant le déboisement de l’Amazonie, en optimisant l’élevage, l’usage des engrais ou encore le recours aux biocarburants, …). L’année dernière, le Brésil a enregistré la plus faible déforestation annuelle depuis la mise en place en 1988 d'un système de contrôle par satellite et la surface déboisée a baissé de 45 % par rapport à l'année précédente. La population approuve cette évolution, les Brésiliens placent l'environnement au troisième rang de leurs préoccupations, derrière la criminalité et l'éducation.<br\><br\>
Réformer sa gouvernance et réduire la criminalité<br\><br\>
Néanmoins, la vie politique brésilienne est mouvementée, les relations sont difficiles entre l’exécutif et le législatif, ainsi qu’entre l’échelon fédéral et les différents États. Actuellement, toute décision doit être négociée ce qui ralentit l’adoption de réformes jugées largement nécessaires pour passer au statut de pays développé. La nécessité d’équilibrer développement économique et progrès social entravent les évolutions.<br\><br\> Le Brésil reste un pays avec une administration très procédurière. Par exemple le délai nécessaire au lancement d’une entreprise au Brésil nécessite en moyenne 120 jours, soit près de trois fois plus que la moyenne régionale. .<br\> Même si le climat de violence est bien souvent entretenu par les milieux politiques pour confirmer les barrières sociales, la violence est réelle. Le déséquilibre de la distribution des terres provoque des violences épisodiques dans les zones rurales, notamment en Amazonie où les invasions de terres sont courantes. De plus, le taux de criminalité est extrêmement important dans les grandes villes, avec 20 % de la population vivant dans des favelas à Rio. Simultanément, le Brésil, voisin des grands pays producteurs de cocaïne, est devenu le plus grand consommateur de drogue d'Amérique du Sud. En dépit des efforts des autorités, la violence liée au trafic d'armes et de substances illicites ne cesse d'augmenter. .<br\>.<br\>
Conclusion.<br\>.<br\>
Le Brésil a une agriculture et une industrie puissante qui alimentent un commerce extérieur excédentaire. Les produits agricoles représentent 1/3 des exportations et plusieurs sociétés brésiliennes exportent des équipements industriels et techniques « clé en main » en Afrique et en Europe. La montée des classes moyennes et le potentiel de croissance de la consommation interne du Brésil rendent son économie moins tributaire de la conjoncture extérieure ; c’est ainsi que le Brésil n’a connu que 6 mois de récession économique en 2009. Le Brésil possède donc 3 atouts : un appareil industriel diversifié, une classe moyenne susceptible d’offrir un marché aux produits de consommation et une insertion dans les circuits commerciaux internationaux. A quel horizon le Brésil sera-t-il considéré comme un pays développé et à quand aura-t-il amorcé le virage du plein développement ? .<br\>.<br\> Les économistes préfèrent parler de pays en transition. Ce qualificatif décrit mieux la dynamique actuelle du pays qui connaît une double transition avec une société créatrice de valeur économique tout en étant engagé dans la préservation de son patrimoine naturel. Deux scénarios contrastés peuvent être imaginés pour le Brésil. Soit il choisit une politique du développement par la connaissance, l’éducation et la redistribution des richesses ce qui pourrait mener à de forts conflits sociaux. Soit il opte pour le maintien d’une réalité cynique qui privilégie un développement induisant la concentration de la richesse mais qui tolère des inégalités entretenues. <br\><br\> Mais il semble pourtant presque certain que ce pays, bénéficiant d’un revenu élevé issu d’exportation de ressources naturelles, minerais pour l’heure, hydrocarbures demain, rejoindra prochainement les pays riches. Certes, le manque d’infrastructures limite la capacité du pays à être plus com-étitif mais la problématique des infrastructures devrait recevoir un coup de pouce grâce aux perspectives des rendez-vous mondiaux sportifs organisés par le Brésil entre 2014 et 2016.
- ↑ Pour le CEPII, il s’agit des économies « dont le revenu par habitant est inférieur au seuil retenu par la Banque mondiale pour définir les pays riches (11 100 dollars en 2006) et qui ont accru leurs parts dans les exportations mondiales de biens manufacturés et de services d'au moins 0,05 point de pourcentage entre 1995 et 2005 » (cf. Les pays émergents dans le commerce international de l'UE, avril 2010 : http://www.cepii.fr/francgraph/publications/lettre/resumes/2009/let287.htm)
- ↑ Source : Profil statistique du Brésil, OCDE, http://stats.oecd.org/viewhtml.aspx?queryname=486&querytype=view&lang=fr
- ↑ Rapport mondial sur le développement humain 2005, UNDP, http://hdr.undp.org/en/media/HDR05_fr_complete.pdf
- ↑ « Le Brésil répète Lula, ne peut pas rester assis sur une chaise à attendre qu’on le découvre » tiré de Le Monde « Le bilan géostratégie » 2010