L'urbanisation durable : défi mondial vu d'Europe

De IHEST France Brésil

Par Evelyne Pichenot. Juillet 2012

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1. Regards croisés sur l’urbanisation dans le monde au XXIe siècle<br\>

Les villes font l’objet d’un intérêt croissant dans la mise en œuvre des politiques de développement durable. C’est à l’échelle des villes et des métropoles que les pressions sur le tissu social et l’environnement sont les plus prégnantes et les besoins d’adaptation les plus considérables.<br\>

Les villes aujourd’hui consomment plus de deux-tiers de l’énergie produite dans le monde et représentent près de 80% des émissions de CO2. Plus de la moitié de la population mondiale est urbaine ; trois quarts de l’humanité habitera en ville en 2050, ce qui est le seuil moyen atteint aujourd’hui en Europe. L’urbanisation est particulièrement rapide dans les pays émergents et les pays en développement. On estime ainsi qu’en Chine le nombre d'habitants de zones urbaines a augmenté en moyenne de plus de vingt millions de personnes par an durant la dernière décennie, tandis que l’équivalent du parc immobilier de l’UE-15, en surface, devrait sortir de terre avant 2020. <br\>

Quoique survenant à des taux et selon des modalités très hétérogènes entre pays, l’urbanisation soulève des problèmes communs à l’ensemble des métropoles. Citons parmi les plus saillants la fourniture et l’accès aux services essentiels (eau, électricité, chaleur), la gestion intégrée des déchets, l’interopérabilité et la mobilité, l’efficacité énergétique des bâtiments, le financement et l’investissement « verts », l’anticipation et la planification, la réhabilitation de sites industriels, l’aménagement d’espaces publics de qualité, la rénovation et la conservation de quartiers parfois millénaires. Les villes sont particulièrement vulnérables au changement climatique. Les trois-quarts des installations urbaines sont en effet situés dans des zones côtières exposées au risque de montée des eaux. <br\>

Il n’existe pour autant aucune fatalité à ce que les villes suivent un développement insoutenable. L’expérience montre que les villes sont des zones où l’action politique peut être menée plus rapidement qu’au niveau national. Par ailleurs ce n’est pas l’urbanisation en elle-même qui est potentiellement insoutenable, mais les choix qu’une société imprime à celle-ci. Un taux d’urbanisation rapide peut être conçu comme une calamité ou au contraire comme l’occasion d’expérimenter des modes de fabrique urbaine soutenables et innovants. La ville durable doit être conçue comme un catalyseur d’actions et d’innovations.<br\>

C’est dans la même perspective d’apprentissage par l’échange que des réseaux internationaux de villes se sont constitués depuis moins de dix ans. Les difficultés rencontrées par les parties aux diverses conventions environnementales attachées à la déclaration de Rio sur le développement durable (climat, biodiversité en premier lieu) ont renforcé la volonté des dirigeants des grandes métropoles mondiales de contribuer, à leur échelle, au règlement des problèmes globaux par des initiatives, des expérimentations et des échanges de bonnes pratiques. <br\>

Dans le cas du climat en particulier, les initiatives collectives ont émergé à mesure que les négociations au sein des conférences des parties à la convention climat s’épuisaient. Ainsi la Commission Européenne, sous les auspices de la DG Transport et Energie a-t-elle lancé l’initiative « Convention des Maires» destinée à faciliter les échanges d’expérience entre villes pionnières européennes sur les bonnes pratiques en matière d’efficacité et de sobriété énergétiques, et de politique bas carbone. On peut citer aussi Eurocities et son réseau de 130 grandes villes européennes engagées dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. <br\>

Au niveau mondial, un réseau global de gouvernements locaux et de maires de villes s’est constitué en vue d’inclure les villes et les gouvernements locaux dans l’accord cadre des nations unies sur le changement climatique « post-2012 ». Le réseau inclut United Cities and Local Governments (UCLG), Metropolis, ICLEI – local government for sustainability, le C40 climate leadership group et le World Mayors Council on Climate Change (WMCCC). D’autres initiatives en réseau mettent en avant les villes, soutenues par la Banque Mondiale, l’Onu ou des fondations [1]. Ces initiatives politiques se doublent de réseaux scientifiques et de projets de recherche internationaux centrés sur les villes durables, ainsi de l’IPC3 – « an IPCC for mayors » (un GIEC pour les villes) constitué à l’occasion de la COP de Copenhague en 2009. <br\>

Dans ce contexte foisonnant d’initiatives et de partenariats, l’Europe et Le Brésil ont des cartes complémentaires à jouer pour surmonter chacun les défis d’une ville durable. Car si les contraintes économiques, sociales et environnementales sont disparates entre villes au sein d’un même pays et plus encore entre pays, des défis communs persistent que ces deux acteurs majeurs, forts de leurs expériences et de leurs ambitions en matière de développement durable, pourront surmonter collectivement<br\>

2. Les défis partagés d’une urbanisation durable <br\>

Si les villes peuvent être moteur d’accélération d’actions « soutenables », des incitations supplémentaires semblent nécessaires dans certains cas. En particulier, à ce stade, le lien entre les initiatives locales et les politiques et actions nationales, européennes et brésiliennes, et surtout mondiales contre les dérèglements de l’environnement n’est pas encore identifié, de même que la coordination entre tous ces réseaux et initiatives. Le premier défi est celui de la cohérence dans les réponses conçues à l’échelle des villes, dans le cadre plus large des engagements pris aux échelons nationaux, communautaires et globaux.<br\>

Le second défi est celui de l’efficacité. Les entreprises se montrent en général intéressées par les initiatives locales d’atténuation par exemple, que l’on rencontre dans les plans d’action locaux (PAL) inscrits dans l’agenda 21 de la Déclaration de Rio. En revanche elles s’inquiètent de voir apparaître une possible double réglementation. On peut se demander avec elles si les politiques de la ville viendront renforcer les politiques nationales ou européennes ou ajouter un niveau supplémentaire de réglementation, créateur d’inefficacité et de comportement de recherche de rente. Cette problématique est transversale à toutes les politiques de développement durable. <br\>

Le troisième défi est celui de la responsabilité (accountability), qui soulève la question de la définition des engagements, la mesure et l’évaluation des résultats. Les politiques climatiques peuvent ici encore fournir une illustration des enjeux qui traversent les politiques de développement durable plus largement. De même que les pays acceptent que leurs engagements en matière de lutte contre le changement climatique soient « mesurables », « reportables » et « vérifiables », les engagements des villes vers la durabilité doivent être mesurés et vérifiés. Ce point soulève des questions méthodologiques importantes de périmètres et de granulométrie des mesures, ainsi que des procédures d’évaluation. <br\>

La comptabilité « verte » ou « durable » d’une ville peut avoir une base politique et administrative, géographique ou économique. Dans tous les cas, la question sociale est prépondérante. L’inflation immobilière et la congestion routière sont des défis conjoints supplémentaire posés aux grandes métropoles de l’UE et du Brésil.<br\>

Le développement durable des villes soulève par ailleurs des problèmes particuliers de financement. Aux différents périmètres d’émissions ne correspondent pas toujours un périmètre ou une « assiette » cohérente de fiscalité. La fiscalité écologique qui accompagne la transition vers une économie sobre en carbone est souvent conçue au niveau national et communautaire, privant les collectivités locales, si elle ne s’accompagne pas de transferts vers celles-ci, d’un levier précieux de financement. Dans des contextes d’endettement parfois prononcés, les finances locales, pour être durables, doivent être repensées en cohérence avec les réformes nationales de la fiscalité envisagées.<br\>

Des initiatives existent en la matière, au Brésil comme dans l’UE. Le fonds Jessica (Joint European Support for Sustainable investment in Cities Areas), créé par la Communauté Européenne, cible les opérations de renouvellement urbain et permet de croiser les subventions de la Communauté Européenne, les transferts et aides des Etats, les ressources propres des collectivités, les investissements du secteur privé et les prêts ou garanties dispensés par la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et d’autres établissements bancaires. Le fonds lui-même dispose de sa cellule d’appui aux villes pour la mise en œuvre. Un certain nombre d’outils financiers ou d’initiatives proposées récemment dans différentes parties du monde s’apparentent à ce modèle, comme si, face à une crise globale, l’on assistait à une certaine convergence des politiques. La république populaire de Chine a pris de son côté une option inédite : lancer sur les marchés internationaux une émission obligataire de 30 milliards de dollars pour abonder les budgets urbains. De telles initiatives et expérimentations auraient vertu à être mieux partagées et discutées.<br\>

Quelles actions conjointes l’UE et le Brésil pourraient mener en faveur des villes durables au Sud est une question importante, aux implications déterminantes pour la durabilité des villes dites « piégées ». Les villes des « Etats fragiles » accumulent en effet les handicaps. Les besoins en investissements de base sont colossaux, les capacités de réalisation limitées, la solvabilité et l’accès à l’emprunt des plus réduits sinon nuls. Les problèmes de gestion et de gouvernance aggravent le manque d’appétence des investisseurs privés et des bailleurs de fonds. C’est ainsi que beaucoup de villes, africaines principalement, voient leur situation économique et financière, sociale et environnementale s’aggraver d’année en année. Elles s’enfoncent dans des spirales de dégradation continue sur tous les plans, de trappes à pauvreté – raison pour laquelle on les appelle les « villes piégées » - dont il est impossible de s’extraire sans un appui extérieur que le Brésil et l’UE pourraient de conserve apporter. <br\>

3. L’urbanisation durable comme choix de société <br\>

La prise en main, par les villes, des grandes questions globales auxquelles l’humanité est confrontée est symptomatique d’un infléchissement de la gouvernance des biens publics mondiaux vers une approche plus « bottom up » que « top down », contrairement à la doctrine qui implicitement prévalait après le Sommet de la terre de Rio (1992). Les défis à l’échelle des villes et les réponses qui leur sont données mettent en avant le caractère intrinsèquement sui generis et expérimental du développement durable, qui dépend des contraintes et des choix de société en un temps et en un lieu. L’expression de ces choix de société, la révélation et l’appréciation fine des contraintes qui le bordent, sont autant d’éléments auxquels la société civile, par sa proximité du terrain, a vertu à être associée. <br\> La constitution de réseaux de villes engagées dans la lutte contre le changement climatique et plus largement vers des trajectoires « soutenables » est en soi une innovation institutionnelle. Accroître la cohérence horizontale de ces réseaux, mais aussi la cohérence verticale avec les échelons nationaux, communautaires et globaux sont d’autant plus nécessaires que les initiatives se multiplient tandis que la cadre global de gouvernance hérité de Rio se transforme. A condition d’être associée étroitement aux diverses consultations et échanges survenant entre villes d’une part, et entre échelons nationaux de l’autre, la société civile pourrait être le relai entre l’ancien monde hérité de Rio et celui esquissé à Rio + 20 en 2012, et jouer le rôle de « test de cohérence » de toutes les initiatives menées dans un même objectif de durabilité. <br\> En particulier, son implication régulière et informée dans les échanges des bonnes pratiques et des résultats d’expérimentation entre villes lui donne la possibilité d’alerter les parties prenantes sur d’éventuelles contradictions, incohérences, effets d’aubaine, recherche de rente, corruption, que la superposition de dispositifs (locaux et nationaux) pourrait entraîner, et accroître ainsi l’efficacité des réponses apportées aux différents défis de durabilité. <br\> Promouvoir et défendre la responsabilité (« accountability ») des diverses parties engagées est un facteur clef de la durabilité. Ici encore, la société civile pourrait jouer un rôle significatif, par son expérience, ses exigences et son implication en matière de transparence, de suivi et d’évaluation des politiques publiques de développement durable. <br\> En matière climatique plus spécifiquement, le Brésil et l’UE doivent progresser ensemble dans la construction d’un cadre ouvert et flexible de définition des paramètres d’émission de gaz à effet de serre au niveau urbain. Le choix du périmètre n’est pas simplement technique ; il est politique et surtout social. La société civile, par sa connaissance des enjeux sociaux locaux, est une partie indispensable à considérer et intégrer dans ce travail d’élaboration méthodologique et de construction d’indicateurs de durabilité pertinents à l’échelon urbain. <br\>

Concourir à ce que la durabilité soit non seulement climatique et environnementale mais aussi sociale est un impératif commun aux décideurs européens et chinois. Ce qui implique d’inscrire tout processus de mesure, de vérification et de reporting dans un cadre plus large d’évaluation incluant les trois piliers du développement durable. Il est important de rappeler en matière sociale en particulier que la mixité ne peut se concevoir qu’avec une mixité fonctionnelle de la ville ; mixité sociale et mixité fonctionnelle doivent être l’une comme l’autre mesurées et renseignées avec le concours de la société civile.<br\>

L’anticipation est au cœur de la gouvernance durable des villes. Développer un système de prévision des trajectoires urbaines est une nécessité pour le développement soutenable de la fabrique urbaine, autant que pour la connaissance de l’effet global de l’urbanisation. Aux modèles et bases de données, nécessaires et imparfaites, doivent être ajoutées les prévisions qualitatives que la société civile, en se coordonnant, pourrait apporter.




Comment citer cette page / Como citar esta página :
Pichenot, Evelyne, "L'urbanisation durable : défi mondial vu d'Europe", Wiki France-Brésil de l'IHEST, http://france-bresil.ihest.eu/L'urbanisation durable : défi mondial vu d'Europe (Page consultée le 15/06/2025)

Notes

  1. Citons notamment UN-Habitat -- Cities and Climate Change Initiative, Asian Cities Climate Change Resilience Network (Rockefeller Foundation), World Bank -- Climate Change Adaptation Handbook for Mayors.