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L'illustration (1844) Mathieu de Dombasle, Portrait

De Wicri Lorraine
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Cette page introduit la copie d'un article paru dans le journal l'Illustration à l'occasion de la disparition de Mathieu de Dombasle.

La numérisation de ce texte a été réalisée dans le cadre du projet américain Gutenberg (http://www.gutenberg.org).


Mathieu de Dombasle.


Christophe-Joseph-Alexandre Mathieu de Dombasle, né à Nanci, le 26 février 1777, vient d'y mourir le 27 décembre 1843, C'est l'homme auquel l'agriculture française est redevable de ses plus grands progrès. La richesse agricole de la Flandre et de quelques autres contrées, comparée au triste état de notre culture dans presque tous nos départements du centre, de l'ouest et du midi, avait inspiré à M. de Dombasle la profonde conviction que, de toutes les industries, l'agriculture est celle où il y a le plus à faire en France pour la prospérité du pays et pour le bien des particulier qui s'y livreront. M. de Dombasle n'a pas seulement consacré à cette pensée des talents supérieurs, un mérite d'écrivain qui, dans toutes les carrières, l'auraient placé au premier rang; il s'est fait l'homme du progrès agricole, il s'est dévoué à cette œuvre. avec une foi ardente et une complète abnégation. Le résultat personnel fut, pour M. de Dombasle, une lutte contre des obstacles sans cesse renaissants, des revers de fortune, et de cruelles blessures dans ses plus chères affections; mais M. de Dombasle a réussi dans les autres: le succès des cultivateurs que ses leçons et son exemple ont formés, l'impulsion donnée à l'industrie agricole de la France, voilà, le succès et la récompense de M. de Dombasle, car c'est le résultat qu'il ambitionnait par-dessus tout.

Avant M. Mathieu de Dombasle, nous avions de savants agronomes, d'habiles fermiers, des propriétaires éclairés, marchant dans la voie du progrès; toutefois, leurs efforts étaient isolés, sans imitateurs; les entreprises agricoles restaient l'objet de la méfiance et du discrédit; et tandis que la jeunesse assiégeait en foule l'entrée de toutes les autres professions, personne ne venait à songer que la culture du sol offrait la carrière la plus indépendante et la plus assurée. Les écrits de M. de Dombasle ouvrirent les yeux du public sur cette fâcheuse erreur; cependant il ne suffisait pas de répandre des idées plus saines, il fallait mettre l'instruction agricole à la portée des jeunes gens chez lesquels il avait fait naître le désir de se livrer à l'agriculture. En France, où les quatre cinquièmes du la population se composent de cultivateurs, il n'existait aucun établissement destiné à l'enseignement théorique ou pratique de l'agriculture. Cette lacune, M. de Dombasle entreprit de la combler. Privé, par les événements de 1814, d'une belle fortune acquise dans la fabrication du sucre de betteraves, sans moyens pécuniaires, sans le secours du gouvernement, ni d'aucun patronage puissant, M. de Dombasle fonda la première ferme-modèle et le premier institut agricole qui aient existé en France, Plusieurs propriétaires de Nanci, en tête desquels figurait l'illustre général Drouot, lui fournirent le capital nécessaire, à des conditions désintéressées, et s'associèrent ainsi à l'honneur d'une entreprise qu'ils savaient ne devoir tourner qu'au profit du pays. C est avec le modique capital de 60,000 fr., confié à ses talents et à sa réputation de probité, que M. de Dombasle: loua la ferme de Roville, pour s'y livrer à l'enseignement et à l'application des méthodes perfectionnées.

Bientôt M. de Dombasle fut entouré d'un petit nombre d'élèves attirés par le charme d'une profession dont l'étude se faisait au grand soleil. Ces jeunes gens, qui n'étaient venus chercher à Roville qu'une instruction professionnelle, y subissaient, par la force des choses, une modification importante dans leur manière d'apprécier les positions sociales. Par cela même qu'ils étaient étudiants cultivateurs, il ne leur était plus possible de mesurer leur considération à l'habit, car eux-mêmes avaient revêtu la blouse; il ne leur était plus possible de croire que le travail manuel dérogeait, car, témoins continuels des travaux agricoles, ils arrivaient bientôt à y mettre la main. Ainsi, le courant qui avait poussé la jeunesse à fuir ou à quitter la profession agricole pour embrasser les professions dites libérales, ou les fonctions publiques, fut changé: pour la première fois une influence contraire se manifesta, et des jeunes gens quittèrent l'école de Droit et les habitudes de la ville pour se livrer aux travaux des champs.

Tandis que M. de Dombasle modifiait aussi heureusement la tendance de l'esprit public, il introduisait une réforme matérielle d'un haut intérêt. Dans un grand nombre de départements, les labours s'exécutaient et s'exécutaient encore avec une charrue défectueuse, qui n'opère qu'un labour imparfait, au moyen de six ou huit bêtes de trait conduites par plusieurs hommes; il est évident qu'aucune culture ne peut être profitable avec un mode aussi dispendieux de labourer la terre. M. de Dombasle, par ses écrits et son exemple, propagea l'adoption de la charrue flamande, modifiée dans quelques-unes de ses parties; et désormais l'abandon de la charrue ruineuse dont nous venons de parler n'est plus qu'une question de temps, car il n'est pas de canton où, grâce à M. de Dombasle, une charrue perfectionnée n'ait été introduite, et il est impossible que la comparaison des deux instruments ne détermine pas l'adoption de ce qui fait évidemment mieux et à meilleur marché.

Si M. de Dombasle, en fondant l'établissement de Roville, n'avait eu en vue que son avantage personnel, il n'aurait pus été plus loin. Ses écrits lui avaient mérité une réputation européenne([1]); son Institut agricole et sa fabrique d'instrument aratoires offraient des bénéfices, et la ferme de Roville, conduite avec l'intelligence et l'ordre d'un homme comme M. de Dombasle, ne pouvait être onéreuse en la cultivant du point de vue industriel. Mais le but de M. de Dombasle était, moins de faire de l'industrie personnelle que de faire de la science pour ouvrir des voies plus larges à l'industrie et à la prospérité publiques. Sous cette inspiration, M. de. Dombasle devait s'attacher à résoudre le problème de la suppression de la jachère, question qui intéresse à un si haut degré l'avenir de notre agriculture. Les plantes sarclées, qui remplacent la jachère en préparant le sol à recevoir des céréales, et qui, pour la plupart, contribuent à l'augmentation des engrais, par l'abondante nourriture qu'elles fournissent aux bestiaux, sont une condition nécessaire pour arriver à la suppression ou du moins il la notable réduction de la jachère. Toutefois, les plantes sarclées, comme toutes les autres récoltes, ne peuvent être cultivées qu'autant que le cultivateur trouve à vendre leurs produits. Placé dans une localité où aucune industrie étrangère n'offrait un débouché à ses récoltes sarclées, M. de Dombasle créa sur la ferme de Roville une industrie accessoire pour tirer parti de ses récoltes. Il établit une distillerie, puis une féculerie de pommes de terre; entreprises qui toutes deux entraînèrent des pertes très-sensibles à raison du faible capital sur lequel reposait l'établissement de Roville. Ces pertes sont à déplorer, puisqu'elles furent sans doute pénibles à M. de Dombasle; mais elles ont contribué à rendre son enseignement plus complet et à faire ressortir son dévouement à la mission qu'il s'était imposée.

Quoi de plus propre à pénétrer les cultivateurs du principe qui doit leur servir de guide, que l'ensemble de la carrière agricole fournie par M. de Dombasle? Un homme de mérite hors ligne, après avoir consacre des années à étudier la culture des pays les mieux cultivés de l'Europe, s'applique à introduire dans la ferme qu'il exploite les méthodes perfectionnées qu'il a observées; il pèse toutes les circonstances dans lesquelles les améliorations qu'il médite doivent être introduites; il entre dans la voie nouvelle, guidé par une grande expérience et un jugement sûr; cependant il échoue. Au lieu de se décourager, il se livre à de nouvelles recherches, reconnaît la cause de son échec, recommence avec certitude et cette fois il échoue encore. Quelle démonstration plus complète de cette vérité, qu'en agriculture le raisonnement, l'induction et la démonstration même, que la science, en un mot, ne doit autoriser que des essais, et que les faits positifs, constants, répétés ont seuls une autorité suffisante pour déterminer l'application sur une grande échelle.

Du reste, personne n'était plus convaincu de cette vérité que M. de Dombasle; c'était celle qu'il s'appliquait surtout à faire entrer dans l'esprit de ses élèves au moment ou ils venaient prendre congé de lui et de recevoir ses derniers conseils. «Gardez-vous, leur disait-il, de changer brusquement sur votre ferme la méthode de culture suivie dans le canton où vous allez vous fixer. Si la charrue est défectueuse, d'un usage ruineux, n'hésitez pas à la changer: n'hésitez pas non plus à multiplier les prairies artificielles. Quant aux races de bestiaux, voyez si celles de la localité ne peuvent pas être améliorées; et si vous vous décidez à en introduire de nouvelles, ne le faites pas avant d'avoir obtenu largement sur votre exploitation les moyens de nourriture qu'elles réclament. Quand aux cultures nouvelles à introduire, prenez en considération le sol, le climat, la main d'œuvre, la facilité de vendre les produits. Quant à la jachère, ne vous pressez pas de la supprimer: dans les pays où une portion du sol est laissée en jachère, le prix est en raison de cette circonstance; louez ou achetez en conséquence, et en appliquant à ce sol une meilleure charrue, en y semant des prairies artificielles, vous êtes certains de faire mieux que les autres; mais si vous tentiez de suite de supprimer la jachère, vous vous exposeriez à des risques qu'il n'est pas sage de courir au début d'une exploitation rurale. Attendez d'avoir réussi dans votre premier établissement, puis alors vous entreprendrez une réforme plus large avec bien moins de dangers, avec bien plus d'expérience et de ressources.»

Si M. de Dombasle était plus hardi pour lui que pour les autres, c'est que pour lui la France était le domaine et sa ferme-modèle le champ d'essai; c'est que le poste qu'il avait choisi était une position d'avant-garde. Pour lui, le danger n'était pas dans son préjudice personnel, mais dans le préjudice public.

Un si grand zèle pour la science à laquelle il ne se dévouait avec tant d'abnégation que parce qu'il la savait intimement liée à la prospérité de la France, touche au sentiment qui animait d'Assas et Beaurepaire, se sacrifiant au salut ou à l'honneur de tous; il faut reconnaître là une véritable grandeur, qui fait de l'existence de M. de Dombasle une des vies les plus recommandables de notre époque, et qui lui assure d'être compté au nombre des plus utiles réformateurs et des plus sincères bienfaiteurs de son pays.


  1. Note 1: Tous les ouvrages de M. de Dombasle se trouvent à la librairie de madame Bouchard-Huzard, à Paris, rue de l'Éperon, 7, notamment: le Calendrier du bon Cultivateur, Théories de la charrue, etc.