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Annales de l'Est (2-2003) Marie-José Laperche-Fournel

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Être intendant en pays de frontière : l'exemple de Jean-Baptiste Desmarets de Vaubourg, intendant de Lorraine et Barrois (1691-1697)


 
 

 
Annales de l'Est - 2003 - numéro 2
Titre
Être intendant en pays de frontière : l'exemple de Jean-Baptiste Desmarets de Vaubourg, intendant de Lorraine et Barrois (1691-1697)
Auteur(s)
Marie-José Laperche-Fournel


Lorsqu'à la fin octobre 1691, le nouvel intendant des pays de Lorraine et Barrois - Jean-Baptiste Desmarets de Vaubourg - arrive à Nancy, un nouveau conflit, depuis trois ans déjà, oppose Louis XIV à l'Europe coalisée. Il s'agit de la guerre de la Ligue d'Augsbourg (1688-1697) pendant laquelle se renforce la militarisation de l'espace lorrain que les Français occupent depuis 1670. Pendant cette guerre, à la différence de la précédente, celle de Hollande (1672-1678), la Lorraine évêchoise et ducale, à l'exception de quelques raids, est épargnée par les combats mais comme l'Alsace, et la Franche-Comté voisine récemment conquise, elle n'est jamais bien éloignée du théâtre des opérations. Nœud stratégique, base d'attaque et de repli, la région connaît d'incessants passages de troupes ; place forte destinée à protéger les frontières, magasin avancé de la monarchie, la généralité en cette fin XVIIe siècle n'est plus qu'une immense garnison et une précieuse base de ravitaillement pour l'Alsace, "balcon du Rhin"[1]. Dans cette province frontière, une nouvelle fois victime de sa position géographique, la gestion se fait sous le sceau de la guerre et, comme en Alsace et en Franche-Comté, la pièce maîtresse du dispositif est l'intendant qui, en plus de ses fonctions traditionnelles de police, justice et finances, doit assumer d'importantes responsabilités militaires dans un contexte spécifique de tensions internationales.

Analyser les pratiques administratives en pays de frontière, les rapports institués dans ce contexte guerrier entre gouvernants et gouvernés, centre et périphérie, en un mot appréhender la réalité vécue de l'intendance, tel est l'objectif. Pour ce faire, inutile en l'occurrence de compter sur les papiers des bureaux de l'intendance: ils sont inexistants avant 1737…[2] car détruits, dispersés ou restés, comme il était d'usage à l'époque, dans les mains des derniers titulaires[3]. On ne trouvera guère à glaner non plus dans le Mémoire concernant l'état des duchés de Lorraine que Desmarets, comme trente de ses confrères, rédige en 1697 pour l'instruction du duc de Bourgogne, héritier du trône[4]. Le ton et le propos, comme ceux de tous rapports administratifs, sont impersonnels et le duc de Beauvillier, initiateur de l'enquête, sollicitant surtout des informations sur les éléments de puissance de la généralité, Desmarets, en administrateur avisé, a soin de dissimuler les charges insupportables de l'occupation et ne dit mot de ses rapports avec ses administrés[5]. En revanche, la correspondance que l'intendant de Lorraine entretient pendant ces six années avec le contrôleur général Louis Phélypeaux de Pontchartrain (1689-1699) et le secrétaire d'État à la guerre Barbézieux (1691-1701) se révèle autrement précieuse. Quelques centaines de lettres au total qui permettent de prendre la mesure des attributions de Desmarets, de reconstituer au jour le jour sa gestion provinciale, de juger sa pratique, d'analyser son discours et d'appréhender grâce aux pièces justificatives jointes à la correspondance (placets, requêtes et mémoires divers), les relations qu'il entretient avec le centre, Versailles, mais aussi avec la périphérie, c'est-à-dire les populations occupées[6].

Si l'historiographie des dernières décennies a définitivement tordu le cou à la légende de l'intendant, machine au service d'un ordre autoritaire imposé à toutes les provinces par la force d'un roi absolu, pour lui substituer l'image d'un agent à la gestion plutôt consensuelle, préférant la négociation au conflit, il faut pourtant admettre, comme François-Xavier Emmanuelli, qu'avec les nécessités de la guerre, l'intendance puisse parfois se transformer en un "organe politique et répressif de combat"[7]. Qu'en est-il en Lorraine pendant la guerre dite de la Ligue d'Augsbourg ?

UNE QUESTION QUI SE FAIT SOUS LE SCEAU DE LA GUERRE

Décrire les attributions d'un intendant de province occupée, base d'opération pour l'armée du Rhin, étudier sa pratique quotidienne, tel est l'axe premier de cette étude. Encore faut-il, en quelques traits, brosser le portrait du principal acteur au cœur même du dispositif.

Jean-Baptiste Desmarets de Vaubourg (1646-1740) est un homme discret, jusqu'alors mal connu quoiqu'issu d'un prestigieux lignage : la tribu des Colbert. Neveu du grand Colbert - sa mère Marie Colbert est la sœur de Jean-Baptiste - il est aussi le frère de Nicolas Desmarets, futur contrôleur général des finances (1708-1715), présentement collaborateur du nouveau contrôleur général Louis Phélypeaux de Pontchartrain[8]. Conseiller au Parlement de Paris en 1678 puis maître des requêtes en 1681, il entame en 1685 une longue carrière d'intendant qui ne s'achèvera qu'à Rouen en 1701. Un record de longévité puisque, cas unique à l'époque, il passe seize ans à la tête des intendances[9]. Successivement nommé en Navarre et Béarn (1685-1687) puis en Auvergne (1687-1691), dans deux généralités secondaires où le pouvoir forme ses administrateurs débutants, il arrive à Nancy fin octobre 1691[10] avec le titre d'"intendant de Lorraine, Barrois et évêché de Toul" en remplacement de Jacques Charuel décédé un mois auparavant. Il y restera un peu plus de six ans, quittant les duchés en février 1698 pour gagner la Franche-Comté voisine (1698-1700). Âgé de quarante-cinq ans, protégé de Pontchartrain[11], c'est un administrateur expérimenté qui arrive à Nancy en 1691. Pourtant, il ne s'agit plus d'administrer un pays d'état comme en Béarn ou un pays d'élection comme en Auvergne mais de gérer une province­ frontière, occupée depuis 1670, base d'opération et de repli pour l'armée du Rhin. Son activité désormais est liée essentiellement à la conjoncture militaire et sa gestion se fait sous le sceau de la guerre.

Certes pendant ces six années, ses activités trahissent toujours la priorité absolue accordée aux questions financières mais avec, comme en Alsace et en Franche-Comté, une amplification des préoccupations militaires[12]. À lui dorénavant de mobiliser l'argent, nerf de la guerre, de mettre à la disposition de l'armée les ressources de la province en veillant au ravitaillement des troupes, en passant les marchés avec les munitionnaires, en organisant les quartiers d'hiver et les étapes, en faisant vivre en bon ordre les garnisons et l'habitant ; à lui de mettre en place un lourd système logistique : la guerre est désormais "réglée" et les réquisitions plus ou moins réglementées ont remplacé les pillages d'antan[13].

Mobiliser l'argent

Le meilleur général de Louis XV, Maurice de Saxe, disait : "Pour faire la guerre il faut trois choses : de l'argent, de l'argent et de l'argent" ; des propos que n'aurait pas désavoués un demi-siècle plus tôt Pontchartrain, protecteur de Desmarets, dont le souci premier, en ces temps difficiles est d'assurer les besoins des armées et de la diplomatie. La guerre représente en effet, après 1670, 70% des dépenses de la monarchie. Le gonflement de la fiscalité royale et sa diversification vont être la rançon des besoins toujours croissants de l'État en guerre[14] et l'intendant, au détriment des trésoriers généraux, acquiert alors un rôle essentiel puisqu'il dirige le recouvrement des contributions, surveille la levée de l'impôt et satisfait du mieux qu'il peut aux exigences du conflit.

Mobiliser l'argent, c'est déjà élargir les bases fiscales du prélèvement en recourant à la fiscalité indirecte qui frappe toute la population et en multipliant les offices vénaux ce qui, d'après Vaubourg, a contribué à avilir la magistrature des villes[15]. Mobiliser l'argent, c'est aussi élargir la base sociale de l'impôt en en créant de nouveaux telle la capitation en 1695 qui, en principe, n'épargne personne puisque selon Saint-Simon "le roi égale tout le monde". À la gabelle, impôt sur le sel qui pèse sur la Lorraine occupée, s'ajoute dès 1684 la subvention, imposition qui remplace l'aide Saint-Rémy levée par les ducs et dont l'intendant, sur arrêt du Conseil, décide la répartition. Il faudrait encore mentionner les étapes, impôt de caractère militaire destiné à subvenir aux besoins des troupes en campagne et en garnison, puis l'imposition des chemins qui, en 1680-1683, s'étend aux terres et villes réunies de Lorraine et Barrois[16] et les appointements des officiers généraux de Lorraine qui, dès 1686, pèsent sur les contribuables du Barrois et des lieux réunis de Lorraine, sans oublier l'ustensile…[17]. Les sommes sont imposées par l'intendant qui envoie ses mandements aux officiers de chaque bailliage, prévôté, office, ville et communauté qui en feront ensuite la répartition. Surtout mobiliser l'argent, c'est pour le pouvoir, qui toujours en manque, demander, par le biais de l'intendant, aux fermiers, traitants et receveurs généraux, parfois les mêmes hommes…, de consentir des avances sur leurs recettes pour satisfaire aux dépenses urgentes telle paiement de la solde. Quand l'argent fait défaut, Desmarets intervient. En janvier 1694, le commis du trésorier général de l'Extraordinaire des guerres n'ayant aucun fonds pour payer la garnison de Nancy, Vaubourg ordonne au sieur de Mouy, l'un des intéressés au traité des taxes des cabaretiers de la ville, de prêter au commis 30 000 livres provenant du recouvrement de ces taxes. Quelques jours plus tard, l'initiative étant désapprouvée par Pontchartrain, Desmarets se défend en invoquant "la seule nécessité pressante du service" et "le mal si pressant qu'il faut suppléer sans attendre la réponse" ; "une autre fois", ajoute-t-il, "je me contenterai de vous donner avis des choses". L'intendant ne doit jamais décider seul et mal lui en prend lorsqu'il tente de dépasser son rôle de simple exécutant… Cependant, quelques mois plus tard, il récidive. Fin juillet 1694, lors du prêt à la garnison de Longwy, le commis est toujours sans argent, Desmarets suggère alors au fermier du magasin à sel de la ville d'avancer 100 écus sur sa caisse[18]. Trouver des fonds n'est pourtant qu'une des multiples tâches du commissaire du roi qui doit aussi mettre à la disposition de l'armée, qui opère non loin de ses frontières, les ressources de la province.

Mettre les ressources de la province à la disposition de l'armée

Selon Richelieu, "il se trouve en histoire beaucoup plus d'armées péries par faute de pain et de police que par l'effet des armées ennemies", et Louis XIV de renchérir : "la nécessité des vivres est la première chose à laquelle un prince doive penser". Avec la solde, les vivres en temps de guerre constituent la principale préoccupation des gouvernements et de son agent local, l'intendant, qui doit connaître l'état des récoltes, veiller aux transports de grains et surveiller les achats massifs opérés par les particuliers et les munitionnaires.

Ainsi chaque printemps, Vaubourg fait la répartition générale des blés qu'envoient au munitionnaire général les prévôtés de son département.

En février-mars 1694, il doit gérer 38 000 sacs dont une bonne partie, par Saverne et Sainte-Marie-aux-Mines, vont gagner les magasins de Saint-Dié et de Sélestat ; le surplus, voituré à Toul, à Nancy et à Pont-à-Mousson, est destiné par le munitionnaire aux magasins de la Moselle dont celui de Tréves; quant aux blés acheminés à Longwy, ils fournissent la garnison de la ville et celle de Luxembourg[19]. L'intendant doit aussi pouvoir faire face aux étapes, aux quartiers d'hiver et à l'approvisionnement des troupes en campagne.

Pendant l'année, la contrée est sillonnée de troupes. Parmi les obligations militaires de Desmarets, figurent donc les étapes qui consistent à fournir en provision les troupes de passage. Dans chaque généralité, l'approvisionnement est confié à un entrepreneur, l'étapier général, qui, après avoir conclu un bail avec la Cour, sous-traite à des fournisseurs dans les lieux d'étape. Comme les fournitures étaient souvent l'occasion de profits illicites[20], l'intendant surveille les activités de l'étapier, s'informe du prix des denrées dans chaque lieu de passage afin que le taux de l'adjudication soit avantageux au roi et fait périodiquement parvenir au Contrôle Général l'état de la fourniture des étapes dans son département[21]. Ces étapes sont souvent prises en charge par les receveurs généraux qui utilisent comme sous-étapiers les receveurs particuliers tels dans la généralité de Metz-Alsace, Louis Chevalier de Saint-Hilaire, receveur général qui, entre 1684 et 1704, fournit dans son département les rations aux hommes, les fourrages aux chevaux et les munitions aux troupes ou ces quatre receveurs de la subvention de Toul et du Barrois que Vaubourg engage, à la fin de l'année 1695, à former une société pour les étapes de l'année suivante[22].

Il faut aussi pourvoir de décembre à la fin avril aux quartiers d'hiver car si la campagne généralement se déroule de mai à novembre, dès l'automne, l'armée reflue sur la Lorraine qui doit alors mobiliser toutes ses ressources pour entretenir les troupes. En lien avec les munitionnaires qui fournissent les vivres, les équipements et les munitions, l'intendant convient des clauses des baux[23], veille à leur exécution et sanctionne d'éventuels manquements. En août 1693, lors de l'adjudication des fourrages aux entrepreneurs pour l'entretien de la cavalerie pendant les quartiers d'hiver, différentes publications de fourrages sont faites par les entrepreneurs éventuels devant Desmarets qui, jugeant la proposition de l'un d'entre eux plus raisonnable, oblige les autres à sous-traiter avec lui[24]. Les munitionnaires, comme les étapiers, passent un traité avec le roi d'où l'appellation de "traitant" qu'on leur donne parfois.</ref>. Le commissaire du roi peut aussi suggérer au ministre de modifier ses plans de cantonnement afin de diriger l'armée en quartiers d'hiver vers les cantons les moins chargés de troupes ou les plus riches telles les prairies réputées de la Meuse, des deux Nied ou du Sanon "fort étendues" et "abondantes en foin"[25]. Enfin l'intendant a le pouvoir de faire des ordonnances pour réquisitionner le bétail ou obliger les populations à livrer leurs blés et leurs avoines. C'est ainsi qu'à la fin de l'année 1692, Vaubourg, par ordonnance, contraint les habitants des prévôtés de Longwy, Longuyon, et autres voisines de porter leurs blés au marché de Longwy avec défense expresse d'en vendre à d'autres qu'aux commis du munitionnaire, aux étapiers et autres fournisseurs du roi. Un procédé expéditif sans doute mais justifié par la situation de la ville où stationnent, à cette époque, les cadets du Roi, les cavaliers du régiment de Poinsegut et la garnison qui n'est pas toujours la moins gourmande en blé, bétail, fourrages et fournitures diverses…[26].

Il faut encore mobiliser les ressources pour approvisionner les troupes en campagne. Au printemps 1692, le roi fait le siège de Namur et les intendants de Lorraine et des Trois-Évêchés sont fortement sollicités. Le 20 juin 1692, Barbézieux, secrétaire d'État à la guerre, adresse une lettre à Desmarets, depuis le camp de Namur, l'invitant en collaboration avec Sève, l'intendant des Trois-Évêchés, à faire voiturer à Mézières le plus promptement possible 9000 setiers d'avoine et 6000 de farine actuellement entreposés à Verdun et Tilly-sur-Meuse ; un voiturage qui nécessite la fourniture de chariots et de 8000 sacs. Cinq jours plus tard Vaubourg répercute les ordres et ordonne au prévôt de Longwy de réquisitionner dans les villages de sa prévôté 150 chariots attelés chacun de six chevaux qu'on acheminera par Verdun à Mézières[27]. En 1693 avec la prise d'Heidelberg (21 mai), de Huy (24 juillet) et de Charleroi (11 octobre) par les armées du Roi, les demandes se font encore plus pressantes[28]. Dans le seul mois de juin 1693, pour la subsistance de l'armée du Roi commandée par le Dauphin, l'intendant de Lorraine donne ordre au prévôt de Longwy de faire acheminer à Vianden, comté de Chiny, 30 000 rations de pain de munition sur 45 chariots et de réquisitionner dans les prévôtés d'Arrancy, Longuyon, Sancy et Norroy-le-Sec 104 vaches grasses à destination de Trèves[29].

Le problème des subsistances ou l'art de conjuguer des nécessités contradictoires

Pour l'intendant en pays de frontière, ravitailler l'armée est une tâche essentielle mais malaisée ; il lui faut concilier l'inconciliable, c'est-à-dire ravitailler la troupe mais aussi approvisionner les villes, donc maintenir à un prix abordable les denrées nécessaires aux peuples ; mais les munitionnaires, par l'enlèvement considérable des blés qu'ils font dans la province, font enchérir les prix…

Sur ces munitionnaires, les commissaires du Roi ont peu de prise car, figurant parmi les gros manieurs d'argent du pays, ils ont de grandes recommandations à la cour. Tel Jacquier, d'origine champenoise, commissaire des discours général des vivres en Alsace et aux armées d'Allemagne, dont le père était l'un des plus importants financiers du règne de Louis XIV[30]. Ou les receveurs généraux de la généralité de Metz-Alsace, très impliqués dans les traités et fournitures aux armées : ainsi les Chevalier, dynastie champenoise comme les Jacquier, dont l'aîné Jacques est un protégé de Colbert, ou bien encore les Goujon, dont l'aîné Jean a pour beau-frère Isaac-Nicolas de Lussé, un parent de Colbert et de Nicolas Desmarets, frère de l'intendant de Lorraine…[31]. Toujours à court d'argent, le pouvoir dans la dépendance des financiers protège ses bailleurs de fonds à qui l'intendant doit surtout faciliter la tâche. Louis Phélypeaux de Pontchartrain ne craint pas de le leur rappeler : "il faut que ces sortes d'entrepreneurs et tous ceux qui sont chargés de quelques affaires pour le Roi", écrit-il en 1697, "trouvent toujours en vous du secours et de la protection en faveur du service de S.M., surtout quand elle y trouve quelqu'avantage"[32]. Aussi Vaubourg, bien qu'il bénéficie lui-même de solides appuis à la Cour, assure à plusieurs reprises le Contrôleur général qu'il donnera "toute facilité au traitant", "tous les secours dont il aura besoin…"[33].

N'est-ce pas l'illustration, sur ces marges frontières, de la position délicate, voire difficile, de l'intendant qui, à son corps défendant, doit souvent sacrifier l'intérêt des peuples aux nécessités de la guerre ? N'est-ce pas l'illustration aussi de l'affrontement de deux logiques incompatibles ?

L'IMPACT DE LA GUERRE SUR LA PROVINCE : DES DISCOURS CONTRADICTOIRES

La correspondance de Desmarets, le mémoire qu'il rédige en 1697 pour l'instruction du duc de Bourgogne, les requêtes et les placets adressés par les communautés et les divers corps au Contrôle général, sont autant de discours divergents, voire contradictoires. L'intendant et les peuples qu'il administre ne portent pas le même regard sur l'occupation française et l'impact sur la province de l'économie de guerre : ce qui paraît bienfait pour l'un n'est, pour les autres, qu'exploitation.

La vision de l'intendant : les ressources locales dynamisées par la guerre

Pour Desmarets, la présence des troupes en Lorraine est un stimulant économique. Dans le mémoire qu'il rédige en 1697 et dans sa correspondance, il souligne à plusieurs reprises les effets bénéfiques de l'occupation française et ses retombées économiques non négligeables sur la province. D'après lui, le pays ne subsiste qu'à condition de vendre ses blés aux armées. En 1697, il constate que les commerces de la province "ne sont pas considérables", "à moins", ajoute­-t-il, "que le roi ne tienne des troupes en Lorraine ou que les munitionnaires de ses armées n'achètent" sinon "elle n'a nul débit des bleds dont elle abonde". Des propos qu'il avait déjà développés deux ans auparavant dans une lettre à Pontchartrain : "les achats des munitionnaires", écrit-il le 6 août 1695, "maintiennent les prix assez hauts pour que le laboureur put vivre et payer ses charges"[34]. Selon lui, si la Lorraine s'est rétablie sous la domination française, c'est parce que le Roi dépense beaucoup dans le pays pour la subsistance des troupes, pendant les quartiers d'hiver, et pour les vivres de ses armées, pendant les campagnes[35]. Aux dires de l'intendant, la Lorraine, pays pauvre et dépeuplé après la saignée de la guerre de Trente Ans, aurait trouvé dans la troupe et ses dépenses locales une prospérité relative et la guerre, loin d'être une activité stérile, se traduirait par des retombées économiques positives. Certes l'optimisme général du ton pourrait n'être qu'allégeance au pouvoir, de la part d'un serviteur zélé, mais il peut être aussi induit par les instructions de Beauvillier, le promoteur de l'enquête de 1697 qui, auprès des intendants, sollicitait surtout des informations sur les éléments de puissance de leur généralité ; il correspond aussi à une réalité : la guerre est à vrai dire un stimulant économique.

Le ravitaillement des troupes dynamise incontestablement le marché agricole d'autant plus que, presque déserte[36], la contrée dispose à l'époque d'importants excédents d'origine primaire. Selon Desmarets, en 1697, "La Lorraine produit trois fois plus de bled que les habitants ne peuvent en consommer" ; le Roi et ses munitionnaires, pour les armées d'Allemagne, peuvent donc puiser largement dans les riches réserves du Vermois, du Xaintois, de la Lorraine allemande et de la Woëvre. La région abonde aussi en foins qui servent à la subsistance des armées en été et de la cavalerie en hiver ; ceux des prairies des deux Nied et du Sanon assurent les fournitures de Metz[37]. D'ailleurs, au printemps 1692, la province se réjouit de la conquête de Namur qui lui offre, comme aux pays riverains de la Meuse, un nouveau débouché en Hollande : celle­-ci préfère les grains lorrains à ceux ordinairement tirés du Danemark et de Pologne[38]. Quant à l'eau-de-vie de marc de raisin, provenant des vignobles lorrains et barrois, elle fournit les vivandiers des armées et places d'Allemagne et les entrepreneurs des hôpitaux d'Alsace, du Palatinat et des électorats de Trèves et de Mayence[39]. Le département de Desmarets assure aussi une partie des fournitures de la marine car, depuis Colbert, la préférence nationale l'emporte sur les marchés nordiques et les provinces de l'Est boisées et riches en fer ravitaillent par la Moselle, l'Ornain, la Marne et la Seine, les arsenaux du Ponant (Le Havre, Dunkerque) et, par la Saône, ceux du Levant. Le Roi, pour ses vaisseaux de guerre, apprécie à l'époque les grands sapins des Vosges qui lui donnent des mâts[40]. Les Lorrains excellent également dans les fonderies de canons et plusieurs natifs du pays travaillent dans les arsenaux du roi. Enfin, la contrée fabrique, en quantité, les toiles de ménage dont on fait les sacs contenant les grains et les farines à destination de la troupe et les matelas et paillasses pour les garnisons et les hôpitaux militaires[41].

Au total, si l'activité économique en Lorraine reste médiocre, la présence des garnisons, le ravitaillement des troupes créent incontestablement des besoins en fournitures et jouent le rôle de stimulant économique. Pourtant, revers de la médaille dont Vaubourg ne dit mot, la guerre, plus que les peuples encore, enrichit les publicains, financiers de tous horizons, fermiers, traitants, officiers de finance, tous partenaires obligés de l'État. Avec la guerre en toile de fonds, les affaires extraordinaires, les traités, les fournitures aux armées sont autant d'occasions pour un petit nombre d'affairistes de s'enrichir. Parmi eux, les receveurs généraux de la généralité de Metz-Alsace : Jean Goujon et Louis Chevalier de Saint-Hilaire qui, pendant la guerre de la Ligue d'Augsbourg, participent aux affaires extraordinaires et à de nombreux traités d'étape, comme l'avait fait, avant eux, pendant la guerre de Hollande (1672-1678), Jacques Chevalier du Boschet, le frère aîné de Louis. À sa mort, en 1715, la fortune de ce dernier s'élève à 2.264.150 livres égalant celle des plus hauts administrateurs du Royaume. Pourtant, il s'agit d'hommes étrangers à la province, angevins comme les Goujon, champenois comme les Chevalier ou les Jacquier qui, liés à la finance régnicole, tournent surtout leurs regards vers Paris et ne s'intègrent guère à la province[42].

La vision des peuples : un régime d'exploitation méthodique qui pèse lourdement sur les populations

La guerre, stimulant économique, a pourtant des contreparties dommageables pour les peuples et de très lourdes charges pèsent, à l'époque, sur la population lorraine.

L'exemple de la prévôté de Longwy, au printemps 1693, donne à lui seul la mesure du fardeau : à peine a-t-elle, en mai, convoyé vers Verdun 98 chariots chargés chacun de 2000 livres de farine qu'elle doit, le mois suivant, transporter à Vianden, dans le comté de Chiny, 30 000 rations de pain de munition pour ravitailler l'armée du Roi, sans compter la fourniture d'avoine pour les cavaliers du régiment du marquis d'Harcourt, et une nouvelle réquisition de charrettes pour transporter les équipages des officiers de troupe passant par la ville basse de Longwy. Ajoutons la centaine de vaches acheminées, au même moment, vers Trèves où stationne l'armée du Roi que commande le Dauphin ; des livraisons qui s'ajoutent aux habituelles fournitures de bois et de chandelles pour le corps de garde de la ville et les officiers de l'État-Major, à la levée de la milice, à l'enlèvement des fumiers et immondices qui sont à la charge des paysans de la ville…[43]. Si pénible soit-elle pour les populations, cette situation n'a rien d'exceptionnel et d'autres lieux, au fil de la correspondance, apparaissent particulièrement affectés par le passage ou le stationnement des troupes : Toul qui, en 1692, voit passer 26 compagnies de cavalerie, 2 bataillons d'infanterie, 6 compagnies et l'État-major d'un régiment de dragons ; la Sarre où, entre 1688 et 1697, ont séjourné 744 compagnies en quartiers d'hiver et 234 en quartiers d'été, ou encore Lunéville, passage continuel de toutes les troupes qui vont en Allemagne et qui en viennent, où stationnent, en mai 1693, 51 compagnies de cavalerie et de dragons et un bataillon d'infanterie[44]. Nancy, l'ex-capitale des duchés, n'est pas logée à meilleure enseigne puisqu'en février 1698, quand Carlinford et Le Bègue viennent prendre possession des duchés, la ville abrite toujours 13 bataillons d'infanterie, 3 régiments de cavalerie et quelques compagnies franches chargées de démolir les fortifications des villes Vieille et Neuve[45].

En réalité, aucune communauté de Lorraine et Barrois n'est vraiment épargnée, et contre ces charges jugées insupportables, des plaintes nombreuses s'élèvent qui toutes désignent comme causes de leurs malheurs : le logement des gens de guerre, l'enlèvement des grains qui fait hausser les prix et la lourdeur des impositions.

En 1694, année de crise, les placets affluent qui protestent contre une charge impopulaire mal supportée par les particuliers : le logement des gens de guerre. Comme les habitants de Bar-le-Duc, ceux de Pont-à-Mousson, en novembre 1694, se disent accablés par la présence dans leurs murs des gardes du Roi d'Angleterre et du régiment de cavalerie de la Reine en garnison dans la ville. En cette "année malheureuse", même les paysans du hameau d'Aboncourt dans la prévôté d'Amance s'en prennent aux plus riches d'entre eux qui se pourvoient d'un office pour être exemptés de logement, tel François Mathieu, contrôleur des exploits, mais… illettré[46]. Certes les syndics, pour alléger la charge de leurs administrés, avaient trouvé quelques parades en disséminant les soldats dans un grand nombre de maisons ; mais ce procédé, selon les officiers, empêche de surveiller les hommes et favorise les désertions. Aussi Barbézieux, attentif à leurs protestations, ressuscite-t-il, en 1692, une ancienne ordonnance qui préconise de loger au moins dix soldats dans chaque foyer[47]. La soldatesque est souvent remuante et indisciplinée : que la solde tarde et les exactions se multiplient, comme à Nancy en 1693, où les 5000 hommes en garnison dans la ville "faute de recevoir leurs payes volaient communément tous les jours dans les maisons, forçant ceux qui sortaient les soirs à donner la bourse"[48]. C'est pourquoi la troupe n'a pas bonne réputation auprès des peuples mais également auprès de l'intendant. Qu'en décembre 1696, 26.258 livres soient dérobées dans les caisses du receveur de la subvention à Toul, aussitôt les soupçons de Desmarets se portent sur les soldats du régiment d'infanterie de Noailles en garnison dans la ville, "rempli", selon lui, "de voleurs et de plusieurs filous de Paris"[49]. Abus et exactions sont aussi malheureusement le fait des officiers, tels ces capitaines de cavalerie et de dragons qui, parmi les chevaux de recrues à qui l'on fournit le fourrage, présentent des chevaux de leurs équipages…[50].

Outre les méfaits de la soldatesque, les populations déplorent également la lourdeur des impositions[51] tel, dans son "Journal", Claude-Joseph Baudouin, bourgeois de Nancy : "En l'année 1697 ", écrit-il, "les impôts, taxes extraordinaires ont continué avec plus de violence que jamais dans la nécessité pressante du roi de France Louis XIV au sujet de la guerre ; avec quantité de personnes arrêtées, de prisonniers n'ayant de quoi satisfaire à ces monopoles ; les gens de qualité étant taxés pour leurs armoieries"[52]. Un gonflement de la fiscalité qu'admet volontiers Desmarets de Vaubourg puisque, dans l'enquête réalisée la même année, il reconnaît que "les Lorrains peu chargés d'impositions pendant que leurs princes les ont gouvernés […], en sont beaucoup plus chargés sous la domination du Roi" ; il estime que "le Roi tire à présent plus du double" de ce que tirait en 1669 le duc de Lorraine[53]. Toutefois la cascade de prélèvements qui s'abat sur les duchés n'a droit dans son rapport qu'à une mention lapidaire[54]. Pour l'intendant et les peuples qu'il administre, il est d'autres sujets plus obsédants encore, comme l'enlèvement des blés et des avoines qui crée dans les pays frontières une disette chronique et l'enchérissement brutal des denrées[55] : qu'il s'agisse des céréales que transportent à Liège, en 1692, les commandants des postes situés sur la Semoy, des avoines enlevées, en 1693, pour fournir les places de la basse Meuse, de Dinant, Charlemont et Namur, ou des blés de Lorraine et de Barrois que les marchands de Champagne viennent prendre en 1697 ; la liste est longue…[56]. Qu'en 1692-1693, une série de mauvaises récoltes s'ajoutent à l'accaparement des blés qu'encourage la guerre et c'est la crise générale qui sévit dans les années 1693-1694 avec une misère d'autant plus grande que les multiples levées faites les années précédentes pour la subsistance des armées ont vidé les greniers. En 1694, le résal de blé qui, d'ordinaire, se vendait à 8 ou 10 francs, atteint 80 francs pourtant c'est le moment où les villages de Lorraine, sans grain, doivent fournir des blés au magasin d'Alsace… La misère est à son comble et l'argent se fait rare. À Nancy, le trésorier, n'ayant aucun argent en caisse pour payer les 5000 hommes de la garnison, leur donne comme monnaie des billets portant promesse, un jour…, de payer deux ou trois écus, et l'on voit réapparaître des scènes dignes de la guerre de Trente Ans, tels ces "populations ne vivant plus que d'herbes, d'un peu de son jeté dans l'eau […] ou de la charogne d'animaux morts arrachée à l'écorcheur", ou ces "gens fort maigres et fort hâves n'ayant qu'un reste de vie" pour se traîner aux portes de la ville et demander l'aumône[57].

Si dommageable soit-elle pour les peuples, la guerre et la situation de province-frontière représentent aussi, si l'on en croit Desmarets, une lourde charge personnelle. La correspondance illustre de façon concrète les difficultés que rencontre en ce domaine l'administrateur provincial. Faute d'argent, il doit souvent contribuer de ses deniers pour faire face aux dépenses de sa charge. En pays de frontière le service du roi est onéreux et Vaubourg, en juillet 1692, se plaint à Pontchartrain que ses "appointements ne sont guère proportionnés à la dépense qu'on est obligé de faire en ce pays-ci pendant la guerre" ; quelques mois plus tard, en septembre, il revient à la charge : "Je puis dire que pendant la guerre les appointements du roi joints à un revenu comme le mien ne sont pas à beaucoup près suffisants" car, explique-t-il, "tous les intendants de frontière ont des suppléments considérables"[58]. La lassitude du ton, perceptible au fil de la correspondance, répond souvent à l'exaspération des populations et fait pressentir des relations parfois difficiles entre le commissaire du roi et les peuples qu'il gouverne.

DES RAPPORTS PARFOIS TENDUS ENTRE GOUVERNANTS ET GOUVERNÉS

Pour le comte d'Haussonville, historien lorrain du XIXe siècle, Vaubourg est celui qui "avait pour instruction de tenir sérieusement la main à la levée des impositions et de prendre grand soin que les garnisons françaises ne manquassent jamais de rien"[59]. Vision classique de l'intendant, agent du pouvoir central, porte-parole du Conseil, surtout chargé d'imposer aux sujets lorrains et barrois la loi de l'occupant. Vision réductrice sans doute car l'intendant est parfois un arbitre à l'écoute des peuples.

L'intendant : un arbitre à l'écoute des peuples

À la Cour, Desmarets est réputé homme de grand mérite : "honnête homme et d'un esprit doux", selon le marquis de Sourches, "d'une vertu, d'une probité et d'une piété rare dans tous ses emplois" d'après Saint-Simon qu'on connaît d'ordinaire plus avare d'éloges[60]. Sur le terrain, il œuvre au soulagement des peuples comme au plus fort de la crise, en avril-mai 1694, où, agissant de concert avec l'évêque de Toul, il garantit la subsistance des pauvres[61]. Quotidiennement, il assure la police des troupes et s'efforce de faire vivre en bonne intelligence l'armée et les civils. Qu'en mai 1695, quatre ouvriers travaillant aux salines de Dieuze soient littéralement enlevés par le seigneur de Vitrimont, cornette au régiment de cavalerie de Bourbon, aussitôt l'intendant dénonce ce "prétendu enrôlement" et réprime sévèrement les violences perpétrées sur les civils pour lever les recrues. Lorsqu'à la fin décembre 1692, à la demande de Barbézieux, il fait planter, aux entrées et carrefours des chemins, des poteaux indiquant le noms des routes, c'est pour dispenser les communautés accablées de fournir des guides aux troupes[62]. Quant au logement des gens de guerre, il s'efforce d'en répartir le plus équitablement possible la charge, au grand dam des riches bourgeois, fermiers des domaines et officiers divers qui, comme les contrôleurs, directeurs et commis des postes, prétendent à exemption[63]. En dépit des placets, adressés par ces derniers au contrôleur général, et de pressions multiples, Desmarets ne fléchit pas car "ces sortes d'exemptions indûment multipliées sont fort à charge aux sujets du Roi" écrit-il à Pontchartrain en avril 1692 ; une attitude qu'il défend toujours, un an plus tard, puisqu'il affirme au contrôleur Général "qu'il n'est pas possible que les exempts puissent se dispenser de prendre quelque part au fardeau". Le temps n'est plus au compromis et Vaubourg s'y montre désormais peu disposé, refusant, à l'inverse de ses prédecesseurs, de ménager les gens influents de la province[64]. Desmarets qui, pendant la paix, en Béarn et en Auvergne, se voulait avant tout gestionnaire, soucieux de développement économique et à l'écoute des peuples[65], en Lorraine, avec la guerre, devient de plus en plus le porte-parole du Conseil avec pour principal objectif de faire rentrer coûte-que-coûte l'argent dans les caisses de l'État. L'urgence de la situation pousse à la recherche de l'efficacité, et la négociation, parfois, cède la place à la répression, afin de satisfaire au mieux aux exigences du conflit.

L'intendant : porte-parole du Conseil

Rien en temps de guerre ne doit être préjudiciable au service de Sa Majesté, comme le rappellent régulièrement Barbézieux et Pontchartrain dans leur correspondance. En août 1694, le commis de l'Extraordinaire des guerres étant, une fois de plus, sans argent, le gouverneur de Longwy envoie six soldats de la garnison dans le magasin à sel des fermiers de Lorraine pour y faire prendre, de force, les deniers de leur caisse, afin de payer la troupe ; Desmarets, pour la forme, condamne cette méthode expéditive, mais désavoue surtout le fermier récalcitrant qui, spontanément, aurait dû, selon lui, prêter les cent écus. Quoique d'une probité exemplaire louée par tous, le commissaire du Roi couvre parfois des agissements douteux dans les places de guerre. Ainsi, en février 1697, en dépit des protestations du maire et des échevins de Phalsbourg, il ferme les yeux sur le droit que lève abusivement sur les cabaretiers de la ville Tilly, major et commandant de la place, puisqu'il n'a, selon l'intendant, "que de très petits appointements" et que "cela se pratique en plusieurs places de guerre"[66].

Nécessité faisant loi, Desmarets de Vaubourg, sourd à leurs doléances, livre, à plusieurs reprises, les communautés de Lorraine et Barrois à leurs créanciers. Pourtant ces dernières étaient si endettées que le pouvoir royal lui-même avait accordé, par ordonnance, le 30 novembre 1688, un nouveau délai pour le remboursement des créances et tenait les créanciers en suspens, avec interdiction pour eux d'exercer des poursuites contre 1es communautés débitrices[67]. Dés son arrivée dans la région, l'intendant fait fi des surséances accordées pour le paiement des dettes ; en mars 1692, il se montre favorable à la demande de Bruley, lieutenant-colonel du régiment de Magnac, qui, venant d'essuyer des pertes considérables en chevaux et en équipages, souhaite le remboursement de ses créances. Habilement, "sans révoquer ouvertement la surséance", Desmarets promet de faire entendre aux maires et habitants qu'ils "aient à le payer en tout ou en partie selon leur force". L'année suivante, il en prend à nouveau à son aise avec la surséance générale ; jugeant qu'elle est ici "moins nécessaire que dans les provinces de l'ancien royaume", il approuve la requête de Villandry, lieutenant-colonel du régiment de Puyguion, qui exige le paiement des créances qu'il avait sur quelques villages du comté de Ligny[68].

S'il faut faire payer les communautés, il faut aussi faire rendre gorge à ceux qui s'aviseraient de détourner les deniers de l'État, tel ce collecteur qui, en décembre 1696, dérobe dans la recette de la subvention de Toul la somme considérable de 26.258 livres. L'affaire faisant grand bruit, l'intendant obtient de la juger en dernier ressort, et réserve au coupable un châtiment exemplaire : condamné au dernier supplice, Claude-Joseph Vairon, maréchal-ferrant de Roville et collecteur occasionnel est, par sentence du 23 mars 1697, condamné à être rompu vif c'est-à-dire à "avoir les bras, cuisses et jambes brisées sur une roue à Toul après qu'il aura été étranglé préalablement et ensuite son corps […] exposé sur une roue sur le chemin de Vézelise"[69]

La réduction des peuples à l'obéissance

Ce châtiment exemplaire n'est qu'une des manifestations de la loi de l'occupant ; une loi de moins en moins supportée par les populations, plus le conflit s'éternise et plus la perspective de la paix et du retour du duc se précisent. Les peuples passent alors progressivement de la désobéissance passive à l'émotion, voire à la rébellion, et l'intendant, de la négociation à la répression.

Face à l'occupant et à ses exigences démultipliées, la résistance est souvent passive et prend plusieurs visages. Ainsi, sachant que 1'entrepreneur des poudres, pour trouver du salpêtre, fait faire des recherches dans les étables, granges et autres bâtiments où la terre en produit assez abondamment, les propriétaires des maisons afin d'entraver le travail des salpêtriers font paver les lieux où ils croient qu'on en pourrait trouver. Autre exemple, quand le pouvoir français fait réquisitionner, à Longwy, des chariots pour transporter les équipages des officiers, les paysans, dans l'espoir d'échapper à la réquisition, se cachent aux abords de la ville ou ne viennent pas aux heures indiquées, ce qui retarde immanquablement le départ des troupes. Les populations excédées franchissent d'ailleurs souvent un seuil supplémentaire dans la désobéissance et passent parfois, comme le pays de Longwy, à la révolte ouverte ; celui-ci, en février 1697, est depuis plus d'un an dans un tel état d'excitation séditieuse que, pour le punir, Barbézieux donne ordre de loger dans tous les villages des troupes en quartiers d'hiver et fait emprisonner le maire de Beuveille que les villes mutinées avaient eu le front d'envoyer en députation à la Cour ! En l'affaire, Desmarets est aussi partisan de la manière forte, proposant de châtier, par la même occasion, les calomniateurs du prévôt de Longwy, d'après lui, "l'un des meilleurs sujets qui soit en ce pays" quoiqu'accusé par vingt-quatre communautés de son ressort de multiplier indûment les violences et les exactions. En octobre 1697, la tension monte encore d'un cran. Tandis qu'on signe les traités de Ryswick, la populace, ameutée par l'enlèvement des grains par des marchands de Champagne, s'attroupe à Bar-le-Duc et à Nancy et se livre à quelques désordres. Face à ces menées séditieuses, Vaubourg, pour apaiser le tumulte, n'aura qu'une réponse : l'envoi, à Nancy, des officiers de la garnison, et à Bar-le-Duc, des officiers de police…[70]. Désormais la violence instrumentalisée de l'État, violence légale, a quelques décennies plus tôt, est devenue le symbole de cette discipline nouvelle.

À la fin du XVIIe siècle, l'intendance, bien rodée en France, se colore ici de nuances spéciales : il s'agit d'un pays conquis, d'un pays frontière qui doit faire vivre l'armée du Roi. Dire que l'intendance y est devenue un "organe répressif de combat" selon l'expression utilisée par François-Xavier Emmanuelli serait exagéré, comme à l'inverse, il serait mensonger de prétendre qu'ici, en Lorraine et Barrois, comme l'avance Joël Cornette, pour les provinces de l'intérieur, l'obéissance des peuples est "paisible" et "consentie"[71]. Avec le déclenchement de la guerre de la Ligue d'Augsbourg, les famines et mauvaises récoltes qui mettent en péril les rentrées d'argent et la soumission des peuples, l'intendant est moins enclin au dialogue et à l'indulgence ; il sait, d'autre part, qu'à la différence de l'Alsace ou de la Franche-Comté voisines, la France va abandonner la contrée, d'où son moindre souci du ralliement des peuples. Ceux­-ci d'ailleurs ne peuvent cacher leur joie en février 1698 quand Carlinford et Le Bègue arrivent à Nancy pour prendre, au nom du duc, possession des duchés ou, durant l'été, quand Léopold effectue sa rentrée dans sa capitale[72]. En février 1698, Desmarets, lui-même, ne fut sans doute pas fâché de quitter la Lorraine. Il n'est qu'à regarder, au terme de six années d'intendance, le jugement sans aménité qu'il porte sur ses peuples "communément grossiers du moins le menu peuple", "des peuples si fort attachés à leurs anciens usages […] qu'on a peine à les changer même en bien"[73]. Cruel constat d'échec pour l'homme du roi puisqu'en dépit de la politique de francisation, les charges de la guerre n'ont pas contribué, loin de là, à rendre la province française de cœur…


Notes

  1. Guy Cabourdin, Histoire de la Lorraine, PUN, Serpenoise, 1991, t.2, p.51-52,62,73 et Michel Parisse (dir.), Histoire de la Lorraine, Privat, 1977, p.315-320. En 1698, lorsque Léopold retrouve ses états, 20.000 soldats stationnent toujours en Lorraine.
  2. À propos de la série C aux Archives départementales de Meurthe-et-Moselle voir Hubert Collin, Guide des archives de Meurthe-et-Moselle, Nancy 1984, p.114-115. Ajoutons qu'en Lorraine, l'intendance ne durait au XVIIe siècle que le temps d'une occupation et que, la plupart du temps, Lorraine et Barrois étaient dans le département des intendants des Trois-Évêchés.
  3. Arthur-Michel de Boislisle, Correspondance des contrôleurs généraux avec les intendants des provinces, t.1, 1874, avant-propos, p.XV-XVI. Les intendants considérant les dossiers comme leur propriété personnelle les conservaient chez eux et refusaient de les céder à leurs successeurs.
  4. Comme dans la plupart des cas, l'original n'a pas été retrouvé ; on possède, en revanche, une quarantaine de copies de ce mémoire dispersées dans différents fonds français dont cinq à la bibliothèque municipale de Nancy (B.M. Nancy ms 783 (ll0) ; 732 (730) ; 1720 (1037) ; 1345 ; 2166 (1221)) et trois aux archives départementales de Meurthe-et-Moselle (A.D.M.M. ms 1, 2 et 3 de la bibliothèque de la Société d'Archéologie Lorraine). Le manuscrit 2166 (1221) de la B.M. de Nancy est le plus proche de l'original.
  5. Géographie physique et humaine de la province, les mémoires doivent surtout permettre à l'héritier du trône, le duc de Bourgogne, de prendre connaissance du "dedans du Royaume". Cf. Edmond Esmonin, "Les mémoires des intendants pour l'instruction du duc de Bourgogne", Bulletin de la Société d'Histoire Moderne, janv.1956, p.12-21.
  6. La correspondance que Vaubourg entretient avec le contrôleur général, soit 112 lettres, se trouve aux Archives Nationales (A.N.) dans la série G : administration financière, sous­ série G7 contrôle général des finances ; quant à sa correspondance avec le secrétaire d'état à la guerre, elle se trouve au château de Vincennes, Service Historique de l'Armée de Terre (S.H.A.T.), sous-série A1. Certes ces missives sont d'un intérêt variable car les situations conflictuelles forment la trame de la correspondance administrative mais conflits et tensions ne sont-ils pas de puissants révélateurs de l'état d'esprit des populations ?
  7. François-Xavier Emmanuelli, Un mythe de l'absolutisme bourbonnien : l'intendance du milieu du XVIIe siècle à la fin du XVIIIe siècle (France, Espagne, Amérique), Aix­-en-Provence, 1981, p.175.
  8. Jean-Louis Bourgeon, Les Colbert avant Colbert, Paris, P.U.F., 1973, p.147-190 et 223-226. Un nouveau Colbert, Actes du colloque pour le tricentenaire de la mort de Colbert, 4-6 octobre 1983 sous la dir. de Roland Mousnier, Sedes, 1985, p.90-97; Françoise Bayard, Joël Félix, Philippe Hamon,Dictionnaire des Surintendants et des Contrôleurs Généraux des Finances, Paris, 2000, p.108-109 : Nicolas Desmarets. Roman d'Amat (dir.), Dictionnaire de biographie, Paris, 1962, t.10, p.1445-1447 et 1451 : Nicolas et Jean­-Baptiste Desmarets.
  9. Anette Smedley-weill, Les intendants de Louis XIV, Paris, Fayard, 1995, p.45 et p.69 et 83 : seuls 3% des intendants de Louis XIV prendront en charge, comme Desmarets, cinq intendances successives.
  10. Il annonce son arrivée en Lorraine dans une lettre adressée à Barbézieux datée du 31 octobre 1691, S.H.A.T. Vincennes A1 1071 1 145.
  11. A.N. G7 415-416195, 97, 177.
  12. Georges Livet, L'intendance d'Alsace (1634-1715), Strasbourg, 2ème éd. 1991 ; Colette Brossault, Les intendants de Franche-Comté (1674-1790), Paris, 1999.
  13. François Bluche, Dictionnaire du Grand Siècle, Fayard, 1990, art. "administration militaire", p.44.
  14. Françoise Bayard, Joël Félix, Philippe Hamon, Dictionnaire…, op. cit., p.100-101 : Louis Phélypeaux de Pontchartrain.
  15. B.M. Nancy ms 2166 (1221) : Mémoire concernant les états de Lorraine, p.84, "la magistrature des villes est fort avilie par le grand nombre de petits officiers qu'on a créés depuis le commencement de la guerre présente". Cf. aussi René Tavenaux (dir.), Histoire de Nancy, Privat, 1978, p.187.
  16. Marie-Odile Piquet-Marchal, La chambre de réunion de Metz, P.U.F, 1969, p.171-174. Ils agit des reumons prononcees par la chambre royale de Metz entre le 12 avril 1680 et le 10 septembre 1683 ; ce dernier arrêt concerne toute la Lorraine rattachée au royaume de France.
  17. Gaston Zeller, Les charges de la Lorraine pendant la guerre de Hollande, Mémoire de la Société d'archéologie Lorraine, 1911, p.28-30 : initialement l'ustensile consistait en un ensemble de fournitures en nature dues à la troupe par les gens qui la logent mais à partir de 1675 un nouveau régime prévaut pour l'organisation des quartiers d'hiver : la fourniture par la province d'une somme fixe en argent (ordonnance du 10 octobre 1675). Voir aussi : Pierre Brasme, "L'impôt dans la généralité de Metz-Alsace (1664-1698)",Les Cahiers Lorrains, oct.1992, 3-4, p.265-273. A.N. G7 415-416 1270 : énumération par les Lunévillois des multiples impôts qui pèsent sur eux en avril 1695. S.H.A.T. Vincennes A1 1071, 1147, 15, 193 : l'ustensile, nov. et déc. 1691 ; A1 1157 1 207, 215 : l'ustensile et l'imposition d'avoine, nov. 1692
  18. A.N. G7 415-416 1 182 et 184 : Lettres des 5 et 14 janvier 1694 et G7 415- 416/ 233 : Lettre du 19 août 1694.
  19. S.H.A.T Vincennes A1 1284 /109 et 170 : Lettres des 18 février et 18 mars 1694.
  20. A.N : G7.415-416/102 : Lettre du 4 nov. 1692. Réponse de Vaubourg à Pontchartrain qui vient de lui signaler l'abus suivant : les sous-étapiers tirent des denrées des pays appartenant aux cinq grosses Fermes sans payer de droit de sortie et inversement y font entrer des denrées avec franchise.
  21. AN G7 415-416 1 69 : Lettre du 28 juin 1692 avec envoi de l'état de la fourniture des étapes dans le ressort de Desmarets de Vaubourg pour octobre, novembre et décembre 1691 et Arthur-Michel de Boislisle, op. cit., t.1, n°1102 : Lettre du contrôleur général aux intendants sur l'adjudication des étapes, 6 août 1692.
  22. Mari-José Laperche-Fournel,Les Chevaliers, receveurs dans la généralité de Metz-Alsace (1661-1723) : Trajectoires sociales, stratégies et réseaux, art. à paraître A.N. G7 415-416/282 : Lettre de Desmarets de Vaubourg 1695.
  23. Les munitionnaires, comme les étapiers, passent un traité avec le roi d'où l'appellation de "traitant" qu'on leur donne parfois.
  24. A.N. G7 415-416/157 et 158 : Lettre du 11 août 1693.
  25. B.M. Nancy ms 2166 (1221), p.15 et 21.
  26. A.N. G7 415-416 1 108 : Lettre du 23 décembre 1692.
  27. S.H.A.T. Vincennes A1 1157 1 82 : lettre de Barbézieux du 20 juin 1692, Al 1157 1 87 et 96 : réponses de Vaubourg à Barbézieux les 22 et 27 juin 1692. Dans un courrier du 25 juin 1692, Barbézieux priait l'intendant de Lorraine de réquisitionner, pour faire ce voiturage, tous les chariots de son département "du premier au dernier" (A 1 1157 1 93). Cf. aussi A.N. G7 415-416 1 344-347 : dossier sur la prévôté de Longwy (1692-1697).
  28. La prise de Namur par le Roi se déroule du 5 au 30 juin 1692. Pour le détail des événements militaires en 1692 et 1693, Cf. le Journal du Président Bourcier (1649-1726) publié par Raymond de Souhesme, Mémoire de la Société d'Archéologie Lorraine, 1891, p.375-384. Entre 1684 et 1695, l'auteur de ce journal, Jean-Léonard Bourcier, est procureur général du Roi au conseil provincial de Luxembourg.
  29. A.N. G7 415-416 1 344-347 : dossier sur la prévôté de Longwy.
  30. Georges Livet, L'intendance…, op. cit., p.588 ; Daniel Dessert, Argent, pouvoir et société, Paris, Fayard, 1984, p.609 (notice biographique n°257) et A.N. G7 415-4161377 (1697) : à cette époque, le commissaire général des vivres aux armées d'Allemagne est l'un des fils de François Jacquier mort en 1684, le plus célèbre munitionnaire de son temps.
  31. Daniel Dessert, Argent… , op. cit., p.560 et 594 (notices biographiques n°119-120 et 214). Pendant l'intendance de Desmarets (1691-1698), le receveur général est Louis Chevalier de Saint-Hilaire (1684-1704) et les receveurs alternatifs sont Jean Goujon (1687-1693) et son frère Pierre (1694-1721). Jean Goujon a conclu une alliance flatteuse avec la fille d'un gentilhomme servant le roi - Claude-Henriette Donneau de Visé - ce qui lui vaut d'intéressants appuis dans les milieux de la finance et de la cour.
  32. Arthur-Michel de Boislisle, Correspondance…, op. cit., t.1, p.441, n°1590 : Lettre de Pontchartrain à l'intendant de Soissons, 7 janv. 1697
  33. A.N. G7 415-4161 110 et 183 : lettres du 25 déc. 1692 à l'occasion du siège de Rheinfels et du 12 janv. 1694.
  34. B.M. Nancy ms 2166 (1221), Mémoire…, op. cit., p.26 et A.N. G7 415-4161276 : Lettre de Vaubourg, 6 août 1695 reproduite dans Arthur-Michel de Boislisle, Correspondance…, op.cit., t.1, p.398-399, n°1451. Le Mémoire de 1697, p.89 ; développe les mêmes arguments que la lettre à propos des prix hauts : "Sa Majesté dépense aussi beaucoup dans le pays […] ce qui donne occasion aux habitants de vendre leurs denrées assez chèrement […] la grande dépense que le Roi a faite et y fait encore tous les jours met les paysans en état de payer assez facilement ce que Sa Majesté tire d'eux".
  35. B.M. Nancy ms 2166 (1221), Mémoire…, op.cit., p.89.
  36. La Lorraine à l'issue de la guerre de Trente Ans a perdu la moitié voire en certaines contrées les deux tiers de sa population ; certes à la fin du XVIIe siècle, il y a déjà eu un début de récupération mais le redressement ne s'opérera vraiment que dans les premières décennies du XVIIIe siècle. Cf. Marie-José Laperche-Fournel, La population du duché de Lorraine de 1580 à 1720, Nancy, P.U.N, 1985, p.105 et 162-164.
  37. B.M. Nancy ms 2166 (1221), Mémoire…, op.cit., p.15.
  38. A.N. G7 415-416 1 70 : juillet 1692. Encore faut-il pour que la Lorraine bénéficie pleinement du débouché hollandais que le Conseil veuille bien, selon Desmarets, supprimer les droits et les péages établis sans fondement sur la Meuse.
  39. B.M. Nancy ms 2166 (1221 ), Mémoire…, op.cit., p.27 ; A.N. G7 415-4161273 : dans cette lettre du 21 juin 1695 reproduite dans Arthur-Michel de Boislisle, Correspondance…, op. cit., t.1, p.393-394, n°1439, l'intendant de Lorraine fait observer au contrôleur général que cette eau-de-vie de marc de raisin, quoiqu'il s'en fasse un grand débit, est moins bonne que celle qu'on fait avec du vin et qu'elle a une mauvaise odeur. Ce commerce, a l'époque, est d'ailleurs si fructueux qu'on utilisera même des grains pour produire l'eau-de-vie ; pour Guillaume de Sève, intendant des Trois-Évêchés, il s'agit d'un abus car cette production nuit à la fabrication du pain. Cf. Arthur-Michel de Boislisle, Correspondance…, op. cit., t.1 n°1231, Lettre de Sève à Pontchartrain.
  40. Daniel Dessert, La Royale, Fayard, 1996, p.163-167 et B.M. Nancy ms 2166 (1221), Mémoire…, op. cit., p.17. Le trajet emprunté par les mâts que le roi, des Vosges, fait descendre jusqu'au Havre n'est pas des plus aisés puisqu'après avoir emprunté la Moselle par Remiremont et Toul, ils sont de là transportés par charrois jusqu'à Bar-le-Duc puis par l'Ornain gagnent la Marne, la Seine et le Havre ; d'où le projet sans suite mais un moment caressé de construire un canal pour faire dorénavant flotter les mats sur l'Aisne et l'Oise au lieu de la Marne afin d'éviter Paris.
  41. B.M. Nancy ms 2166 (1221), Mémoire…, op. cit., p.87.
  42. Marie-José Laperche-Fournel,Les Chevalier…, art. cit., à paraître.
  43. A.N. G7 415-4161 344-347 : dossier sur la prévôté de Longwy (1692- 1697).
  44. S.H.A.T. Vincennes A1 11571 166 : Lettre du 11 sept. 1692 (Toul). A.N. G7 415-416 1 355 : Lettre du 16 juin 1697 (Sarre). À partir de l'été 1696 la Sarre qui relayait jusque là de l'intendant La Goupillière est désormais du ressort de l'intendant de Lorraine. A.N. G7 415-416 1 136 et 270 : Lettres du 14 mai 1693 et du 28 avril 1695 (Lunéville). Lunéville est un des grands passages de la région puisque situé au carrefour des deux routes d'Alsace : celle de Nancy à Strasbourg qui passe par Saint-Nicolas, Lunéville et Blâmont et celle de Nancy à Brisach qui traverse Lunéville, Saint-Dié et Sainte-Marie­-aux-Mines.
  45. "Journal d'un bourgeois de Nancy de 1693 à 1713" par Claude-Joseph Baudouin, fragments publiés par M. Dieudonné-Bourgon, Bulletin de la Société d'Archéologie Lorraine, t.IV, Nancy, 1856, p.43 et 45. En 1693, la ville, qui à l'époque renferme à peine 10 000 habitants, loge une garnison de 5 000 hommes.
  46. A.N. G7 415-416 1 258 (Bar-le-Duc) ; 250 (Pont-à-Mousson) ; 252 (Aboncourt) : placets adressés au Contrôle général ou à l'intendant en 1694.
  47. S.H.A.T. Vincennes A1 1157 1 168 et 173 : Lettre de Barbézieux à Sève et à Vaubourg le 14 septembre 1692 et réponse de Vaubourg le 23 septembre 1692.
  48. "Journal…" , op. cit., publié dans Bulletin de la Société d'Archéologie Lorraine, t.IV, Nancy, 1856, p.43.
  49. A.N. G7 415-416 1 313 et 337 : Lettres du 9 décembre 1696 et du 12 février 1697. En réalité, le voleur arrêté un mois plus tard à Besançon était un collecteur qui portait les deniers à la recette.
  50. S.H.A.T. Vincennes A1 1157 1 7 : Lettre de Barbézieux à Sève et à Vaubourg 10 janvier 1692. Voir aussi la pièce n°214 : Lettre de Barbézieux à Sève et à Vaubourg le 19 nov. 1692 : Le secrétaire d'État à la guerre dénonce aussi le fait que des officiers fassent dûment passer leurs équipages sur certaines routes sous prétexte de passage de chevaux de recrues. Dans un courrier du 17 août 1692, il avertit les intendants de Lorraine et des Trois-Évêchés des désordres commis pendant les quartiers d'hiver (pièce n°134).
  51. S.H.A.T. Vincennes A1 1157 1 166 et 249 : septembre et décembre 1692 : plaintes pour être déchargé de l'ustensile ; A.N. G7 415-416 1 270 : plaintes des Lunévillois face à l'augmentation des charges en avril 1695.
  52. "Journal…", op. cit., publiés dans Bulletin de la Société d'Archéologie Lorraine, t.IV, Nancy, 1856, p.44.
  53. B.M. Nancy ms 2166 (1221), Mémoire…, op. cit., p.89 et p.100.
  54. B.M. Nancy ms 2166 (1221), Mémoire…, op. cit., p.89: "subvention, ustensile et autres impositions soit pour les affaires extraordinaires converties en impositions sur le général du pays" ; Beauvillier n'en saura pas davantage… En revanche lorsqu'en 1695 les habitants de Lunéville se plaignent de l'augmentation des charges et énumèrent la capitation, la taxe des arts et métiers, le rachat des offices de colonels et capitaines de bourgeoisie, les charges de vérification des rôles, de la subvention, de l'ustensile, des fourrages…, Vaubourg croit bon de préciser au contrôleur général "qu'ils omettent encore d'autres charges dont le secrétaire de la ville ne s'est pas souvenues". Cf. A.N. G7 415-416 1270 : Lettre du 28 avril 1695.
  55. Georges Livet, L'intendance…, op. cit., p.591 et sq. a parfaitement décrit le phénomène en Alsace.
  56. S.H.A.T. Vincennes A1 1157/258 : Lettre du 27 nov. 1692 et A.N. G7 415-4161 108, 158 et 368 : respectivement les 23 décembre 1692, 11 août 1693 et 25 octobre 1697. L'hiver 1692-1693 et le printemps suivant sont remplis d'immenses préparatifs de guerre car le siège de Liège est envisagé ; des forces considérables sont alors rassemblées en Allemagne et en Flandres, entre Namur et Liège. Cf. comte d'Haussonville, Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, Paris, 1860, 2ème éd., t.3, p.301-302.
  57. Cf. "Journaliers de la famille de Marcol" édités par le comte A. de Mahuet dans Mémoire de la Société d'Archéologie Lorraine, 1909, p.364 : à l'époque de Desmarets, le rédacteur est Pascal Marcol (1643-1713), commissaire des troupes du Roi à Nancy (1693-1698) et subdélégué de l'intendant de Lorraine. Cf. aussi "Journal"..., op. cit., publié dans Bulletin de la Société d'Archéologie Lorraine, t. IV, Nancy, 1856, p.43: en 1693, le blé se vendait à la halle de Nancy 50, 52 et 54 francs le résal ; avec le retour à l'abondance des blés en 1695, le blé, l'année suivante ne se vend plus que 10 à 12 francs le résal et en 1697 il a retrouvé ses taux d'avant la crise c'est-à-dire 8 à 9 francs le résal.
  58. A.N. G7 415-416 1 79 et 95 : Lettres du 13 juillet et du 26 septembre 1692. Colette Brossault, op. cit., p.333 évoque également le soulagement de l'intendant Bernage qui, lorsqu'il quitte la Franche-Comté pour l'intendance d'Amiens en 1708, ne peut cacher sa joie car lui aussi devait prendre sur ses biens pour faire face aux dépenses de sa charge.
  59. Comte d'Haussonville, op. cit., t.4, p.11-12.
  60. Mémoires du marquis de Sourches publiées par Gabriel-Jules de Cosnac et Arthur Bertrand, Paris, 1882, t.1, p.294 et Saint-Simon, Mémoires, La Pléiade, Gallimard, 1983, t.4, p.120.
  61. A.N. G7 415-416 1200 et 215-219 : avril-mai 1694.
  62. A.N. G7 415-416 1 271 : Lettre du 12 mai 1695 reproduite dans Arthur-Michel de Boislisle, Correspondance…, op. cit., t.1, p.385, n°1407. S.H.A.T. Vincennes A1 1157 1 254 : Lettre de Barbézieux à Sève et à Vaubourg, 23 déc. 1692.
  63. Demandes d'exemption A.N. G7 415-416143-44 : du directeur et commis des postes de Bar-le-Duc, 22 et 24 avril 1692 ; G7 415-416/ 52 à 54 : du commis du directeur des postes de Lorraine à Charmes ; G7 415-416 /136 : du commis des bureaux de postes à Lunéville ; G7 415-416 /231 et 349-350 : des fermiers des domaines et des sous-fermiers du tabac en poudre de Lorraine, 12 août 1694 et 9 et 19 mars 1697.
  64. A.N. G7 415-416 1 43-44 et 136 : Lettres des 22-24 avril 1692 et 14 mai 1693. L'attitude de l'intendant de Lorraine et Barrois marque une rupture avec la politique de compromis et les aménagements apportés pendant la guerre de Hollande (1672-1678) où pour complaire au Sieur Morel, fermier général des Domaines, tous ses fermiers et sous­ fermiers furent exemptés comme d'ailleurs les ecclésiastiques, les gentilhommes reconnus tels avant 1611, les lieutenants et procureurs généraux des bailliages, le lieutenant civil et criminel de Nancy, les prévôts, les receveurs des domaines et les maîtres de postes, contrôleurs, directeurs et commis des postes exemptés par ordonnance du 10 décembre 1673. À ce sujet cf. Gaston Zeller, art. cit., p.45-46.
  65. Cf. Arthur-Michel de Boislisle, Correspondance…, op. cit., t.1, p.244 et p.260 : Lettres de Desmarets de Vaubourg, intendant d'Auvergne (août 1687-oct. 1691), 27 avril et 21 septembre 1691 : à plusieurs reprises, Vaubourg, l'intendant de Riom, propose des réformes en matière fiscale soit une meilleure répartition de la taille (1688) ou une imposition par capitation (1691) car selon lui "plus avantageux pour le peuple, fatigué de payer des cotes considérables à certains termes fixes".
  66. A.N. G7 415-4161233 [Longwy] et 338 [Phalsbourg] : Lettres du 19 août 1694 et du 21 février 1697.
  67. René Taveneaux (sous la dir.), op. cit., p.188 : une ordonnance du 4 novembre 1686 prévoyait initialement le remboursement des créances dans les six ans à venir mais le texte du 30 novembre 1688 sursoit à son exécution.
  68. A.N. G7 415-416/ 33-35 et 129 : Lettres du 18 mars 1692 et du 28 mars 1693.
  69. A.N. G7 415-416 /313, 336-337, 362 : vol dans la recette de la subvention de Toul ; lettres du 9 décembre 1696, du 12 février 1697 et du 23 mars 1697. Le voleur qui avait agi avec la complicité de sa femme, de ses beaux-frères et belle-soeurs et de quelques autres acolytes fut arrêté par le lieutenant de la maréchaussée de Toul à deux heures de Besançon en février 1697.
  70. S.H.A.T. Vincennes A1 1157 1 28 : Lettre de Barbézieux à Sève et à Vaubourg, 15 février 1692. Le secrétaire d'État à la guerre invite les deux intendants à faire une ordonnance pour défendre aux particuliers de gêner le travail des salpêtriers. B.M. Nancy ms 2 66 (1221), Mémoire…, op. cit., p.23 : à propos des ressources en salpêtre de la Lorraine : A.N. G7 415-4161 342-347 et 368-369: dossier sur la prévôté de Longwy dont la réquisition de 1696 et la lettre de Vaubourg à Pontchartrain de février 1697 et lettre du 25 oct. 1697 sur les désordres de Nancy et de Bar-le-Duc.
  71. François-Xavier Emmanuelli, op. cit., p.175 ; Joël Cornette, "L'histoire au travail. Le nouveau "siècle de Louis XIV" : un bilan historiographique depuis vingt ans (1980-2000)",Histoire, Économie et Société, 2000, 4, p.580-581.
  72. Dans son Journal…, op. cit., publié dans Bulletin de la Société d'Archéologie Lorraine, t. IV, Nancy, 1856, p.45 et 46, Claude-Joseph Baudouin, bourgeois de Nancy, décrit les manifestations de joie à l'arrivée de Carlinford et Le Bègue, le 4 février 1698 : "estans reçus de la part du peuple avec toutes les acclamations et joies imaginables" et le 17 août 1698, lors de l'entrée de S.A le duc Léopold à Nancy : "se firent des réjouissances et feux de joie pendant trois jours consécutifs que les boutiques furent fermées". Le président Bourcier note à la date du mois de mai 1698 : "Arrivée de S.A.S. au mois de mai au grand contentement de ses peuples" ; cf. Journal…, op. cit., dans Mémoire de la Société d'Archéologie Lorraine, 1891, p.383.
  73. B.M. Nancy ms 2166 (1221), Mémoire… , op. cit., p.27-28 et p.56.