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Annales de l'Est (2-2003) Alde Harmand

De Wicri Lorraine
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Comment une ville restaure ses fortifications : l'exemple de Toul


 
 

 
Annales de l'Est - 2003 - numéro 2
Titre
Comment une ville restaure ses fortifications : l'exemple de Toul
Auteur(s)
Alde Harmand
Affiliation(s) 
Université Nancy 2, Nancy, Lorraine, France


Toul, site de carrefour, ancienne capitale celtique, ancien évêché - l'un des fameux Trois-Évêchés - a gardé des témoignages de ses différentes fortifications. De son enceinte gallo-romaine du Bas-Empire, quelques éléments apparents subsistent, sans véritable mise en valeur. Les parties les plus monumentales conservées sur leur presque entière élévation ne se voient pas et se retrouvent dans le parcellaire urbain où les constructions ultérieures se sont appuyées sur les courtines. Récemment une tour dans sa quasi-intégralité a été découverte lors de travaux dans l'îlot des Étuves au pied de la Collégiale Saint-Gengoult. Malheureusement, après signature du permis de construire, elle se trouve actuellement enfermée dans un H.L.M. et sert d'appui pour les planchers en béton de l'habitation…

D'importants fragments de ce rempart seront repris dans l'enceinte médiévale construite sur demande de l'évêque Roger de Marcey dans la première moitié du XIIIe siècle. De cet ensemble il ne reste quasiment rien, mis à part un fragment largement amputé à la fin du XIXe siècle, se trouvant au chevet de la cathédrale Saint-Étienne. À la fin du XVIIe siècle, Louis XIV demande à son ingénieur Vauban de restructurer le système de fortification de la vieille cité touloise placée en troisième ligne du système défensif des frontières de 1'Est. De 1700 à 1720, une enceinte polygonale régulière va s'élever. Tout au long du XVIIIe et XIXe siècles des modifications, des ajouts vont être apportés à la fortification afin d'en améliorer sa défense.

Avec notamment l'apparition de l'aviation, le système fortifié Vauban perd tout caractère défensif de la place de Toul et sera déclassé en 1931 en tant qu'ouvrage militaire. Il faudra attendre le 18 novembre 1941 pour que l'ensemble[1] soit inscrit sur la liste des Monuments Historiques. Propriété communale, ce vaste ensemble a été pendant de nombreuses décennies laissé à l'abandon, considéré plutôt comme un obstacle à l'expansion de la ville vers les faubourgs, que comme un atout patrimonial.

Il faudra attendre le début des années 1990, avec l'utilisation des casemates de la porte Moselle en médiathèque pour voir le début d'une véritable prise de conscience de ce patrimoine fortifié.

Un programme de restauration et de mise en valeur d'un tel ensemble nécessite trois approches bien distinctes : une approche urbaine, une approche architecturale et une approche touristique.

APPROCHE URBAINE ET TOURISTIQUE.

Celle-ci semble la plus importante, elle est au quotidien de la vie des habitants. La fortification donne toute la lisibilité de la ville et en permet une lecture aisée. L'objectif n'est pas de faire du site un témoignage très précis de la fortification, une sorte de musée du rempart, mais de privilégier l'urbanisme. Les éléments devenus obsolètes par leur fonction première peuvent devenir des espaces récréatifs, de loisir ou de détente et s'intégrer ainsi à la vie moderne sans toucher à la structure même du rempart. Il ne doit pas rester uniquement un lieu de mémoire, si l'on souhaite une bonne réappropriation du lieu par la population.

Véritable contrainte en matière d'urbanisme, il faut trouver au rempart des liaisons avec l'intérieur de la ville, la ceinture verte et les faubourgs. Il ne doit plus être perçu tant visuellement que concrètement comme une barrière, d'où le souci de recherche de fonctionnalité, ce qui est loin d'être évident pour tous les espaces.

APPROCHE ARCHITECTURALE.

Un patrimoine mal connu est un patrimoine qui se meurt. À mal connaître, on le traite d'une manière impropre. C'est pourquoi la dimension architecturale implique une étude scientifique, technique et documentaire pour mieux connaître l'enceinte. Cette démarche incontournable et primordiale a été entreprise par l'architecte en chef des Monuments Historiques, Monsieur Thierry Algrin et remise en 1994. Appuyée sur des sources documentaires nombreuses issues des Archives du Génie, de Vincennes et des Archives Départementales de Meurthe­ et-Moselle, l'étude est remarquable. Le projet quant à lui est plus utopiste.

L'aspect touristique, plus récent, a lui aussi toute sa place. La fortification doit devenir un lieu d'appropriation du touriste, un lieu à découvrir par des espaces à parcourir, un lieu à vivre. Il ne peut donc pas s'agir d'une simple restauration.

PROJETS ET RÉALISATIONS.

La restauration contribue sans nul doute à améliorer l'image de la ville et à favoriser un meilleur cadre de vie à la population. Le projet de l'architecte prévoit de retrouver le dernier état militaire juste avant le déclassement. Le projet idéal est de voir la cité de nouveau ceinturée par l'eau des fossés, beau programme. La restauration d'un tel patrimoine est un programme extrêmement ambitieux.Il ne peut y avoir de politique de mise en valeur du patrimoine fortifié sans sensibilisation du grand public et plus particulièrement des habitants. Pendant de trop nombreuses années, les fortifications ont été perçues comme un frein au développement de la cité. La population doit s'approprier cet espace, notamment dans le cadre de visites organisées lors des Journées des Monuments Historiques.

La bonne conservation du patrimoine fortifié dépend de l'entretien qui en a été fait. Les dégradations sont de plusieurs ordres : issues de la végétation, des facteurs climatiques et de la main de l'homme. Il est aisé de constater que les murs d'escarpes sont dans un bon état de conservation. Les talus, eux, ont été colonisés par la végétation entraînant un affaissement de l'ensemble donnant un aspect d'avachissement au talus.

Les travaux de première urgence ont consisté à protéger les maçonneries en remplaçant les parements défectueux et en s'occupant des joints. Des travaux plus importants peuvent être entrepris si une destination à moyen terme des casemates se trouvant sous buttes a été projetée: l'étanchéité des ouvrages, sinon un simple relevage des buttes est entrepris. Vient ensuite le dégagement des fossés pour laisser toute sa place à l'Ingressin. Les quelques travaux menés jusque là montrent parfaitement bien que le problème de l'alimentation des fossés n'a toujours pas été réglé.

Pour mener une telle opération un soutien financier extérieur est primordial. La ville avait contractualisé avec la Région Lorraine un plan ville-relais, où la ville doit apporter au minimum la participation de la Région.

Depuis une dizaine d'années, les travaux ont porté sur les bastions 38-39 et entre les bastions 45 et 46. Le coût a été de près de 20 000 000 de francs, alors que l'estimation du projet global se monte à près de 90 000 000 de francs…

DEMAIN.

Plutôt que leur état de conservation qui ne montre aucun caractère d'urgence, nous souhaitons agir prochainement sur la lisibilité peu évidente dans la continuité des remparts. Plusieurs raisons expliquent cette difficulté : la lecture à l'arrière des remparts est perturbée par les bâtiments construits depuis ces vingt­ cinq dernières années ; le percement et l'ouverture de brèches dans le système défensif fait perdre toute perspective avec notamment le percement en 1939 de la Nationale 4 ; le remblais d'une partie des fossés exercé à l'aide des décombres de la deuxième Guerre Mondiale. La correction de la lisibilité peut être en grande partie corrigée par une intervention paysagère. Dans ce cas précis il nous semble que le bastion 47 avec sa demi-lune, la seule subsistante, et l'ouverture de sa poterne seraient des plus intéressants.

Quant au projet de l'architecte en chef des Monuments Historiques, bien mené, comme nous l'avons dit plus haut, il est quasiment irréalisable pour bon nombre de secteurs. En effet, le projet prévoit la démolition d'un nombre important de constructions dont on se demande encore comment les permis de construire ont pu être obtenus alors que nous nous trouvons en secteur sous l'emprise du Monument Historique… Des barres H.L.M., des maisons d'éclusiers, des stations essences, un supermarché, la piscine municipale, la salle des sports… perturbent quelque peu la lisibilité de l'ensemble.

Nous souhaitons donner une autre dimension à cette restauration. Restaurer les fortifications nécessite de se réapproprier le site, de l'intégrer dans l'espace urbain en lui conservant sa valeur historique, mais en lui donnant une image autre qu'un système défensif. D'un lieu de défense en faire un lieu d'accueil : cheminement en barque à fond plat dans les fossés, sentiers… La mise en place d'un sentier découverte avec balisage, circuits, explications par dépliants, est prépondérante pour l'animation du site. Cette promenade peut permettre également la découverte de la ville, une sorte de balcon sur l'intérieur.

Après les travaux de la Porte Moselle, la ville ne pourra plus engager les sommes importantes consenties jusque là. En effet, la priorité de la nouvelle municipalité au niveau de sa politique patrimoniale n'est plus les remparts Vaubann, mais la cathédrale Saint-Étienne. Haut lieu touristique régional, chef d'œuvre de l'art gothique, ce monument a été pendant de trop nombreuses années une grande oubliée. Certaines parties, en très mauvais état, menacent ruine à tout moment. Il y a urgence. Un programme contractualisé avec l'État, la Région et le Département engage une partie importante des finances communales. Il ne s'agit pas pour autant de l'abandon du programme de mise en valeur des remparts. En effet, des travaux similaires à ceux entrepris jusque là au niveau du nettoyage du parement et le dégagement de la végétation, peuvent être menés dans le cadre de chantiers-jeunes. À la fin des travaux de la porte Moselle constituant un ensemble cohérent et de grande dimension, un effort sera particulièrement porté sur l'illumination semblable à celle de la cathédrale toute proche.

De nombreux travaux en perspective…


NOTES

  1. " Classement parmi les Monuments Historiques de l'ensemble de l'enceinte, en totalité, y compris les contrescarpes, les talus en terre, les murs d'escarpes, les fossés et tout le terrain qui s'étende à l'extérieur… ".