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Annales de l'Est (1888) Debidour2

De Wicri Lorraine
Bandeau Annales de l'Est.jpg


Le général Fabvier, sa vie et ses écrits (suite)


 
 


Informations sur l'article
Auteur : Antonin Debidour
Période historique : Contemporaine
Discipline : Histoire militaire
Type : Biographie
Informations de publication
Année : 1888
Numéro : 1


Dans le pdf : p. 299.


III.
Fabvier intime. - Loisirs de garnison. - Fabvier aide de camp de Marmont. - Sa mission en Russie. - Campagne de 1813 - Le colonel Fabvier et les opérations du 6e corps pendant la campagne de France. - Bataille de Paris. - Défection de Marmont.
1809-1814.

Pendant les premières années de l'Empire Fabvier avait pu rendre à son pays, aussi bien qu'à Napoléon, des services réels, mais dont l'importance n'était pas assez grande pour attirer sur lui l'attention publique. Les dernières allaient lui donner l'occasion de concourir à des événements considérables - et douloureux - que l'histoire ne peut retracer sans mentionner la part honorable qu'il y a prise. Entre ces deux périodes de sa vie, aussi agitées que glorieuses, se place un intermède de paix sur lequel nous passerons rapidement dans cette étude. Il n'y aurait pas grand intérêt, croyons-nous, à représenter Fabvier au repos. La nature, l'éducation n'avaient pas fait ce bouillant soldat pour le renfermé d'une garnison. Il lui fallait le grand air des batailles. Aussi regarda-t-il comme perdu presque tout le temps qu'il lui fallut rester en France après son retour de Perse et d'Autriche.

Ce n'est pas qu'il ne fût très sensible au plaisir de revoir soir pays natal, ses parents, ses amis. Depuis quatre ans et plus qu'il avait quitté sa chère Lorraine, il n'avait jamais cessé de la regretter. Le Danube, l'Euphrate ne lui avaient pas un instant fait oublier la Moselle. Si l'amour de la gloire prédominait dans cette âme vaillante et fière, il n'y étouffait pas des sentiments plus tendres, que le rude soldat exprimait parfois avec la plus naïve et la plus charmante gaucherie. Il avait par exemple un culte passionné pour sa mère, digne et pieuse femme, auprès de laquelle il se sentait toujours redevenir enfant. Il s'en voulait de n'être pas doux et souple, comme elle l'eût souhaité. Mais il jurait de le devenir. Il ne lui fallait pour cela, disait-il, que la revoir. « J'étais si mutin sous votre férule ! lui écrivait-il de Vienne un peu avant son retour. Mais vous verrez comme je serai docile. Je m'assoirai sur le petit tabouret et là je vous conterai mes aventures, mes fredaines, vous me gronderez, vous me morigénerez tant qu'il vous plaira. Je sens que j'ai besoin d'aller prendre près de vous un peu de douceur et de patience. Et puis, je suis d'un orgueil du diable. Pour ceci, ce n'est pas toujours ma faute, car je me mets bien en garde. Mais tout le monde m'accable de compliments[1]. »

Quand il lui fallut, au commencement de 1810, après quelques semaines passées dans la maison paternelle, aller de nouveau vivre loin des siens, mais sans avoir cette fois, pour se distraire, ni l'attrait du péril ni celui du travail ; quand il dut résider à Blois, ville morte où rien ne lui rappelait la guerre, puis à Vincennes, localité bruyante, qui était a ses yeux « l'égout de toute la canaille de Paris », c'est encore à sa mère qu'il contait de loin ses tristesses, ses colères. Il protestait sans cesse, et bien sincèrement, qu'il voulait lui obéir en tout. C'est ainsi qu'il terminait une de ses lettres par les lignes suivantes : « Il est deux heures du matin ; j'avais du chagrin ; je me suis mis à causer avec vous, ma bonne mère, me voilà mieux, je puis dormir. Je ne vous quitterai cependant pas sans vous dire, ma tendre mère que votre fils vous aime au-dessus de tout, que tout ce que vous lui direz sera sacré pour lui, qu'il sera docile et sage à vos leçons[2]. »

Ce n'était point la faute de Mme Fabvier, il l'avouait humblement et nous devons l'en croire, s'il n'était pas « devenu le meilleur des hommes[3] ». Toutes les résolutions du monde ne pouvaient triompher en lui de certains défauts, dont le moins curable était une vivacité loyale et généreuse, mais un peu intempérante. La contradiction et les conseils, quand ils ne venaient pas de sa mère, avaient souvent pour effet de l'irriter. Son père, qu'il aimait et respectait fort, mais dont le caractère rassis et prudent contrastait avec sa fougue un peu téméraire, provoquait parfois chez lui, par excès dé sollicitude, une impatience qu'il lui était impossible de dissimuler. Ce n'était, il est vrai, qu'un feu de paille, et le bouillant officier était moins prompt encore à s'emporter qu'à reconnaître ses torts. Que de fois il lui arriva de rudoyer par paroles ou par écrit son frère qu'il chérissait ! Mais que de fois il lui en témoigna noblement son repentir ! Fabvier l'aîné avait en 1810 près de quarante ans. Son expérience, son instruction, la réputation d'éloquence qu'il avait déjà conquise au barreau de Nancy, lui donnaient bien le droit de parler en Mentor. Mais il n'avait point affaire à Télémaque. La toge de l'avocat n'intimidait guère un soldat qui avait culbuté les Russes et fait marcher les Persans à coups d'écouvillon. L'excellent homme, pour avoir eu trop raison, s'attirait parfois des quolibets, des sarcasmes. On s'insurgeait contre son bon sens. L'instant d'après on lui tendait la main et on le suppliait de tout oublier. Vers la fin de 1810 il y eut entre les deux frères, je ne sais à propos de quoi, une de ces innocentes fâcheries. Des lettres assez vives furent échangées. Mais c'est le capitaine qui demanda la paix. « Crois-moi, dit-il, n'écrivons plus de lettres semblables. Quand on parle, le ton, le regard modifient tout. Quand on lit une lettre, on ignore les dispositions de celui qui l'a écrite. Tiens, je t'avoue, si tu veux, que c'est moi qui ai eu le plus grand tort, et c'est vrai, car j'aurais dû t'écrire de suite. Je te tends la main le premier ; mets-y la tienne et que tout soit fini. Si tu as quelques griefs contre moi, je te promets d'y satisfaire. Tout ce que tu voudras, mais je ne veux pas être brouillé avec toi[4]. » Pouvait-on résister à un tel élan de cordialité ? Mentor pardonna bien vite. Aussi quelle effusion nouvelle dans la réponse qui lui fut adressée ! « Ta lettre, quoique bien courte, m'a fait bien plaisir, mon cher ami. Je n'étais pas sûr de t'avoir désarmé. Mais tu es toujours bon. Il ne faut plus de tout cela entre nous, mon ami, cela m'a fait une peine que je ne saurais te peindre. Toutes les fois qu'on me demandait de tes nouvelles je rougissais comme un imbécile. Je n'entendais personne parler de son frère sans pester[5]. »

Cette paix si touchante n'empêcha point Fabvier de retomber souvent vis-à-vis de son ainé dans son péché d'habitude. Mais ses brusqueries n'altérèrent jamais l'étroite intimité qui régnait entre les deux frères. Le plus âgé fut toujours regardé par le plus jeune comme le meilleur des amis. Dans ses campagnes, au bivouac, sous le feu même de l'ennemi, c'est à lui qu'il ne cessait d'écrire, lui demandant en grâce de répondre, le gourmandant affectueusement de sa paresse et lui coufiant ses plus douces comme ses plus secrètes pensées.

Il n'avait révélé qu'à lui seul, à ce qu'il semble, la passion presque mystique, à coup sûr très respectueuse, que lui avait inspirée depuis quatre ans la charmante duchesse de Frioul et dont nous avons dit quelques mots dans le précédent chapitre. Après comme avant son retour d'Orient, son frère aîné continua d'être son confident. « Fais mes compliments bien respectueux, écrivait le jeune officier en septembre 1809, à la belle dame des rives de la Seille ; elle est bien, comme tu dis, toute grâce et toute bonté. Je suis bien sensible au souvenir qu'elle veut bien conserver de moi. Orne tout cela des fleurs du barreau. Pour moi, je sais mieux parler qu'écrire[6]. » A partir de cette époque il n'est presque pas une de ses lettres à son correspondant de Nancy qui ne contienne un nouvel hommage à sa divinité. Pendant les quinze ou seize mois que dura son séjour en France, il eut souvent occasion de la revoir. Il avait ses entrées chez le grand-maréchal Duroc, qui aimait en lui un compatriote destiné à honorer sa ville natale et qui était (on en aura plus loin la preuve) sincèrement payé de retour. Il s'y montrait donc, à Paris ou ailleurs, moins qu'il n'eût voulu sans doute, mais assez pour qu'on ne l'oubliât pas. Chaque année, la duchesse venait passer une partie de la belle saison à Clémery, beau château que son mari avait acheté non loin de Pont-à-Mousson ; il lui arrivait aussi de séjourner dans cette ville, chez sa belle-sœur, Mme Georges[7], intime amie des Fabvier. Là, le capitaine était accueilli et fêté comme en famille. L'aimable femme qui devait, bien des années après, devenir sa compagne, l'accueillait avec douceur, appréciait la délicatesse et l'élévation de son cœur, souriait de ses boutades et lui reprochait parfois ses emportements. Il était, lui, sous le charme, ne demandant rien qu'à la voir, à l'entendre, trouvant son frère bien heureux d'avoir cet honneur plus fréquemment que lui. Sa passion, qu'elle ignorait ou qu'elle pouvait à peine pressentir, tant il mettait de délicatesse à la contenir, était à la fois le bonheur et le tourment de sa vie. Les malheurs imprévus de la duchesse devaient, on le verra, la surexciter, la porter au paroxysme, sans en altérer le noble caractère.

Mais si Fabvier avait l'âme romanesque, il n'était pas homme à s'oublier et se perdre en rêveries. Il était avant tout soldat, homme d'action, et l'amour qu'il portait au cœur ne pouvait lui faire oublier la gloire. Illustrer son nom, d'ailleurs, n'était-ce pas le meilleur moyen de plaire ? Aussi, après une année de séjour en France, le repos lui devint-il tout à fait insupportable. Il souhaita de nouveau la guerre, les hasards, les fatigues, les lointaines aventures. Mais où retrouver tout cela ? La garde impériale, dont il faisait partie, restait casernée à Paris ou dans un rayon de trente à quarante lieues autour de la capitale. L'Empereur, qui venait d'épouser Marie-Louise, semblait ne songer qu'aux fêtes ou aux travaux de la paix. Le canon ne retentissait plus au delà du Rhin. L'Europe presque entière, ralliée ou vaincue, se taisait. Le sang ne coulait plus qu'en Espagne où un peuple indomptable et fier, soutenu par l'Angleterre, défendait pied à pied son indépendance contre les soldats de Napoléon. C'est de ce côté que Fabvier alla porter au commencement de 1811 sa bouillante activité.

A ce moment Masséna ramenait péniblement du Portugal, après une campagne malheureuse, les débris d'une armée sur laquelle l'Empereur avait fondé l'année précédente les plus belles espérances. Le maréchal Marmont, mandé du fond de la Dalmatie, recevait l'ordre d'aller le remplacer dans son commandement. Fabvier, qui avait jadis servi sous les ordres de ce dernier et qui l'avait revu à Vienne en 1809, sollicita l'honneur d'être employé par lui. Le duc de Raguse, qui conservait du jeune officier le souvenir le plus flatteur, accueillit sa requête avec empressement et demanda qu'il lui fût adjoint comme aide de camp. Tous deux partirent pour l'Espagne vers la fin d'avril. Ainsi fut renouée entre ces deux hommes une liaison dont Fabvier eut longtemps le droit d'être fier, mais qui lui réservait les épreuves les plus douloureuses pour un patriote et pour un soldat.

Parmi les maréchaux de Napoléon, Marmont était le plus jeune et non le moins brillant. Aussi brave et plus instruit que ses collègues, hardi, généreux, ardent, il plaisait singulièrement à l'Empereur, qui l'appelait son enfant et qui, comme il le dit plus tard avec tristesse, l'avait comme élevé sous sa tente. Malheureusement l'excès de la faveur avait développé en lui une vanité qui devait le perdre. Il se croyait de bonne foi supérieur à tous les généraux de son temps. Les récompenses qu'il avait reçues lui paraissaient à peine en rapport avec son mérite. De bonne heure même il les regarda comme insuffisantes. S'il montrait encore quelque déférence pour le maître qui l'avait formé, il s'indignait déjà en recevant de lui les remontrances - parfois acerbes - que motivaient de temps à autre ses légèretés stratégiques. Bref, il y avait en lui l'étoffe d'un mécontent. Mais qui pouvait prévoir qu'il dût jamais manquer à l'honneur militaire ? Aimé de ses soldats, qu'il savait enlever devant l'ennemi en payant exemple, il était adoré de ses officiers pour sa sollicitude, son obligeance et la constante aménité de ses manières. Ceux qui, comme Fabvier, sortaient des armes d'élite, appréciaient particulièrement son savoir et professaient la plus haute admiration pour ses talents aussi bien que pour son caractère. Nous ne sommes donc pas surpris de l'affection profonde qu'il sut inspirer à son nouvel aide de camp et de la durée de ce sentiment, qui devait survivre quelque temps encore, dans l'âme enthousiaste de Fabvier, à la plus cruelle désillusion.

Nous n'avons pas à raconter ici les campagnes de Marmont en Espagne[8]. Rappelons seulement qu'après avoir passé les huit derniers mois de 1811 à défendre les abords de ce pays contre l'armée anglaise qui débouchait du Portugal) il dut, au commencement de 1812, rétrograder devant Wellington, qui prit Badajoz et Ciudad-Rodrigo ; qu'il lui fallut même évacuer Salamanque, son quartier général, et qu'ayant voulu peu après reprendre l'offensive sans attendre les renforts qui lui étaient annoncés, il amena, par sa témérité, la journée des Arapiles[9], si funeste à nos armes. Grièvement blessé dès le commencement de l'action, l'on pense bien qu'il n'attribua la défaite de ses troupes qu'à l'impossibilité où il s'était trouvé de garder jusqu'au soir le commandement. Mais il n'en jugea pas moins nécessaire d'envoyer sans retard un homme de confiance vers l'Empereur pour lui expliquer sa conduite. Ce mandataire ne fut autre que Fabvier.

Qu'était devenu ce dernier depuis son entrée en Espagne ? Quelle part avait-il prise à la guerre ? Nous ne le savons an juste. Il ne nous reste malheureusement de lui pas une lettre, pas une note sur cette partie de sa vie. Nous pourrions cependant affirmer à priori qu'il ne s'était pas épargné. Mais nous avons la preuve la plus concluante qu'en face des Anglais, comme jadis vis-à-vis des Russes, il avait accompli vaillamment son devoir et plus que son devoir. Cette preuve, ce n'est pas seulement le choix que Marmont faisait de lui pour le représenter en haut lieu, c'est la lettre par laquelle il le recommandait en ces termes au ministre de la guerre :

Tudela, 31 juillet 1812.

« ... Quoique les circonstances ne soient pas favorables pour faire des demandes d'avancement, je vous rappellerai cependant, Monseigneur, tous les titres que M. Fabvier réunit pour en obtenir. C'est un officier extrêmement distingué, d'une grande bravoure, plein d'ardeur et remarquable par sa capacité. Il a rempli avec distinction une mission en Perse pour laquelle il n'a point obtenu de récompense. Il est à regretter que cet officier ait été retardé dans sa carrière. Plusieurs fois j'ai sollicité pour lui le grade de chef d'escadron. Votre Altesse a daigné exprimer l'intérêt qu'elle mettrait à provoquer cette grâce de Sa Majesté. Permettez-moi, Monseigneur, de vous prier de nouveau de lui en faire la demande[10]. »

Le ministre tint-il compte de cette requête ? Nous ne savons. Mais le brave officier qu'elle concernait prit le meilleur moyen pour que l'épaulette de commandant ne lui échappât point une fois de plus : il courut la chercher sur un champ de bataille et sous les yeux même de l'Empereur. Il lui fallait d'abord, il est vrai, remplir la mission qu'il avait reçue du maréchal. Qu'on juge de son zèle à s'en acquitter quand on saura qu'il avait été blessé aux Arapiles le 22 juillet 1812, que quinze jours après il quittait Burgos avec les instructions de Marmont ; qu'il était le 17 août à Paris ; qu'il remontait à cheval presque aussitôt et que le 6 septembre au soir il rejoignait à franc étrier Napoléon au cœur de la Russie. L'heure était bien choisie : la bataille d'où dépendait le sort de Moscou allait être livrée le lendemain. Introduit aussitôt près de l'Empereur, il lui exposa les derniers événements d'Espagne avec tant de chaleur, répondit à ses questions avec tant d'assurance et de netteté, enfin lui donna des explications si satisfaisantes sur la conduite du duc de Raguse, que la cause de ce maréchal fut bien vite regagnée dans l'esprit du maître. Le fidèle aide de camp avait conquis, ce semble, le droit de se reposer. Mais il n'était pas de ceux qui dorment quand les autres se battent. Le 7 au matin, lorsque la Grande-Armée s'ébranla de toutes parts et marcha sur la Moskowa, Fabvier sauta sur un cheval et courut à l'ennemi. Il combattit en volontaire, pour l'honneur, pour le plaisir. Le soir, après la victoire, on le releva au bas de la grande Redoute. Une balle lui avait fracassé le pied droit. On le porta dans une ambulance, où un chirurgien parla de lui couper la jambe. Il déclara net qu'il aimait mieux mourrir. N'avait-il pas gagné son épaulette ? Cette fois on ne la lui fit plus attendre. En octobre 1812 il était enfin nommé chef d'escadron.

La joie ne contribua pas peu, sans doute, à sa guérison. Il ne mourut point et l'on ne songea plus à l'amputer. Mais son état était fort grave et il ne pouvait de longtemps penser à reprendre son service. Il ne vit donc point la désastreuse retraite de Russie. Après avoir passé plusieurs semaines à Moscou, il fut dirigé, avec un grand nombre de blessés, sur Smolensk, d'où il écrivait le 3 novembre à son père pour le rassurer. A partir de ce moment sa correspondance va de nouveau nous servir de guide. Le 23, il était à Berlin, ignorant encore les malheurs de la Grande-Armée, heureux de vivre, d'avoir vu la capitale de la Russie et surtout de ne s'y être pas déshonoré comme tant d'autres par le pillage.

« Attends-toi, écrivait-il noblement à son frère, à me voir revenir les mains pures du sac de Moscou. C'est ma coutume et je la trouve bonne. Je n'ai d'autre bagage que des commissions. Ici, en arrivant, les commis de la douane m'ont demandé si j'avais à déclarer quelque chose. Je leur ai montré mon portemanteau en leur disant : Messieurs, il y a là dedans un pantalon, une chemise, un mouchoir, un bas et une botte, que je voua laisserai si je dois payer des droits pour elle, parce que c'est celle de mon pied droit... »

En décembre, après avoir sans doute passé par Pont-à-Mousson, il était à Paris, où il retrouvait Marmont, alors en convalescence comme lui et qui lui fit le plus cordial accueil. Le maréchal n'était pas ingrat ; il ne le fut du moins jamais envers Fabvier. Il savait bien que s'il gardait, dans une certaine mesure, les bonnes grâces de l'Empereur, il le devait en partie au brave aide de camp. Il n'en douta plus quand il eut revu Napoléon. Aussi traita-t-il le nouveau chef d'escadron avec une cordialité toute fraternelle. Il lui déclara qu'il ne voulait point se séparer de lui et qu'étant sur le point d'obtenir un grand commandement en Allemagne, il comptait bien l'attacher à son état-major. Fabvier, bien entendu, ne demandait pas mieux. « Il le désire, écrivait-il, et moi je n'en suis pas fâché. C'est un brave et galant homme. Quoique je lui reconnaisse plusieurs défauts, je n'en apprécie pas moins ses nobles et grandes qualités. L'amitié, d'ailleurs, et la confiance qu'il me montre méritent bien mon attachement[11]. Le maréchal, en attendant la campagne, voulait, parait-il, que son aide de camp vînt loger chez lui et l'excellent officier y fût allé de grand cœur s'il n'eût fui comme la peste la maréchale, qui était, à son sens, « la plus ennuyeuse et la plus détestable guenon de tout Paris ». Ce refus ne l'empêchait pas de donner la plus grande partie de son temps au duc de Raguse. Il suivait avec lui les cours du docteur Gall et ne le quittait pour ainsi dire pas. Il était impossible, en somme, d'être mieux vu de Marmont qu'il ne l'était. Aussi jugeait-il bien inutile qu'on le recommandât à un chef qui avait pour lui tant de bienveillance. Il ne voulait pas, par exemple, que son père écrivît au duc de Raguse en sa faveur, comme il en témoignait l'intention. C'était, à son avis, un véritable excès de sollicitude. « Que voudrait-il dire au maréchal ? demandait-il à son frère. Si un de nous doit à l'autre, c'est le maréchal à moi et non moi à lui. Je lui parle sur ce ton-là...[12] »

On voit par ces derniers mots que le respect et l'affection ne lui faisaient point courber la tête. En tout temps et en tout pays il eût fait un mauvais courtisan. Il n'y avait qu'une personne au monde devant laquelle il fût disposé à plier, et ce n'était pas un homme. On devine que c'était la duchesse de Frioul. Il avait retrouvé à Paris cette femme parfaite, comme il l'appelle sans cesse dans ses lettres à son frère. Sans relâche il entretenait son confident ordinaire des visites qu'il venait de lui rendre, des mérites nouveaux qu'il venait de lui découvrir. Le confident du reste ne trouvait jamais qu'il eût dit d'elle trop de bien et son propre enthousiasme pour la duchesse amenait parfois son cadet à lui recommander plaisamment le calme et la prudence.

« Je pense comme toi, écrivait un jour notre Fabvier. Je crois que personne au monde ne peut lui refuser son admiration. Depuis le premier jour qu'on la voit, chaque instant qu'on passe près d'elle ne fait que l'accroître. Outre cela, pour ceux qui savent la juger, elle est encore immensément au-dessus de ce qu'elle paraît. Je vois que je n'ai besoin de rien t'écrire de plus. Ce que tu me dis me prouve que tu la connais bien. Je t'engage au contraire à te livrer avec un peu moins d'abandon à ton admiration. Tu pourrais bien t'y trouver pris[13]. »

Fabvier était donc plus épris que jamais. Pas plus en 1813 qu'en 1811, il est vrai, nulle considération, nulle passion ne pouvait lui faire oublier sa vocation militaire. Les circonstances, du reste, ne lui permettaient plus de ne voir dans la guerre que le moyen d'acquérir quelque gloire. Il y avait maintenant la France à venger ; demain peut-être il faudrait la défendre. Trahi par la fortune en Russie, Napoléon, la veille encore adulé par toute l'Europe, voyait se former contre lui la coalition formidable sous laquelle il devait succomber. Décidé à la prévenir, il avait fait sortir du sol une armée nouvelle. Ses vieux soldats étaient morts. C'est avec des conscrits imberbes qu'il allait reparaître en Allemagne et tenter le sort une fois de plus. En février et mars 1813, les régiments français s'acheminaient de toutes parts vers le Rhin. Fabvier, l'on n'a pas de peine à le croire, brûlait de les suivre. Mais sa blessure, à son grand désespoir, ne guérissait pas. Tantôt la plaie se rouvrait, tantôt une esquille nouvelle se détachait de l'os. Il lui fallait se mettre au lit. Il y était, par exemple, au temps du carnaval ; c'était sans doute, disait-il, l'effet des prières de sa mère pour son salut : Dieu les avait exaucées en le mettant aux arrêts, pour le préserver du péché[14]. Il avait le chagrin de voir partir Marmont qui, chargé du commandement du 6e corps, allait peut-être se battre sans lui. A cette pensée, tout son sang bouillait ; coûte que coûte, il fallait qu'il partît aussi. Il s'agit, écrivait-il à son frère, « de défendre la patrie, de conserver la gloire acquise par vingt ans de victoires, par tant de sang et de génie. Jamais la guerre, ajoutait-il, ne m'a paru un si noble métier que maintenant. Je me porterai toujours assez bien pour me trouver à une bataille. Je hais tant les Russes ! Il faudrait que je fusse bien malade pour ne pas avoir de force contre eux...[15] »

Enfin vers le milieu d'avril, au moment où les hostilités allaient s'ouvrir en Saxe, les médecins lui permirent de se mettre en route. Il monta aussitôt en chaise de poste, prit à peine le temps d'embrasser en Lorraine son frère et ses parents et en moins de huit jours rejoignit le 6 corps. La grande tuerie de 1813 allait commencer. A la veille du choc décisif qui se préparait entre la France et la coalition, en présence d'un ennemi sombre, résolu, prêt à tout, Fabvier fut tout à coup envahi par une vague tristesse, dont il ne pouvait se défendre. Son âme restait forte et son bras ne tremblait pas. Mais son cœur éprouvait une sorte d'angoisse ; sa virile mélancolie de soldat s'épanchait dans ces lignes touchantes :

« ... Je n'ai jamais quitté la France avec autant de regret que cette fois-ci. J'avais le cœur cruellement serré en passant le Rhin. Je ne sais ce que cela veut dire... J'ai continué ma route en cherchant à remplir mon cœur d'idées de guerre. Mais quelle que soit l'ardeur avec laquelle je me porte à faire cette campagne, à combattre les Russes que je hais, le spectacle de cette triste Allemagne, harassée depuis tant d'années du poids de nos armées, m'afflige. Combien de malheureux allons-nous faire ? Plaise à Dieu que les Russes nous attendent, que quelques batailles glorieuses terminent promptement la guerre, que notre chère France soit délivrée de ses inquiétudes, que notre gloire soit maintenue. Alors tout sera bien. Mais si la campagne est disputée, si l'on doit dévaster depuis le Rhin jusqu'au Niémen, quelle horrible chose[16] ! »

Qu'on ne croie pas pour cela que Fabvier fût découragé, ni qu'il crût la partie perdue pour la France. « L'armée, ajoutait-il, est bien disposée ; personne ne doute du succès. L'Empereur a fait dans quatre mois plus de prodiges que dans tout le reste de sa vie. Il est à mes yeux plus grand que jamais[17]. » Cette confiance de nos jeunes troupes était bien réelle. Il en eut la preuve à Lutzen, où 1'honneur de la journée fut aux conscrits, et particulièrement à ceux du 6e corps. Fabvier qui les vit à l'œuvre et qui partagea leurs périls, sentit un moment renaître en lui cet entrain, cette bonne humeur de soldat qui avait été sa force dans ses premières campagnes. « Nos troupes, écrivait-il dès le lendemain, ont montré toute la valeur qu'on n'aurait dû attendre que des plus vieilles bandes. Notre corps d'armée a eu une bonne part dans l'affaire. Jamais je n'ai vu de plus intrépides soldats. Lorsqu'un coup de mitraille frappait une compagnie, tout ce qui ne tombait pas se serrait en criant : Vive l'Empereur ! Pendant la nuit, nous avons été chargés par la cavalerie prussienne, qui a été reçue froidement sur les baïonnettes. Nous avons failli être tous tués par un carré qui nous a pris pour de la cavalerie et nous a salués à bout portant. Moitié de notre état-major a été tué, blessé ou démonté. Le bonheur qui m'a suivi toute la journée ne m'a pas abandonné le soir. J'ai vu beaucoup de boulets, surtout de balles. Mon cheval a été renversé, moi aussi. Le premier aide de camp du maréchal a été blessé à mort. Tous ces messieurs ont eu leurs chevaux tués ; eux-mêmes blessés. Le feu a été presque aussi vif qu'à la Moskowa. J'ai été préservé, je pense, par quelque bon génie qui a ordre du ciel de me garantir de tout malheur par considération pour les personnes qui veulent bien s'intéresser à moi. Je t'avoue que je compte un peu là-dessus...[18] »

La campagne, ouverte si brillamment, sembla devoir amener en quelques semaines le triomphe complet de Napoléon. Dresde occupée, les alliés écrasés encore à Bautzen et à Wurschen, la Saxe au pouvoir des Français, la Silésie entamée, tel fut le résultat foudroyant d'opérations qui n'avaient pas duré plus d'un mois. Si l'Empereur eût à ce moment voulu d'une paix raisonnable, il la tenait dans la main. Mais il se refusait à toute concession. Puisque telles étaient ses dispositions, le parti le plus sage qu'il pût prendre était de poursuivre l'épée dans les reins l'ennemi qu'il avait vaincu et de le réduire à crier grâce. Mais c'est alors justement qu'il commit la faute de signer ce fatal armistice de Pleswitz qui allait procurer à la coalition deux mois de repos pour se réorganiser et, finalement, le concours décisif de l'Autriche (4 juin 1813).

Fabvier, qui s'était signalé par sa belle conduite a Lutzen et qui, les jours suivants, avait été chargé d'une importante reconnaissance de cavalerie, ne fut pas inférieur à lui-même le jour de Bautzen. Aussi la dignité d'officier de la Légion d'honneur lui fut-elle conférée dès la fin de mai pour ses dernières actions d'éclat. Cette récompense devait, à ce qu'il semble, le combler de joie. Mais s'il n'y fut pas insensible, il ne la célébra pas avec l'exaltation qu'on pouvait attendre de lui. Son âme était à ce moment déchirée de douleur. Il venait de voir mourir son compatriote, son protecteur, son ami, le duc de Frioul, et ne s'en pouvait consoler. Le lendemain de Wurschen, le 22 mai, le grand-maréchal Duroc, examinant les positions de l'ennemi, qui se retranchait sur les hauteurs de Reichenbach, avait reçu un boulet dans le ventre. On l'avait emporté dans une cabane et là on n'avait pas tardé à reconnaître que sa blessure était sans remède. L'Empereur, en larmes, était venu dire un dernier adieu à son confident le plus intime et le plus cher. Marmont, étroitement lié depuis longtemps avec Duroc, était accouru aussi. Quant à Fabvier on doit bien penser qu'il n'avait pas été des derniers à se rendre auprès du mourant.

« O mon ami, écrivait-il à son frère dès le 23 mai, quel horrible coup ! Ce malheureux duc de Frioul, dans un combat insignifiant, a été frappé d'un boulet de canon. Aussitôt que je l'ai su, j'étais aux avant-postes, je suis venu près de lui ; j'étais hors de moi. Il m'a reconnu, m'a dit adieu avec bonté et calme. Avec quelle constance il souffre les plus cruelles douleurs ! J'y suis retourné cette nuit ; j'y vais aller encore. Mais ce n'est que pour le voir souffrir le martyre, car il n'y a plus d'espoir, les intestins sont coupés. Quel sort ! Quelle désolation ! Je n'ose y penser. Je crains l'excès d'une telle douleur pour toute sa famille. La consternation est générale dans l'armée. Tout le monde l'aimait. Je te quitte pour y aller encore. Je peux disposer de deux heures avant qu'on ne marche de nouveau à l'ennemi. Il y a deux lieues d'ici. Je pars au galop. Je ferais peut-être mieux de ne pas y aller ; c'est un spectacle déchirant. Les douleurs sont quelquefois si aiguës qu'elles lui arrachent des cris qui me font mal[19]. »

Un peu plus tard (1er juin), il retraçait encore en ces termes la longue et cruelle agonie du grand-maréchal :

« Mon ami, je ne puis éloigner un instant de mon esprit le souvenir des derniers moments de ce malheureux duc de Frioul. Je ne puis te peindre toutes les peines douloureuses qui m'accablaient lorsqu'assis sur un banc et sans qu'il me vit, je regardais cet homme si heureux jusqu'ici : un instant il était là, couché sur de la paille, prêt à tout quitter, à perdre tout ce que le ciel a pu donner de faveurs à un homme sur la terre. Je ne sais s'il envisageait son sort comme je le faisais ; mais si cela est, sa constance était grande. A sa place, je serais mort de désespoir. Peut-être a-t-il pensé que le bonheur avait été trop grand pour en devoir jouir longtemps. Pendant plus de six heures, mon ami, j'ai été volontairement accablé de ce triste spectacle. La première fois que j'y suis entré, il m'a dit adieu avec calme et d'un air d'amitié plus agréable qu'il ne me l'avait jamais montré ; depuis lors, cent fois, lorsque ce malheureux homme se plaignait des affreuses douleurs qui le déchiraient, je voulais lui parler, l'aider a se mouvoir. Jamais je n'ai osé. Mon maréchal a été le voir ; je l'ai conduit ; ils se sont fait des adieux à arracher des larmes. La nuit, dans un moment de délire, il se plaignait de n'avoir personne pour soutenir son bras. J'étais derrière lui ; je 1'ai soutenu sans qu'il me vît. Mais jamais je n'ai osé me montrer ; je craignais qu'il ne me parlât. L'armée a marché en avant. Je suis encore revenu depuis la première affaire : il était mort. Il a bien souffert pendant trente heures. Mais il a été heureux bien des années. Enfin tout ce que je pourrais te dire serait toujours dans ces mêmes idées[20]. »

Fabvier devait rester encore longtemps sous l'impression de cette scène lugubre. Pendant près de deux mois, il ne put presque entretenir son frère d'autre chose. Il revenait sans cesse, et comme malgré lui, sur un récit qu'il avait fait dix fois et que son cœur avait toujours besoin de recommencer. S'il repassait près de l'humble maison où le grand-maréchal avait expiré, il entrait s'y asseoir, malgré le redoublement de douleur qu'il y devait éprouver. « J'aurais voulu ne pas revoir cet endroit. Je le redoutais d'avance ; et cependant je n'ai pu résister à je ne sais quelle pensée qui m'y a fait entrer. Je me suis assis sur le même banc où j'ai passé tant d'heures. J'y suis resté longtemps. D'abord je fixais la place où il était couché. Ensuite, je ne sais où étaient mes yeux, mais je ne voyais plus rien. Je me reportais à ce terrible jour ; toute cette scène m'était présente. Je retrouvais jusqu'aux mêmes pierres. Ces adieux qu'il m'a faits sont toujours présents. Il me regardait avec une expression d'amitié que je ne lui avais jamais vue. Mon ami, je ne peux cesser de m'occuper de ce triste sujet ; tout m'y rappelle, mais surtout les pensées de Lorraine[21] ... »

On doit bien croire que dès le jour de la catastrophe l'esprit et le cœur de Fabvier s'étaient portés d'un irrésistible élan vers la famille du grand-maréchal et surtout vers l'infortunée duchesse de Frioul. La pauvre jeune femme était depuis un an bien éprouvée. Elle avait eu un fils de Duroc, et cet enfant donnait les plus belles espérances. Il était mort au commencement de 1812 .Elle n'avait plus qu'une fille, née depuis, et d'une constitution si frêle qu'elle tremblait sans cesse de ne pouvoir la conserver. Elle perdait maintenant un mari jeune, illustre. Quelques semaines plus tard, elle allait apprendre la déroute de Vittoria[22] et trembler pour la vie de son père, qui servait alors le roi Joseph et qui, s'il fût tombé au pouvoir des Espagnols vainqueurs, eût été infailliblement mis à mort. Tant de malheurs la rendaient chaque jour plus chère et en même temps plus sacrée à son lointain adorateur. Mais il n'était pas homme à l'importuner des témoignages de sa respectueuse sympathie. Il poussait même, dans les premiers temps qui suivirent la mort de Duroc, la délicatesse et la discrétion jusqu'à ne pas vouloir que son nom fût prononcé devant la duchesse. « Ne parle pas de moi à ces dames», écrivait-il à son frère ; « cela leur rappellerait la guerre et leurs cruelles pertes. Emploie tout ce que tu sais de consolant. Je ne sais que te dire. Que Dieu la frappe cruellement ! Tant de douceur et de bonté ! Qu'elle a déjà souffert dans sa vie ! Je voudrais de mon sang remplacer celui qu'elle a perdu... Surtout, pendant ces premiers temps, que je sache comment se porte sa douleur. J'en suis dans les plus vives inquiétudes, et cela seul m'occupe[23]... » Un peu plus tard, il exprimait encore les mêmes idées et ajoutait : « Ne parle pas de moi, si ce n'est si on te demandait si j'aurais voulu me charger de ce malheureux boulet ; réponds oui... »

Bientôt, il est vrai, son cœur ne put tenir à cette contrainte. A l'impatience toujours croissante d'apprendre comment se portait la douleur de la jeune duchesse, se joignit en lui le désir de savoir si elle parlait quelquefois de lui, si elle ne doutait pas de son admiration, de son respect. Il suppliait son frère d'aller la voir souvent[24]. « Dis-lui », lisons-nous dans une de ses lettres, « que tous les éloges du reste du monde ne valent pas à mes yeux le plus léger signe de son approbation[25]... » Il finissait par trouver étrange, exaspérant, que son correspondant hésitât et mit du retard à se présenter chez elle. « Es-tu fou ? » écrivait-il le 18 juin. « Qui t'empêche d'y aller, de te tenir 1à, sans la voir, si tu veux ? Mais au moins tu saurais comment elle est ; les gens te diraient chaque quart d'heure comment elle est. Tu peux le savoir et tu ne fais rien pour cela. Quel singulier être que tu es ! Pourtant tu lui es bien attaché, cela je n'en doute pas. Ton flegme me tourmente. Moi qui donnerais tout pour savoir[26] !... »

Quelle joie, quelle exaltation en lui, quand il sut ce qu'elle avait fait, ce qu'elle avait dit ! « Je te sais bien bon gré », répondait-il à son frère le 12 juillet, « de m'avoir si bien dit tout. Tu es bien heureux qu'elle te reçoive ainsi à partager sa douleur ; cela sera bon aussi pour elle. Tu as le cœur bon et délicat. Ne la fatigue pas d'impertinentes consolations. Il n'y a rien de mieux quand on souffre que d'avoir à côté de soi quelqu'un qui ne dit rien, mais qui souffre aussi. » Mais, d'autre part, quelle impatience fébrile ; quelle irritation quand les lettres se faisaient attendre ! Fabvier n'avait pas à ce moment, pour se distraire de ses peines de cœur, le bruit du canon, l'agitation du champ de bataille. L'armistice durait toujours. Quelques missions à Dresde auprès de l'Empereur, quelques reconnaissances sur les frontières de Bohême ne suffisaient pas pour absorber l'esprit et lasser l'activité du bouillant officier. Il se répandait en reproches contre son frère : « Vraiment tu me désespères. Est-il possible que ton amitié pour moi ne puisse vaincre cette chienne de paresse qui s'enracine chaque jour davantage ?... Quand nous nous battons, si je ne reçois pas de lettres, eh bien, j'en prends mon parti. Je puis accuser l'inexactitude des postes. Mais maintenant !... Ah ! tu ne te mets pas un instant à ma place... »

Ces lignes étaient tracées le 5 août. Neuf jours plus tard, les hostilités avaient recommencé sur toute la ligne. Fabvier, du moins, allait pouvoir se battre. Il est vrai qu'il était malade. Sa blessure de la Moskowa le faisait de nouveau souffrir. Une esquille venait de se détacher de l'os. Mais il en prenait son parti, annonçant qu'il voyagerait en calèche, sauf à monter à cheval les jours de bataille. Seulement ce qu'il ne pouvait admettre, c'était que son frère eût l'air de l'oublier. « Nous partons aujourd'hui », écrivait-il tristement. « Ma jambe est en assez mauvais état. Mais je voudrais avoir une autre balle au travers du corps et n'avoir pas les tourments que tu m'as donnés[27]... »

La seconde campagne de Saxe venait de s'ouvrir. Elle eut, comme la première, le début le plus glorieux pour l'armée française. Les Austro-Russes, débouchant en masses profondes des montagnes de Bohème, s'étaient portés sur Dresde pour couper à Napoléon sa ligne de retraite. L'Empereur dut ramener à marches forcées, du fond de la Silésie, ses meilleures troupes pour sauver cette position capitale. Son entrée dans la ville, que l'ennemi était sur le point de forcer, fut un vrai coup de théâtre. Fabvier, qui le suivait avec Marmont, était, en y pénétrant, tout vibrant d'enthousiasme. La pluie qui tombait à torrents, la canonnade qui faisait rage, ne l'empêchèrent pas de tracer aussitôt ces lignes où l'on sent comme la fièvre du combat et de la victoire : « A demain une des plus mémorables batailles de notre âge. Gloire sur gloire ! Je t'écrirai aussitôt. Adieu ! Nos soldats chantent ce fameux couplet: L'astre du jour ramène les combats. Ils ont fait douze lieues par jour et font des prisonniers à la course[28]... »

Ses pressentiments ne le trompaient pas. L'ennemi fut mis complètement en déroute, et huit jours après, Fabvier pouvait annoncer en ces termes les derniers triomphes de nos armes en Allemagne : « ... Nous venons de poursuivre l'ennemi jusqu'en Bohême. Notre corps d'armée a eu trois belles affaires, les 28, 29 et 30 août. Nous avons pris plus de 4,000 hommes et 400 à 500 voitures, sans compter la déroute totale devant Dresde. Ces bonnes gens croyaient que nous n'étions plus les mêmes. Nos troupes n'ont jamais été plus valeureuses[29]... »

A la suite de ces belles opérations, le maréchal Marmont tint à honneur d'appeler sur le plus brave et le plus distingué de ses aides de camp l'attention et la bienveillance de l'Empereur. Par décret du 19 septembre 1813, Fabvier fut nommé colonel. Il n'avait que 31 ans. Le commandant du 6e corps, qui, loin de vouloir se séparer de lui, l'attacha plus étroitement que jamais à son état-major, lui fit espérer, pour un avenir prochain, un rang plus haut et plus glorieux encore. Mais si les sourires de la gloire lui étaient sensibles, ils ne pouvaient à ce moment triompher de sa tristesse. Sa pensée s'envolait toujours vers la Lorraine, et la duchesse de Frioul, renfermée dans sa douleur, le désespérait en lui refusant jusqu'à l'expression d'un souvenir. Elle défendait même a Fabvier l'aîné de lui parler d'elle, et si le colonel ne pouvait plus maintenant accuser de négligence son correspondant de Nancy, il se plaignait amèrement de ne pas trouver dans les lettres de ce dernier ce qui par dessus tout les lui rendait désirables. « Ne peux-tu pas me dire », lui demandait-il, « que les personnes pour qui j'ai tant d'attachement se portent bien, qu'elles daignent penser à moi quelquefois et t'en parler ? Je ne vois pas ce que cela peut avoir d'indiscret. Comment peut-on te le défendre ? Au milieu des peines et des fatigues de cette guerre, ne puis-je avoir cette consolation ?... Dis-moi : Nous nous portons bien, nous pensons a toi... elle est toujours là, elle ne pense pas à nous quitter[30]. »

Cette idée qu'elle pouvait bien songer à vendre Clémery, quitter la Lorraine et n'y plus jamais revenir, l'obsédait et le désespérait. Il faut ajouter qu'à ces préoccupations toutes personnelles se joignaient, pour l'assombrir, les réflexions douloureuses que la mauvaise tournure de la guerre commençait d'inspirer à tous les Français. Après d'énormes sacrifices d'hommes, après des efforts inouïs, après des victoires inespérées, Napoléon fléchissait visiblement sous les coups de la coalition. Ses lieutenants étaient battus partout, Macdonald sur la Katzbach, Vandamme à Kulm, Oudinot à Gross-Beeren, Ney à Dennewitz. Il lui fallait reculer, concentrer les débris de la Crande-Armée à Leipzig, où cinq cent mille ennemis l'enserraient bientôt d'un cercle de fer. La bataille des nations était imminente, et les plus braves de nos soldats ne pouvaient, hélas ! se faire illusion sur le résultat de la partie suprême que le conquérant aux abois allait leur faire jouer.

C'est avec une résolution mâle et triste que Fabvier voyait approcher cette journée. Ce que fut la bataille, chacun le sait. On n'ignore pas que Marmont s'y couvrit de gloire. Si son aide de camp en revint vivant, ce ne fut cependant pas faute d'y avoir affronté la mort. Une retraite lugubre commençait. Dans la boue et dans le sang, les quelques milliers de Français qui avaient échappé à l'égorgement de Leipzig traversaient péniblement l'Allemagne soulevée. Le vainqueur, âpre et furieux, les poursuivait ; un allié de la veille, le Bavarois, maintenant tourné contre eux, les attendait au passage pour les exterminer. Mais, chose étrange, Fabvier se sentait à cette heure le cœur plus haut et plus fort. S'il n'espérait plus le triomphe de nos armes, une douce pensée avait tout à coup fait renaître en lui son entrain, sa verve et son désir de vivre. Il savait enfin qu'on ne l'oubliait pas. Son frère avait été autorisé à le lui dire. « Remercie des vœux qu'on fait pour moi », écrivait-il, à Erfurt, le 24 octobre, après avoir reçu cette bonne nouvelle. « C'est tout ce que je veux au monde. Remercie encore d'avoir levé la consigne du silence. Elle m'avait fait tant de mal ! Maintenant je suis bien. Je ne crains Russes, Prussiens, Autrichiens, rien au monde que l'oubli... Nous nous battons. On s'écrase de toutes parts, mais le nom français va bien. Canon, fusil, sabre, tout joue avec vigueur. Le cœur est toujours bon chez nous. Adieu ! voilà l'ennemi. »

Enfin, dans les premiers jours de novembre, Napoléon put cantonner derrière le Rhin le peu de soldats qu'il ramenait de Leipzig et de Hanau. La campagne de 1813 était terminée. L'Allemagne était perdue pour nous et nous allions avoir à défendre notre propre indépendance. A cette idée, Fabvier se sentait presque défaillir. Mais il ne pouvait admettre ou que l'ennemi fût assez hardi pour entrer en France, ou que la France ne l'en fit pas repentir. « Nous sommes rentrés ici », écrivait-il de Mayence, « en combattant chaque jour, assaillis à chaque pas, sur tous les points, à Leipzig par les Saxons, sur qui nous comptions, à Francfort, à Hanau par les Bavarois, toute l'Allemagne, enfin. Jamais l'armée n'a montré plus d'énergie. Jamais nos ennemis n'ont combattu avec plus d'audace. Nous avons plus versé de sang depuis un mois que dans tout le reste de la campagne. On ne calcule plus pour combattre. Chacun veut forcer l'ennemi où il le trouve. Le Rhin, qui est devant nous, me donne des pensées assez tristes. Mais je vois avec plaisir que chacun de nous fera plus d'efforts que jamais pour défendre cette barrière sacrée. Ce n'est pas un fleuve que l'ennemi a devant lui, c'est le Rhin. Je crois assez qu'il n'en tentera pas le passage, au moins dans cette partie[31]. »

Au milieu de ces sombres préoccupations, il ne cessait de songer à la duchesse de Frioul. Il tremblait toujours qu'elle ne quittât la Lorraine sans esprit de retour. « Ce serait, déclarait-il, une calamité pour tout le pays. Vous êtes si heureux de l'avoir ! Elle doit vous rendre tous bons et vertueux, ou bien c'est que vous ne valez pas le diable[32]. » Parfois, il se rappelait lui avoir déplu par ses emportements. Il suppliait son frère de plaider sa cause auprès d'elle, de lui représenter qu'il n'était pas hautain, comme elle pouvait le croire. « ... Je me doutais bien qu'elle n'aurait pas oublié cela, que je lui avais laissé cette impression désagréable. Mais, puisqu'elle n'oublie rien, qu'elle croie, qu'elle n'oublie pas que mon dévouement pour elle est sans bornes, que quelque chose que le ciel nous réserve, il n'y a rien au monde que je ne fasse pour mériter son estime et cette douce et glorieuse amitié qu'elle me porte[33]. » Il s'inquiétait enfin du parti qu'elle prendrait au cas de plus en plus probable d'une invasion. La duchesse avait passé tout l'été de 1813 à Clémery. Depuis quelques semaines, elle avait regagné Paris. Mais y resterait-elle ? Le colonel, vers la fin de décembre, suppliait son frère de s'en enquérir. « Je te prie d'écrire sur-le-champ à Paris pour savoir ce que l'on compte faire. Je veux absolument le savoir par toi. Cela est très important dans le moment présent, où on ne peut prévoir ce qui arrivera. Il peut se présenter telle chance qui me donnerait les moyens d'être utile, et je serais bien malheureux si je la manquais. Qu'on te fasse toujours et bien exactement savoir si on part, où on va et pour combien de temps probable[34]. »

Pendant son séjour à Mayence, qui dura deux mois, il avait un désir ardent d'aller embrasser ses parents et son frère. Il n'était plus guère maintenant qu'à cinquante lieues de Nancy ou de Pont-à-Mousson. Vingt fois il fut sur le point de partir. Mais un scrupule de soldat le retenait toujours. Pouvait-il demander un congé, pouvait-il s'éloigner, même pour deux jours, pouvait-il quitter son chef de corps, quand d'un moment à l'autre on s'attendait à voir déboucher l'ennemi ? « Le maréchal », écrivait-il le 12 novembre, « est gouverneur de toute la frontière. Ce brave homme montre à découvert son noble cœur, sa constance, ses talents, son parfait dévouement à la patrie. Je lui suis utile en service et en amitié. Je n'ai pas le cœur de lui parler de le quitter dans ces moments, même pour vingt-quatre heures. Et cependant, Dieu sait que je ne passe pas un quart d'heure dans le cabinet ou sur le champ de bataille que mon esprit ne soit sur la route de Lorraine. Ce diable de canon me retient toujours. Chaque jour l'ennemi nous tâte en avant de Cassel ou nous le tâtons nous-mêmes. Ce n'est pas le moment de quitter la partie. Si je m'éloignais de dix lieues d'ici, je croirais entendre tous les canons ennemis tonner contre nos forts[35]... »

Au moment où Fabvier traçait ces lignes, l'invasion n'était pas imminente. Elle l'était à la fin de décembre et, à cette époque, le colonel, malgré son désir de revoir les siens, ne songeait plus guère à quitter Mayence que pour prendre sa bonne part de la défense nationale. « Tu sais, écrivait-il, qu'avant tout il faut être fidèle la devise de l'ordre Honneur et Patrie. Je verrais avec rage notre inaction, si elle devait durer pendant que l'ennemi va pénétrer en France. Je laisserais tout là et j'irais me joindre aux masses. Je ferai l'impossible pour aller te voir. Mais cependant je ne manquerai pas une bataille livrée pour la délivrance de la patrie[36]... ».

Ses vœux devaient être exaucés. La campagne de France était sur le point de commencer et Fabvier devait y participer plus glorieusement encore qu'il ne venait de le à faire la campagne d'Allemagne.

Marmont, à qui Napoléon, en se rendant à Paris, avait laissé à défendre la partie la plus menacée de la frontière[37], venait, en réunissant les débris de huit ou neuf corps d'armée, d'en former un nouveau, que l'on continua d'appeler le 6e, comme celui qu'il avait commandé en Saxe. Grâce aux quelques conscrits qui purent le rejoindre avant la fin de décembre, il en avait porté l'effectif à douze ou treize mille hommes. C'était avec cette poignée de soldats qu'il avait à protéger soixante lieues de frontière. Victor n'en avait pas plus pour défendre l'Alsace ; Macdonald en avait moins pour protéger la Belgique. Que pouvaient faire ces trois maréchaux ? Quand les trois grandes armées de la coalition, celle de Bohême, celle de Silésie et celle du Nord, franchirent à la fois le Rhin et que cinq cent mille hommes pénétrèrent sur le sol de l'Empire, il fallut bien reculer. Napoléon, qui n'avait pu, en deux mois, recruter que quelques milliers de soldats, donna l'ordre à ses trois lieutenants de se replier et de se concentrer en Champagne, où il devait les rejoindre à la fin de janvier. Alors seulement il put disputer le terrain à la coalition.

C'est principalement par les soins de Fabvier que le 6e corps avait été réorganisé, à Mayence et à Worms. Marmont, depuis Leipzig, l'avait chargé des fonctions de chef d'état-major. Il eût voulu le maintenir dans cet office. Mais c'était un emploi de général. Le colonel avait dû, en décembre, céder la place à un autre. L'empereur avait tenu à le dédommager en lui donnant le titre de baron. Du reste le maréchal n'avait point voulu se séparer de lui. Fabvier était demeuré son conseiller, et c'est à lui que, du commencement à la fin de la campagne, il devait confier les études les plus ardues et les missions les plus périlleuses. C'est donc lui, plus qu'à nul autre peut-être de ses officiers, que devait revenir la tâche de retracer l'histoire du 06e corps durant la campagne de France. Fabvier s'en est acquitté plus tard avec la précision d'un tacticien rompu à la grande guerre et l'émotion d'un soldat inconsolable de n'avoir pu préserver sa patrie de l'invasion. Nous n'avons pas à faire ici l'analyse de son livre[38]. Elle ne serait à sa place que dans une histoire générale de Napoléon ou dans une étude spéciale sur le maréchal Marmont. Nous laisserons de côté le détail des opérations qu'il raconte. Nous ne devons prendre dans son récit que ce qui nous éclaire sur son rôle personnel et ses sentiments pendant les trois mois que dura la campagne.

Tout d'abord, c'est à lui que le duc de Raguse en quittant le Rhin, donna, dans les premiers jours de janvier, la mission de visiter Metz et Nancy, villes sur lesquelles il comptait s'appuyer, et de s'assurer des ressources qu'il y trouverait pour la défense. Ce voyage, qui lui permit de passer quelques heures avec ses parents et avec son frère, l'attrista d'autre part en lui montrant le désarroi, l'effarement qui régnaient dans les administrations et l'incurie des pouvoirs publics en présence de l'invasion. Voici en quels termes il en a rendu compte dans le Journal des opérations du 6e corps :

« Le maréchal avait envoyé un colonel de son état-major à Metz et à Nancy pour connaître les moyens de défense qu'on pourrait tirer de ces points. Le grand quartier-général était encore à Metz et son énorme consommation rendait impossible l'approvisionnement de cette place. On marquait à cette époque dans les fonds du Gouvernement les arbres destinés à fournir des palissades à cet antique boulevard de la France. Il n'y avait que trente canons sur les remparts. La sollicitude du maréchal sauva cette place de la honte de tomber après quelques semailles de siège. Il y resta quatre jours, l'approvisionna et en organisa la défense, qu'il confia au général Durutte. Un sénateur commissaire avait été envoyé à Nancy investi des pouvoirs les plus étendus, mais d'un âge avancé et dont la carrière avait toujours été fort éloignée de l'état militaire. Il avait cru remplir tous ses devoirs en publiant un arrêté qui appelait à la défense de la patrie tout Français en état de porter les armes. Dix à douze mille hommes de cette brave province se présentèrent. On n'avait songé à leur préparer ni armes ni vivres. Lorsque les premières troupes légères de l'ennemi parurent, les autorités revinrent en poste à Paris rendre compte de leur mission. La levée en masse se fondit d'elle-même. On faisait alors à Nancy ce que l'on a vu en tant d'endroits. Pour faire remarquer son zèle, on prenait des mesures d'une étendue et d'une énergie extraordinaires, comptant bien que les événements marcheraient trop vite pour que rien pût être conduit à fin, et la population entière était la dupe de quelques comédiens. »

Fabvier signale encore dans d'autres endroits de son livre cette inertie ou ce mauvais vouloir des corps administratifs qui, malgré les efforts de l'Empereur, paralysaient la défense du pays. Les maires ne se prêtaient que mollement et de mauvaise grâce aux réquisitions, ne fournissaient pas en temps utile les renseignements qui leur étaient demandés. Quelques-uns se cachaient. Il en était même qui, à l'instigation de certains royalistes, commençaient à tourner leurs regards vers les Bourbons et qui accueillaient l'ennemi sans répugnance[39]. Tous ces symptômes de découragement ou de trahison portaient au comble l'exaltation patriotique de notre auteur. Le 23 janvier, arrivé à Verdun, il écrivait à son frère : « Je t'écris dans les chagrins et les inquiétudes les plus vives, l'indignation et la douleur la plus cruelle. Au milieu de tout cela, je me porte bien, au cœur près. J'ai eu il y a deux jours une affaire heureuse et brillante. Mais qu'est-ce ? Quand nous reverrons-nous ? Quand aurons-nous du repos dans l'âme ? Je souffre peu pour moi-même. Enfin, ce que je voudrais te dire, tu le devines. Quand nous reverrons-nous ? Quand reverrons-nous ces douces contrées où je n'ai jamais pu passer des moments que je jugeais devoir être si doux ?... »

A cette heure la Lorraine presque entière, aussi bien que l'Alsace, était déjà occupée par l'ennemi. Quelques places fortes seules résistaient encore. Le début de la campagne eût été tout autre si les autorités constituées eussent fait partout leur devoir. Pourquoi, d'autre part, Napoléon n'en avait-il pas dès lors, loyalement et sans réserve, appelé à ce patriotisme populaire qui avait sauvé la France vingt ans plus tôt et qui pouvait encore la sauver ? Au lieu de témoigner au peuple, comme il le faisait encore à ce moment, une injuste défiance, il fallait se jeter cordialement dans ses bras. A l'approche des alliés, les bûcherons des Vosges s'étaient spontanément soulevés et la fermeté avec laquelle ils avaient, plusieurs jours durant, défendu leurs montagnes, montrait le parti qu'on aurait pu tirer de leur dévouement et de celui de leurs voisins. Un peu plus tard, en Champagne, au milieu de populations misérables, ruinées, qui n'avaient plus guère en perspective que l'incendie et la mort, Fabvier put constater bien des fois le bon vouloir infatigable de nos paysans pour la cause nationale.

« Dans cette campagne sacrée, a-t-il écrit, où chacun défendait le sol qui l'avait vu naître, chaque jour voyait des scènes nouvelles ou attendrissantes. Tantôt, malgré nos efforts, il fallait abandonner aux barbares nos villes, nos villages et leurs habitants ; d'autres fois nous y rentrions en vainqueurs, et alors, malgré les pillages et les incendies, ces nobles paysans venaient nous offrir leurs dernières ressources. Souvent, on voyait, du milieu d'épaisses forêts, s'élever des colonnes de fumée. C'étaient des vivres qui cuisaient pour nous. On les apportait à la faveur de la nuit, à travers mille périls, à nos colonnes harassées. Habitants des campagnes, vous êtes la partie la plus vénérable du peuple français. Que n'auraient-ils pas fait, ces paysans, si une politique insensée, habituelle au despotisme, ne les eût désarmés de longue main[40] ?.. »

Si les populations n'étaient guère encouragées à la résistance par les pouvoirs publics, les troupes régulières se démoralisaient d'elles-mêmes en constatant leur impuissance. L'invasion avançait toujours. Quatre cent mille coalisés étaient en France à la fin de janvier. A ce moment, Marmont, Ney et Victor, après avoir livré vingt combats, venaient de faire péniblement leur jonction à Vitry-le-François. Macdonald s'était rabattu sur la Marne, Mortier sur la Seine. Ces cinq maréchaux n'avaient pas à eux tous plus de cinquante mille hommes. Napoléon, qui accourut pour coordonner leurs efforts et diriger lui-même la défense, ne put jamais en mettre en ligne plus de trente mille à la fois devant l'ennemi. Ses premières opérations, on le sait, ne furent pas heureuses. Il eut le tort de vouloir livrer à la Rothière une bataille rangée ; il la perdit. Il lui fallut reculer de Brienne jusqu'à Troyes, jusqu'à Nogent-sur-Seine, et encore ne put-il effectuer sa retraite que grâce à l'héroïsme du corps de Marmont qui s'exposa à une entière destruction pour arrêter l'ennemi. Bientôt Blücher, avec toute l'armée de Silésie, se porta contre Macdonald, qui dut reculer aussi. C'est alors que le duc de Raguse fit agréer à l'Empereur l'idée d'attaquer tout à coup le général prussien en pleine marche. Ce projet eut un entier succès, et les trois victoires de Champaubert, de Montmirail et de Vauchamps, qui furent dues en grande partie aux troupes de Marmont, dégagèrent pour un temps Paris du côté de la Marne (10-14 février).

Il ne fallait rien moins que ces brillantes journées pour relever le courage de nos pauvres soldats. Marcher et se battre chaque jour, quelquefois sans manger, et reculer toujours, tel était leur sort depuis plusieurs semaines. La mort faisait parmi eux des vides effrayants. Du 30 décembre au 10 février l'effectif du 6e corps était tombé de treize mille hommes à moins de six mille. L'esprit de désertion menaçait de devenir contagieux. Un seul régiment avait perdu en une nuit 247 hommes, qui s'étaient dispersés et qu'on n'avait pu retrouver. Les batailles heureuses que nous venons de mentionner ranimèrent dans les cœurs l'énergie militaire et rétablirent la discipline. Il faut dire aussi que, contrairement à toutes les prévisions, nos corps d'armée gagnaient chaque jour plus d'entrain patriotique par l'incorporation des conscrits qu'on leur envoyait de Paris ou d'ailleurs et qui étaient encore presque des enfants. Ces enfants se battaient mieux que les vieux soldats. Nous pouvons en croire Fabvier, qui les vit à l'œuvre et qui se connaissait en bravoure.

« Levés et incorporés à la hâte, dit-il dans son Journal, l'innocence et la simplicité de ces braves jeunes jens amusaient les vieux soldats. Leur habillement consistait en une redingote grise et un bonnet de forme féminine. On les appelait les Marie-Louise. Ces enfants manquaient de force et d'instruction. Mais chez eux 1'honneur remplaçait tout. Leur courage était indomptable. Au cri En avant, les Marie-Louise ! on voyait leurs figures éteintes se couvrir de la plus noble rougeur ; affaiblis par la fatigue et par la faim, leurs genoux se raidissaient pour voler à l'ennemi. Quant à ce qu'ils savaient faire, les grenadiers russes peuvent le dire... » A Champaubert, « l'ennemi occupait fortement un petit bois. On se disposa à l'enlever. Les Marie-Louise composant le 113e eurent la tête ; des pelotons de tirailleurs furent disposés autour du bois. Avant le signal, le duc de Raguse parcourut les pelotons de tirailleurs en répétant les ordres. A l'un d'eux il demanda « Qui commande ici ? Y a-t-il un officier ? - Non, lui dit un conscrit, qui était un véritable enfant. - Un sous-officier ? - Non, mais nous sommes bons là. » Plus loin, un autre Marie-Louise dit : « Oh ! je tirerais bien mon coup de fusil, mais je voudrais bien avoir quelqu'un pour le charger. » Avec de pareilles gens on pouvait donner le signal. Tout s'élança en même temps. Le bois fut enlevé. Le corps d'Alsufieff composé de 9,000 grenadiers russes, fut totalement détruit. Ce général fut pris dans le bois par un chasseur du 16e, conscrit de six mois, qui ne voulut jamais le quitter qu'il ne l'eût conduit à l'Empereur ; il fut fait légionnaire... Un enfant de treize ans amena d'une lieue deux grenadiers. I1 avait pour arme un grand couteau de boucher, qu'il brandissait d'un air tout à fait plaisant. « Ces gaillards-là voulaient broncher, disait-il, mais je les ai bien fait marcher... »

Les grands succès remportés sur Blücher ne pouvaient malheureusement pas être décisifs. Car tandis que Napoléon refoulait vers le nord l'armée de Silésie, l'armée de Bohême, sous Schwartzenherg, gagnait du terrain le long de la Seine et atteignait déjà Fontainebleau. Il fallut que l'Empereur, avec le gros de ses forces (et ce n'était guère), courût vers lui pour le faire reculer. Il réussit grâce aux victoires de Mormant et de Montereau. Mais pendant ce temps Marmont et Mortier, laissés sur la Marne avec quelques milliers d'hommes, voyaient Blücher revenir sur eux avec toutes ses forces, grossies d'une partie de l'armée du Nord, et devaient rétrograder à leur tour. Dans les derniers jours de février, les deux maréchaux étaient à Meaux, disputant le sol pied à pied, mais désespérant de pouvoir arrêter plus longtemps les Prussiens et les Russes. Il leur fallait sur l'heure des renforts. Ils envoyèrent en toute hâte le colonel Fabvier en demander à Paris. Le brave officier s'y rendit aussitôt, vit les ministres et le roi Joseph[41], mais constata une fois de plus avec douleur le désarroi et l'impuissance du Gouvernement.

« Les deux maréchaux réunis, lisons-nous dans son Journal, envoyèrent un colonel à Paris pour attirer l'attention de la régente, du roi Joseph et des ministres sur les dangers qui menaçaient Paris. Chacun renvoyait à l'autre ces soins devenus trop pénibles. Le Roi était le même qu'on l'avait vu en Espagne. Le ministre[42] faisait a peu près tout ce qu'on pouvait attendre d'un homme que tout le monde connaissait médiocre. L'Empereur s'obstinait, dans toutes ses dépêches, à traiter de fuyards, de débris les soixante mille hommes qui suivaient B1ücher et menaçaient Paris. Tout le gouvernement ne s'occupait que d'une brillante cérémonie pour la réception aux Invalides des drapeaux pris à Champaubert, Vauchamps, Montereau, etc., dernière offrande de nos armées au temple de Mars. A force d'importunités, six mille hommes de toutes armes rejoignirent l'armée. Beaucoup d'entre eux ne savaient pas charger leurs fusils. »

Fabvier ne demeura guèree plus d'une journée dans la capitale ; à peine eut-il le temps, une fois sa commission faite, de courir chez la duchesse de Frioul, dont le sort l'inquiétait. Il apprit avec soulagement qu'elle s'était retirée en Normandie. Le lendemain, il était de retour à Meaux et il y retrouvait Marmont sur le point de reprendre l'offensive. Un nouveau coup de théâtre s'était produit pendant son absence. L'Empereur, après avoir poursuivi Schwartzenberg jusqu'au delà de Troyes, s'était porté en toute hâte au secours des ducs de Raguse et de Trévise. C'est alors qu'avec l'aide de ces deux maréchaux, il exécuta le mouvement qui eût amené en trois jours la perte de Blücher, sans la fatale reddition de Soissons, qui sauva l'armée prussienne (1er - 4 mars). Blücher put se retirer sur Laon, s'y joindre à Wintzingerode et y prendre avec cent mille hommes des positions presque inexpugnables. Napoléon résolut pourtant de l'en déloger. C'était une folie. Marmont et Fabvier en jugeaient ainsi et ils avaient bien raison. Au moment de livrer la bataille, le colonel écrivait tristement à son frère : « Je me porte bien, malgré toutes nos rudes affaires. Je ne sais trop si cela durera longtemps. Nous nous sommes battus presque tous les jours depuis le passage du Rhin... Je ne demande au Ciel qu'une mort glorieuse, qui me délivre du supplice de voir ravager plus longtemps notre triste patrie...[43]. »

L'attaque de Laon échoua complètement (10 mars). Le corps de Marmont, qui formait la droite de l'armée, fut mis en pleine déroute. Mais trois jours s'étaient à peine écoulés que, grâce quelques renforts, il marchait de nouveau à l'ennemi. Cette fois il s'agissait d'enlever Reims au corps russe de Langeron. L'opération réussit à souhait. Fabvier réconforté se reprit à espérer. On parlait de nouveaux succès de l'Empereur et de négociations qui pouvaient amener un accommodement honorable. Aussi, le 16 mars, le colonel tenait-il à son correspondant de Nancy un langage presque encourageant. « ... Nous nous reverrons, j'espère, bientôt. Tout s'achemine à la paix ou à une délivrance prochaine de notre territoire. Notre pauvre patrie aura bien souffert. Mais l'année et le peuple ont montré toute l'énergie et la générosité que l'on pouvait attendre. Le peuple est content de l'armée. L'armée admire le peuple...[44]. » Ces dernières illusions, hélas devaient être bientôt cruellement démenties, et Fabvier eût sans doute préféré la mort aux tristes épreuves qui lui étaient réservées.

L'Empereur, qui n'avait plus qu'une poignée d'hommes, désespérant de pouvoir évoluer plus longtemps avec succès entre Blücher et Schwartzenberg, venait de prendre un parti d'une témérité inouïe. C'était de ne plus couvrir Paris, de se porter, avec ce qui lui restait de forces, sur les derrières de la coalition, de rallier les garnisons de l'Est, de soulever la Bourgogne, la Lorraine, l'Alsace, et d'obliger les armées alliées à se retourner, en faisant mine de marcher vers 1'Allemagne. Malheureusement, l'ennemi savait à cette heure que des traitres l'attendaient à Paris pour l'aider à renverser l'Empire. Il fut décidé que Blücher et Schwartzenberg, réunissant leurs armées, qui formaient près de trois cent mille hommes, se dirigeraient vers la capitale sans s'inquiéter des mouvements de Napoléon. Que pouvait, du reste, ce dernier, avec les vingt-cinq mille conscrits exténués qu'il trainait après lui ? Encore sa tentative eût-elle paru inquiétante s'il eût pris le temps de rallier toutes ses troupes. Mais, par une aberration inconcevable, il avait laissé derrière lui, pour ainsi dire en l'air, les deux corps de Marmont et de Mortier, leur donnant les deux ordres contradictoires de venir le rejoindre, c'est-à-dire de se diriger vers l'Est, et de protéger Paris, c'est-à-dire de marcher vers l'Ouest, en cas de besoin. On sait ce qui arriva. Les deux maréchaux, qui se portaient vers l'Empereur, vinrent se heurter le 25 mars, à Fère-Champenoise, contre la grande armée de la coalition. Ils luttèrent désespérément, avec quinze mille hommes, contre cent cinquante mille. Leur glorieuse défaite ne leur permit pas de continuer leur route. Il leur fallut battre en retraite dans la direction de Paris et ne plus viser qu'à ce double but : sauver ce qui leur restait de troupes et livrer, au moins pour l'honneur, un suprême combat sous les murs de la capitale.

Marmont avait reçu le commandement en chef des deux corps d'armée. C'est donc lui qui dut présider à leurs dernières opérations. Par ses soins, les vaincus de Fère-Champenoise, repoussés le 26 mars de la Ferté-Gaucher, purent gagner Provins le 27 et se diriger en toute hâte par la voie du Sud vers Paris, que l'avant-garde de Schwartzenberg menaçait d'atteindre avant eux par le Nord. En trois jours, ces soldats démoralisés, sans souliers, sans pain, sans espoir, firent quarante lieues pour pouvoir se battre une dernière fois.

Fabvier, qui était plus que jamais l'homme de confiance du maréchal, fut détaché, dès le 28, pour aller s'entendre avec le duc de Feltre, aussi bien qu'avec le roi Joseph, sur les mesures à prendre d'urgence dans la capitale et pour examiner les positions que nos troupes allaient avoir à défendre. Il arriva dans la nuit du 28 au 29 mars à Paris et employa toute la journée suivante à remplir sa mission. Ce qu'il vit n'était pas malheureusement de nature à lui donner beaucoup d'espoir. Nous pouvons en juger par ce passage triste et discret du Journal des opérations :

« Les maréchaux envoyèrent un officier à Paris pour annoncer leur arrivée et reconnaître le terrain sur lequel on devait se placer pour défendre Paris. Cette ville était alors dans les plus vives alarmes. L'ennemi s'était facilement emparé de Meaux. Le général Compans, avec une poignée de conscrits, combattait en se retirant pied à pied. Les redoutes, dont les journaux nous avaient avec tant d'impudence annoncé la construction, n'étaient pas même tracées. Le départ de l'impératrice fut résolu ; et, sans m'occuper à ce sujet de considérations politiques, je dois avouer que j'ai vu avec douleur et regret des bataillons de vieux soldats escorter une femme et un enfant tandis que la patrie les réclamait pour sa défense... »

Ce que Fabvier n'ajoute pas, mais ce qu'il sait bien, c'est que le roi Joseph et le ministre de la guerre pouvaient en vingt-quatre heures réunir dans Paris de soixante à soixante-dix mille hommes d'assez bonnes troupes et qu'ils n'en firent rien ; c'est que la garde nationale leur demandait des fusils, qu'ils en avaient et ne les donnèrent pas ; c'est qu'ils avaient trois cents pièces de canon dans les arsenaux et qu'ils ne les en tirèrent pas ; c'est que leurs ordres furent donnés avec tant de légèreté que, le jour du combat, des gargousses de 8 furent envoyées à des batteries de 12, et réciproquement ; c'est que les magasins militaires regorgeaient de vivres et que nos derniers soldats mouraient littéralement de faim.

« Tout demeurait à l'abandon, lisons-nous dans le livre de Fabvier. On croira difficilement que quand nos troupes arrivèrent le 29 à Charenton, à Bellevile, etc., elles ne trouvèrent pas une seule ration de vivres ou de fourrages, et que le lendemain plus de trois cents hommes combattirent pieds nus... »

C'est dans ces conditions déplorables que Marmont et Mortier durent combattre le 30 au matin. Le 6e corps, malgré tous les renforts qu'il avait reçus pendant la campagne, était réduit à 545 officiers et 4,180 sous-officiers et soldats. Le corps du duc de Trévise était à peu près d'égale force. En joignant ces deux troupes les débris ramenés par les généraux Compans et Arrighi, quelques vétérans trouvés à Paris, les élèves de l'École polytechnique qui s'offrirent pour le service de l'artillerie et environ douze cents Parisiens volontaires, le duc de Raguse avait à peu près vingt mille hommes sous ses ordres. Schwartzenberg en avait cent mille en première ligne et Blücher allait, dans quelques heures, lui en amener cent mille autres.

Il fut convenu entre les deux maréchaux que Marmont défendrait les abords de Paris depuis la route de Meaux jusqu'à Charenton, et que Mortier les protégerait depuis la route de Meaux jusqu'à Saint-Denis. Pendant la nuit, nos troupes furent conduites sur les hauteurs où elles devaient combattre ; nos batteries furent mises en position, et, une heure avant le jour, le duc de Raguse donna le signal de l'action. C'est vers lui que se portèrent surtout les efforts de l'ennemi. Durant toute la matinée, le 6e corps disputa aux troupes alliées le plateau de Romainville avec un acharnement incroyable. En somme, l'ennemi, de ce côté, avançait peu. Mortier, pour sa part, se maintenait sans trop de peine à La Villette. C'est alors que le roi Joseph, qui, du haut de Montmartre, observait prudemment le combat, vit déboucher de la plaine de Saint-Denis les colonnes de Blücher, qui semblaient se diriger vers sa position ! Fou de peur, éperdu, il monta aussitôt à cheval et partit au galop pour Saint-Cloud, Rambouillet et Blois, laissant Paris sans gouvernement et se contentant d'expédier à Marmont un billet ainsi conçu :

« Si M. le maréchal duc de Raguse et M. le maréchal duc de Trévise ne peuvent plus tenir, ils sont autorisés à entrer en pourparlers avec le prince de Schwartzenberg et l'empereur de Russie, qui sont devant eux.

« JOSEPH.

« Montmartre, ce 30 mars 1814 à midi un quart. Ils se retireront sur la Loire. »

Marmont, surpris et outré à la lecture de ces lignes, se hâta d'envoyer vers l'indigne frère de Napoléon le colonel Fabvier, pour lui remontrer qu'à son sens la position n'était pas désespérée, qu'on pouvait, à la rigueur, tenir jusqu'au soir et que la nuit amènerait peut-être un revirement favorable à nos armes. Fabvier courut à Montmartre, puis dans la direction de Saint-Cloud. Mais la peur donnait des ailes à l'ex-roi d'Espagne, et il ne put l'atteindre. Le colonel retourna donc vers Romainville, où le combat venait de reprendre avec une effroyable intensité. L'ennemi arrivait maintenant en masses profondes de toutes parts. Nous étions debordés. On se battait de rue en rue, de maison en maison. Deux fois Fabvier fut blessé en défendant les Prés-Saint-Gervais. Pantin, Romainville, Ménilmontant durent être évacués. Le 6e corps, malgré tout, tenait encore bon dans la position centrale de Belleville, quand tout à coup de nouvelles colonnes ennemies, venant de la direction de Charenton et de Charonne, prirent à revers toute notre ligne de bataille et la coupèrent. Le duc de Raguse, avec les troupes les plus avancées, se trouva séparé du reste de ses soldats. Il lui fallut faire une trouée. Noir de poudre, les vêtements déchirés, le bras droit en écharpe[45], l'épée dans la main gauche, dont deux doigts étaient mutilés depuis Leipzig, il se mit, raconte Fabvier, « à la tête de tout ce qu'il put réunir et chargea sur le champ à la baïonnette tout ce qui occupait derrière nous la grande rue de Belleville. Il força le passage d'un seul effort et se remit en communication avec la barrière. Les généraux Ricard, Arrighi et Pelleport y furent blessés ; le duc de Raguse eut plusieurs balles dans ses habits. Pendant qu'on se fusillait d'une maison à l'autre, on parvint à retirer tout ce qui était engagé en avant. On prit une dernière position, tenant la butte Chaumont, le village de Belleville jusqu'à l'église et le chemin de Ménilmontant...[46]. »

Il était alors quatre heures. Nos pertes étaient énormes. Nos troupes tombaient de fatigue. Les munitions manquaient sur plusieurs points. Mortier avait dû évacuer ses positions et était acculé à la barrière ; nous étions tournés par le Nord et par le Sud ; Blücher occupait Montmartre, et les obus commençaient à tomber jusqu'au centre de Paris. C'est alors que Marmont, pour préserver la capitale d'une destruction sûre et inutile, crut devoir faire usage des pleins pouvoirs du roi Joseph. Napoléon n'arrivait pas, il n'arriverait pas à temps pour défendre Paris. Mais on savait qu'il revenait de l'Est à marches forcées. Il fallait au moins pouvoir le rejoindre librement avec ce que l'on avait encore de troupes. De là la suspension d'armes que Marmont demanda aux alliés et qui fut convertie dans la soirée en une convention portant que Paris serait évacué et que les deux maréchaux emmèneraient leurs troupes où ils le jugeraient convenable. Le maréchal cédait à une nécessité cruelle. Il y cédait en soldat loyal et sans reproche. L'honneur de nos armes était sauf ; le sien restait intact. Plût à Dieu, pour sa gloire, qu'il fût mort à ce moment même ou qu'il eût toujours aussi bien compris qu'en cette journée du 30 mars son devoir de soldat !

L'abnégation militaire de Fabvier allait être mise à une bien cruelle épreuve. Chargé, après la suspension d'armes, de surveiller le mouvement de nos troupes, qui allaient être dirigées vers Fontainebleau, il revint, vers minuit, trouver le maréchal, qui le chargea, conjointement avec le colonel Denys de Danrémont[47], de signer en son nom la capitulation, et le nomma son commissaire pour la remise des barrières aux alliés. Il fallait qu'à ce titre il assistât à l'entrée triomphale de nos ennemis dans Paris. Le brave colonel se récria. « En signant la capitulation, dit-il, j'attacherais mon nom à un acte trop malheureux, et remettre les barrières à l'ennemi est une mission qui me répugne. - Il est pourtant essentiel, répliqua Marmont, que l'Empereur sache quelle est la composition et la force des troupes qui vont occuper Paris. Personne mieux que vous n'est en état de prendre à la hâte, au coup d'œil, des renseignements précis, qui lui seront d'autant plus utiles qu'il vous connaît et qu'il a confiance en vous. Aussi est-ce moins un ordre que je vous donne qu'un service que je vous demande, dans l'intérêt de l'Empereur, comme dans celui de la France[48]. »

Fabvier, le deuil au coeur, obéit sans mot dire. Le lendemain, quand les troupes alliées défilèrent pompeusement sur les boulevards, on put le voir en grand uniforme, sombre et muet, au milieu de l'état-major qui accompagnait l'empereur de Russie. Il vit des lâches et des traîtres se porter au-devant de nos ennemis, qu'ils saluaient comme des libérateurs, et agiter sous leurs yeux le drapeau blanc des Bourbons. Il vit des gentilshommes s'atteler à un câble pour abattre, en présence de l'étranger, la statue de l'homme qui l'avait si longtemps fait trembler. Il vit un Français attacher à la queue de son cheval l'étoile de la Légion d'honneur. Et il lui fallut se taire[49] ! Le soir, il dut, pour obtenir un sauf-conduit et une escorte, se rendre chez le czar. Il y trouva la tourbe d'intrigants qui arrachait à ce prince l'engagement de ne plus traiter ni avec Napoléon ni avec les siens. Cet engagement, une proclamation allait le rendre public. Bourrienne (un autre traître) ne manqua pas de le faire connaître à Fabvier[50].

Le malheureux officier put enfin sortir de Paris dans la nuit du 31 mars au 1er avril. A ce moment, Napoléon qui, dans la soirée du 30 mars, n'avait pu approcher de la capitale assez tôt pour la sauver, était établi à Fontainebleau, où le rejoignaient peu à peu ses dernières troupes de Champagne. Marmont, après avoir cantonné les siennes en avant de cette ville (à Essonnes), était allé l'y retrouver. L'Empereur, loin d'incriminer, comme il le fit plus tard injustement, la conduite qu'il avait tenue à Paris, l'en avait, au contraire, félicité. Puis il était lui-même venu à Essonnes visiter le 6e corps. C'est là que Fabvier put le rencontrer, dans la journée du 1er avril, et lui fournir les renseignements qu'il avait pu se procurer pendant l'entrée des alliés. Le colonel n'omit rien et ne dissimula pas les scènes honteuses dont il avait été témoin ; il parla de Français parés de cocardes blanches et acclamant les étrangers. « Vous pouvez bien me les nommer, dit l'Empereur. - Sire, répliqua le noble soldat, je sabrerais ces individus si je me trouvais en face d'eux, mais je ne les nommerai pas à Votre Majesté. - Eh bien, il en est un qui devait certainement s'y trouver. C'est cette pauvre tête de Sosthène de Larochefoucauld. » A ce mot, le colonel ne put que se taire ; son interlocuteur avait deviné juste. Il entretint ensuite Napoléon de la déclaration du czar, qu'il connaissait par Bourrienne. « Ce pauvre Bourrienne, dit l'Empereur avec une froide ironie, cela a dû lui faire bien du mal. » Dans tout le cours de cet entretien, le souverain affectait le plus grand calme. Le colonel lui ayant avoué que la population de Paris l'épargnait peu dans ses propos et dans ses cris : « Les Parisiens sont malheureux, dit-il simplement, et les malheureux sont injustes[51]. » Mais s'il ne manifestait pas de haine contre ceux qui l'avaient abandonné, il montrait la plus vive reconnaissance pour ceux qui l'avaient bien servi. Fabvier était du nombre, et l'Empereur ne le quitta pas sans lui promettre une récompense qu'il avait bien gagnée. Il voulait l'élever dans la Légion d'honneur à la dignité de commandant[52], qui fut demandée pour lui par Marmont. Mais les événements, qui se précipitèrent les jours suivants, lui firent perdre de vue cette proposition.

Jusqu'à ce moment, la conduite du duc de Raguse avait été irréprochable. Elle ne le fut plus quand ce malheureux, cédant aux flatteries et aux sophismes des traîtres, cessa de voir nettement ce que lui commandait son devoir de soldat. Circonvenu, à Paris et à Essonnes, par les agents de Tal1eyrand, qui venait de constituer à Paris un gouvernement provisoire sous la protection des coalisés, il finit par se persuader que se rallier au pouvoir nouveau était pour lui une obligation de conscience ; on lui remontra qu'il avait assez fait pour un homme, qu'il ne devait plus songer qu'à sauver la France, que la France serait perdue si Napoléon conservait les moyens de continuer la guerre[53]. Il ne se dit pas que, quels que fussent les torts et même les crimes de l'Empereur, ce n'était pas à lui, son lieutenant, et son lieutenant de prédilection, à le livrer à l'ennemi. Placé aux avant-postes avec le 6e corps qui, grâce à l'adjonction de diverses troupes, comptait maintenant de douze à quinze mille hommes, Marmont presque seul couvrait Fontainebleau. S'écarter d'Essonnes en ce moment, c'était désarmer Napoléon, le réduire à une soumission absolue. C'est pourtant ce parti que le duc de Raguse, qui n'avait pas l'âme basse, mais qui avait l'esprit faux, finit par adopter. Dès le 4 avril au matin, il était en accord secret avec Schwartzenberg et communiquait mystérieusement à plusieurs de ses généraux, qui l'approuvèrent, son dessein de mener ses troupes à Versailles, puis en Normandie, et de découvrir ainsi complètement Fontainebleau. Sur ces entrefaites, Ney, Macdonald et Caulaincourt, qui viennent d'obtenir de Napoléon son abdication en faveur de son fils, passent par Essonnes. Le duc de Raguse, honteux de ce qu'il a fait, rompt son engagement avec Schwartzenberg et suit à Paris les négociateurs chargés de plaider devant le czar Alexandre la cause de Napoléon II et de la Régence. Mais pour que cette cause puisse être gagnée, il faut que la coalition puisse encore craindre l'Empereur ; il faut donc que le 6e corps demeure à Essonnes. Marmont, rendons-lui cette justice, a prescrit à ses lieutenants de ne pas bouger jusqu'à son retour. Mais voilà qu'en son absence arrive tout à coup à son quartier général un aide de camp de Napoléon, qui vient le chercher au nom de ce dernier, s'étonne un peu bruyamment de ne pas le trouver à son poste et veut emmener à Fontainebleau au moins son suppléant. Aussitôt ceux des généraux de Marmont qu'il a initiés à son secret prennent peur. L'Empereur aurait-il tout découvert ? Vite il faut se mettre à l'abri de sa vengeance.

C'est à ce parti que s'arrête Souham, qui commande pour l'heure le 6e corps. Au milieu de la nuit, il fait tout à coup mettre les troupes en marche. Elles le suivent sans défiance, pensant qu'il les mène contre l'ennemi. Vainement Fabvier, qui n'a pas accompagné son chef à Paris, Fabvier, qui ne sait rien, si ce n'est que le 6e corps ne doit pas quitter Essonnes, se précipite au-devant de lui, veut le retenir, lui demande ce qu'il prétend faire. « Je n'ai pas l'habitude, répond brutalement le général, de rendre compte de mes actes à mes inférieurs. » Et il ajoute bientôt avec cynisme : « Marmont s'est mis en sûreté ; je suis de haute taille, moi, et je n'ai pas envie de me voir raccourci de toute la tête... » Le loyal officier insiste, demande au moins quelques heures de délai. « Tout cela est bel et bon, s'écrie Souham en jurant ; mais le vin est tiré, il faut le boire. » Puis il passe outre, et le 6e corps s'ébranle, sans se douter, grâce à la nuit, qu'il traverse les cantonnements de Schwartzenberg, que l'armée autrichienne s'ouvre pour lui faire passage et qu'elle va se refermer derrière lui. Essonnes n'est plus gardé ; la route de Fontainebleau est ouverte aux alliés[54].


Que restait-il à faire à Fabvier ? Ce qu'il fit : monter à cheval, courir à Paris au galop et informer Marmont de ce qui se passait. Le 5 avril, à huit heures du matin, il rejoignait les maréchaux et leur annonçait cette grave nouvelle. « Je donnerais un bras, s'écria aussitôt le duc de Raguse, pour réparer la faute de mes généraux. - Dites le crime, répliqua Macdonald ; et la tête, dans tous les cas, ne serait pas de trop. »

Le mal maintenant était sans remède. L'empereur de Russie, informé de son côté, déclarait déjà ne plus vouloir accepter la Régence. Napoléon était à la merci de la coalition. Il lui fallait, cette fois, abdiquer sans condition ; et l'on sait que c'est à ce parti qu'il dut finalement se résoudre.

Quant à Marmont, il pouvait rejeter sur ses lieutenants l'odieux d'une défection qu'il avait préparée, sans doute, mais qu'il n'avait pas effectuée lui-même. On lui persuada, du reste, sans peine, que le 6e corps venait de sauver la France. Il le crut si bien que, non seulement il ne chercha pas à ramener ses troupes vers l'Empereur, mais apprenant qu'elles se mutinaient et voulaient, par un détour, gagner Fontainebleau, il courut après elles, les atteignit au delà de Versailles et, leur parlant de patrie, de discipline, d'honneur, les ramena a l'obéissance passive. Le gouvernement provisoire combla d'éloges sa conduite. L'opinion publique, plus tard justement sévère à son égard, lui fut alors indulgente ; mais, en leur âme et conscience, de loyaux soldats comme Fabvier jugèrent dès lors, non sans tristesse, que le duc de Raguse avait fait tort à sa gloire.

Notes et références

  1. Lettre du 5 septembre 1802.
  2. Lettre datée de Paris (19 janvier 1810).
  3. Lettre datée de Vincennes (1er décembre 1810).
  4. Lettre datée de Vincennes (8 novembre 1810).
  5. Lettre datée de Vincennes (7 décembre 1810).
  6. Lettre datée de Vienne (25 septembre 1809).
  7. On l'appelait d'ordinaire Mme Duroc. Son mari l'avait rendue fort malheureuse et elle avait dû divorcer. Elle résidait habituellement à Pont-à-Mousson, où elle est morte en 1858 à l'âge de 84 ans.
  8. Voir sur ces campagnes les Mémoires du duc de Raguse, t. IV.
  9. Le 22 juillet 1812.
  10. Mémoires du duc de Raguse, t. IV, p. 429-430.
  11. Lettre de Fabvier à son frère (Paris, 26 janvier 1813).
  12. Lettre de Fabvier à son frère (Paris, 26 janvier 1813).
  13. Ibid.
  14. Lettre de Fabvier à son frère (Paris, 2 mars 1813).
  15. Ibid.
  16. Lettre de Fabvier à son frère (Eisenach, 21 avril 1813).
  17. Ibid.
  18. Lettre de Fabvier à son frère (Pegau, près Leipzig, 3 mai 1813).
  19. Lettre datée du camp devant Reichenbach, le 23 au matin.
  20. Lettre datée d'Eisendorf, entre Breslau et Striegan.
  21. Lettre de Fabvier à son frère (Buntzlau, 12 juillet 1813).
  22. Cette bataille, donnée le 21 juin 1813, ruina complètement le parti français en Espagne. - On se rappelle que le père de la duchesse, le marquis d'Almenara, était un Espagnol de distinction, attaché à la cause du roi Joseph. Il se trouvait près de ce prince le jour de la bataille.
  23. Lettre du 23 mai 1813.
  24. Elle était alors à Clémery.
  25. Lettre datée de Buntzlau (8 juin 1813).
  26. Lettre datée de Dresde.
  27. Lettre du 14 août 1813.
  28. Lettre de Fabvier à son frère (Dresde, 27 août 1813).
  29. Id. (Dippoldiswalde, 5 septembre 1813).
  30. Lettre datée de Leipzig (30 septembre 1813).
  31. Lettre de Fabvier à son frère (5 novembre 1813).
  32. Ibid.
  33. Lettre datée de Mayence (28 novembre 1813).
  34. Lettre du 27 décembre 1813.
  35. Lettre de Fabvier à son frère (Mayence, 12 novembre 1813).
  36. Lettre du 27 décembre 1813.
  37. Depuis Andernach jusqu'à Landau ; le maréchal Victor commandait depuis cette ville jusqu'à Bâle ; et Macdonald avait à surveiller la région inférieure du Rhin.
  38. Journal des opérations du 6e corps pendant la campagne de 1814 (Paris, 1819, in-8°).
  39. Voir sur les premières manifestations royalistes en 1813, entre autres documents, la lettre de Napoléon au roi Joseph, du 13 mars 1814.
  40. Journal des opérations du 6e corps.
  41. L'impératrice avait 1e titre de Régente ; mais l'effectif du pouvoir avait été laissé par Napoléon au roi Joseph.
  42. Clarke, duc de Feltre, ministre de la guerre.
  43. Lettre datée de Berri-au-Bac, entre Laon et Reims (8 mars 1814).
  44. Lettre datée de Colmicy, à trois lieues du Reims.
  45. Il n'en avait pas encore recouvré l'usage depuis la bataille des Arapiles.
  46. Journal des opérations du 6e corps.
  47. Plus tard général, tué devant Constantine en 1837.
  48. Ach. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. I, p. 332-333.
  49. Voir, sur ces honteuses manifestations, outre les histoires (Thiers, Veulabelle, Viel-Castel), les Mémoires du vicomte Sosthène de La Rochefoucauld, qui, loin de les nier, se vante d'y avoir contribué.
  50. Voir les Mémoires de Bourrienne, t. X.
  51. Ach. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. 1, p. 385-386.
  52. On dit aujourd'hui commandeur.
  53. C'est le principal argument qu'il fit valoir pour sa défense dans son Mémoire justificatif (publié à Gand en 1815), et c'est aussi celui qu'il développe le plus longuement dans ses Mémoires (t. VI).
  54. Ach. de Vaulabelle, Histoire des deux Restaurations, t. l, p. 395-416. - Voir aussi Thiers (Histoire du Consulat et de l'Empire) et de Viel-Castel (Histoire de la Restauration), qui exposent ces faits à peu près de même.