Bull. mens. soc. sci. Nancy (1938) Cuénot

De Wicri Nancy

Présentation d'un arbre généalogique du Règne animal


 
 

Titre
Présentation d'un arbre généalogique du Règne animal
Auteur
Lucien Cuénot
In
Bulletin de la Société des sciences de Nancy (Séance du 13 mai 1938).
Dates
  • création : 1938
En ligne
http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/32172/ALS_1883_6_16.pdf

Cette page présente une communication présentée par Lucien Cuénot pendant la séance du 13 mai 1938, dans l'Amphithéâtre de Zoologie de la Faculté des Sciences de Nancy, sous la Présidence du Dr Pierre Florentin.

Le contexte

L'extrait du compte rendu de la réunion donne le contexte de cette communication :

La parole est ensuite donnée à M. STEIMETZ pour une communication intitulée: «  Essai de systématisation de l'analyse qualitative microchimique  », exposé accompagné de clichés microscopiques très instructifs.

M. le Professeur CUÉNOT présente ensuite un arbre généalogique du règne animal, conçu d'après les recherches les plus récentes sur la filiation des groupes zoologiques. Ces deux exposés, très documentés, furent très appréciés des rombreux auditeurs présents à cette séance, qui ne ménagèrent pas leurs applaudissements aux deux conférenciers.


La communication

I. — Un fait certain, c'est que les différentes formes animales et végétales apparaissent successivement dans le Temps : les Poissons commencent au silurien; les Conifères datent du dévonien, les Batraciens du dévonien supérieur; on ne trouve des Insectes qu'à partir du carbonifère ; les Reptiles sont permiens, les Mammifères rhétiens; le premier Oiseau se rencontre au portlandien  : l'Homme, tout récent, à la fin du pliocène. Il est bien entendu que nous ne connaissons pas la date réelle de la naissance, mais seulement celle où l'on trouve le premier fossile, ce qui signifie que les représentants du groupe sont déjà nombreux.

II. — Au point de vue anatomique, physiologique ou psychique, il y a grosso modo une hiérarchie des organisations: Eponges et Coelentérés sont assurément de structure plus simple que les Echinodermes et les Vers ; ceux-ci sont moins compliqués que les Mammifères et les Oiseaux qui occupent le sommet de l'échelle. Dans chaque groupe, il y a aussi une sorte de hiérarchie, allant des formes dites primitives ou archaïques (les plus anciennes au point de vue géologique) aux formes dites spécialisées, plus récentes; ainsi l'Homme, que l'on peut placer au sommet des Mammifères en raison de sa spécialisation bipède et de son psychisme supérieur, est une espèce relativement jeune.

III. — On connaît assez peu de types de passage entre les différents groupes, mais on en connaît: il y en a entre Batraciens et Reptiles (Conodectcs), entre Reptiles et Oiseaux (Archaeopteryx), entre Reptiles et Mammifères (Ictidosauria, Dromatherium, Monotrèmes). D'une façon très générale, les groupes paraissent reliés par leurs bases, c'est-à-dire par les formes les plus anciennes, les plus simples, dîtes primitives, synthétiques ou non spécialisées; hypothèse corroborée par le fait que, dans la nature actuelle, les ordres ou classes sont nettement séparés, sans passage entre eux : il y a hiatus entre Mammifères et Oiseaux, Reptiles et Batraciens, Cyclostomes et Poissons, etc.. La délimitation des groupes est facile ; il en est tout autrement lorsqu'on s'adresse à des formes anciennes, comme par exemple les premiers Insectes.

IV. — Il semble que toutes les formules animales qui ont apparu au cours des âges ont laissé des descendants vivant aujourd'hui; si des ordres ont disparu totalement parmi les Echinodermes (Cystidés), les Reptiles, les Céphalopodes, ils ont été relayés au point de vue de leur place dans la Nature par des formes d'exigences analogues. Il est extrêmement remarquable qu'il n'y ait pas une forme fossile qui soit inclassable, au sens très large du mot ; la population animale a toujours été en se diversifiant et en comblant des places vides, de sorte qu'elle est aujourd'hui plus variée que jadis.

V. — Bien que séparés nettement les uns des autres depuis des époques extrêmement reculées, les groupes présentent néanmoins des traits de liaison ou caractères communs, soit dans l'anatomie interne, soit dans la structure histologique, soit enfin dans le développement. L'organe excréteur constitué par les protonéphridies à solénocytes est connu chez les Turbellariés, Némertes, Trématodes et Cestodes, Rotifères, Acanthocéphales, certains Annélides, larves de Mollusques, tandis qu'il manque complètement chez les Echinodermes, Tuniciers, Vertébrés, Arthropodes. La structure fine du système nerveux, constitué principalement par des fibrilles cou-rant entre les pieds de hautes cellules épidermiques filiformes, est la même chez les Actiniaires, les Echinodermes, le Balanoglosse; le type spiral de segmentation de l'œuf se rencontre chez beaucoup de Mollusques, d'Annélides, de Némertes et quelques Planaires. Il est bien connu que la larve d'Ascidie présente des organes transitoires, notocorde et tube nerveux, qui sont à peu près identiques à ceux que présente un jeune Amphioxus ou un embryon de Vertébré.

Une hypothèse célèbre relie tous ces faits positifs en un corps de doctrine : c'est celle de la parenté réelle des êtres vivants et fossiles. On peut la figurer graphiquement sous l'aspect d'un arbre aux nombreuses branches, elles-mêmes très ramifiées ; bien des rameaux, correspondant aux groupes éteints, sont définitivement desséchés et nulle sève n'y circule; d'autres sont encore bien vivants ; certains, presqu‘entièrement morts, se prolongent par une grêle ramille jusqu'à notre époque : ce sont les formes reliques, comme les Rhynchocéphales, les Mérostomes, les Nautiles, les Trigonies, les Pleurotomaires.

Il y a plusieurs manières de dessiner cet arbre symbolique : on peut diviser une grande feuille de papier par des lignes horizontales dont les intervalles correspondent aux époques géologiques successives ; on place au niveau convenable l'origine de chaque groupe ; c'est-à-dire le premier fossile connu, et sa terminaison, c'est-à-dire le dernier fossile connu ou les formes actuelles ; on réunit les deux points par une ligne ou mieux par une sorte de feuille dont la largeur exprime approximativement la quantité d'espèces à chaque moment du temps. Cela donne une sorte de buisson extrêmement touffu dont la base se perd dans la période paléozoïque.

J'ai préféré un autre mode de représentation qui parle plus aux yeux: j'ai rendu les rapports et l'ordre de succession des différents groupes en colorant en jaune (couleur de la feuille morte), ce qui n'est connu qu'à l'état fossile, et en vert (la feuille vivante) ce qui fait partie de la faune actuelle, sans chercher à introduire la concordance stratigraphique, souvent impossible à préciser. J'ai voulu aussi rendre évident un phénomène capital de l'évolution, le passage de la vie aquatique à la vie terrestre ; la riche faune marine a de temps à autre envoyé des émigrants (quelques Vers, Crustacés et Gastropodes) sur la terre émergée; mais celle-ci a été surtout peuplée par les extrémités des deux branches maîtresses de l'arbre, c'est-à-dire par les Vertébrés à partir des Batraciens, et par les Arthropodes sous la forme des Péripates, des Arachnides, des Diplopodes et Chilopodes, et surtout des Insectes.

Les groupes devenus terrestres, à leur tour, ont cédé quelques emigrants au milieu aquatique, les Serpents marins, les Ichthyosaures et Plésiosaures, les Cétacés et les Siréniens.

Dans cet essai, j'ai introduit d'autres symboles: celui du groupe nodal, sorte de foyer évolutif qui donne naissance à divers ordres spécialisés; ainsi il n'est pas invraisemblable que les Cystidés paléozoïques aient été la souche des Etoiles de mer, des Crinoïdes, des Oursins, des Holothuries, et que des Pseudosuchia du trias soient sortis les Crocodiles, Rhynchocéphales, Dinosauriens, Ptérodactyles et même les Oiseaux.

J'ai figuré aussi le diphylétisme de groupes que l'on considérait jadis comme naturels: les Batraciens, par exemple, pourraient bien dériver les uns de Dipneustes (Urodèles), les autres de Crossoptérygiens (Stégocéphales et Anoures); il conviendrait donc de découper la classe et de supprimer son nom, comme on l'a fait il n'y a pas très longtemps pour les Géphyriens, les Bryozoaires et plusieurs ordres d'Insectes.

Enfin on remarquera peut-être que certains petits groupes restent « en l'air  », sans attache sur le gros tronc central : cela tient à ce que nous ignorons encore leurs affinités réelles.

e vais au-devant d'une critique qui vous est venue assurément à l'esprit: admettons que les différents types animaux se soient effectivement succédé dans l'ordre où ils sont indi-qués sur les deux branches principales; mais le tronc et ses branches ont été nécessairement constitués par des espèces réelles et non par des symboles; comment se fait-il qu'aucun nom ne figure sur ces axes ? On peut supposer que ces espèces étaient de petite taille, sans aucun squelette, et comptaient peu d'individus ; peut-être étaient-elles pélagiques, comme le sont aujourd'hui tant de larves ; on n'a donc aucune chance de les retrouver à l'état fossile et les liaisons resteront toujours vides de noms. Nous ne pouvons combler les lacunes que par des déductions vraisemblables ; à côté de la paléontologie et de la zoologie ordinaires, on pourrait concevoir une troisième discipline, la zoologie imaginaire, qui serait constituée par la description des formes nécessaires pour relier les différents groupes ; jusqu'ici on n'a pas osé l'entreprendre d'une façon systématique ; cependant les schémas du Mammifère primitif, du Mollusque primitif, le passage du Flagellé à la gastrule fondatrice du phylum des Métazoaires, le passage du Coelentéré au Coelomate, que Ton trouve esquissés dans divers Traités, sont des tentatives plus ou moins réussies pour reconstituer la partie inconnue, mais non inconnaissable, de l'arbre généalogique.

Cet arbre généalogique qui représente la substance d'idées personnelles, formées au cours d'un enseignement pendant près d'un demi-siècle, serait accepté sans doute par d'autres zoologistes, mais bien entendu, il y a d'autres opinions, notablement différentes des miennes, en ce qui concerne la région centrale, Echinodermes, Balanoglosses, Vers et Annélides; je n'ai pas l'intention de les discuter maintenant. Ce tableau n'a nullement la prétention d'être définitif; l'avenir le précisera ou le modifiera  ; des groupes changeront de point d'insertion : d'autres seront divisés pour raison de polyphylétisme. Mais, tel qu'il est, je crois qu'il donne une idée assez exacte de nos connaissances sur la phylogénie du Règne animal.


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  • mise en lecture 25 novembre 2020