Histoire poétique de Charlemagne (1905) Paris/Livre deuxième/Chapitre IV : Différence entre versions

De Wicri Chanson de Roland
(I. — Les Guerres d'Italie.)
Ligne 15 : Ligne 15 :
 
eux  qui  ont  le  plus  d'importance  ou  d'originalité.  
 
eux  qui  ont  le  plus  d'importance  ou  d'originalité.  
  
===I. —  Les  Guerres  d'Italie. ===
+
===I. Les  Guerres  d'Italie. ===
  
 
Nous  commencerons  par  l'Italie,  laissant  de  côté  pour  le  mo-  
 
Nous  commencerons  par  l'Italie,  laissant  de  côté  pour  le  mo-  

Version du 4 janvier 2023 à 19:29

logo lien interne Cette page est en phase de création pour des raisons de cohérence des liens dans ce wiki (ou au sein du réseau Wicri).
Pour en savoir plus, consulter l'onglet pages liées de la boîte à outils de navigation ou la rubrique « Voir aussi ».
Histoire poetique Charlemagne 1905 Paris p 247.jpg

Chapitre IV

LES GUERRES CONTRE LES SARRASINS.

Il nous est parvenu un si grand nombre de récits ayant pour objet les guerres de Gharlemagne contre les mahoraétans bu les idolâtres, confondus par les poëmes dans l'appellation commune de Sarrasins, que nous ne pouvons les analyser tous. Nous cher- cherons du moins à les indiquer d'une façon à peu près complète, à les classer autant que le permettent leur diversité, les contradic- tions et les répétitions qu'ils présentent, et à résumer ceux d'entre eux qui ont le plus d'importance ou d'originalité.

I. Les Guerres d'Italie.

Nous commencerons par l'Italie, laissant de côté pour le mo- ment la guerre de Lombardie et d'autres épisodes oii les ennemis sont des chrétiens. Tous les récits qui nous montrent Gharlema- gne combattant les Sarrasins en Italie ont un fond commun  : un roi païen est débarqué d'Afrique, a mis l'Italie au pillage et menacé ou pris Rome  ; les Français viennent au secours du pape, et la guerre finit naturellement par la défaite et la ruine des infi- dèles. Voilà le thème sur lequel se déroulent les variations sui- vantes.

1° Aspremont ou Agoland. Le poëme français se retrouve dans les Reali di Francia, dans les Conquestes de Gharlemagne de David Aubert * (liv. VII inédit)*, et dans la Karlamagnùs- Saga. Comme on peut lire dans V Histoire littéraire (t. XXIÎ, p. 300-318) l'analyse de la chanson de gestes, et celle de la bran- che correspondante de la compilation islandaise dans la Biblio" thèque de l'École des chartes (6^ série, t. ï, p. 1-18), nous ne la

  • Eeiffenberg, PMI. Mousk., t. Il, * Sur ce livre des RcaJi et le poëme

p. 477. à'Âspramonis, cf. liv. I, ch. ix.


248 LIVRE II.

referons pas ici en détail. Voici brièvement le sujet  : Agoland, roi d'Afrique, envoie sommer Charlemagne de se faire maliométan et de tenir de lui la France. Charles refuse naturellement  ; Eau- mont, fils d'Agoland, envahit alors l'Italie; Charlemagne de son côté arrive à Rome, et delà se rend avec une immense armée en Calabre  : les montagnes d'Aspremont servent de séparation entre les deux camps. Après de longs combats, Eaumont est vaincu, grâce au secours tardif, mais énergique, qu'apporte à Charles le vieux Girard de Fratte. Eaumont lui-même est mis en fuite  ; Charles le poursuit, l'atteint, et le Sarrasin réduit au désespoir est au moment d'être vainqueur, quand un auxiliaire arrive à Char- lemagne. Il avait refusé, en quittant la France, d'emmener avec lui son neveu Rolandin, trop jeune encore pour guerroyer. Celui- ci était venu malgré la défense de son oncle; mais n'étant pas encore chevalier, il n'était armé que d'un pal ou bâton. Voici comment la vieille traduction saintongeaise de Turpin raconte cet épisode *  : «  E Karles segui Omont, e si (le) consut à une fontaine où il bevoit  ; e quant Omonz vit Karle si ot vergognie, e Karles li dist  : «  Montez , que conbatre vos estuet ot mei  ;  » e Omonz monta achevai e o moltgrant joie, e Omonz greva tant Karle que à la terre le mist de son cheval, e li deslassot l'eaume quant Rol- lans vinc ob un pal e ferit Omont sur le bras destre, si que l'espée li fit voler de la main, e prist moime l'espée, e tolit li la teste e lo bras jusqu'au cobde.  » Agoland arrive à son tour en Italie  ; il n'a pas de nouvelles d'Eaumont et ne connaît son triste sort que quand les Français jettent dans son camp la tête et le bras de son fils *  ; il est vaincu et tué à son tour  ; sa femme Anselise se fait chrétienne et épouse Naime de Bavière \

Le po6me à! Aspi^emont était connu à l'époque du Pseudo-Tur- pin, car l'auteur de la seconde partie a certainement emprunté à ce poëme le nom du roi sarrasin qu'il fait combattre en Espagne contre Charlemagne. Cette communauté de noms a entraîné une foule d'erreurs et de confusions dans les compilations et les imita- tions postérieures. Ainsi, pour le traducteur ou plutôt le para- phraste que nous venons de citer, Eaumont est le fils de l'Agoland

  • Ms. fr. 124, f* 3 r" A. tances et dans les mêmes lieux.

«  Ce trait rappelle la tète d'Asdrubal, * Ce rc^cit a eu beaucoup de variantes,

qui fut jetée aussi dans le camp d'Anni- qui ne pourraient être étudiées que dans

bal, à peu près dans les mêmes circons- un travail spécial.


LES RÉCITS. 249

qui combat Charles en Espagne, et son ignorance de la géogra- phie lui permet de placer dans ce pays la bataille où Eaumont est vaincu, tout en remarquant qu'elle «fut entre does montagnies; l'une si a nom Apreraont e l'autre Galabre.  » Philippe Mousket fait de même  : il interpole (au vers 4876-7) le récit de Turpin, qu'il traduit fidèlement d'aiUeurs, en motivant l'invasion d'Ago- land parla nouvelle qu'il reçoit de la défaite de son fils Eaumont. Le Ka?'l Meinet ne connaît d'autre Agoland que celui de Turpin. La Karlamaynùs-Saga a fondu assez habilement les deux Ago- lands, en faisant attaquer l'Italie par Eaumont et l'Espagne par son père, ce qui lui permet à la fin de raconter la guerre d'Aspre- mont et de reproduire en grande partie pour l'Espagne le récit de Turpin. Il n'est pas douteux que la tradition originale ne mette la scène en Galabre, et c'est par allusion à celte guerre que, dans la Chanson de Roland, Blancandin rappelle que Charles «  cunquist Pulle e trestute Galabre (XXIX, 371).  » Mais nous verrons d'au- tres exemples de confusion entre lltalie et l'Espagne, dus comme celui-ci à l'influence du Pseudo-Turpin.

2° Ogier le Danois. Il ne s'agit ici que de la première des douze chansons d'Ogier, qui d'ailleurs n'a presque aucun lien avec les autres, et forme un poëme à part. Aussi cette partie a-t-elle sou- vent été séparée du reste par les compilateurs ou imitateurs  : Adenès, par exemple, n'a refait que les Enfances d'Ogier, c'est-à- dire cette première chanson  ; elle a seule aussi passé dans la Kar- lamagnùs-Saga (III) et dans la compilation de David Aubert (c. 32-42). Elle a pour sujet une autre guerre de Gharlemagne en Italie, et bien qu'elle contienne, surtout vers la fin, des traits de la seconde époque des chansons de gestes, elle en a conservé de fort anciens, et mérite que nous les rappelions.

Gharlemagne reçoit un jour des messages qui lui annoncent que le roi païen ou amiral Gorsuble a envahi les États du pape, surpris Rome, et pillé les églises. L'empereur convoque ses hommes de toutes les parties de l'empire, et quitte bientôt Paris à la tête d'une immense armée. Il arrive à Losane *, de ce côté de Montjeu *. Il faut remarquer les vers suivants  :

De cha Monjeu fu Kalles herbergiés, 11 vit le graille e le noif e le giel,

  • Ce n'est pas Lausanne en Suisse. ' Nom ancien du grand Saint-Bernard.


250 LIVRE IT.

E le grant roce conlremont vers le ciel. «  E Diex! dit Kalles, et car me consilliés De cest passage dont je suis esmaiés; Car je n'i vois ne voie ne sentier Par où je voise ne puisse repairier.  » Dex ama Kalle et si l'avoit rnult chier. Si li envoie un message moult fier. Parmi les loges vint uns cers eslaissiés, Blans comme nois, quatre rains ot el cicf  : Voiant François parmi Mongieu se fiert. Et dist li rois ' «  Or après, chevalier! Vei le message que Dex a envoie.  » François l'entendent, aine ne furent si lié  ; Après le cerf aquellent lor sentier. Mongieu passa li rois qui France tient  : Aine n'i perdi sergant ne chevalier. Ne mul ne mule, palefroi ne soraier  : Huit jors i mist a passer toz entiers. (Y. 262 et suiv.)

On retrouve ailleurs et, le souvenir de l'impression produite par ce passage des Alpes sur la France *, et le miracle du cerf ou de la biche ".

Li rois herberge de là outre Mongis; Grans sunt les os qui le resne ont porpris, Li jogléor ont lor vicies pris, Grant joie mainnent devant le fil Pépin; Li rois fut liés, si ot béu du vin. (V. 282 et suiv.)

Bientôt les deux armées sont en présence  : la bataille s'engage, près de Sutre (Sutri). Le porte-bannière de l'empereur, Alori, est un lâche  ; il prend la fuite au milieu du combat, et les Français sont près d'être vaincus. Charles lui-même court les plus grands dangers  ; il ne doit la vie et la victoire qu'au courage du jeune Ogier le Danois. Lepoëme se termine naturellement par la défaite des Sarrasins '  ; nous ne pouvons l'analyser ici en détail  ; le rôle de l'empereur y est trop peu important pour que nous nous y ar-

• Cette impression, rendue là avec * Nous en reparierons pîas tard,

simplicité et force, a abouti dans Aspre- ^ n y a deux fins un peu différentes,

mo7it à des exagérations roniaoliques qui suivant deux versions dont une seule

accusent une époque moins ancienne s'est conservée en français; voy. j8iè/îO-

(voyez le commencement du fragment thèque de l'École des chartes, S>* série,

de ce poëme publié par Bekker). t. V, p. 122.


LES RÉCITS. 251

retiens longuement. Nous remarquerons seulement deux traits sur lesquels nous reviendrons  : le songe par lequel Ghariemagne est averti des dangers que court son fils Chariot, et la description de la tente de l'empereur. Le caractère et les aventures de ce Chariot nous occuperont spécialement par la suite.

3° Balan. Nous ne connaissons ce poëme que par la courte ana- lyse de Philippe Mousket (v. 4666 et suiv.)  : «  Puis Rome fut prise par force, et toute la population mise à mort, le pape tué, Château- Miroir * pris, et toute la ville brûlée. Le duc Garin et les siens en- trèrent en Château-Croissant ^  ; car les Sarrasins, Turcs et Per- sans, avaient amené trop de monde et de Syrie et d'Espagne. Les chrétiens désespérés envoyèrent demander secours au bon roi Gharleraagne, qui tenait sa cour en France, Le roi leur envoya Gui de Bourgogne...., et Richard de Normandie. Us reprirent le Miroir  ; le duc Garin, qui tenait Pavie et avait conservé Château- Croissant, prit aussi part à la bataille. Charles arriva lui-même,

amenant ses troupes rassemblées de maint pays il se dirigea

vers Rome et fit grand mal aux païens. C'est alors qu'Olivier com- battit l'orgueilleux Fierabras  ; il le vainquit, et reconquit les deux barils que celui-ci avait pris à Rome  ; il les jeta dans le Tibre, afin que personne ne pût plus boire du baume qu'ils contenaient; c'était celui-là môme dont Jésus-Christ fut embaumé. Enfin tous les païens furent tués et les chrétiens reprirent Rome  ; on fit un autre pape, et Charles revint en France, louant Dieu et saint Pierre.  »

La première partie de ce récit ne se trouve dans aucune chan- son de gestes conservée  ; mais un épisode de la seconde s'est dé- taché de l'ensemble et a formé, considérablement amplifié et remanié, le poëme de Fierabras, Nous pourrions facilement dé- montrer, si nous ne craignions de sortir de notre sujet, que Fie- rabras suppose connus du lecteur les événements rapportés par Philippe Mousket  ; il nous introduit in médias res, et ses premiers couplets, très-rapides, sont un résumé de la chanson de Balan^ adressé à des auditeurs qui la connaissaient ^ Mais l'arrangeur a


  • Castiaus-Miréours ; je ne sais ce que nom de cet amiral. Voyez particulière-

ce nom désigne. ment les vers 54 et suiv., qui ressemblent

  • Est-ce le château Saint-Ange, ainsi beaucoup à ceux de Mousket. Gui de

nommé d'après Crescentius? Bourjçogne jouait certainement un grand

  • C'est Fierabras qui nous donne le rôle dans ce poëme; il avait accompU


252 LIVRE II.

beaucoup modifié, d'après le goût de son temps, les données de son original; d'abord il a transporté la scène en Espagne *, puis il a substitué à la fin toute simple du vieux poëme un dénoûment bien plus chevaleresque  : Gui de Bourgogne épouse Floripas, la fille de Balan, convertie au christianisme, et est fait roi d'Espagne, de moitié avec Fierabras, devenu aussi chrétien. Tout le carac- tère de cette chanson de gestes, les nombreuses allusions qu'on y trouve à la littérature poétique *, les lieux communs qu'elle lui emprunte constamment ', tout se réunit pour nous la faire consi- dérer comme une production relativement très-moderne. Mousket ne la connaît pas, puisqu'il donne un tout autre dénoûment à l'expédition contre Balan. Albéric des Trois-Fontaines n'en parle pas non plus  ; et il n'y est fait allusion dans aucun texte antérieur au quatorzième siècle \ Il semble même, d\près certaines indi- cations de la fin, qu'elle ait été composée dans un intérêt tout monastique, et pour donner auprès du peuple aux reliques de l'abbaye de Saint-Denis, occasion delà foire du Lendit, le haut re- nom que la légende latine sur Charlemagne à Jérusalem leur avait promis auprès des clercs *.

On a trop souvent relevé les imitations de Fierabras, et cette composition touche trop peu à notre sujet pour que nous les rap- pelions ici  ; nous nous bornerons à remarquer que la compilation


sous les murs de Rome de grands ex- gestes (comme la ceinture magique de

ploits; car c'est là, d'après le v. 2239 du Floripas), et le mélange perpétuel d'un

poërne, que Floripas l'avait connu. comique très-souvent bas.

  • Cependant la tradition était si sûre * Les éditeurs du Fierabras français

que le combat de Fierabras et d'Olivier ont démontré, par une ingénieuse et so-

avait eu lieu en Italie, que le poète n'a lide argumentation, que le poème pro-

pu toujours se soustraire à son influence, vençal était, non l'original, mais la copie

Mousket nous dit qu'Olivier jeta les ba- du poëme en langue d'oïl. Nous recom-

rils dans le Tibre; de même Fierabras mandons le procédé qu'ils ont employé

(v. 1039)  : à ceux qui voudraient faire de sembla-


Pres fu du far de Rome, ses a dedans jetés.


bles recherches  ; peut-être, par exemple, pourrait-il servir à faire retrouver un

  • Nous avons cité plus haut une de ces original français sous le texte normand

allusions, celle qui se rapporte au poëme de la Chanson de Roland. de Mainet. * Voy. plus haut, liv. I, ch. m. L'au-

3 Et qu'elle exagère. Par exemple, l'in- teur àe Fierabras a certainement connu sensibilité traditionnelle des princesses cette légende  ; il lui a emprunté le mira- sarrasines converties pour leurs pères cle du gant de Charlemagne qui se tient restés païens devient révoltante et ridi- en l'air sans être soutenu pendant long- cule dans Floripas , qui veut elle-même temps pour que les saintes épines ne égorger son père. Notons aussi l'intro- tombent pas. (Voy. Moland, Orig. litt. duction de féeries iaconnues aux vieilles delà France, p. Ii9  ; Fierabras, v. 6109.)


LES RÉCITS. 25)3

de David Aubert a fait précéder ce récit du prologue qui devrait se trouver en tête du poëme pour qu'il fût clair  : «  Gomment le no- ble empereur Gharleraaine sceut que l'admirai Balaam avoit des- truit la cité de Romme, occis le saint Père, et de l'entreprise qu'il vouloit faire; et comment le vaillant prince ala sur l'admirai et sur Fierabras d'Alexandrie, son fils (livre II, ch. i).  »

Tels sont les trois poëmes qui nous montrent Charlemagne re- poussant de l'Italie les invasions sarrasines conduites par Agoland, Corsubleet Balan \ Nous aurons plus tard l'occasion de le retrou- ver guerroyant dans ce pays; mais ce ne sera plus contre les musul- mans, ce sera contre les Lombards ou contre ses vassaux rebelles.

§ II. — Les Guerres d'Espagne.

Les traditions qui se rapportent aux guerres de Gharlemagne contre les Sarrasins d'Espagne sont plus nombreuses et plus com- pliquées que celles qui ont trait à l'Italie. Dans cet amas de lé- gendes qui se croisent et se contredisent, il est souvent difficile d'introduire une classification rigoureuse  ; nous tenterons cepen- dant d'y porter plus de lumière qu'on ne l'a fait jusqu'ici, et de rendre à chaque récit la place qu'il doit occuper dans l'ensemble de la tradition. Nous ne prétendons pas toutefois ramener à une histoire logique et suivie toutes ces inspirations indépendantes de l'imagination et de la mémoire populaires; nous voulons seule- ment distinguer, pour ainsi dire, chaque courant spécial dans le grand flot légendaire, et constater Tincroyable richesse de notre vieille épopée.

Mais, avant d'aborder ce sujet, il nous faut passer plus rapide- ment en revue les traditions et les poëmes qui ont pour objet la conquête du midi de la France sur les sectateurs de Mahomet. Les plus importantes de ces traditions ont été rapportées, non à Ghar- lemagne, ni à Gharles Martel, auquel elles auraient dû se ratta- cher, mais à Guillaume au court Nez, que les poëtes font vivre au temps de Louis le Pieux. Elles sortent donc de notre cadre, et comme celles qui y rentreraient, célébrées sans doute dans des poëmes provençaux *, n'ont pour la plupart été conservées que

  • Nous négligeons le petit poëme d'O- évident qu'il n'a rien de traditionnel.

tinel, qui raconte aussi une expédition * Voyez ce que nous avons dit Jà-des- de Gharlemagne en Italie; il est trop sus, liv. f, ch. iv, § 2.


254 LIVRE II.

SOUS la forme vague et altérée de récits locaux, elles ne nous arrê- teront pas aussi longtemps que d'autres parties de notre travail.

1° La Prise de Carcassonne. Il existait divers récits de la ma- nière dont cette ville fut prise; il ne nous en est parvenu aucun sous forme de poome. La Chantfon de Roland, dans un passage assez obscur, semble indiquer que Roland aurait pris Carcassonne pen- dant la guerre d'Espagne et dans une sorte d'expédition person- nelle : c'est Ganelon qui, pour faire voir à Blancandin l'arrogance de Roland, lui dit (str. XXX, v. 383 et suiv.)  :

Er main sedeit l'emperere suz l'umbre  :

Vint i ses niès^ out vestue sa brunie

E out preiet dejuste Carcasonie.

En sa main tint une vermeille pnme  :

«  Tenez, bel sire, dist RoUanz à sun uncle.

De trestuz reis vos présent les curuaes.  »

Un rajeunissement du treizième siècle paraphrase ainsi ce passage  :

Li empereres estoit enmi un pré... Vint i RoUant son aubère endosé; Conquis avoit par sa grant poesté Estranges terres et de lonc et de lé. Et Carcasone une bone cité '.

Cette prise de Carcassonne par Roland n'a laissé, que nous sa- chions, de traces nulle part. D'après un récit assez ancien, Ghar- lemagne l'avait assiégée en personne, et les murs de la ville, après un long siège, s'étaient inclinés devant lui, mais sans tomber tout à fait. «  Il y paraît encore aujourd'hui,  » nous dit Philippe Mousket, qui rappelle cette tradition (v. 12043 et suiv.); on la retrouve dans le Philomena (p. 2), qui paraît suivre ici une lé- gende populaire  ; il ne la rapporte d'ailleurs qu'en passant et dans l'introduction à son sujet.

La ville de Carcassonne a conservé des traditions locales, oii règne une grande confusion, suivant l'usage de ces récits altérés par le temps^ et qui n'ont peut-être pas une date bien reculée. Ces traditions conservent d'ailleurs le trait de la muraille qui s'incline, et on montre encore, parmi les tours de l'enceinte forti- fiée que M. Viollet-le-Duc vient de restaurer avec tant de soin^

  • Ms. de Versailles cité dans l'édition MùUer, sur ce passage^


LES RÉCITS. 255

celle qui depuis ce temps est restée penchée; on l'appelle la Tour Charlemagne. On ajoute môme au récit un trait qui sans doute est également ancien. Un roman, suivi par Catel, qui malheureuse- ment ne le désigne pas, lui a fourni les détails suivants  : Charle- magne, ne pouvant prendre la ville, lève le siège. «  Et comme il se vouîoit retirer, une tour, que l'on appelle encore la tour de Charlemagne, laquelle est hors de la ligne des autres, s'avança et en le saluant s'inclina; et d'une autre tour qui estoit aux mesmes murailles le couvert tomba, comme si elle eût voulu, dit le ro- man, sortir le chapeau devant Charlemagne  ; ceste tour est encore descouverte, et, comme dit la tradition, l'on ne l'a peu depuis couvrir*.  » D'après le naïf historien des comtes de Carcassonne, Besse, la chose se passa plus tôt. L'empereur avait mis le siège devant la ville, alors au pouvoir du roi sarrasin Anchise. «  Mais voyant par merveille quelques tours de la ville s'incliner devant son camp, comme si elles eussent voulu desjà le saluer pour sei- gneur et maistre, et oster le chapeau devant Sa Majesté et luy faire la révérence, il reconnut que par une providence toute spé- ciale de Dieu il la prendroit bientost. La chose advint ainsi en peu de jours après que Anchise pressé de la famine fut contraint de la luy rendre *.  » Mais à ce récit, évidemment né du fait même qu'il prétend expliquer, se joint, dans Besse, l'intervention d'un per- sonnage tout à fait inconnu aux anciens textes, dame Carcas, sorte .de géante païenne, puis convertie, qui, d'après lui, aurait défendu la ville contre Charlemagne dans un autre siège. Celui-ci, déses- pérant du succès, s'en allait  ; mais la Sarrasine le suivait de près en l'appelant et en sonnant du cor  ; un homme de l'arrière-garde cria à Charlemagne  : Carcas te sonne, d'oii le nom de la ville ^. Dans un bas-relief qui se trouve sur une des portes de Carcas- sonne, et qui est gravé en tête du livre de Besse, dame Carcas est représentée armée; au-dessus on lit  : Carcas sum, autre étynio- logie du nom de la cité. D'après Besse, Charlemagne lui fit épou- ser un certain Roger, et de cette union vinrent les Rogers, com- tes de Carcassonne. Ces prétendues origines de noms et de familles sentent tellement les fabrications des rhétoriciens du quinzième siècle et de leurs imitateurs que l'on doit se tenir en garde contre

  • Catel, Hist. du Languedoc (Toulouse, (Béziers, 1643, in-4o), p. 58. La figure de

1633, ia-fol.), p, 409. Carcas se voit au frontispice de ce livre»

  • Besse, Hist. des comtes de Carcassonne ' Besse, L L