Histoire poétique de Charlemagne (1905) Paris/Livre premier/Chapitre X
Histoire poétique de Charlemagne Édition de 1905
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Cette page introduit le dixième chapitre du premier livre de la thèse de Gaston Paris.
Sommaire
Avant-propos
Livre premier, chapitre X
LA LEGENDE DE CHARLEMAGNE EN ESPAGNE.
Absence de traditions nationales.
L'Espagne na pas eu d'épopée. D'habiles critiques ont démontré ce fait et en ont donné les raisons ; nous n'avons pas a y revenir ici[1]. A quelque époque que remontent en substance les romances qui représentent dans l'histoire de la poésie le génie épique de la péninsule, aucune ne nous est parvenue dans une forme antérieure au quinzième siècle. L'opinion qui en fait des fragments de grands poèmes perdus est abandonnée aujourd'hui par les savants les mieux autorisés et ne résiste pas à l'examen[2].
Imitations du français
De très bonne heure en revanche nos traditions et nos poèmes passèrent les Pyrénées. La preuve de la connaissance qu'on en avait des le douzième siècle en Espagne se trouve dans un poème latin composé à la louange du roi Alfonse VII peu de temps après la mort de ce prince (1167). L'auteur, louant un guerrier, dit de lui : « S'il avait vécu au temps de Roland, et qu'il eut fait le troisième avec lui et Olivier, je puis le dire, sans accuser ceux-ci, la nation des Sarrasins serait sous le joug des Français, et les fideles compagnons n'auraient pas trouvé la mort[3]. » On remarquera que cette allusion ne peut se rapporter qu'aux chansons de gestes : Turpin n'isole pas ainsi Roland et Olivier et nomme a peine le dernier dans son récit de Roncevaux. En outre ce passage nous montre, chez les Espagnols, une légende de Roncevaux tout a fait conforme à la notre dont elle est empruntée. Enfin cette allusion suffit peut-être a nous donner approximativement la date du passage de notre Chanson de Roncevaux en Espagne, si l'on ne trouve pas trop subtile la conclusion que nous en tirons. Elle appelle [204] en effet Roland Roldanus ou Roldan, comme d'ailleurs les romances postérieures. Si les Espagnols avaient eu sous les yeux le mot français Roland, il semble peu probable qu'ils en eussent fait Roldan
- au contraire, Pinterversion du d et de I'l est chez eux fréquente (tomaldo, mataldo, parilde, pour tomadlo, matadlo, paridle), et rien ne leur était plus naturel que de tirer Roldan de Rodlan. Or la forme Rodlan, evidemment la plus ancienne (Hruodlandus dans Eginhard), déja disparu du poéme d'Oxford ; Raoul Tortaire, au onzieme secle, dit encore Rutlandus, et Tur- pin Rodlandus, du moins dans les plus anciens manuscrits; le provencal a conservé Rotlan
- mais en francais il n'existe plus au douzieme siecle : ce serait donc au onzieme siecle qu un poéme analogue au notre, et ou Roland s'appelait Rodland, aurait été transporté en Espagne 1. Les monuments nous font défaut jusqu'au treizieme siecle, ou nous voyons apparaitre dans la Cronica general d' Alfonse X le Savant plusieurs légendes relatives au cycle carolingien ; les unes se retrouvent dans nos poémes, les autres leur sont étrangeres, ou en different meme absolument. Constatons d'abord poémes francais, a cette époque, étaient connus et populaires en Espagne. Une preuve irrécusable s'en trouve dans T'expression souvent employée par Alfonse de cantares de gesta, chansons de gestes. Ce mot ne peut étre venu aux Espagnols que de France, car il n'a aucune histoire et aucune famille dans leur langue, tandis que le mot geste, en vieux francais, a pris les sens les plus divers et est la souche de divers autres vocables, tels que gester, ges- teur , etc. D'ailleurs, Alfonse renvoie a ces chansons de geste pour des récits dont on ne peut contester Porigine francaise. L'e- popée carolingienne avait done trouvé en Espagne comme une se- conde patrie, et les critiques sont unanimes a voir dans les jon- gleurs (juglares), si souvent mentionnés dans la Cronica general comme auteurs de ces chansons de gestes, des éleves et des imita- teurs des jongleurs frangais 1 Cette preuve n'est qu'une probabi- lite, et non des plus fortes: car P'espa- fois pour toutes, pour les romances et la gnol intercale parfois le d aprés 1'? dévant poésie traditionnelle en Espagne, aux une voyelle (humilde, celda) ; cf. Diez, deux admirables écrits de M. Wolf : Grammatik, t. I, p. 359. Cependant Y'au- Veber die Romonzenpoesie der Spanier , tre explication de la forme Roldan nous dans les Studien (p. 304-555), et P'Intro- semble plus vraisemblable.
LIVRE PREMIER.
les
que
Nous ne pouvons que renvoyer une
duction au recueil de romances qu'il a
les juglares
La chronique d'Alfonse X
Notes originales de l'auteur
- ↑ [200 : 1]Voy. principalement Wolf, Studien, p. 405 ; Dozy, Recherches, Ire ed., p. 649 (ce passage a été modifie dans la seconde édition, t. 11, p. 215) Wolf, Primavera, I, p. xill et LXV.
- ↑ Voyez les auteurs déjà cités.
- ↑ Florez, España Sagrada, XXI, 405 ; cité dans Wolf, Studien, p. 497. Nous donnons tout le morceau a l'Appendice, n° VII,