Romania (1968) Hackett : Différence entre versions

De Wicri Chanson de Roland
(L'article de Mary Hackett)
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Nous aurions donc un geste propitiatoire. Or, ''Girart de Roussillon'' nous offre plusieurs exemples du même geste, avec un sens précis et quasi juridique. A plusieurs reprises Girart, sachant qu'il a offensé son suzerain Charles Martel, cherche à obtenir son pardon. Par l'intermédiaire d'un messager, il reconnaît ses torts et offre de «faire droit», c'est-à-dire Chaque fois le messager offre au roi un gant, plié, mais celui-ci refuse de l'accepter, et la guerre reprend :
 
Nous aurions donc un geste propitiatoire. Or, ''Girart de Roussillon'' nous offre plusieurs exemples du même geste, avec un sens précis et quasi juridique. A plusieurs reprises Girart, sachant qu'il a offensé son suzerain Charles Martel, cherche à obtenir son pardon. Par l'intermédiaire d'un messager, il reconnaît ses torts et offre de «faire droit», c'est-à-dire Chaque fois le messager offre au roi un gant, plié, mais celui-ci refuse de l'accepter, et la guerre reprend :
 
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::« Segner », co dist danc Folche, « vez vos le dreich  
 
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::De par Girart mon oncle, senz aneleich.  
 
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« Segner, prennez is gant ke vos estent : De par Girart mon oncle drei vos present. S'el vos a fait lait tort, son escient, D'aico vos fera dreit a chausiment... » « Mala geu », dist li reis, « s'achest gant prent, Tros que fera de gerre Girart taçent ! »
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Version du 25 juin 2022 à 08:44

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Le gant de Roland


 
 

   
Titre
Le gant de Roland
Auteur
Mary Hackett
In
Romania (revue), n°253, 1968. pp. 253-256.
Source
Persée,
https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1968_num_89_354_2652


L'article de Mary Hackett

Un des détails les plus frappants de cette scène de la Chanson de Roland qui décrit la mort de Roland est le dernier geste du héros, répété à la fin des trois laisses similaires[NDLR 1]. Après avoir récité son mea culpa, Roland offre son gant à Dieu ; la troisième laisse nous apprend que Dieu, par l'intermédiaire de saint Gabriel, l'accepte. Ceux qui ont commenté ce détail y ont vu le geste d'un vassal qui remettrait son fief entre les mains de son suzerain, les rapports de l'homme avec Dieu s'exprimant souvent, à cette époque, en termes féodaux. Cette interprétation s'appuie sur le fait que la remise d'un fief à un vassal souvent par la remise d'un gant, et semble confirmée par les vers 2831-2833 de la chanson, où le roi Marsile, mourant, remet son gant à l'émir Baligant en disant :

...Sire reis amiralz,
Trestute Espaigne ici es mains vos rent,
E Sarraguce e l'onur qu'i apent.

On pourrait en effet soutenir que, dans les deux cas, un vassal qui n'est plus en état de défendre son fief en remet la défense à son suzerain, au propre ou au figuré.

Il me semble, cependant, que la situation de Roland et celle de Marsile sont trop différentes pour que l'on puisse les assimiler et que le geste de Roland, à ce moment suprême, a un sens plus précis et plus personnel. Je propose donc une autre explication, suggérée par un rapprochement entre ce passage et plusieurs endroits de Girart de Roussillon.

Examinons d'abord le contexte. Nous remarquons que l'offre du gant est toujours précédée par le mea culpa, et qu'en outre, au v. 2365, le poète précise que

Pur ses pecchez Deu en puroffrid lo guant.
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Nous aurions donc un geste propitiatoire. Or, Girart de Roussillon nous offre plusieurs exemples du même geste, avec un sens précis et quasi juridique. A plusieurs reprises Girart, sachant qu'il a offensé son suzerain Charles Martel, cherche à obtenir son pardon. Par l'intermédiaire d'un messager, il reconnaît ses torts et offre de «faire droit», c'est-à-dire Chaque fois le messager offre au roi un gant, plié, mais celui-ci refuse de l'accepter, et la guerre reprend :

« Segner », co dist danc Folche, « vez vos le dreich
De par Girart mon oncle, senz aneleich.
S'el vos a fait leit tort que far non deich,
D'aico vos feran dreit aici meeich.
Serom a l'ostagar, fei que vos deich,
Cent baron natural, doncel esleich... »
A tant li estendet son gant en pleich.

1958-63, 1979.

La laisse suivante rend encore plus clair le rôle symbolique du gant :

« Segner, prennez is gant ke vos estent :
De par Girart mon oncle drei vos present.
S'el vos a fait lait tort, son escient,
D'aico vos fera dreit a chausiment... »
« Mala geu », dist li reis, « s'achest gant prent,
Tros que fera de gerre Girart taçent ! »

1980-83, 1986-7.

La même scène se répète plus tard, avec l'ambassade de Begon :

« Seiner, dreit vos fera Girarz mes sire ; Vos 0 prendrez de lui, co vos oi dire ».

5629-30.

Ces passages n'épuisent pas le rôle symbolique du gant dans le Girart; l'offre d'un gant peut accompagner un serment (1 13), une promesse (5510) ou un défi (471 1 , 5642). Ce qui relie ces divers emplois du gant est sans doute l'idée d'un gage, d'un

geste qui engage celui qui le fait à accomplir une certaine action. Dans les exemples que nous avons cités, l'offenseur s'engage à faire restitution selon la volonté de l'offensé. Évidemment, dans le cas de Roland, il ne faut pas pousser trop loin le sens juridique de son geste ; ii ne s'agit pas de faire mais de reconnaître ses torts et de demander grâce.

Cette interprétation du geste de Roland trouve un autre appui dans un passage de la Mort Aymeri. Corsolt « l'amiral », rentré sous sa tente vaincu et sans cheval, exprime sa rancune en frappant la statue de Mahomet. Les quatorze rois qui s'écrient, effarouchés :

« Mauves hom, que fes tu Del meillor deu qui onques encor fust ? Fetes li droit, ne vos atardez plus ».

940-942.

Là-dessus, le champion des Sarrazins essaie de propitier son « dieu » :

Il prist son gant qui fu a or batu,

Par mi le plie, si li a estendu,

Gaje li offre de ce qu'il l'ot féru ;

Mes ainz Mahom nule foiz ne se mut.

943-6.

Le ton burlesque de ce passage n'enlève pas sa valeur de témoignage; au contraire, il le renforce, car pour être ainsi parodié, le geste a dû posséder une signification reconnue de tous.

On comprend maintenant pourquoi l'offre du gant suit immédiatement le tnea culpa de Roland, et pourquoi Roland fait cette offre « pour ses péchés ». A l'époque féodale, il était si naturel pour un chrétien, conscient de ses fautes, de se vis-à-vis de Dieu comme un vassal qui aurait offensé son seigneur, que Roland a recours, in extremis, à ce geste pour demander pardon au Seigneur et assurer ainsi le salut de son âme. Saint Gabriel, en lui prenant le gant, lui signifie qu'il est pardonné ; Roland peut maintenant joindre les mains et mourir. Interprété ainsi, le geste suprême de Roland ne perd rien de sa beauté ni de sa grandeur; il prend seulement un sens plus précis, plus humble, et qui s'accorde mieux avec le contexte. On ne manquera pas de se demander si cette interprétation vient renforcer l'élément religieux dans la chanson, et, en si elle jette quelque lumière sur la question de la de Roland et de son soi-disant repentir du péché d'orgueil. Personnellement je crois que non. La confession de Roland me paraît tout-à-fait conventionnelle et générale, et son geste ne suggère pas nécessairement un repentir profond et personnel. Selon la théologie chrétienne, nous sommes tous des pécheurs, et tout péché offense le Seigneur. Le caractère particulier du christianisme du haut moyen âge permettait ainsi au poète d'achever la scène de la mort de Roland par un exemple de cette fusion de christianisme et de féodalité qui caractérise son uvre. W. Mary Hackett.


Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. Voir par exemple la traduction de ces trois laisses par Léon Gautier dans son édition populaire.
Liens externes