Romania (1933) Ewert

De Wicri Chanson de Roland

L'accident du vers 2242 de la Chanson de Roland


 
 

   
Titre
L'accident du vers 2242 de la Chanson de Roland
Auteur
Alfred Ewert, Mario Roques
In
Romania (revue), n°253, 1933. pp. 81-83.
Source
Persée,
https://www.persee.fr/doc/roma_0035-8029_1933_num_59_233_4127

Avant-propos introductif

Le feuillet 33r et ses 29 vers
Le feuillet 40v et ses 27 vers

Cet article commente une difficulté rencontrée dans la restitution du manuscrit d'Oxford.

Un vers de ce manuscrit (le 2242) semble, pour la majorité des philologues, avoir été mis par erreur sur un feuillet inapproprié : le 33 recto, au lieu du 40 verso.

Les figures à droite et à gauche de ce texte montrent les 2 feuillets en question.

Ils ont respectivement 29 et 27 vers, au lieu de 28 comme les autres feuillets du manuscrit.

Les 2 images ci dessous montrent un agrandissement du feuillet 33 avec une transcription de d'Edmund Stengel.

Les derniers vers y sont numérotés 1821 (ensuite 1822 1823 non imprimés) puis 2242 (numéro visé par le copiste).

Page65-2140px-La Chanson de Roland - MS Oxford.djvu.jpg
Das altfranzösische Rolandslied Stengel 1878 page 65.jpeg

L'article d'Alfred Ewert

81 Tous ceux qui se sont occupés du texte d'Oxford se rappellent la transposition du vers 2242, que M. Bédier qualifie d'accident inexpliqué[I 1]. Je crois qu'on peut en donner une explication, et beaucoup plus simple que celle qu'en donne M. Ch. Samaran dans sa précieuse étude paléographique sur le manuscrit Digby 23[I 2]. Le raisonnement de M. Samaran, qui a le tort de n'expliquer qu'à demi cet étrange accident, l'amène à émettre l'opinion qu'il y avait peut-être « de véritables ateliers de scribes en train d'exécuter des copies de la Chanson sur des modèles formés, comme le voulaient l'usage, la commodité et la rapidité du travail de cahiers non cousus ensemble ». Cette hypothèse nous semble très plausible, mais l'accident du vers 2242 lui est d'un faible appui.

On se rappelle les faits : le vers 2242 (Morz est Turpin le guerreier Charlun), qui devrait être le dernier du feuillet 40 verso, a été inséré par le copiste après le vers 1823 et se trouve ainsi être le dernier vers du feuillet 33 recto. Ces deux feuillets constituent la feuille double extérieure du cinquième cahier. Il nous sçmble évident que le copiste, ayant rempli ce cahier, à l'exception du dernier vers du feuillet 40 verso (= v. 2242), a interrompu son travail pour une raison quelconque ; ce sera, si l'on veut, parce que le vers 2241 était le dernier d'un cahier non relié de son modèle, et que le copiste a dû pour lire 2242 et la suite prendre le cahier suivant. En reprenant son travail, le copiste se seta bien rappelé qu'un vers manquait toujours à la dernière page du cahier (depuis le commencement du cahier il n'avait pas manqué une seule fois d'écrire 28 vers à la page), 82 mais il aura pris ce cahier sens dessus dessous [I 3] et aura ajouté le vers manquant (2242) au bas de la première page extérieure (33 recto ) au lieu de l'écrire au bas de la dernière (40 verso). Sa méprise était d'autant plus facile que les deux pages extérieures se terminent également sur une tirade en ç. Le cinquième cahier comporte ainsi une première page à 29 vers, une dernière à 27 vers, et quatorze pages à 28 vers. Il est à noter que les trois premières pages du cahier suivant comptent 28 vers chacune.



Notes de l'article

  1. Aux Notes critiques de son édition (I, p. 377).
  2. La Chanson de Roland. Reproduction photolypique du ms. Digby 23 . . . par le Comte Alexandre de Laborde. Étude paléographique de M. Ch. Samaran ; Paris, 1932. Présentée aux membres du Roxburgh«.' Club (Tirage limité à 120 exemplaires).
  3. Le cahier peut avoir été retourné, soit dans l'intervalle, soit machinalement par le copiste lui-même au moment de s'arrêter, ou bien au moment de reprendre son travail et en même temps qu'il changeait de page dans son modèle.

Commentaire de Mario Roques

Je pense que M. Ewert a éclairci le mystère du v. 2242 du Roland ; son explication pourrait être, sur un point, légèrement modifiée. Il se représente en effet le copiste du manuscrit d'Oxford écrivant sur un cahier de parchemin déjà plié et assemblé; cela n'est pas nécessaire, et, surtout quand ils avaient du «parchemin assez épais », comme celui du ms. Digby, les copistes du moyen âge devaient avoir avantage à écrire sur des feuilles non assemblées et même non pliées, ou avec une pliure peu marquée : ils pouvaient ainsi travailler bien à plat, et c'est ainsi qu'on en use encore aujourd'hui pour des transcriptions soignées sur du papier très fort. Dans ces conditions chaque feuillet double destiné à entrer dans la composition d'un quaternion se présentait au copiste comme une large feuille à 2 colonnes qu'il remplissait dans l'ordre indiqué par le schéma ci-dessous :

d (40 v°)         a (33 r°)
c (40 r°)         b (33 v°)

Quand il s'agissait du feuillet double intérieur du quaternion, l'ordre était a, b ,c, d, sans interruption ; pour les autres feuillets, il y avait interruption entre l'écriture de b et celle de c, la confection du ou des feuillets intérieurs remplissant cette solution de continuité.

Représentons-nous maintenant le copiste du ms. Digby en train d'achever le double feuillet 33-40, feuillet extérieur du cinquième quaternion, c'est-à-dire écrivant la page d — 40 verso, sur la partie gauche de sa feuille double de parchemin ouverte à plat : il a à sa droite la page a — 33 r°. Si, pour quelque raison que ce soit, il s'est arrêté après le v. 2241, vingt-septième vers de sa page d , il savait qu'il devait, en reprenant son labeur, ajouter un vers au bas de sa dernière page ; c'est bien ce qu'il a fait, mais, par un mouvement naturel (et trompé peut-être d'ailleurs par l'identité des assonances au bas des deux pages d et a), il a fait cette addition au bas de la page (ou, si l'on veut, de la colonne) de droite, comme s'il avait devant lui une face intérieure (b-c ) de feuillet et non la face extérieure (d-a ). Cette erreur me paraît plus vraisemblable que celle que suppose M. Ewert et qui aurait consisté à écrire un dernier vers au bas d'une première page de quaternion facilement discernable dans un cahier plié et assemblé.


Voir aussi

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