La légende des paladins (1877) Autran/VI - Les convives du roi

De Wicri Chanson de Roland
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VI - Les convives du roi


La lyre à sept cordes (1877) Autran, Gallica page f187.jpg[185]

UN jour que les deux chefs avaient conclu la trêve,
Tous deux, au bruit du flot qui chante sur la grève,
Ils s’étaient accostés et marchaient en parlant.
L’un était le sauvage et terrible Aigoland,
Le prince des païens ; l’autre était Charlemagne,
Déjà maître à moitié de la terre d’Espagne.
Pendant qu’ils devisaient, côte à côte, en chemin,
Un pauvre s’approcha qui leur tendit la main ;
Et c’était grand’pitié de voir son humble mine.
« Va-t’en, dit le païen, emporte ta vermine !
— Pourquoi parler d’un ton si rude aux pauvres gens ?
Dit alors l’empereur ; soyons plus indulgents.
Toute humaine fortune est changeante et fragile ;
Et ces deshérités, comme dit l’Évangile,
La lyre à sept cordes (1877) Autran, Gallica page f188.jpg[186]
Ces pâles mendiants qui n’ont ni feu ni lieu,
Sont tous auprès de nous les envoyés de Dieu. »

L’empereur Charlemagne, à la barbe fleurie,
Était le lendemain dans son hôtellerie ;
Aigoland vint le voir et reçut bon accueil :
Or, le chef mécréant aperçut, dès le seuil,
Des convives nombreux, tous hommes respectables,
Qui, dans un grand festin, entouraient douze tables.
La maison s’emplissait d’heureux bourdonnements ;
Les pages circulaient portant des plats fumants,
D’autres, sur un tréteau, jouaient de la cithare.

« Quels sont ces conviés ? demanda le barbare.
— Ceux-ci, dit l’empereur, sont les princes du sang ;
Ceux-là, les chevaliers qui m’ont fait tout-puissant,
Les comtes, les barons qui m’ont soumis la terre :
Tu les reconnais tous à l’habit militaire,
A leurs casques d’acier, au lambris suspendus.
Ceux qui, vêtus de blanc et les cheveux tondus,
Mangent un peu plus loin, sont les hommes d’Église,
Les évêques mitrés, à barbe blanche ou grise,
Les diacres, les abbés qui, doucement penchés,
La veille des grands jours, absolvent nos péchés.
La lyre à sept cordes (1877) Autran, Gallica page f189.jpg[187]
Enfin, plus loin encore, au-dessous des chanoines,
Ces convives en froc, ce sont les simples moines.
— Et ceux-ci ? reprit l’autre, en montrant du regard
Des hommes en haillons, groupe triste et hagard,
Qui, pieds nus, habillés de quelque robe sale,
Pêle-mêle, attendaient dans un coin de la salle.
— Ces derniers conviés, dont tu vois la maigreur,
Ce sont les mendiants, répondit l’empereur,
Ce sont les vagabonds qui, d’une âme inquiète,
Viennent attendre là qu’on leur jette une miette.
— Empereur, dit l’émir, j’étais venu vers toi,
L’esprit ouvert d’avance aux clartés de ta foi.
Désertant Mahomet, je voulais ce soir même,
Recevoir de ta main la faveur du baptême ;
Mais, puisque c’est ainsi que l’on traite en ce lieu
Ceux qui sont, m’as-tu dit, les envoyés de Dieu,
Je sors, n’estimant pas que votre loi chrétienne
Satisfasse le cœur beaucoup plus que la mienne. »

Charles baissa la tête, et dit : « Il a raison. »
Et, depuis ce jour-là, dans sa grande maison,
Pauvres et mendiants, tous ceux que l’on pourchasse,
Furent toujours assis à la première place !