La Chanson de Roland/Léon Gautier/Édition critique/1872/Volume 2/Notes/Légendes de Charlemagne

De Wicri Chanson de Roland

Légendes de Charlemagne après la mort de Roland


 
 

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Légendes

Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 271.jpg[264] Nous avons résumé plus haut (V. la note du vers 96) toute la « Légende de Charles antérieure à la mort de Roland ». Il nous reste à poursuivre ici ce résumé jusqu’à la mort de Charles lui-même. Notre lecteur aura de la sorte un abrégé de toutes nos Chansons de geste, et toute une Histoire poétique du grand empereur avant, pendant et après le désastre de Roncevaux...

Titre à définir

Gaydon

Celui qui avait vengé la mort de Roland, le vainqueur de Pinabel, Thierry, au moment de son combat contre le champion de Ganelon, avait vu un geai se poser miraculeusement sur son heaume. De là le nom de « Gaydon », qui resta désormais à Thierry. C’est ce Gaydon qui va continuer Roland ; c’est aussi contre lui que toute la famille de Ganelon va se liguer. Les traîtres essayent d’assassiner l’empereur Charlemagne, et accusent Gaydon de ce crime. Par bonheur, le complot est déjoué. Un nouveau duel est décidé entre Gaydon et le chef des traîtres, Thibaut d’Aspremont. Dieu prononce une seconde fois en faveur de Gaydon : Thibaut meurt. (Gaydon, poëme du commencement du xiiie siècle, v. 1-1790.) — Charles cependant se laisse encore séduire par la race de Ganelon, et Gaydon est disgracié. Une terrible guerre éclate alors entre l’Empereur et Gaydon. Celui-ci a pour auxiliaire un petit noble campagnard, un vavasseur du nom de Gautier, qui s’illustre par cent exploits admirables. (V. 1791-2468.) Gaydon, d’ailleurs, a dans son armée tous les jeunes chevaliers dont les pères combattent à côté de Charlemagne. Après des péripéties nombreuses et compliquées (v. 2469-9677), Charles essaye, mais en vain, de pénétrer dans Angers, qui est le boulevard de son Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 272.jpg[265] jeune adversaire. L’Empereur s’était caché sous les habits d’un pèlerin ; mais il est reconnu par Gaydon, et forcé d’accepter toutes les conditions que son vassal veut lui imposer. Le champion de Roland est alors nommé grand sénéchal de France ; mais, un an après, il se fait ermite. (V. 9678-10878.)

Anseïs de Carthage

Un autre continuateur de Roland, c’est Anseïs de Carthage, qui a également donné son nom à un de nos Romans... Avant de quitter l’Espagne pacifiée, Charlemagne veut lui donner un roi : il choisit Anseïs, le fils de Rispeu de Bretagne. (Anseïs de Carthage, poëme composé vers le milieu du xiiie siècle- s., B. N., 793, f° 1) Anseïs étant trop jeune, on lui donne le vieil Isoré pour tuteur. (Ibid., f° 1, 2.) Par malheur, cet Isoré a une fille qui s’éprend du jeune roi d’Espagne, et se fait déshonorer par lui. De là une implacable colère d’Isoré contre Anseïs. Le père indigné va jusqu’à s’allier aux païens pour mieux lutter contre le jeune roi chrétien. (Ibid., f° 2-14.) La guerre s’engage, et elle est véritablement interminable. (Ibid., f° 14-52.) Anseïs, en détresse, demande à grands cris le secours de Charlemagne. Malgré ses deux cents ans, Charlemagne accourt et le délivre. (Ibid., f° 52-71.) Le traître Isoré est pendu, et Marsile, dont l’auteur d’Anseïs n’a pas craint de prolonger la vie, est enfin mis à mort sur l’ordre du roi de France pour avoir obstinément refusé le baptême. Quant à Anseïs, il règne désormais sans conteste dans l’Espagne soumise et apaisée. (F° 68-72.)

Ici s’achève, dans notre légende, ce que les Italiens ont appelé la Spagna, et des Pyrénées nous sommes transportés sur les bords du Rhin.

Chanson des Saisnes

Dans la Chanson des Saisnes, Charlemagne ne joue qu’un rôle assez effacé, et surtout assez vil... Guiteclin (Witikind) vient d’entrer vainqueur dans Cologne ; les Saisnes menacent l’empire chrétien. L’Empereur apprend ces tristes nouvelles, et en pleure. (Chanson des Saisnes, des dernières années du xiie siècle- s., Couplets v-xii.) Donc la guerre commence ; mais tout semble conspirer contre Charles : la discorde éclate parmi ses peuples. Les Hérupois (c’est-à-dire les Normands, les Angevins, les Manceaux, les Bretons et les Tourangeaux) jouissent de certains priviléges que les autres sujets de l’Empereur leur envient. De là une sorte de révolte qu’il ne sera pas aisé de calmer. Charles voudrait contenter tout le monde, et enlever néanmoins leurs priviléges aux Hérupois ; mais ceux-ci montrent les dents, et arrivent menaçants jusque dans Aix. Ils parlent haut, et l’Empereur pousse la bassesse jusqu’à marcher pieds nus à leur rencontre. Tout s’arrange. (Couplets xiii-xlvii.) C’est alors, mais alors seulement que Charles peut entrer en campagne contre les Saisnes. Et c’est ici qu’apparaît un frère de Roland, Baudouin, qui se prend d’un amour ardent pour la femme de Guiteclin, Sibille, et pour elle s’expose mille fois à la mort. La guerre se prolonge pendant plus de deux ans. Les Hérupois daignent enfin consentir à venir au Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 273.jpg[266] secours de Charlemagne, et remportent tout d’abord une éclatante victoire sur les Saisnes. (Couplets xc-cxix.) Cependant l’amour adultère de Baudouin pour Sibille ne fait que s’enflammer au milieu de tant de batailles sanglantes. C’est pour Sibille qu’il livre un combat terrible au païen Justamont. Charles, lui, ne se préoccupe que de la grande guerre contre ses ennemis mortels. Un cerf lui indique miraculeusement un gué sur le Rhin, et l’Empereur fait construire un pont par les Thiois. Derrière ce pont sont deux cent mille Saxons, avec le roi Guiteclin. (Couplets cxx-clvii.) Une nouvelle bataille éclate, et jamais il n’y en eut d’aussi terrible. Mais enfin les Français sont vainqueurs, et Guiteclin meurt. (Couplets clviii-cxlvii.) Sibille se console trop aisément de cette mort, et s’empresse trop rapidement d’épouser son ami Baudouin, dont Charlemagne fait un roi des Saxons, et qui s’installe à Tremoigne. (Couplets cxcviii-ccx.) Ce règne ne doit pas être de longue durée : toujours les Saisnes se révoltent, toujours ils menacent Baudouin. C’est en vain que Charles arrive au secours du jeune roi : Baudouin, après des prodiges de bravoure, se trouve seul au milieu de l’armée païenne, et meurt. Charles le pleure, Charles le venge : les Saxons sont une dernière fois vaincus et soumis : ils ne se révolteront plus. (ccxi-ccxcvii.)

Guitalin

Ainsi se termine le poëme de Jean Bodel ; mais il a existé un poëme français plus ancien que la Chanson des Saisnes. Nous n’en avons pas l’original ; mais la Karlamagnus Saga nous en a du moins conservé un résumé... La scène s’ouvre sous les murs de Noble, assiégée par Charles. Tout à coup l’Empereur apprend que « Guitalin » vient de brûler Cologne. Il court au-devant des Saisnes ; mais il est enfermé dans Cologne et va succomber, lorsqu’il est secouru par Roland. Guitalin remporte un premier avantage sur les Français, mais ceux-ci reprennent l’offensive et s’emparent de Germaise (Worms). C’est alors qu’Amidan vient au secours de son père Guitalin. Mais Charles fait construire un pont sur le Rhin, et voilà les Saisnes menacés. Ici apparaît Baudouin, qui va devenir le principal personnage de notre poëme. Ici se place également le trop long épisode de ses amours avec Sibille. Une action décisive s’engage : Guitalin est terrassé par Charles, et Amidan tué par Roland, qui conquiert alors le fameux cor Olifant. La victoire des Français est complète, et tout se termine par un baptême général des païens. Tel est le Guitalin de la Karlamagnus Saga. (5e branche. Cf. le résumé qu’on en trouve dans la 1re branche.) Toutes les variantes de cette légende des Saisnes se divisent en deux groupes distincts, suivant qu’elles se rapportent à ce Guitalin, que nous venons de résumer, ou à la Chanson de Jean Bodel. ═ Ne perdons pas de vue Charlemagne, dont nous écrivons l’histoire légendaire.

Macaire

Il joue également un rôle dans ce poëme curieux que M. Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 274.jpg[267] Modèle:Tiret2 a publié sous le titre de Macaire, et M. Mussafia, sous celui de la Reine Sibille... Charles était parvenu à l’extrême vieillesse. Il était faible et partagé entre deux influences. D’un côté l’on voyait dans l’ombre cette indestructible race de Ganelon, ces traîtres de Mayence qui ne songeaient qu’à venger la mort et le déshonneur de leur parent ; de l’autre brillait la belle impératrice Blanchefleur, femme de Charlemagne, fille de l’empereur de Constantinople. Parmi les traîtres, le plus redoutable était Macaire : c’est Macaire qui veut perdre la reine. Il l’accuse d’adultère avec un nain qui est le complice des Mayençais ; Charles a l’étrange faiblesse d’en croire cet infâme, et condamne à mort la pauvre Blanchefleur. On la jette dans un bûcher ; elle va mourir, lorsque l’abbé de Saint-Denis obtient sa grâce. Mais on l’exile, et la voilà forcée de quitter la France. Un bon chevalier l’accompagne : c’est Aubri. Macaire, qui ne veut point lâcher sa proie, attaque à main armée la reine proscrite et son compagnon. Blanchefleur lui échappe, mais Aubri est tué. C’est alors qu’apparaît dans le drame un nouveau personnage destiné à un grand rôle, et qui n’est autre que le lévrier d’Aubri. Voyant son maître assassiné, le chien s’éloigne de ce corps sans vie, court à Paris, attire par ses cris désespérés l’attention de Charlemagne et de ses barons. Grâce à lui, le crime se découvre. Quel est le coupable ? On le cherche, et c’est encore le lévrier qui le découvre et le dénonce. Un duel en champ clos est décidé entre le traître et le chien. Celui-ci est vainqueur : l’innocence triomphe. (Macaire, chanson du xiie siècle- s., vers 1-1259.) Quant à la pauvre reine, elle veut chercher près de son père un asile à Constantinople, et arrive en Hongrie. Pendant tout ce long voyage, elle est conduite et protégée par un pauvre bûcheron du nom de Varocher. Enfin elle met au monde celui qui sera un jour l’héritier de Charlemagne, Louis. (Ibid., vers 1260-1414.) Il reste néanmoins, il reste toujours à proclamer son innocence. Tout l’empire d’Orient prend en main la cause de Blanchefleur contre l’empire d’Occident ; Constantinople se jette sur Paris. Une guerre terrible éclate dans la France envahie. (Ibid., vers 1415-3220.) Enfin la paix est faite, et Blanchefleur pardonne à Charlemagne. (Ibid., vers 3221-3548.) ═ Il existe de cette légende deux versions très-distinctes. La première, celle que nous venons de résumer, c’est Macaire ; la seconde (dont il ne nous reste que quelques fragments en vers et une version en prose) est connue sous le nom de la Reine Sibille. Entre ces deux textes, les différences ne sont cependant que peu considérables. La Reine Sibille a été tant bien que mal rattachée au cycle de Guillaume d’Orange, et c’est Aimeri de Narbonne qui lutte contre l’empereur de Constantinople. Malgré la postériorité évidente de cette rédaction, c’est elle qui a le plus longtemps conservé sa popularité en France et à l’étranger.


Voir aussi