FPM, Chanson de Roland (1869) F. Michel, Préface
Préface de Francisque Michel à son édition de la Chanson de Roland
Cette page introduit la préface de Francisque Michel.
Notes :
- la préface compte trente pages, numérotées de I à XXX (chaque section ci-dessous correspond donc à une page).
- dans l'ouvrage du Fonds Paul Meyer, certaines pages de la préface sont mal positionnées. Les pages XXVII, XXVIII, XXIX et XXX sont en effet placées - qu'il s'agisse d'un problème de montage dès l'impression d'origine, ou à l'occasion d'un changement de reliure - après la page 12 du texte de la Chanson de Roland.
PRÉFACE.
I
Ce passage, qui, sans aucun doute, fait allusion au Roman de Roncevaux , tel que nous le publions , nous montre assez à quel point il était répandu au moyen âge, et combien la lecture en était attachante pour nos aïeux. (I) La Complainte d'outremer, Paris, 1834, in-8°, p. 15. — Voici deux autres passages où l'on parle de la Chanson de Roncevaux. Ils nous donnent de nouvelles preuves de sa popularité :
(Les Enfances Vivienz, Ms. de la Bibliothèque impériale n° 6985, fol. 17 3 r°, col. 3, ligne 13.)
(Ibid., fol. 173 v°, col. 2, v. 36 ). |
II
Le fait principal sur lequel roule son action est la défaite de l'arrière-garde de Charlemagne dans les Pyrénées en 778, lorsqu'il revenait de l'Espagne qu'il avait conquise : « Tandis que la guerre contre les Saxons, dit Eginhard, se continuait assidûment et presque sans relâche, le roi, qui avait réparti des troupes sur les points favorables de la frontière, marche contre l'Espagne à la tète de toutes les forces qu'il peut rassembler, franchit les gorges des Pyrénées, reçoit la soumission de toutes les villes et de tous les châteaux devant lesquels il se présente, et ramène son armée sans avoir éprouvé aucune perte , si ce n'est toutefois qu'au sommet des Pyrénées il eut à souffrir un peu de la perfidie des Gascons. Tandis que l'armée des Francs, engagée dans un étroit défilé, était obligée par la nature du terrain de marcher sur une ligne longue et resserrée, les Gascons qui s'étaient embusqués sur la crête de la montagne (car l'épaisseur des forêts dont ces lieux sont couverts favorise les embuscades) descendent et se précipitent tout à coup sur la queue des bagages, et sur les troupes d'arrière-garde chargées de couvrir tout ce qui précédait, et les culbutent au fond de la vallée. Ce fut là que s'engagea un combat opiniâtre, dans lequel tous les Francs périrent jusqu'au dernier. Les Gascons, après avoir pillé les bagages, profitèrent delà nuit, qui était survenue, pour se disperser rapidement. Ils durent, en cette rencontre, tout leur succès à la légèreté de leurs armes, et à la disposition des lieux où se passa l'action ; les Francs, au contraire, pesamment armés, et placés dans une situation défavorable, luttèrent avec trop de désavantage. Eggihard, maître d'hôtel du roi, Anselme, comte du palais , et Roland , préfet des Marches de Bretagne , périrent dans ce combat. Il n'y eut pas moyen, dans le moment, de tirer vengeance de cet échec ; car, après ce coup de main, l'ennemi se dispersa si bien , qu'on ne put recueillir aucun renseignement sur les lieux où il aurait fallu le chercher (1). » (1) Vita Karoli imperatoris, cap. IX (OEuvres complètes d'Éginhiard, réunies pour la première fois et traduites en français par A. Teulet. A Paris, M. DCCC. XL — XL1I1, in-8°, tom. I, p. 30-33). Voyez aussi Poetæ Saxonici Annales, lib. I (Rec. des Hist. des Gaules et de la France, vol. V, |
III
Voici ce que l'histoire a laissé sur la fameuse bataille de Roncevaux. Voulons-nous plus? La fable nous fournira d'amples
détails : lisons la chronique attribuée à Turpin , celle de Rodrigue de Tolède (1) et autres, plusieurs romances espagnoles, et
avant tout la Chanson de Roland, et le Roman de Ronceveaux,
que nous publions (2). p. 142, E) ; Eginhardi Annales (ibid., p. 203, D);les Chroniques de Saint-Denys, liv. I, chap. VI (ibid., p.
234, E);l' Histoire de Charlemagne par Gaillard, Paris, MDCCCXIX, in-8°,
vol. I, p. 331-335; et le
Marca Hispanica sive Limes Hispanicus… auct. Petro de Marca. Parisiis,
MDCLXXXVIII, in-fol., lib. III, cap. VI, col. 245-255. En voici le synopsis :
« I. Mors Pippini régis. Ibinalarabi Sarracenus se filio ejus Karolo M. dedit.
II. Is erat præfectus Cæsaraugustæ III. Ea capta est a Karolo, et Pompelo.
IV. Osca Francorum dominio tradita. V. Insidiæ Karolo structæ in faucjbus
Pyrenæi. VI. Verba Eginhardi de ea clade. VII. Fabulæ Hispanorum de pugna
illa. VIII. Fabulosarum bistoriarum origo ab Hispanis. Rodericus Toletanus
talium fabularum pater et patronus. IX. Gerunda capta a copiis ejusdem Karoli. X. Gerundenses putant Karolum ipsum eam obsidionem fecisse. XI. Arnaldus, episcopus Gerundensis, instituit festum et officium S. Karoli M.» |
IV
trésors manuscrits de nos bibliothèques (1). » L'ouvrage n'a jamais vu le jour. En 1832, M. Paulin Paris disait dans sa Lettre à M. Monmerqué sur les romans des douze pairs de France : « M. Bourdillon, qui, depuis longtemps, a senti toute l'importance littéraire et historique de la Chanson de Roncevaux, s'occupe d'en offrir enfin une édition (3). » La même année, mais plus tard , parut une Dissertation sur le Roman de Roncevaux par H. Monin , élève de l'École Normale (4). Nous tâchâmes de faire sentir tout le mérite de ce travail dans un article du Cabinet de Lecture, qui ensuite, corrigé et augmenté, fut tiré à part à cent exemplaires sous le titre d' Examen critique de la Dissertation de M. Henri Monin sur le Roman de Roncevaux (5). Cet article ne fut pas le seul ; M. Raynouard en fit un dans le Journal des Savants, n° de juillet 1832; et M. Saint-Marc Girardin, trois dans le Journal des Débats, numéros des 27 septembre, 14 octobre et 9 novembre de la même année. A la suite de tous ces comptes-rendus, M. Monin publia en quatre pages in-8° ses corrections et additions. C'est à cet ouvrage ainsi complété que nous renvoyons le lecteur pour la solution des principales questions que soulève le Roman de Roncevaux : l'élève de l'École Normale y a généralement ré- (1) The Gentleman's Magazine, August 1817, p. 103, col. 2. (2) Légende du bienheureux Roland, prince françois, dans les Mémoires et Dissertations sur les Antiquités nationales et étrangères, publiés par la Société royale des Antiquaires de France, tom. I, p. 145-171. Voyez aussi
tom. X, p. 412-414. —
De la page 151 à la page 160 se trouve l'analyse du Roman de Roncevaux, avec cette note, dont le renvoi est à la fin de la première ligne : «Le Roman de Roncevals, manuscrit dont M. Guyot des Herbiers prépare une édition, qui ne peut manquer d'être favorablement accueillie. » |
V
pondu avec autant de talent que de bonheur. Nous nous bornerons donc à présenter quelques observations sur la version du
manuscrit d'Oxford que nous publions de nouveau, et sur notre travail d'éditeur. (1) Essais historiques sur les Bardes, les Jongleurs et les Trouvères, t. II, p.' 57-65.
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VI
Guillaume le Conquérant , il y avait aussi à Peterborough un abbé normand du même nom (1), qui mourut en 1098 (2); et nous rencontrons encore un Turoldus de Montanis dans la chronique d'Orderic Vital, à l'année 1107 (3). Comme on le voit, le
nom de notre trouvère n'était pas rare, et il nous semble plus raisonnable de penser qu'il n'appartenait pas exclusivement
aux grands seigneurs que nous venons de nommer, plutôt que d'attribuer à l'un d'eux une œuvre qui, sans aucun doute, est
celle d'un jongleur ou d'un rimeur roturier. chirographum suum fecit. « Recueil de Fell, vol. 1, p. 65. La charte se trouve p. 86-88, et dans le Monasticon Anglicanum, édit. de M. DC. LV — MDCLXXI1I, 1. 1, p. 306, 307. Voyez aussi p. 95 du premier ouvrage.
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VII
gnage de l'archevêque que Turold invoque ; mais celui de Gilie : Ço dist la geste e cil ki el camp fut , Quel était ce Gilie? Malheureusement nos recherches ne nous ont rien appris sur lui. (1) Nous avons publié cet ouvrage à Londres, en 1836, chez William Pickering, en un volume in-12.
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VIII
l'assonance, et l'on reconnaîtra partout la vérité de ce que je dis , excepté dans un petit nombre de cas où nous pouvons accuser le copiste ou notre ignorance de la prononciation de ces temps anciens.
(1) Voyez la dissertation de M. Monin, p. 32, v. 7 et 8 ; et notre texte, p. 79, st. CL, v. 13 et 14. (2) Voir plus loin, p. 225, couplet CXCNII, v. 13, eu le comparant avec le vers correspondant de la chambre de Roland, p. 63.
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IX
il a oublié ce que disait M. Raynouard en 1833 : « Lorsque dans les vers de douze et de dix syllabes, l'hémistiche ou le repos offroit, à la sixième, à la quatrième, un mot terminé en E muet, cet E muet ne comptoit pas, et il en étoit de cette désinence de la césure comme de la désinence en E muet de la rime ou de l'assonance (1).» Ajoutons que le T final placé devant aimet, recleimet, ateignet, ne se prononçant pas, on avait un vers juste en lisant ainsi les vers que nous avons cités plus haut : Fors Sarragus, k'iest en une muntaigne, Le dernier paragraphe de l'article de M. de la Rue est consacré à la dissertation de M. Monin , dont il fait un éloge mérité. (1) Article cité, Journal des Savants, p. 393, 394.
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X
point que nous avons l'intime persuasion que le chant du jongleur normand était pris d'une chanson de geste (1); nous dirons même que cette chanson pourrait bien être celle de Turold; car l'antiquité de son langage, qui ressemble à la langue des lois de Guillaume le Bâtard, la conquête de (1) « The real Chanson de Roland was, unquestionably, a metrical romance, of great length, upon the fatal battle of Roncevaux, of which Taillefer only chanted a part. » (Ritson, Dissertation on Romance and Minstrelsy, p. XXXVJ.) Voyez aussi l'avertissement en tète du tome VII de L' Histoire littéraire de la France, p. lxxiij ; la préface du Roman de Berte aux grands pieds, p. xxviij, xxix, où l'on attribue à M. de Chateaubriand une découverte faite longtemps avant lui : Voyez enfin l'ouvrage de l'abbé de la Rue, t. 1, p. 131, 135. Ce qu'il dit en cet endroit a été réfuté par M. Le Roux de Lincy dans son Analyse critique et littéraire du roman de Garin le Lohérain. Paris, Techener, 1835, in-12, p. 19-23. — Si quelqu'un doutait encore que les anciens poèmes français appelés chansons de geste fussent chantés, ou d'usage ancien, les passages suivants détruiraient son incertitude. Le premier est tiré d'un ouvrage certainement composé avant 1225, puisqu'il est cité dans le Roman de la Violette, qui est do celte époque environ : Or fu .G. as fenestres le ber, (Roman de Guillaume au court nez, Ms. de la Bibliothèque impériale n° 6985, fol. 167 v°, col. I, v. 4. ) « …On appelle en France une simphonie l'instrument dont les aveugles jouent en chantans les chançons de geste, et a cest instrument moult doulx son et plaisant, se ce ne fust pour l'estat de ceulx qui en usent. (Le Propriétaire en françoys, traduit en 1372, de Frère Barthélemi de Glanville, par Frère Jehan Corbichon. Paris, pour Antoine Verard, sans date, in-folio, gothique, liv. XIX, chap. CXL. Ce passage n'est pas dans l'original.) — « A Jehan Torne, chanteur en place , qui payés li ont esté de don à li fait des grâces de le ville, par courtoisie à li faite pour se paine et travail qu'il eut de canter en son romans des istoires des seigneurs anchiens, le jour
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XI
l'Angleterre par Charlemagne, rappelée dans la XXVIIIe tirade, l'oriflamme nommé étendard de Saint-Pierre, toutes ces circonstances qu'on chercherait vainement dans une autre chanson de geste, nous font regretter de n'avoir pas de preuves plus positives. Quoi qu'il en soit, il est très-permis de croire que le poème de Turold est la Chanson de Roland, qui, suivant Guillaume de Malmesbury (1), Albéric des Trois-Fontaines (2), Matthieu Paris (3), Ralph Higden (4), Matthieu de Westminster (5) et Wace (6), fut chantée au commencement de la bataille d'Hastings. des quaresmiaus deesrain passé, au bos d'Abbeville, paravant le cholle commenchié, v solz. » (Registre de la commune d'Abbeville, an. 1401, cité par M. Louandre, Histoire ancienne et moderne d'Abbeville et de son arrondissement
1834-35, in-8°, pag. 226, note 1.)
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XII
à croire, comme nous l'avons jadis cru nous-même (I), que les Normands chantèrent à Hastings, non pas la chanson de Roland, mais de Rollon leur premier duc ; nous savons bien aussi qu'il y a des chroniques qui appellent le second Rollandus (3); mais il faut d'autres preuves pour contre-balancer le texte si précis de Wace, et nous ne partagerons cette opinion qu'alors qu'on nous aura montré cette chanson de Rollon, ou tout au moins un passage authentique qui ne présente pas d'équivoque. Nous ne parlerons pas ici des ridicules couplets imaginés par MM. de Paulmy et de Tressan (3) : ce sont de mauvaises plaisanteries auxquelles on a eu le tort de prêter plus d'attention qu'elles n'en méritent. « La Chanson de Roland, dit M. de Roquefort (4), étoit en- the French and English « Chansons de Geste. » Après avoir exprimé celte opinion et rapporté le passage de Wace, M. Wright ajoute : « It is by no means unlikely, however, that the circumstance of Taillefer singing in the battle was an invention of the chroniclers , after the battle of Roncevaux had beeome itself a popular subject of song , and that the ground of the story was his fame as a poet. The purpose of the anecdote is to show the bold recklesness of the warrior, who could amuse himself with his song-craft in the very face of the enemy. » — Un précieux passage des Miracles de saint Benoît,
par Raoul Tortaire , abbé de Fleury, témoigne implicitement de la présence de Taillefer à la bataille d'Hastings. Racontant une irruption de bandits sur les bords de la Loire, il rapporte que cette troupe élait précédée d'un jongleur,
qui chantait une chanson de geste en s'accompagnaut sur un instrument : « Tanta vero erat illis securitas confidentibus in sua multitudine, et tanta arrogantia de robore et aptitudine suæ juventutis, ut scurram se præcadere facerent, qui musico instrumento res fortiter gestas et priorum bella præcineret, quatenus his acrius incitarentur ad ea peragenda , quæ maligno conceperant animo. » (Les Miracles de saint Benoît, réunis et publiés pour la Société de l'histoire de France par A. de Certain. A Paris, M. DCCC. LVIII., in-8°, p. 337 .)
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XIII
core en usage dans nos armées sous la troisième race. Boethius rapporte même à ce sujet , dans son Histoire d'Écosse, une anecdote qui se trouve répétée dans la plupart des ouvrages qui traitent de l'histoire de la poésie ou de la musique. Le roi Jean, dit-il, mécontent de ses troupes, et entendant quelques soldats qui chantoient la Chanson de Roland, s'écria qu'il y avoit longtemps qu'on ne voyoit plus de Rolands parmi les François. Un vieux capitaine, prenant cette plainte pour un reproche sanglant fait à la nation, dont le roi sembloit suspecter la valeur, lui répondit avec cette noble franchise qui forme le caractère d'un bon soldat : Sachez, sire, que vous ne manqueriez pas de Rolands, si les soldats voyoient encore un Charlemagne à leur tête. » Ici M. de Roquefort se joue étrangement du texte d'Hector Boys (I). Quoi qu'il en soit, le mot est beau ; malheureusement il avait été dit bien auparavant : en effet, l'auteur d'un dictionnaire théologique, composé, suivant toute apparence, au treizième siècle, rapporte qu'un jongleur ayant demandé au roi Philippe à quoi il pensait, celui-ci répondit : « Je me demande pourquoi il n'y a pas présentement d'aussi bons chevaliers que Roland et Olivier ; » et que le jeune jongleur répartit : « C'est qu'aujourd'hui il n'y a pas de Charles (2). » Dans un petit poème intitulé de la Vie dou Monde, nous lisons la stance suivante : Couvoitise vaut pis que ne fait uns serpens : (1) « Dum hæc in Scotia aguutur, Francorum regnum mirum in modum bello premebatur Anglorum regisque eos sui desiderium admodum augebat. Itaque legatos in Angliam mittunt cum filiis, quos pro patre obsides præbebant. Sed quum Joannes rex Parisios pervenisset, vocato senatu plurimum fatum suum ac regni calamitates lamentabili querebatur voce, ac inter cætera
exclamabat conquerens nullos modo se Rolandos aut Gavinos reperire. Ad quod unus ex majoribus natu, cujus aliquando virtus in juventa claruisset , ac propterea regiæ infensior ignaviæ respondit non defuturos Rolandos, si adsint Caroli. » (Scotorum Historiæ… libri XLX, Hectore Boethio Deidonano auctore. Parisiis, 1574, in-fol., lib. XV, fol. 327 r°,1. 7.)
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XIV
Se Charles fust en France, encore i fust Rolans, Et dans un autre ouvrage, de la même époque environ, nous rencontrons ces deux vers : Mais s'encore fust Charle en Franche le roial, Le premier des poëmes que nous donnons ici a été imprimé à la suite de l'une de nos missions en Angleterre (3). Le bruit que fit cette publication, tout de suite appréciée par les hommes de goût (4), engagea un amateur d'anciens manuscrits à produire par la même voie celui qu'il possédait; mais en dépit de tous ses efforts , assaisonnés d'une aigreur que rien ne justifiait, le public s'obstina dans son admiration pour le texte de Turold , et en même temps que M. Bourdillon publiait le rifacimento qu'il prétendait mettre au-dessus (5), (1) Manuscrit de la Bibliothèque impériale, n° 7595, fol.DXXIIII V°,col. 2, st. VIII. — Manuscrit du fonds de Notre-Dame, n° 198, fol. c. III r°, col. l, v. 13.
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XV
MM. Delécluze (1), Vitet (2), Génin (3), Saint-Albin (4), Jônain (5) et d'Avril (6), s'en tenant à la vieille chanson de geste, la faisaient passer plus ou moins heureusement dans notre langue actuelle. Née avant le milieu du XIe siècle, combien de temps vécut la Chanson de Roland sous sa forme primitive? Un passage d'un ancien rimeur, restaurateur de quelques-unes de nos vieilles chansons de geste, en même temps qu'il caractérise leurs rudes accents, donne à penser que la plus épique d'entre elles était déjà tombée en oubli , à l'époque où l'on s'occupait de les remettre à neuf : « Les jongleurs, dit Adenès, vous ont parlé surtout de Guillaume d'Orange et du Danois Ogier ; mais ils chantèrent (1) Roland ou la Chevalerie, par E.-J. Delécluze. Paris, 1845, deux volumes in-8°. Extrait abrégé de la Chanson de Roland, t. I, p. 23-38 ; Traduction du poëme, t. II, p. 9-147. — M. Charles Magnin a publié une analyse de cet ouvrage dans la Revue des Deux Mondes, cahier de juin 1846.
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XVI
avec des violons de cuivre ou de fer ; ils employèrent des glaives d'acier en guise d'archets. Avec de tels instruments, ils formèrent des accords capables de déchirer l'oreille des Sarrasins ; et, certes, le moyen le plus sûr de mériter place au paradis serait de retenir leurs vers (I). » L'édition princeps de la Chanson de Roland, tirée à petit nombre, n'avait valu à l'éditeur que peu de renom et encore moins de profit; celle de M. Génin, imprimée aux frais de l'État, lui rapporta l'un et l'autre, et les maîtres de la critique s'en occupèrent longuement. Bienveillant de sa nature , mais indépendant du ministère de l'instruction publique et du rédacteur du National qui s'y était installé le lendemain d'une révolution, l'honorable M. Vitet se fit juge du travail de M. Génin, et le loua sans témoigner, à son exemple, du dédain pour le travail d'un homme sans lequel le second éditeur avouait lui même qu'il n'aurait rien pu faire (2). Commençant par (1) Ms. de la Bibliothèque de l'Arsenal B.-L. Fr. n° 175, folio 74 verso. Cf. Histoire littéraire de la France, t. XX, p. 699. (2) « Oui, je m'occupe toujours de philologie et en particulier de la Chanson de Roland. Je vous dois déjà le premier texte sur lequel j'ai
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XVII
M. Bourdillon, l'élégant académicien signale ses innocentes colères contre le malencontreux abbé de la Rue qui avait
fait la découverte du manuscrit d'Oxford , et contre l'expéditif éditeur qui l'avait si vite exploitée. « Pour punir
l'éditeur, continue M. Vitet, on a grand soin de ne pas prononcer une seule fois son nom , et quant au poëme, on s'en console en répétant à tout propos que c'est un tissu d'absurdités et de bévues , une œuvre indigne de voir le jour, le plus ignoble fatras, un véritable baragouin, et, pour comble d'injure, le plus moderne de tous les poèmes de Roncevaux! Tout cela n'est que risible et ne doit pas nous arrêter. Laissons là sa traduction, qui n'a pas seulement le tort d'être moulée sur ce texte, mais le tort plus grave encore d'être conçue dans le système des paraphrases et des équivalents. La seule chose
qui doive nous occuper, c'est le manuscrit d'Oxford. travaillé; à présent vous m'offrez un second exemplaire sur papier collé où je pourrai mettre des notes en marge : je vous devrai donc tous les subsidia de cette édition (si jamais elle voit le jour). J'accepte avec reconnaissance, et n'ai aucun regret à ce qu'il soit dit que sans vous je n'aurais pu rien faire. » (Lettre de M. Génin à M. Francisque-Michel, Paris, le 3 janvier 1849.) — Un ami de l'auteur, M. Magnin, sous les yeux duquel j'avais mis cette déclaration, ne put s'empêcher de blâmer, quoique avec timidité, le procédé de son auteur. Après avoir cité les travaux de MM. Henri Monin , Bourdillon et Francisque-Michel, « le silence que M. Génin a gardé particulièrement sur le dernier, dit-il , s'explique de soi-même par la notoriété de la publication qu'on lui doit. » (Journal des Savants, septembre 1852, p. 543.) Cette notoriété n'avait point empêché, cependant, M. de Gaulle de représenter, dans le Bulletin mensuel de la société de l'histoire de France, M. Génin comme ayant tiré
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XVIII
mais, à notre avis , son travail n'en était pas moins incomplet, par cela seul qu'il s'adressait uniquement aux savants. Le public, en pareille matière, a droit de ne pas être oublié. Pour lui donner la clé d'une telle œuvre il ne suffisait pas d'un glossaire expliquant à peine quelques mots, c'est une traduction qu'il fallait. D'un autre côté , le sujet du poëme suggère une foule de considérations historiques et littéraires que le savant éditeur n'a pas cru devoir aborder. Les notes, il est vrai , et son introduction sont pleines de citations érudites; mais, pour accomplir sa tâche, la critique, en pareille matière, avait à nous donner quelque chose de plus. de l'oubli la Chanson de Roland, et comme l'ayant publiée d'après le manuscrit unique de la Bibliothèque Bodléienne. La note du Bulletin ayant été reproduite dans le Journal des Savants, une lettre fut adressée aux journaux l' Univers et la République (n° du u avril i851), pour rétablir les faits et affirmer que M. Génin n'avait jamais consulté ni même entrevu le manuscrit d'Oxford.
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XIX
les reproches si largement prodigués à M. Génin , il en est un, faut-il le dire ? qui pourrait bien ne pas manquer de fondement. M. Génin ne tient aucun compte des travaux de ses devanciers; il n'en dit ni bien ni mal; il oublie qu'ils existent (1). Est-ce par ménagement? Il se trompe : mieux vaudrait être sévère que paraître dédaigneux. Ce silence a d'ailleurs un autre inconvénient : il induit en erreur un lecteur peu expérimenté. Vous pouvez lire jusqu'à la dernière ligne l'introduction de M. Génin , lecture attrayante à plus d'un titre , sans vous douter que jamais personne ait, non pas même publié la Chanson de Roland (2), mais étudié le moyen âge, ses mœurs, son histoire et sa langue. Nous comprenons que, sur beaucoup de points, et notamment en ce qui concerne l'appréciation littéraire et historique du poème , M. Génin, s'il ne porte ses regards que sur les éditeurs 30 avril 1851, à M. Léon de Bastard, ancien élève de l'École des chartes, par M. Francis Guessard, aujourd'hui membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, et imprimée en 16 pages in-8°.
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XX
qui le précèdent, puisse être tenté de se croire l'inventeur de tout ce qu'il dit : il sent les beautés de cette poésie primitive avec une chaleur et une conviction dont certes il n'a pas trouvé l'exemple chez M. Francisque-Michel, archéologue avant tout, moins amoureux des richesses de l'art que des curiosités de la philologie; mais, sans parler d'un essai de M. Francis Wey (1) et d'un travail de M. Delécluze, où les parties grandioses de la Chanson de Roland sont dignement appréciées, sans remonter jusqu'à la thèse de M. Monin, qui, dans sa brièveté, laisse échapper sur les beautés de cette poésie plus d'un trait de lumière, nous pourrions citer telle leçon d'un cours d'histoire publié il y a six ou sept ans, dans lequel le professeur, M. Lenormant, parle aussi de la Chanson de Roland, rapidement, incidemment, mais avec une élévation lumineuse qui ne laisse dans l'ombre aucune des sommités du sujet (2). M. Génin est trop riche par lui-même pour ne pas tenir à distinguer son propre bien d'avec le bien d'autrui. Nous aurions donc souhaité qu'il fît, en quelques mots , connaître à son lecteur ce qui s'était fait et dit avant lui; mais, ce regret exprimé, nous ne saurions admettre que dans ce volumineux et important travail le nouvel éditeur se soit rendu coupable d'autant de méfaits qu'on veut bien le faire croire. Comme tous ses confrères en philologie , il peut avoir ses distractions, il lui est arrivé, comme aux autres, de faillir dans les détails microscopiques (3) ; mais dès (I) Histoire des révolutions du langage en France, Paris, 184|8, in-8°, p. 130-147.
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XXI
qu'une question en vaut la peine, il la traite en homme de savoir aussi bien qu'en homme d'esprit, avec un sens
pénétrant et un rare discernement des origines et des variations de notre langue. » Nous continuerions à reproduire cet éloge, s'il nous était possible de nous y associer. faillances ruinent sans retour la réputation que, dans sa bienveillance, M. Vitet voudrait faire à M. Génin. Il faut voir ce philologue malavisé tenter, p. 439, d'expliquer le nom d'un peuple barbare : « Si l'on redouble la consonne n, dit-il, on aura cannelius, le même mot que candelius, car on écrivait indifféremment cannela ou candela, comme chacun peut le vérifier dans Du Cange : par conséquent cannelarius ou candelarius. Du Cange explique candelarii, « qui candelas in ecclesia deferunt ». Les cannelius, à ce compte, seraient des chandeliers , c'est-à-dire des porte-cierges, des marguilliers et des bedeaux sarrasins, des espèces de moines mahométans conduisant en guerre leurs divinités. » Quoi de plus ridicule que ce qui précède? Au lieu de se creuser l'imagination pour enfanter une chimère, il était bien plus simple de présenter les Canelius comme des peuples du pays de la cannelle, explication plus
naturelle que celle de M. Paris, qui voit dans les Canelius des habitants d'Iconium. (1er article sur l'édit. Génin, p. 33 I .)
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XXII
par M. Génin, qui eût bien été capable de changer les noms d' Alfred et d' Orderic en Auvray et en Odry, par un retour à des libertés de traduction aujourd'hui perdues. la prétention de « résoudre la difficulté la plus essentielle concernant l'âge du poëme », ne firent qu'embrouiller le débat. A peine avait-il fini, que M. Génin, revenant à la charge, tombait à bras raccourci sur « un savant de l'Institut, appelé M. Paulin Paris, » qu'il avait déjà entrepris. Voyez l' Illustration, n° du 7 juin 1851, p. 367.
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venir des populations qui l'avaient reçue de quelqu'un des leurs de retour de l'expédition d'Espagne. Cette impression devint ineffaçable, lorsque, par une fatale coïncidence, un demi-siècle plus tard, dans ces mêmes défilés, l'armée de l'un des fils de Charlemagne, Louis le Débonnaire, fut à son tour taillée en pièces. L'imagination populaire réunit tous ces faits et les groupa autour du même personnage , de celui qui était le plus en vue et qui revenait le plus fréquemment dans les récits de la veillée. « Ainsi, dit M. Vitet, qui nous éclaire dans notre marche, vérité historique au fond, vérité légendaire à la surface , tel est le fondement sur lequel est assis notre poëme. Aucun autre, encore un coup, parmi ceux que nous connaissons , n'a d'aussi sérieuses racines. C'est donc là une seconde exception qui, pour le dire en passant, devient la clé de la première. En effet, le caractère historique et traditionnel du sujet commande, pour ainsi dire, l'unité de composition. Un tel poème, au moment où il a été conçu , c'est-à-dire à une époque où la tradition se maintenait encore vivante, ne pouvait manquer d'être simple , sobre de digressions et d'embellissements. Le poète, aussi bien que son public, croyait vrai ce qu'il chantait; il ne s'avisait donc pas d'y ajouter du sien. Au rebours de ses confrères des âges plus récents , il n'avait point à faire parade de sa fécondité ; son moyen de succès n'était pas de paraître inventer, mais de sembler vrai et d'aller droit au but. Voilà pourquoi plus les versions de ce poëme sont anciennes, plus l'unité de composition s'y laisse apercevoir. Un manuscrit antérieur au manuscrit d'Oxford réduirait d'un millier de vers peut-être le dernier tiers du poëme, de même que le manuscrit d'Oxford exprime en vingt-huit vers d'une énergique fermeté tel
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passage qui, dans le manuscrit de Paris, par exemple se délaie en six cents vers (1). » (I) Revue des deux Mondes, année 1852, t. XIV, p. 854, 855.
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l'indication d'un souvenir déjà ancien. A longinquo reverentia (1). (I) A l'occasion des romans dans lesquels Charlemagne est bafoué, comme dans les Chanson des quatre fils Aymon, M. Vitet fait la remarque suivante : « A l'époque où ces poèmes ont été composés ou remaniés , le pouvoir royal essayait de relever la tête et de reconquérir son domaine. La ligue féodale, contre laquelle il guerroyait, ne se défendait pas seulement à coups de lance, elle avait recours à d'autres armes : elle cherchait à soulever contre les prétentions du pouvoir envahissant ce qu'on appellerait aujourd'hui l'opinion. Or le moyen le plus sûr alors de parler aux esprits, c'était la poésie. Les jongleurs et les trouvères relevaient tous directement d'un seigneur ; lors même qu'ils étaient nés sur les terres de la couronne, ils ne dépendaient d'elle que très-indirectement, et donnaient plus volontiers leurs services à qui les protégeait de plus près. Ils chantaient donc l'époque carlovingienne , moyen détourné de faire opposition à la nouvelle race de rois, et, tout en chantant, tout en exaltant cette époque, ils n'avaient garde de laisser croire que même alors il y eût des monarques capables et dignes de respect. Sous le nom de Charlemagne, c'est à Louis le Gros, c'est à Louis le Jeune qu'ils faisaient la guerre : glorifier son époque, amoindrir sa personne, c'était toujours attaquer la royauté. » Nous nous associons parfaitement à cette remarque; mais en y ajoutant. Si les grands feudataires avaient ainsi des poëtes pour battre en brèche le pouvoir royal, leur suzerain employait les mêmes armes pour se défendre. Pendant le cours de la guerre qui eut lieu au milieu du XIIIe siècle entre Henry III et ses barons et où les traits de la satire venaient en aide à ceux des archers anglais, un certain Henry d'Avranches publia un poëme contre les révoltés , et reçut en récomdense le titre d' archipoeta, qui lui conférait la suprématie sur les trouvères, troubadours, ménestrels et jongleurs, qui se pressaient autour du
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douter que les pères des croisés ne fussent sensibles aux charmes de la beauté ; mais sûrement ils renfermaient en eux-mêmes l'émotion qu'ils éprouvaient, et c'est tout au plus si les chantres populaires en font mention. Dans la Chanson de Roland on ne voit apparaître que deux femmes, la reine Bramimonde et la belle Aude. L'une n'est que la silhouette d'un démon tentateur; l'autre n'entre en scène que pour mourir. Le neveu de Charlemagne l'aime, il doit l'épouser; mais c'est affaire à lui et le public n'a rien à y voir. De plus graves intérêts le préoccupent : celui de la religion et l'honneur de son roi. L'amour viendra plus tard, quand le paladin sera de loisir et qu'il aura épuisé ses récits de guerre dans la chambre
des dames. trône. (Lettre du baron de Perche à J. Power, bibliothécaire de l'université de Cambridge, 21 mai 1846, jointe au Ms. Dd. H. 78 de cette bibliothèque. Cf. Warton, the History of English Poetry, édit. de 1840, vol. I, p. 42-45. )
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le poëme sur sainte Mildred, dont toutes les stances se terminent par le mot euouae (1). Mais cet hymne est en latin et d'une longueur appropriée à ce genre de poésie ,tandis que la Chanson de Roland est une œuvre de longue haleine, en langue vulgaire et destinée à être chantée ailleurs que dans les églises. Sans doute ; mais il faut se rappeler que de bonne heure le clergé, voyant que le monopole du savoir, gai ou non, était près de lui échapper, que la langue rustique se façonnait et menaçait de détrôner sa mère , avait songé à s'en servir pour résister aux laïques qui cherchaient à secouer le joug et à ruiner le monopole de l'Église. Ce mouvement, peu apparent au onzième siècle, avait acquis une telle force sous les
Plantagenets , que clercs séculiers et moines rimaient, à qui mieux mieux, des légendes de saints , des chroniques
et des traités de science. (I) La Chanson de Roland, Ire édition, p. 314. — Voyez sur cet œuou ae., qui se modulait sur sœculorum. Amen, et que l'abbé Lebeuf range parmi les terminaisons de la première espèce de premier ton, le Traité historique et pratique sur le chant ecclésiastique, etc. A Paris, M. DCC. XLI., in-8°, ebap. IV, art. I, p. 54-56.
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s'attache et réussit parfaitement à démontrer qu'elle n'est point tout à fait fondée. « Cette prétention, dit-il, avant
d'être acceptée , aurait au moins besoin d'un commentaire. S'il s'agit seulement d'épopées d'imitation, d'épopées littéraires, nous sommes de moitié avec M. Génin. Ces poèmes , si beaux qu'ils soient , ne sont épiques que de nom, aussi bien le plus admirable de tous, L' Énéide que le plus séduisant, le Roland furieux. On peut donc sans irrévérence, sans le moindre esprit de paradoxe, tout en se prosternant devant des génies divins, soutenir que notre moderne rhapsode appartient de plus près qu'eux, et par un titre plus légitime, à la famille, à la vieille noble souche épique, comme certains pauvres gentilshommes qui, pour la pureté du sang, passent avant certains rois; mais il est des épopées en qui l'éclat de la poésie s'unit à l'originalité primitive : pour marcher de pair avec celles-là, que faudrait-il? Deux choses, dont une seule, il faut bien le reconnaître , existait au siècle de Théroulde. » |
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bientôt, faute d'être soutenue par la puissance du langage, l'inspiration languit, la pensée se dessèche, la poésie disparait. Ces riches compositions , ces amples développements où se complaît Homère et qui meublent et décorent, comme autant de draperies, les parties, même les moins brillantes de ses poëmes, comment les demander à ce pauvre Théroulde? Sa palette est-elle assez riche pour lutter contre la nature? Peut-il reproduire tant d'éclatantes couleurs , tant de suaves demi-teintes? Tout cela n'est pas fait pour lui. Il faut qu'il se contente de quelques traits profonds, mais brusques et hachés ; il peut tracer hardiment des silhouettes, les mots lui manqueraient s'il cherchait le modèle. » |
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enthousiasme ? Dieu sait que là n'est point noire excuse. Quand tout s'abaisse et se ternit, n'est-ce pas le moment de détourner les yeux pour chercher dans le passé de consolantes splendeurs? »
(I) Voyez ci-après, p. 163. |