Chanson de Roland/Manuscrit d'Oxford/Laisse CLXXXII/Gautier/2505. Amure

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Amure

Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 198.jpg[191]

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Vers 2505.Carles en a l’amure... La lance dont Notre-Seigneur fut percé sur la croix, a été l’objet de nombreux récits pendant toute la durée du moyen âge. Il est facile de reconnaître ici deux grands courants Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 199.jpg[192]

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légendaires tout à fait distincts l’un de l’autre, et qui ne se sont jamais confondus. Le premier est celui de nos Chansons de geste ; le second celui des Romans de la Table Ronde. Nous les étudierons l’un après l’autre. 1° L’auteur de notre Roland ignorait absolument les traditions « celtiques », qui ne se sont guère répandues en France qu’une cinquantaine d’années plus tard. Mais, en revanche, le Voyage à Jérusalem et à Constantinople nous montre, dans notre cycle carlovingien, le grand empereur rapportant de Jérusalem les reliques de la Passion, qu’il dépose à Saint-Denis, et cette légende remonte tout au moins à la fin du xe siècle. Seulement dans le vieux poëme il n’est pas question de la lance. C’est la Karlamagnus Saga, reproduisant sans doute une autre Chanson française, qui nous en parle très-explicitement, et considère la pointe de cette lance comme un présent que le roi de Constantinople fit au roi de Saint-Denis. Et la Saga ne manque pas de nous apprendre que Charles incrusta cette précieuse relique dans le pommeau de son épée, que, depuis lors, il nomma Giovise : d’où le cri de Mungeoy. (V. la note du vers 2501.) ═ 2° Tout autre est la tradition « celtique » ; mais il est malaisé de pénétrer ici jusqu’à la véritable source de la légende. Deux systèmes, deux écoles sont aujourd’hui en présence : d’une part, M. de la Villemarqué ; de l’autre, M. P. Paris. ═ M. de la Villemarqué fait remonter au delà des temps chrétiens l’histoire merveilleuse de la lance. Suivant lui, le célèbre Graal existait de temps immémorial dans les poésies bardiques (?). C’était dès lors un vase magique communiquant la science universelle, guérissant toutes les blessures etc. La lance sanglante aurait été, avec ce bassin merveilleux, le symbole militaire des Bretons dans leur lutte contre les Anglo-Saxons. Depuis le vie siècle- jusqu’au xiie siècle, les fables s’accumulent autour de la lance et du bassin magique. Au commencement du xiie siècle, un conteur gallois (?) donne un corps à la légende de Peredur (le Compagnon du bassin), qui quitte la cour d’Arthur et qui, pour conquérir le bassin et la lance, combat lions, serpents, sorcières et monstres de toutes sortes. Cette histoire de Peredur (H. de la Villemarqué, Romans de la Table Ronde, 3e éd., pp. 145-146) se raconte encore aujourd’hui dans les campagnes bretonnes, et M. Ém. Souvestre assure l’avoir écrite sous la dictée d’un paysan. Il s’agit, dans ces récits populaires, d’un certain Peronik, que l’on appelle « l’idiot », et qui est, en effet, un enfant aussi simple que pauvre. Cependant Peronik, à force de patience et d’observation, parvient à conquérir, au fond d’une caverne magique, le bassin d’or qui guérit tous les maux et ressuscite les morts, et la lance à pointe de diamant qui tue et brise tout ce qu’elle touche. Pour y arriver, il traverse le bois enchanté, cueille la fleur qui rit, passe le lac des dragons, combat l’homme à la boule Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 200.jpg[193]

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de fer, franchit le vallon des plaisirs, etc. (E. Souvestre, Foyer breton, II, p. 137.) C’est, comme on le voit, l’histoire de Perceval le Gallois, modifiée par le temps et le peuple... ═ b. M. Paulin Paris parle tout différemment. (Romans de la Table Ronde, I, pp. 93 et suivantes.) La légende, suivant lui, aurait une origine chrétienne. Il aurait, dès les iiie siècle- et ive siècles, circulé chez les Bretons insulaires certains récits qui faisaient de Joseph d’Arimathie le premier apôtre de la Bretagne. Or Joseph possédait le vase où il avait recueilli le sang du Sauveur : il avait, d’ailleurs, reçu de Dieu des dons plus précieux, et était notamment investi du droit de faire des évêques. De telles idées s’accordaient trop bien avec les prétentions des Bretons à l’indépendance religieuse. Pour ne pas dépendre de Rome, ils s’armèrent de ces prétendues traditions. Vers l’an 720, un clerc du pays de Galles écrivit, dans l’intérêt de ce schisme, le fameux Gradale ou Liber gradalis, qui donnait un corps à la légende du vase miraculeux. Mais il ne semble pas être ici question de la lance. Ce livre, d’après M. P. Paris, serait demeuré secret depuis le viiie siècle- jusqu’au xiie siècle, et ce secret s’expliquerait assez bien par les idées d’indépendance qu’une telle œuvre pouvait favoriser contre la suprématie des papes. C’est en France que le Gradale fut un jour traduit, développé, embelli, et ce fait important doit être placé entre les années 1160 et 1170. Telle est, en effet, la date du Joseph d’Arimathie de Robert de Boron. Quelques années après, un auteur inconnu écrivait le Saint-Graal en prose. De là à Parceval le Gallois, il n’y a qu’un pas... ═ Nous venons d’exposer tour à tour les deux systèmes de MM. Paris et H. de la Villemarqué : notre intention n’est pas de décider entre les deux. Nous nous contenterions volontiers de croire qu’il y a du vrai dans l’un comme dans l’autre, et que les deux légendes, païenne et chrétienne, ont pu se fondre. Quoi qu’il en soit, leur point d’arrivée à toutes deux est, comme nous l’avons vu, Perceval le Gallois, dont l’auteur est Chrestien de Troyes, mort avant l’année 1190. En voici le résumé... Perceval est le fils d’une pauvre veuve du pays de Galles, que sa mère veut à tout prix éloigner de la condition militaire, mais qui rencontre un jour des chevaliers de la cour d’Arthur, et ne peut résister à sa vocation chevaleresque. Il traverse mille aventures, et, après s’être oublié dans l’amour de Blanche-Fleur, arrive un jour dans un château merveilleux. Un valet paraît, portant une lance d’où coule une goutte de sang ; puis deux damoiselles, dont l’une tient un bassin d’or, un graal. Perceval est dans le palais du Roi-Pécheur. Par malheur, il n’est pas assez curieux pour demander l’explication de « la lance qui saigne ». De là ses infortunes. Il perd soudain la mémoire ; bien plus, il reste cinq ans sans entrer dans une église. Mais enfin, un jour de vendredi saint, il confesse ses péchés, il communie, il renaît à Chanson de Roland (1872) Gautier, II, page 201.jpg[194]

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une vie nouvelle. Ici commencent d’autres aventures. Perceval, réhabilité et pur, se met à la recherche du bassin d’or et de la lance. Mille obstacles l’arrêtent ; mille séductions le tentent : il en triomphe et arrive de nouveau chez le Roi-Pécheur. Il n’oublie pas cette fois de demander « pourquoi la lance saigne ». On lui répond que c’est celle dont Longus perça le côté du Sauveur sur la croix, et que le bassin d’or est celui où Joseph d’Arimathie a recueilli le sang divin. Le graal guérit toutes blessures et ressuscite les morts ; mais il faut, pour en approcher, être en état de grâce. Perceval donne alors la preuve qu’il est le plus pieux chevalier de la terre, et se met tout aussitôt à la poursuite d’un certain Pertinax, qui a jadis volé au Roi-Pêcheur une épée merveilleuse. Il atteint ce misérable, il le tue. Le Roi-Pécheur abdique alors en sa faveur, et Perceval règne glorieusement pendant sept ans. Mais, au bout de ce temps, il se fait ermite et meurt en odeur de sainteté. Le jour de sa mort, le bassin et la lance furent transportés au ciel. Ils y sont encore et y seront toujours... ═ Telle est l’analyse, très-rapide, de l’œuvre de Chrestien de Troyes, qui, par malheur, est encore inédite. La lance, comme on le voit, y tient une place considérable ; mais la Chanson de Roland est absolument étrangère à toutes ces fables. On voit par là quel abîme sépare les deux Cycles.


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