Chanson de Geste (Larousse - G.D.U. XIXe siècle)

De Wicri Chanson de Roland
Pierre Larousse Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle.png Grand Larousse du XIXe siècle (2).JPG
logo lien interne Cette page est en phase de création pour des raisons de cohérence des liens dans ce wiki (ou au sein du réseau Wicri).
Pour en savoir plus, consulter l'onglet pages liées de la boîte à outils de navigation ou la rubrique « Voir aussi ».

Cet article est extrait du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle.

Chanson de geste

Chansons de geste. Ce sont des chants épiques du moyen âge, des poëmes historiques et romanesques, récités ou chantés par les ménestrels, avec accompagnement d’un instrument de musique. Les langues modernes s’étant constituées vers le XIe siècle, les peuples s’organisent, la société se fonde, un idéal nouveau plane sur l’Europe, qui, frémissante d’enthousiasme religieux et guerrier, menace l’Orient régénéré par l’islamisme ; la poésie renaît enfin avec la foi, avec le culte de l’honneur. Elle a ses interprètes, les jongleurs, que les rois, les princes, les évêques, les abbés attachent à leur personne, et qu’ils récompensent magnifiquement. D’autres poètes et chanteurs vagabonds vont de ville en ville, de château en château ; tantôt riches, tantôt pauvres, recevant un accueil plus ou moins favorable, selon leur talent. Une vielle accompagne l’artiste nomade, qui voyage à pied ou à cheval ; son costume indique à tous sa profession. Seigneurs et manants, dames nobles et abbesses, pages, écuyers, tout le monde vient entendre les merveilleux récits du poète. Personne n’a de dédain, d’esprit critique ; chacun est heureux de croire et de s’identifier avec le héros, dont les prouesses sont tenues pour véritables.

On divise les chansons de geste en trois cycles ou groupes. Les poèmes les plus anciens en date ont une étendue très-imposante : ils renferment, en général, vingt, trente, cinquante mille vers, qui se suivent par tirades de vingt à deux cents, et quelquefois davantage, sur une seule rime ou assonance. Ces longues épopées se sont formées par la réunion de poèmes plus courts, plus simples, de fragments primitifs composés sur le même sujet par divers jongleurs, et soudés ensuite les uns aux autres. Ce fait a été mis en évidence par nos modernes érudits. Quelquefois le rédacteur a négligé de choisir et de fondre les variantes d’une même donnée. Cet amalgame rappelle un fait analogue qui s’est produit autrefois dans la Grèce. Il faut bien remarquer toutefois que cette reprise en sous-œuvre des anciennes épopées ne fut opérée que par les trouvères, c*est-à-dire par des hommes lettrés, d’un esprit cultivé, mais moins naïf, plus élégants, mais moins simples dans leur langue et leur style ; or les trouvères, poètes de profession, succédèrent assez tard aux jongleurs, réduits par eux au rôle de chanteurs et de baladins.

La muse épique de la France au moyen âge, inondant l’Europe de ses compositions, ne s’exerce que sur trois sujets favoris : les Français, les Bretons, les anciens ; Charlemagne, Arthur et Alexandre sont les héros de l’épopée chevaleresque, et chacun d’eux est devenu le centre d’un cycle particulier. Le règne de Charlemagne avait laissé dans le souvenir des peuples le prestige d’une puissance merveilleuse ; les calamités qui avaient précédé et les misères qui avaient suivi ce règne glorieux perpétuaient le respect et l’admiration. L’image agrandie du passé consolait et vengeait le peuple des malheurs présents. Le cycle français ou Cycle carlovingien (ce mot perd ici sa signification chronologique) embrasse d’autres poèmes ; il y en a qui remontent aux temps de Clovis et de Dagobert, d’autres chantent Charles le Chauve et même les rois de la troisième race. Les plus remarquables de ces compositions épiques paraissent avoir été écrites dans le cours du xiie siècle et du xiiie siècle ; mais, avant d’être fixées par l’écriture sous la forme où nous les avons aujourd’hui, elles avaient été chantées et répétées avec mille variantes. Le caractère commun des épopées carlovîngiennes, c’est l’inspiration religieuse ; elles célèbrent surtout la lutte des chrétiens contre les musulmans. Tous les peuples auxquels Charlemagne a fait la guerre sont des musulmans pour les trouvères ; c’est à Charlemagne qu’ils attribuent les grands succès remportés par Charles Martel et Pépin contre les ennemis du nom chrétien. La plus ancienne et la plus remarquable épopée de ce cycle, c’est la fameuse Chanson de Roland ou de Roncevaux. V. l’article spécial.

Le second caractère des chansons de geste, c’est l’inspiration féodale. Les poëtes, écrivant sous le toit de leurs nobles patrons, sont ouvertement favorables aux grands vassaux ; le monarque est sacrifié à ses pairs, à ses barons. D’une part, on exagère les abus do sa puissance ; de l’autre, on diminue, on affaiblit, on altère ses qualités. Tantôt c’est un despote emporté ou avare, et tantôt un bonhomme crédule ou timide à l’excès, irrésolu, pusillanime. Le portrait n’est jamais flatté ; la Chanson de Roland, qui remonte au temps de Louis le Débonnaire, fait seule exception. Toutefois les chansons de geste sont l’exacte et saisissante peinture de la vie du moyen âge ; les détails en sont vrais, les sentiments réels. Les joutes et les batailles forment le sujet principal traité par les trouvères. « Le génie de la France, dit M. Edgar Quinet, respire principalement dans ces valeureux poëtes. Avec cela leur langue de fer les secondait à merveille, pauvre en moralités, singulièrement riche et à l’aise quand il s’agit d’armures, de hauberts rompus et démaillés, de sang vermeil, de vassaux massacrés et de cervelles répandues. Un enthousiasme sincère les possède ; ils trouvent des lumières soudaines au plus fort de la mêlée. Des prouesses d’imagination les égalent à leurs héros ; car ils sont eux-mêmes les chevaliers errants de l’art et de la poésie. Malgré toutes les difficultés d’un idiome embarrassé, leurs fières fantaisies éclatent par de grands traits, comme la Durandal hors du fourreau ; sans le secours de l’art, ils combattent, à proprement parler, nus et sans armes, et, par la seule vaillance de la pensée, ils s’élèvent à un sublime naïf que l’on n’a plus retrouvé depuis eux. Vous respirez, dans ces vers incultes, le génie de la force indomptée, de l’orgueil suprême qui s’emparait de l’homme dans la solitude des donjons, d’où il voyait à ses pieds la nature humaine abaissée et corvéable ; poésie non d’aigles de l’Olympe, mais de milans et d’éperviers des Gaules. » De toutes les chansons de geste, celle qui exprime le mieux l’esprit et les mœurs de la société féodale, c’est le roman des Lohérains, une des plus anciennes parmi les plus vieilles épopées. Ce poème sera l’objet d’un compte rendu particulier. V. Garin le Lohérain.

Du cycle carlovingien, où l’épopée est féodale, on passe au cycle armoricain, où l’épopée est chevaleresque. Celle-ci chante les dames et les amours. L’orgueil militaire et le culte idéalisé de la femme, le goût des aventures et le sentiment de l’honneur deviennent la vertu de la chevalerie. Il y a deux chevaleries, représentées l’une par le moine chevalier, l’autre par le chevalier mondain et galant ; ce sont deux principes contraires, deux idées opposées, deux buts différents. Ces sentiments divers se réfléchissent des mœurs dans la poésie. L’horizon change ; on passe à une autre période historique et à d’autres héros. Arthur le Breton succède à Charlemagne ; une source vive de légendes celtiques fait irruption dans la littérature du moyen âge. Ces traditions, originaires de la Bretagne insulaire et de l’Armorique, remontent aux bardes gaulois. Ces chantres patriotiques redisent les derniers combats de l’indépendance, la lutte du brave Arthur contre les barbares du Nord Chaque âge embellit la légende ; l’épopée grandit avec la crédulité populaire. L’histoire est en désaccord avec cette transfiguration fabuleuse ; même pour les bardes, Arthur n’est qu’un personnage mythologique. Ce n’est qu’au xiie siècle que le chef breton devient un type chevaleresque. Il amène avec lui les tournois, le saint-graal, la Table ronde, et la Table ronde est déjà le symbole de l’égalité. Cette transformation de la légende, qui signale une transformation du dogme social, se révèle avec originalité et grandeur dans le Brut de Wace, histoire poétique d’Arthur, originaire du sol armoricain (v. Brut). Les trouvères français de la fin du xiie siècle s’emparent d’Arthur et de la Table ronde ; ils abandonnent la longue strophe monorime, et y substituent les vers de huit syllabes rimés deux à deux. Leurs poëmes se lisent et ne se chantent plus ; c’est dans le mètre de huit syllabes que sont écrits tous les poëmes de la Table ronde, dont les principaux sont ceux de Merlin, de Lancelot du Lac, du Chevalier à la charrette, de Tristan et du Chevalier au Lion. V. ces mots.

Bientôt la prose détrône la poésie : le xive siècle traduit en langue vulgaire les romans de chevalerie. Outre les poëmes purement chevaleresques, le cycle d’Arthur contient des chants d’un caractère différent. L’expression religieuse s’est fixée sur le saint-graal (le vase de la Cène de Jésus-Christ) ; le roman de Perceval est le plus ancien et le plus parfait de ces poëmes religieux et mystiques. Dante, l’Arioste, le Tasse, Chaucer, Spencer, Shakspeare, Milton, les poëtes allemands surtout, s’inspireront de ces fictions.

Le troisième cycle de l’épopée au moyen âge s’occupe de l’antiquité : ce dernier groupe recherche en réalité les origines gréco-latines de la société, le fond de la civilisation et de la langue ; mais le moyen âge, loin de se laisser dominer par la forme de l’art classique, imprime à toutes ses productions le sceau de son génie. L’histoire d’Ulysse, déguisée sous des noms et des circonstances modernes, est attribuée à un contemporain. Cette paraphrase de l’antiquité s’opère dès le xiie siècle ou le xiiie siècle ; c’est le prélude anticipé, le pressentiment confus de la Renaissance ; c’est le réveil de la tradition latine. Les poëtes de ce cycle célèbrent d’abord la guerre de Troie, et en font un sujet national ; Médée, Alexandre le Grand séduisent leur imagination et ne peuvent fatiguer leur plume. Ils travestissent dans le goût du temps les héros de l’antiquité ; Médée est une Armide, Alexandre un chevalier errant. Tous ces ouvrages sont remplis d’anachronismes ; les tournois, les féeries, les allusions aux choses de l’époque y abondent. En somme, c’est la peinture des mœurs et des sentiments chevaleresques ; et cette œuvre véritablement importante atteste un puissant effort d’imagination vers un noble idéal. Les romans du troisième cycle sont : le Roman de Thèbes, la Guerre de Troie, Protésilaüs, l’Alexandriade, etc. L’épopée du moyen âge n’est pas encore épuisée ; mais les chants épiques dégénèrent en même temps que l’esprit féodal ; l’érudition et le bel esprit vont tuer l’inspiration du poëme épique. L’ouvrage le plus célèbre de cette période est le Roman de la rose. L’épopée prend, toutefois, une heureuse revanche : elle devient burlesque, satirique ; cette transformation produit le fabliau ou l’apologue de Renard, que toutes les nations de l’Europe redisent pendant deux siècles. Cette interminable satire sociale multiplie ses branches à l’infini ; la collection complète formerait plus de quatre-vingt mille vers. Renard est la négation même du principe chevaleresque du moyen âge, de l’esprit féodal ; il indique l’avènement d’une puissance nouvelle, la bourgeoisie, le tiers état, le peuple, qui réclament leur part d’action, et travaillent à constituer un droit national et démocratique.

Nous donnons ici, par ordre alphabétique, la liste des chansons de geste connues, en indiquant la date de la version la plus ancienne : Aimeri de Narbonne (première moitié du xiiie siècle) ; Aiol et Mirabel (première moitié du xiiie siècle) ; Aliscamps (xiiie siècle) ; Amis et Amiles (xiiie siècle) ; Anséis de Carthage, par Pierre de Ries (seconde moitié du xiiie siècle) ; Anséis, fils de Girbert (xiiie siècle) ; Aquin (xiiie siècle) ; Aspremont (xiiie siècle) ; Aubri le Bourgoing (xiiie siècle) ; Aye d’Avignon (xiiie siècle) ; Bataille Loquifer (xiiie siècle) ; Bastard de Bouillon (xiiie siècle) ; Baudouin de Sebourc (xive siècle) ; Berte aux grands pieds (seconde moitié du xiiie siècle) ; Beuves de Comarchis (seconde moitié du xiiie siècle) ; Beuves d’Hanstonnes (seconde moitié du xiiie siècle) ; Chanson d’Antioche (xiiie siècle) ; Charlemagne, par Girart d’Amiens (xive siècle) ; Charles le Chauve (xive siècle) ; Charroi de Nîmes (xive siècle) ; les Chétifs (xiie siècle) ; Chevalerie Ogier de Danemarche, par Raimbert de Paris (xiie siècle) ; le Chevalier au cygne (xiiie siècle) ; Couronnement de Looys (xiiie siècle) ; Doon de La Roche (xiiie siècle) ; Doon de Mayence (xiiie siècle) ; Doon de Nanteuil (xive siècle) ; Elie de Saint-Gilles (xiie siècle) ; Enfances Charlemagne (xiiie siècle) ; Enfances Godefroi, par Renaut (xiie siècle) ; Enfances Guillaume (xiiie siècle) ; Enfances Ogier, par Adenès Le Roi (xiiie siècle) ; Enfances Roland et Ogier le Danois (xiiie siècle) ; Enfances Vivien (xiie siècle) ; Entrée en Espagne, par Nicolas de Padoue (xive siècle) ; Fierabras, en provençal (xiiie siècle), et en français (xive siècle et xve siècle) ; Floovant (xiiie siècle) ; Foulque de Candie (xiiie siècle) ; Gaidon (xiiie siècle) ; Garin le Lohérain, par Jean de Plagy (xiie siècle) ; Garin de Monglane (xve siècle) ; Gaufrey (xiiie siècle) ; Girard de Roussillon, en provençal (xiiie siècle), et en français (xive siècle) ; Girard de Viane (xiiie siècle) ; Girbert de Metz (xiie siècle) ; Gui de Bourgogne (xiie siècle) ; Gui de Nanteuil (xiiie siècle et xive siècle) ; Guibert d’Andernas (xiiie siècle) ; Hélias (xiie siècle) ; Herois de Metz (xiie siècle) ; Horn (xive siècle) ; Hugues Capet (xive siècle) ; Huon de Bordeaux (xiie siècle) ; Jean de Tanson (xiiie siècle) ; Jérusalem, par Graindor de Douai (sous Philippe-Auguste) ; Jourdain de Blaives (xiiie siècle) ; Lion de Bourges (xve siècle), les Lohérains (xiie siècle) ; Macaire (xiiie siècle) ; Maugis d’Aigremont (xive siècle) ; Moniage Guillaume (xiiie siècle) ; Moniage Rainoart (xiiie siècle) ; Mort d’Aimeri de Narbonne (xiiie siècle) ; Otinel (xiiie siècle) ; Parise la duchesse (xiiie siècle) : Prise de Pampelune (xive siècle) ; Prise d’Orange (xiiie siècle) ; Rainoart (xiiie siècle) ; Raoul de Cambrai (xiiie siècle) ; Renaud de Montauban (xiiie siècle) ; Renier (xiiie siècle) ; Chanson de Roland, attribuée à Théroulde (commencement du xiie siècle) ; Roncevaux, remaniement de la Chanson de Roland (xiiie siècle) ; Chanson des Saisnes (xiiie siècle) ; la Chanson des Saxons, par Jean Bodel (xiiie siècle) ; Siège de Barbastre (xiiie siècle) ; Simon de Pouille (xiiie siècle) ; Sipéris de Vignevaux (xive siècle) ; Tristan de Nanteuil (xive siècle) ; Vivien, l’amachour de Monbran (xiiie siècle et xive siècle) ; Voyage de Charlemagne à Jérusalem (xiie siècle).


Voir aussi

Source
https://fr.wikisource.org/wiki/Grand_dictionnaire_universel_du_XIXe_si%C3%A8cle/Chansons_de_geste