Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier (1850) Méthivier/Chapitre XVI

De Wicri Bois

Dix minutes de réflexion sur l'œuvre et les ouvriers du LIBÉRALISME pendant son règne de dix-sept ans


 
 

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    Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier mort au service de la République (2e édition) / par l'abbé J.-S. Méthivier.
Chapitre XVI

 

<= Comment il est prouvé par le fait de la plantation solennelle des peupliers, que la révolution a affaibli l'esprit d'un grand nombre de Français. <=

 

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Le texte original


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Dix minutes de réflexion sur l'œuvre et les ouvriers du LIBÉRALISME pendant son règne de dix-sept ans

Deposuit potentes de sede, et divites dimisit inanes.[NDLR 1]
Il a renversé les puissants de leur trône, et renvoyé les riches au néant.

Ce plan tracé, ces ordres donnés ont été suivis et exécutés avec une habileté, une exactitude et une persévérance que vous connaissez tous ; et les résultats de tant d'efforts et de tant de travaux sont aujourd'hui sous vos yeux.

Maintenant, chers campagnards, mes amis, puisque Dieu nous a fait raisonnables, raisonnons.

Vous disiez que le bras de l'homme remue à son gré la poussière de ce monde et la pétrit à sa fantaisie sans le contrôle divin, sans que la main de Dieu s'y montre.


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Voyons si c'est vrai.

Thiers, Dupin, Guizot, Cousin, Philippe, sont-ils doués d'esprit, d'éloquence, de science, d'habileté, de finesse, en un mot, de tout ce qui fait qu'un homme a le bras puissant?... Oui, assurément.

Ont-ils été à même de faire en France ce qu'ils ont voulu, en qualité de lettrés, d'académiciens, de philosophes, d'écrivains, de députés, de ministres, de roi?... Oui encore, n'est-ce pas ?

Or, ont-ils voulu dans l'exercice de leur toute puissance, et en dirigeant à leur souhait les grands ressorts du gouvernement, ont-ils voulu la République ?... Non, et cependant la voilà ! Ont-ils voulu tuer la dynastie de Juillet?... Non, et cependant la voilà tuée ! Ont-ils voulu préparer leur épouvantable chute ?... Non, et cependant les voilà tombés !

Donc le bras des hommes ne fait pas ce qu'ils veulent ; donc il y a un bras qui n'est pas un bras d'homme, et qui fait ce que les puissants ne veulent pas; qui leur prépare des angoisses quand ils veulent des jouissances ; de l'ignominie quand ils veulent de la gloire ; des misères et des châtiments quand ils veulent des trônes et des couronnes.

Donc gloire à Dieu, non seulement dans les hauteurs des cieux où éclate sa puissance par l'ordre invariable des mondes qu'il a lancés dans l'espace ; mais aussi gloire à Dieu sur cette terre, gloire à sa justice, qui, au milieu des révolutions, force les passions déchaînées, les ambitions effrénées à


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lâcher prise, et épouvante les peuples perdus d'égoïsme et d'irréligion, en leur montrant l'abîme ouvert sous leurs pas par leurs chefs incrédules !

Gloire à Dieu, gloire à sa justice, qui, au milieu des triomphes éphémères des méchants, ne précipite point sa vengeance, parce qu'elle sait que ses mains sont inévitables, mais surveille leurs téméraires complots et attend que l'édifice d'orgueil ait atteint une certaine élévation, pour l'abattre d'un seul coup de son tonnerre !

Réfléchissons et raisonnons encore : car, voyez-vous , chers campagnards, c'est très utile de bien raisonner sur ce que l'on voit, et la réflexion est un exercice qui fortifie le bon sens, éclaire la conscience et dirige la volonté. Un ou deux raisonnements justes, deux ou trois réflexions solides donnent quelquefois à des ignorants, à des serviteurs de la glèbe, comme vous et moi, plus de ce bon esprit français, plus de ce franc amour du pays que n'en ramassent les bourgeois dans leurs cours de littérature, d'histoire et de philosophie universitaires : et, si je vois bien ce que je vois, un jour viendra, amis villageois, où notre bon sens rustique, notre droite conscience, notre ferme foi religieuse et notre bras nerveux seront les seules armes que la France pourra opposer à l'anarchie, à la corruption, aux sanglantes calamités préparées et fomentées dans les collèges, les académies, les instituts, les sociétés savantes, les sociétés secrètes


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des grandes villes, par les illustres politiques et les illustres lettrés du libéralisme et du socialisme ; ainsi seront sauvés (si Dieu daigne les sauver) les villes par les campagnes , la capitale par les provinces, et les bourgeois qui font des constitutions et lisent des romans par les paysans qui font leur prière et apprennent le catéchisme.

Revenons donc, amis campagnards, à nos réflexions sur le grand œuvre et les grands opérateurs du libéralisme.

Ces hommes ont voulu sérieusement, fortement, persévéramment pour le peuple, l'accroissement continuel des lumières, du bien-être, de la civilisation, de la richesse : en un mot, ils ont voulu le progrès partout et toujours le progrès. Leur littérature était un progrès, leur philosophie un progrès, leur savoir-faire politique un progrès, chacune de leurs lois un progrès, chacune de leur pensée une pensée de progrès ; je crois même qu'ils se donnaient entre eux le beau nom de progressifs.

Mais retenez bien ceci, chers campagnards, mes amis, ils voulaient le progrès en se passant de Dieu, qu'ils chassaient de leurs codes, de leurs mœurs, de leurs habitudes, de leurs écoles, de leurs arts et du cœur du peuple. Ils voulaient le progrès sans l’Église catholique et contre l’Église catholique qu'ils accusaient d'être ennemie du progrès parce qu'elle est toujours la même , comme Dieu qui l'a établie est toujours le même, et parce


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que les vérités qu'elle redit à la terre ne peuvent être ni modifiées, ni changées, ni diminuées, ni augmentées, ni réformées par les politiques et les philosophes.

Or, pour réaliser ce progrès ils possédaient d'immenses moyens, et d'abord de l'argent à satiété.

Avaient-ils besoin d'un million, de dix millions , de cent millions, de dix cent millions, de quinze cent millions? ils déposaient dans l'urne de la Chambre une simple boule blanche, puis on ouvrait l'urne et il en sortait un billet à ordre de quinze cent millions à prendre chez les contribuables.

Pour réaliser ce progrès, ils avaient encore à leur service des ressources plus fécondes que l'argent de la France, ils possédaient toutes les forces intellectuelles du plus éclairé des peuples : ils appelaient à leur aide les vieilles expériences groupées dans la Chambre des pairs, les plus hautes capacités de la nation assemblées dans la Chambre des députés, les principales notabilités du pays délibérant dans les conseils des départements. Depuis le conseiller de la couronne jusqu'au conseiller municipal de village, tout homme qui avait une observation utile, un procédé nouveau, une idée heureuse, en. un mot, un progrès à indiquer était écouté, applaudi, récompensé. Il n'y avait que l'Église catholique, cette divine institutrice de la société européenne, qu'ils n'écoutaient pas.


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Pour hâter le progrès, l'Université ouvrait ses collèges, l'Académie tenait ses séances, l'Institut composait ses mémoires, les congrès de toute espèce s'assemblaient, péroraient et délibéraient : seule l'Église catholique, à qui la parole de vie et de civilisation a été confiée, n'était point interrogée; et si elle voulait dire son mot, on lui mettait le doigt sur les lèvres et on se bouchait les oreilles.

On courait à la recherche du progrès sur tous les points du globe, et pour le trouver et en doter la France, les diplomates traversaient les mers, les savants devenus pèlerins du progrès s'en allaient remuer la poussière et les ruines d'Athènes, de Babylone et de Memphis.

Or, campagnards mes amis, voulez-vous savoir où tout cela a finalement abouti, et quel progrès ont obtenu ces hommes si puissants par eux-mêmes et si merveilleusement secondés par l'argent, la science et la force de trente millions d'hommes?

Ouvrez les yeux, après dix-sept ans de sagesse, d'habileté, de ruses et d'efforts gigantesques, les voilà près d'atteindre leur civilisation libérale, sensuelle, matérialiste; dans l'enivrement de leur succès ils prennent leurs désirs pour des réalités; ils déclarent que Dieu est vaincu, que le christianisme a fait son temps, que l'Église est morte ; et au nom de la philosophie, héritière de ses domaines et de ses droits, ils convient les peuples à ses solennelles funérailles. Mais, pendant que ces


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impies sonnent le glas de l'Église catholique, un nuage léger se montre à l'horizon, il grandit en s'élevant, en un clin d'œil enveloppe Paris ; la foudre part avec l'éclair et brise leurs complots, leurs espérances, leurs joies, leur œuvre et leurs bras.

Contemplez, pour votre consolation et votre instruction, campagnards mes amis, ces forts, ces braves contre Dieu et contre l'Église, contemplez les aujourd'hui précipités du pouvoir, dispersés, éperdus, couverts de confusion.

Contemplez leur progrès ; c'est la misère accompagnée de la douleur et de l'épouvante passant, comme des anges de la vengeance divine, par les palais, par les châteaux, par les magasins, par les usines, par les fabriques, par les ateliers, frappant tous leurs habitants, qui y célébraient hier encore le perfectionnement et le progrès dus à leur industrie et à leur habileté.

Contemplez leur civilisation : c'est entre concitoyens, la fureur, la rage, le sang, l'égorgement près des musées, à côté des bibliothèques, derrière les colonnades des palais, sur les degrés des théâtres, sous les yeux de leurs statues de marbre, de porphyre et d'airain.

Contemplez leur civilisation : c'est de frère à frère, de voisin à voisin, de porte à porte, de fenêtre à fenêtre, avec le pistolet, le fusil, la baion- nette, le sabre poignard, le canon, la mitraille, le pavé de la barricade!!!

Contemplez leur civilisation : c'est le bédouin,


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c'est le sauvage, non du désert, mais du boulevard des Capucines, de la rue Transnonain, de la place de l'Estrapade, du faubourg Saint-Antoine, ayant dans sa poche son diplôme de bachelier, de licencié, de docteur, d'agrégé de l'Université, et dans sa giberne et ses goussets de la poudre, des chevrotines et des balles mâchées pour ses confrères, ses concitoyens, fiers comme lui de leur civilisation avancée.

Et, chers campagnards mes amis, à côté de ce progrès en ruine et de cette civilisation dégouttante de sang fraternel, voyez l'Église catholique toujours vivante, toujours debout, élevant jusque dans les cieux son front rayonnant de majesté et d'amour, et abaissant avec tendresse ses mains pleines d'un baume divin vers les blessés et les mourants de la civilisation; voyez-la répandant l'huile et le vin de la parole et des sacrements sur les plaies de la société tombée entre les mains des voleurs, dépouillée du manteau de ses croyances et de la robe de ses vertus chrétiennes, et laissée à demi morte sur le chemin du progrès.

Voyez les désastres du libéralisme et la vie, la force, l'immutabilité et l'invincible charité de l'Église catholique, et répétons tous en chœur : Donc gloire à Dieu, non-seulement dans les hauteurs des cieux où éclate sa puissance par l'ordre invariable des mondes qu'il a lancés dans l'espace; mais aussi gloire à Dieu sur cette terre , gloire à sa justice qui au milieu des révolutions


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force les passions déchaînées, les ambitions effrénées à lâcher prise, et épouvante les peuples perdus d'égoïsme et d'irréligion en leur montrant l'abîme ouvert sous leurs pas par leurs chefs incrédules ! Gloire à Dieu ! gloire à son immortelle Église, qui, au milieu des triomphes éphémères des méchants et des calamités sans nombre qu'ils enfantent, reste toujours pour combattre les uns et adoucir les autres, répandant sur le monde qui chancelle et gémit les vérités de l'immuable Évangile et les intarissables consolations de ses espérances éternelles !


Notes de la rédaction

  1. Cette introduction résume deux versets du Magnificat
    'Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles.
    Et surientes implevit bonis, et divites dimisit inanes.
    Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles.
    Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides.

Voir aussi

Dans le réseau Wicri :

La page de référence « Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier (1850) Méthivier/Chapitre XVI » est sur le wiki Wicri/France.


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