Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier (1850) Méthivier/Chapitre XII

De Wicri Bois

Comment les Français, déclarés égaux sur une feuille de papier, n'en sont pas moins inégaux en réalité; puis brève explication du mot ÉGALITÉ.


 
 

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    Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier mort au service de la République (2e édition) / par l'abbé J.-S. Méthivier.
Chapitre XII

 

<= Comment il est prouvé par le fait de la plantation solennelle des peupliers, que la révolution a affaibli l'esprit d'un grand nombre de Français. <=

 

=> Comment, en réfléchissant, j'ai découvert, tout peuplier que je suis, qu'il y a en France deux sortes de guerre : la guerre par les CANONS, et la guerre par les FAUSSES IDÉES. La première est un jeu pour les Français ; mais la dernière est sérieuse, car elle ne laisse pas pierre sur pierre dans l'édifice social. =>
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Le texte original


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Comment les Français, déclarés égaux sur une feuille de papier, n'en sont pas moins inégaux en réalité

Égalité est un mot couteau-poignard : il paraît inoffensif comme un couteau de table, et il est dangereux comme l'arme des assassins.

Tous les Français sont égaux devant..... les imbéciles qui ne distinguent rien ; et inégaux devant Dieu, qui a distribué à chacun d'eux, dans une mesure différente, ses dons divers, et n'a pas fait, depuis que le monde est sorti de ses mains, deux corps d'hommes parfaitement ressemblants, ni


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deux âmes parfaitement égales en intelligence, en vertus, etc. Les Français sont inégaux devant la raison qui admire chez eux une variété infinie de goûts, d'aptitudes, de talents, de passions, de travers, concourant tous, sous une direction divine, à une harmonieuse unité qu'elle appelle l'ORDRE.

Les Français sont inégaux devant la famille qui ne subsiste que par l'inégalité naturelle de ses membres, père, mère, enfants ; inégalité d'âge, de sexe, de force, de besoins, d'autorité. Les Français sont inégaux devant la loi, qui, apercevant entre eux des différences natives, acquises, sociales, en tient compte, les coordonne, les consacre, en les élevant à la dignité de droits et de devoirs : droits qu'elle donne à celui-ci et refuse à celui-là; devoirs qu'elle prescrit à l'un et dont elle dispense l'autre. En France deux citoyens portent les armes ; la loi dit au premier : Je te fais général; ton droit est de commander ; et au second : Je te fais soldat ; ton devoir est d'obéir. De deux voisins, la loi autorise l'un à manger du pain, s'il en gagne ; et l'autre à jouir de quarante mille livres de rente, qu'il n'a pas gagnés. Un homme meurt, la loi confère aux uns le droit d'entrer dans ses biens, et aux autres le droit fort inégal de les regarder prendre possession ; une dispute, un procès surgit, la loi dresse un tribunal, et place dessus un Français avec la dignité de juge, et elle traîne au pied de ce tribunal un autre Français, qu'elle


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réduit à la condition humiliante d'accusé, de jugé, de condamné. En France, la loi avec son glaive découpe en parts inégales le sol de la patrie, les droits civils, les droits politiques ; elle découpe surtout le grand pouvoir de commander et d'administrer en mille fonctions et fonctionnettes, depuis le ministère jusqu'à la garde-champêtrie ; puis du haut d'un balcon, appelé tantôt royauté, et tantôt présidence, la loi jette au hasard ces morceaux de toute taille, ces découpures de toutes dimensions aux enfants de cette même patrie, et attrape qui peut! Voilà comme les Français sont égaux devant la loi !

Enfin, ce qui est aussi vrai et beaucoup plus drôle, les Français sont inégaux devant les prôneurs de l'égalité, devant les plus sincères républicains, qui ont déjà rétabli le droit d'aînesse dans leur famille démocratique, et mis une inégalité si grande entre les républicains de la veille et ceux du lendemain, que ces aînés de trois jours seulement sont seuls déclarés aptes à posséder les premières places du gouvernement. Et cher campagnard, mon ami, si tu crois encore à l'éternelle complainte de la liberté, de l'égalité et de la fraternité , jouée devant ta porte sur l'orgue de barbarie par les troubadours du libéralisme et les parvenus de la République, si tu y crois encore, cher campagnard, alors prends tes sabots des dimanches, va droit chez le citoyen préfet, et tiens


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lui à peu près ce langage :

« Frère, nous sommes égaux ; l'inscription que j'ai lue (car à présent, -moi, je sais lire!!!) à l'entrée de ton palais, le dit en toutes lettres ; or, je ne plaisante pas, et je pense bien que tu ne plaisantes pas non plus.
« Prenant donc l'un et l'autre au sérieux notre égalité et notre fraternité, partageons en frères et à part égale ton hôtel, ton traitement et ta table; moi, en retour, je te cède mes sabots des dimanches, mon pain de blé noir et ma chaumière où il pleut. »

Le citoyen préfet te regardera avec de grands yeux, sonnera pour appeler la garde, puis, prenant une feuille de papier, où tu liras (puisque tu sais lire!) en lettres moulées : liberté, égalité, fraternité; il y écrira l'ordre de te conduire en prison, toi, Français, libre, son frère et son égal.

De sorte que les mots sacramentels de la révolution, prononcés à temps et heure par le citoyen préfet, lui ont valu, à lui, un palais; et prononcés par toi dans ce même palais, à contre-temps sans doute, et à heure indue, te vaudront la prison.

Arrange cela dans ta tête, et crie Vive la fraternité, la liberté, l'égalité.

Égalité

ÉGALITÉ !

Sachez donc, ô Français mes amis, que quand ce mot dort, la société repose en paix ; et que quand il se réveille, il l'agite comme la tempête agite nos branches, comme une trombe souterraine secoue


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le sol où se cramponnent nos racines. Ce mot sonne faux aux oreilles justes, et ses notes stridentes et lugubres effrayent les gens de bien, comme les cris du vautour effrayent la fauvette posée sur son nid.

Ce mot fait partie de l'argot révolutionnaire.

Il signifie AMORCE, pour capter la faveur du peuple, surprendre ses votes et devenir son maître et son mince tyran, sous le nom de représentant, de commandant, de maire, etc.

Il signifie PASSE-PARTOUT, instrument en forme de clef dont se servent les voleurs politiques pour ouvrir les coffres-forts de l'État et les vider.

Il signifie LIT DE PROCUSTE, sur lequel ce brigand de la Grèce étendait les passants qu'il avait arrêtés.

Si ces infortunés se trouvaient plus longs que ce lit, Procuste l'égalitaire leur faisait retrancher les pieds et les jambes.

Il signifie CROC, espèce de harpon avec lequel les gens descendus et couchés volontairement dans la boue, saisissent ceux qui se tiennent droits pour les renverser dans la même fange et les abaisser à leur niveau.

Il signifie anathème ou imprécation sauvage lancée par ce qui est bas, abject, dégradé, contre tout ce qui est noble, grand, honorable, contre toute supériorité intellectuelle, morale, pécuniaire, etc.

Mais pris dans le sens le plus naturel, et tel que l'entendent les socialistes, qui ne possèdent rien, il signifie expropriation universelle.


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Enfin, il signifie COUPERET triangulaire, que les révolutionnaires, quand ils sont échauffés à la besogne, appliquent d'abord sur le cou de ceux qui ne pensent pas comme eux, et bientôt après sur le cou de ceux qui pensent comme eux, parce que, comme dit l'histoire de 93, les révolutionnaires, passionnés pour l'égalité, ne peuvent ni souffrir les autres, ni se souffrir entre eux.

Voilà, bien-aimés lecteurs, mon petit commentaire sur la grande parole Égalité : je l'aurais voulu moins imparfait, mais la science des mots n'a jamais eu d'attraits pour moi; je me hâte donc de remonter dans la région élevée des contemplations philosophiques et religieuses, où je vous invite à me suivre.


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Compléments

Le lit de Procuste

Dans la mythologie grecque, Procuste (déformation de Procruste, en grec ancien Προκρούστης, littéralement « celui qui martèle pour allonger ») est le surnom d'un brigand de l'Attique nommé Polypémon (Πολυπήμων « le très nuisible »). [1]

Dans sa vie de Thésée, Apollodore rapporte la légende suivante :

Son sixième exploit fut le meurtre de Damastès que certains appellent Polypémon. Celui-là habitait au bord de la route. Il possédait deux lits, l'un très petit et l'autre très grand ; et tous ceux qui passaient par là, il leur proposait d'être ses hôtes. Mais, ensuite, ceux qui étaient petits de taille il les allongeait dans le grand lit et il leur déboîtait toutes les articulations jusqu'à les faire devenir aussi grands que le lit ; et les grands, par contre, il les mettait dans le petit lit, et il sciait les membres de leur corps, qui dépassaient[2].

Voir aussi

Notes de la rédaction
  1. Ce paragraphe est extrait de Wikipédia
    Procuste. (2020, octobre 4). Wikipédia, l'encyclopédie libre. Page consultée le 14:08, octobre 4, 2020 à partir de http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Procuste&oldid=175281425.
  2. Apollodore, Épitomé, I, 4.
Dans le réseau Wicri :

La page de référence « Mémoires d'outre-tombe d'un peuplier (1850) Méthivier/Chapitre XII » est sur le wiki Wicri/France.

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