Le jardin des plantes (1845) Boitard/Plantigrades/Ours brun

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L'ours brun

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L’ours BRUN {Ursus arclos , Lin. Var. Ursus pyrœnaïcus, Fr. Cuv. L’Ours brun d’Europe, Buff. —G. Cuv. Var. L'Ours des Pyrénées, Fr. Cuv.).

Cet animal habile les hautes montagnes et les grandes forêts de toute l’Europe et d’une partie de l’Asie et de l’Afrique. Sa longueur est de quatre à cinq Jardin des plantes (1845) Boitard, page 261.jpg[153] pieds (1,29!) à I ,624) environ. La hauteur relative des jambes varie beaucoup ainsi que la couleur du pelage, et cela sans rapport constant avec l'âge ou le sexe. Son front est convexe au-dessus des yeux, et son museau diminue de grosseur d’une manière brusque; il a la plante des pieds de derrière moyenne; son pelage, quelquefois un peu laineux, est ordinairement brun, mais on en voit d’un brun lisse à reflets presque argentés ; de fauves ; d'autres d’une couleur blonde jaunâtre très-clair ; enfin il y en a de tout à fait blancs.

L’ours brun est très connu en France, grâce aux montagnards qui descendent quelquefois des Alpes pour venir promener, dans les petites villes et les villages, de jeunes ours qu’ils ont apprivoisés, et auxquels ils ont enseigné à marcher debout, à faire la culbute, et à danser d’un pas lourd au son de la flûte à bec et du tambourin. Quoiqu’il obéisse à son maître, ce n’est jamais qu’à contre-cœur et en murmurant. Chaque fois qu’on l’oblige à montrer son savoir, il s’irrite, et fait entendre un grondement sourd qu’il accompagne d’un frémissement de dents très-significatif. Aussi le tient-on constamment muselé, et se défie-t-on beaucoup de sa colère, qui procède souvent du caprice et tourne toujours en fureur.

Dans ses forêts, qu’il ne quitte guère que lorsqu’il y est poussé parla faim, l’ours mène une vie solitaire et sauvage. Il se loge dans les cavernes, les trous de rochers, et plus souvent encore dans les trous caverneux des vieux arbres. C’est là qu’il passe ses journées à dormir en attendant la nuit pour se mettre en campagne et chercher sa nourriture. On prétend que, faute d’arbre creux ou d’antre de rochers, il se construit une sorte de cabane avec des branches de bois mort et du feuillage, mais ceci me semble fort douteux. Tout lourd qu’il paraît cet animal n’en est pas moins doué d’une certaine agilité, qu’il ne déploie, à la vérité, qu’avec beaucoup de circonspection et de prudence. Quand il grimpe sur un arbre, soit pour aller chercher les fruits dont il se nourrit, soit pour rentrer dans son trou, il s’accroche aux branches avec ses mains, et au tronc avec les griffes de ses pieds de derrière ; quelquefois aussi il embrasse la tige avec ses bras et ses cuisses, comme ferait un homme; mais, dans tous les cas, il y met beaucoup de précaution, et jamais il ne lâche son appui d’une patte qu’il ne se soit assuré, à plusieurs reprises, que les trois autres ne lui manqueront pas.

Bien que ses mâchoires soient armées de dents redoutables, son caractère n’est pas carnassier, et il n’attaque jamais un être vivant que pour défendre sa vie, ou quand il y est poussé par une faim dévorante. Ordinairement il se nourrit de faîne ou fruit du hêtre, de baies sauvages, de graines de différentes plantes, et même de racines ; il aime beaucoup les fruits du sorbier, de l’épine-vinette, et en général tous ceux qui sont un peu acides. Si cette nourriture manque dans ses forêts, il les quitte, se jette dans la plaine, et fait d’assez grands ravages dans les champs d’avoine et de maïs. Ce n’est guère qu’en hiver, après un long jeûne, que, sortant affamé de sa retraite et trouvant la terre couverte de neige, il se jette sur les troupeaux et attaque les animaux qu’il rencontre. Encore ce fait au¬ rait-il besoin d’être confirmé. Ce dont je me crois certain, c’est que jamais il n’est dangereux pour l’homme, à moins qu’il n’en soit attaqué ; mais dans ce cas, il est d’une intrépidité effrayante. Il a le sentiment de sa force ; aussi n’éprouve- t-il jamais la crainte, mais seulement la colère. S’il rencontre un chasseur, il ne Jardin des plantes (1845) Boitard, page 262.jpg[154] loi fuit pas à la vue de ses armes ; il ne se détourne même pas; il passe outre en jetant sur lui un regard farouche de mécontentement, car il n’aime pas que l’on pénètre dans ses forêts silencieuses pour troubler sa solitude. Mais malheur à l’imprudent audacieux qui ose l’attaquer sans être sûr de lui donner la mort du premier coup! Blessé ou simplement offensé, sa colère est terrible, et toujours il en résulte une lutte mortelle pour l’un ou pour l’autre, quelquefois pour tous deux. Sans hésiter, il court sur son agresseur ; mugissant de fureur, l’œil en feu, la gueule béante, dressé sur ses pieds de derrière, il s’élance, l’écrase de son poids, le saisit dans ses bras puissants, l’étouffe, ou lui brise le crâne avec ses formidables mâchoires. S’il est harcelé par une meute de chiens coura¬ geux et appuyés par de nombreux piqueurs, il se retire, mais il ne fuit pas. Il gagne lentement sa retraite, en se retournant de temps à autre pour faire face à ses nombreux ennemis, qui reculent aussitôt épouvantés. Enfin, harassé de fatigue, mortellement blessé par les balles des chasseurs, près de mourir, il s’apprête à faire payer chèrement la victoire à ses ennemis. Debout, le dos ap¬ puyé contre un tronc d’arbre ou un rocher, il les attend, et tout ce qui est assez téméraire pour l’approcher, tombe écrasé sous sa terrible patte ou brisé par ses dents.

En Europe, on fait la chasse à l’ours avec le fusil et des chiens. Quelquefois aussi, quand on connaît le lien qu’il habite, on le traque comme le loup; c’est- à-dire que tous les paysans d’un ou plusieurs villages se réunissent, entourent la forêt d’une ceinture de tireurs et de traqueurs qui marchent en resserrant de plus en plus le cercle qui le circonscrit, et finissent par l’approcher et l’accabler sous leur nombre. « On prend les ours, dit Buffon, de plusieurs façons, en Norvège, en Suède et eu Pologne, etc. La manière la moins dangereuse de les prendre est de les enivrer en jetant de l’eau-de-vie sur le miel qu’ils aiment beaucoup, et qu’ils cherchent dans les troncs d’arbre. » Ce fait, rapporté par le grand écrivain, sur la foi de Regnard, me paraît tout aussi peu probable que les contes que ce voyageur nous avait débités sur les Lapons.

L’ours aime la vie solitaire, et fuit par instinct toute société, même celle de ses semblables. Il ne cherche même sa femelle qu’au temps des amours, c’est-à-dire en juin, et, ce moment passé, il la quitte, et va fixer sa demeure à plusieurs lieues de la forêt qu’elle habite. Aussi est-il tout à fait indifférent aux plaisirs de la paternité, et, il y a plus, c’est qu’il ne manque jamais de manger ses enfants, si le hasard lui fait découvrir l’asile sauvage où sa femelle les a cachés, dans un lit de feuilles sèches et de mousse. Au contraire, celle-ci aime ses petits avec la plus ardente affection, et les garde avec elle jusqu'à ce qu’ils aient deux ans et qu’ils aient acquis la force de repousser toute agression étrangère. Elle les soigne, leur apporte des fruits et du gibier, les lèche, les nettoie, et les porte avec elle dans ses bras lorsqu’ils sont fatigués. Si un danger les menace, elle les défend avec un courage furieux, et se fait tuer sur la place plutôt que de les aban¬ donner. Aussi n'est-ce qu’avec beaucoup de danger et de prudence (pie les montagnards viennent à bout de s’emparer de ses oursons, ordinairement au nombre de un à trois, très-rarement quatre ou cinq. Le temps de la gestation est de sept mois.

Pendant l’hiver, l’ours ne s’engourdit pas, ainsi «pic l’ont cru quelques natu- Jardin des plantes (1845) Boitard, page 263.jpg[155] ralistes, mais il reste dans son trou des mois entiers à dormir. Comme les fruits ne lui ont pas manqué en automne, il est ordinairement fort gras au moment où il commence sa retraite, et il paraît que cette graisse suffit à l’entretien de sa vie pendant fort longtemps. Cependant son jeûne ne dure jamais plus de trente à quarante jours, et il ne reste pas plus longtemps caché sans sortir et aller cher¬ cher dans la forêt quelques graines ou des racines qui le soutiennent. Si la terre est couverte de neige, et qu’il ne trouve rien à manger, c’est alors qu’il se rap¬ proche des habitations de l’homme, et qu’il se hasarde, dit-on, à attaquer les animaux domestiques.

Malgré ses formes grossières, sa tournure pesante et ses gestes grotesques, il ne faut pas croire que l’ours soit un animal stupide ; il est, au contraire, plein d’intelligence et de finesse, et la preuve, c’est qu'il ne donne jamais dans les pièges qu’on lui tend. Tout objet nouveau éveille chez lui la défiance ; il l’observe prudemment avant de l’approcher, passe sous le vent pour s’en rendre compte par l’odorat, qu’il a d’une délicatesse extrême ; il s’avance doucement, le flaire, le tourne et le retourne, puis s’en éloigne s'il ne lui convient pas de s’en emparer. C’est ainsi qu’il agit toutes les fois qu’il trouve un cadavre d’homme ou d’ani¬ mal, auquel il ne touche jamais. Sous cette enveloppe d’un aspect si rude existe une perfection de sensation peu commune dans les animaux ; sa vue, son ouïe et son toucher sont excellents, quoiqu’il ait l’œil petit, l’oreille courte, la peau épaisse et le poil touffu.

Le courage de l’ours a passé chez quelques auteurs pour de la brutalité, et il y a là une grande erreur. L’ours est intrépide, mais prudent, et il ne combat que lorsqu’il y est forcé par la faim, la défense de ses petits ou la vengeance. Jamais on ne le voit fuir, parce qu’il a la conscience de sa supériorité ; il oppose la me¬ nace à la menace, la violence à la violence, et sa fureur devient terrible, parce qu’il porte dans le combat un courage insouciant de la vie.

Autrefois l’ours était bien plus commun en Europe qu’aujourd’hui, et alors sa chasse pouvait être avantageuse, à cause de sa fourrure assez estimée quoique grossière, et surtout à cause de la graisse dont il est toujours abondamment pourvu, et à laquelle la crédulité de nos pères accordait des vertus merveilleuses pour guérir les rhumatismes et une foule d’autres maladies. Ce qu'il y a de certain, c’est que cette graisse, dépouillée par des procédés fort simples d’une odeur particulière dont elle est imprégnée, est fort douce, excellente, et ne le cède pas au meilleur beurre pour la cuisine. Il ne s’agit, quand on veut lui ôter son odeur, que de la faire fondre et d’y jeter, lorsqu’elle est très-chaude, du sel en quantité suffisante, et de l’eau par aspersion. II se fait une sorte de détonation, et il s’élève une épaisse fumée qui emporte avec elle la mauvaise odeur.

Plusieurs fois les ours de la ménagerie on fait des petits, et on a pu s’assurer que par la taille et la couleur ils ne se ressemblent nullement. La mère a toujours marqué un sentiment de préférence pour l’un d’eux, et jamais elle n’a perdu son autorité maternelle, lorsqu’ils étaient devenus beaucoup plus grands qu’elle.

L'ours noir d'Europe

L’Ours noir d’Europe (Ursus ater .—L’Ours même concave, surtout en travers; son pelage noir d'Europe, G. Cuv.) a le front aplati et est laineux, non pas lisse comme celui de l’ours Jardin des plantes (1845) Boitard, page 264.jpg[156] d’Amérique, d’un brun noirâtre ; il a le dessus du nez d’un fauve clair, et le reste du tour du museau d’un brun roux. J’établis cette espèce sur le témoignage de G. Cuvier. Il est rare, et paraît ne se trouver que dans le nord de l'Europe. Buffon dit qu’il est moins carnassier que notre ours brun.

L’Ours des Pyrénées

L’Ours des Pyrénées [Ursus pyrenaïcus,FK. Cuv.) est plus petit que l’ours des Alpes; il est d’un blond jaunâtre sur le corps, et noir sur les pieds. 11 habite les montagnes des Asturies. Beaucoup de naturalistes le regardent comme une variété de Tours brun, et je penche aussi vers cette opinion.

L’Ours de Sibérie

L’Ours de Sibérie [Ursus collaris. Fr. Cuv.) a beaucoup d’analogie avec le précédent sous le rapport des formes et des couleurs; mais sa taille paraît être un peu plus petite, et il a un large collier blanc qui passe sur le haut du dos, sur les épaules, et se termine sur la poi¬ trine. On le trouve dans le nord de l’Asie, et il paraît qu’il a les mômes mœurs que notre ours d’Europe. Cependant, ceux qui ont vécu à la ménagerie paraissaient un peu plus carnassiers.

L’Ours du Thibet

L’Ours du Thibet (Ursus thibetanus. Fit. Cuv.) diffère des précédents par la grosseur de son cou, et par son chanfrein, qui forme une ligne droite ; il est noir, à poils lisses; son mu¬ seau est un peu roux, sa lèvre supérieure cou¬ leur de chair, et l’inférieure blanche; il a, sur la poitrine, une tache blanche en forme d’Y. On ne l’a encore trouvé que dans les monta¬ gnes du Sylhet, au Nepaul, et Ton 11 e sait rien de positif sur ses habitudes.

L'ours orné

L’Ours orné {Ursus ornatus, Fr. Cuv.) n’est probablement qu’une variété de Tours noir. Sa taille dépasse rarement trois pieds et demi (1,157); son museau est un peu plus court, d’un fauve sale; son pelage est également d’un noir lisse et luisant, mais il a un demi- cercle fauve sur chaque œil, et du blanc ou du fauve à la gorge ou à la poitrine. 11 est assez commun dans les Cordilières du Chili, et peut-être dans toute l’Amérique australe.

L'ours aux grandes lèvres

L’Ours aux grandes lèvres [Ursus labiatus, de Blainv. Iiradypus tirsinus, Suaw. Ursus longirostris, Tiedm. C’est le type du genre Ilelarctos (TIIorseield). Il est un peu plus petil que Tours brun ; d’un noir foncé; et on lui trouve quelquefois des taches éparses un peu brunâtres; il a sur la poitrine une tache blanche en forme de V; mais ce qui le rend reconnaissable au premier coup d’œil, ce sont ses lèvres qui sont lâches, très-extensibles,et sa langue d’une longueur extraordinaire. Il se trouve dans les montagnes de l’Inde. On réu¬ nira à celle espèce, et môme comme variété assez légère, le Bruang, ou Tours malais (Ur¬ sus malaijauus, Raffl. Prochilus malaya- nus, Gray. Ilelarctos malayanus, IIorsf. — Fr Cuv.) qui n’en diffère que par une large ta¬ che en demi-lune, d’un blanc pur, qu’il a sur la poitrine. Il habile la presqu’île de Malaca. Il est nommé ours bateleur par quelques na¬ turalistes.

L’ours aux grandes lèvres n’est pas du tout carnassier, et ne se nourrit que de fruits, de miel et d’insectes. Peut-être en serait-il de même de la plupart des autres espèces, si, ainsi que lui, ils habitaient des climats où la nature pût leur fournir toute l’année une nourriture végétale. D’un naturel farouche et mélanco¬ lique, cet animal aime la solitude, et se retire dans les montagnes les plus dé¬ sertes. Cependant, quand il est pris jeune et traité avec bonté, son caractère s’adoucit, son intelligence se développe, et il se laisse facilement dresser à plu¬ sieurs exercices par les jongleurs indiens. Dans ses montagnes, il se plaît beau¬ coup à la recherche des termès ou fourmis blanches, et lorsqu’il a trouvé une de leurs habitations, il fait, avec ses griffes, au dôme de terre durcie qui en forme le toit, un trou dans lequel il enfonce sa longue langue ; les termès se jettent des¬ sus pour défendre leur république, et quand ils y sont réunis en grand nombre, l’ours retire brusquement sa langue et les avale.

L'ours de Bornéo

L’Ouns de Bornéo (Ursus euryspilus,Lnss. Ilelarctos curyspilus, IIorsf.) n’est peut-ôlre aussi qu’une variété locale de l’ours aux gi an- des lèvres, dont il a les formes, la taille, les couleurs et les habitudes; il en diffère cepen¬ dant par une large plaque échancrée en son bord supérieur, d’une couleur orangée, et par une bandelette transversale grise sur chaque pied. On le trouve dans l'île de Bornéo.

L'ours noir d'Amérique

L’Ours noir d’Amérique [Ursus americanus, Pai.l. Ursus gularis, Geoff.) a le front plat, pr> squesur la même ligne que le museau ; la plante de ses pieds et de ses mains est très courte; son pelage est noir, lisse, long et brillant. Jardin des plantes (1845) Boitard, page 265.jpg[157] La taille de cet animal ne dépasse guère quatre pieds liuiL pouces (1,516); cependant j’en ai vu un plus grand que cela. On en trouve des variétés fauves, plus ou moins jaunes ou couleur de chocolat. Tous habitent les Etats-Unis, et se répandent dans le nord de l’Amérique jusque dans le Kamtschatka. « L’ours noir, dit M. Dupratz, paraît l'hiver dans la Louisiane, parce que les neiges, qui cou¬ vrent les terres du Nord, l’empêchant de trouver sa nourriture, le chassent des pays septentrionaux. Il vit de fruits, et entre autres de glands et de racines, et ses mets les plus délicieux sont le miel et le lait; lorsqu’il en rencontre, il se laisserait plutôt tuer que de lâcher prise. Malgré la prévention où l’on est que l’ours est carnassier, je prétends, avec tous ceux de cette province et des pays eirconvoisins, qu’il ne l'est nullement. Il n'est jamais arrivé que ces animaux aient dévoré des hommes, malgré leur multitude et la faim extrême qu’ils souf¬ frent quelquefois, puisque, même dans ce cas, ils 11 e mangent pas la viande de boucherie qu’ils rencontrent. Dans le temps que je demeurais aux Natchez, il y eut un hiver si rude dans les terres du Nord, que ces animaux descendirent en grand nombre; ils étaient si communs, qu’ils s’affamaient les uns les autres, et étaient très-maigres ; la grande faim les faisait sortir des bois qui bordent le fleuve ; on les voyait courir la nuit dans les habitations, et entrer dans les cours qui n’étaient pas bien fermées ; ils y trouvaient des viandes exposées au frais : ils n'y touchaient pas, et mangeaient seulement les grains qu’ils pouvaient rencon¬ trer. »

D’après cette citation faite par Buffon, il semblerait que l'ours noir 11 'est ja¬ mais carnassier ; et cependant les naturalistes, entre autres G. Cuvier, préten¬ dent que, lorsqu’il est poussé par la faim, il attaque les mammifères. Ce fait a besoin d’être confirmé ; mais ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il mange le poisson. En hiver, il descend des bois, et vient pêcher sur le bord des lacs et des rivières. Il nage et plonge fort bien, et s’empare de sa proie avec beaucoup d’adresse et d'agilité. Il se plaît particulièrement dans les forêts d’arbres résineux, et il se loge dans les cavités formées par le temps dans leur tronc. La plus haute est celle qu’il choisit de préférence, et il n'est, pas rare de le trouver niché à plus de quarante pieds ( 12,S92) de hauteur. Pour le prendre, les Américains mettent le feu au pied de l’arbre, et le forcent ainsi à sortir de sa retraite pour-se sauver des flammes. Si c’est une femelle, elle descend la première, à reculons comme font tous les ours, et, lorsqu’elle est près de terre, ils l’abattent d’un coup de fusil tiré à bout portant dans le cœur ou dans l’oreille. Les oursons descendent ensuite, et on les prend vivants et sans danger s'ils sent encore petits ; dans le cas contraire, on les tue. On chasse encore l’ours noir avec des chiens courants, qui le harcèlent jusqu’à ce que le chasseur ait trouvé le moment favorable pour le tirer. Toutes les manières de le chasser sont sans danger, parce qu’il 11 e court jamais sur le chasseur, et que, blessé ou non, il ne cherche jamais qu’à fuir. Seulement, il ne faut pas s’approcher imprudemment de lui lorsqu’il est abattu et mourant; car alors,sentant qu’il ne peut plus échapper au danger, il cherche à se défendre et à se venger. Son cri est très-différent de celui de l’ours brun ; il consiste dans des hurlements aigus qui ressemblent à des pleurs.

Les Américains lui font une chasse continuelle, non pas seulement parce qu’il dévaste leurs champs de mais, d’avoine et autres grains, mais encore parce qu’ils is Jardin des plantes (1845) Boitard, page 266.jpg[158] estiment beaucoup sa chair, et que sa fourrure, dont on fait chez nous les bonnets de grenadiers, 11 e laisse pas que d’avoir de la valeur. Sa graisse remplace avantageusement le beurre ; ses pieds offrent un mets très-délicat, et ses jambons, sales et fumés comme ceux de cochon, ont une grande réputation en Amérique, et dans toute l’Europe, où on les envoie pour la table des riches.

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