Le jardin des plantes (1845) Boitard/Jardin/Les débuts
Le jardin des plantes
Génèse et début du jardin des plantes
On veut cependant que je vous raconte à ma manière, à la façon d’un
homme qui admire plus qu’il ne comprend, les principaux détails de l’histoire
du Jardin des Plantes, ce résumé de l’univers. Il faut que, tout en laissant de
côté ce magnifique ensemble des sciences naturelles, nous vous fassions voir,
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le jardin des plantes.
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pour ainsi dire à vol d’oiseau, ces plantes vivantes et ces plantes mortes, ces
hôtes féroces, arrivées hier hurlantes et bondissantes du fond des déserts, et
ces cadavres inconnus sur lesquels a passé plus d’un déluge. Chose étrange!
cette admirable idée de réunir dans un seul et même lieu tous les chefs-
d’œuvre de la création ne date guère que de deux cents années.
Avant Louis XIII, la France n’avait eu ni assez de repos, ni assez de loisirs, ni assez d’or pour s’abandonner en toute liberté à sa passion pour les merveilles les plus rares. François 1er , le roi chevalier, nous avait, il est vrai, enseigné à aimer les tableaux, les statues, les monuments de tout genre, les rares chefs-d’œuvre où la forme emporte le fond; mais ce prince brillant et léger n’avait pas été au delà de la forme ; la couleur, l’éclat, la beauté extérieure lui plaisaient avant toute chose; pour une agrafe de Cellini, pour un tableau du Primaticè, pour une sculpture capricieuse de Jean Goujon, il eût donné tout ce qui est le mou¬ vement et la vie. En ce temps-là, nous étions bien plus des Florentins qui se passionnent pour la forme, que des philosophes qui se passionnent pour l’idée.
Parler de toutes ces choses au roi Henri IV, c’eût été perdre, en toute perte, son latin, sa prévoyance et son esprit. Le roi Henri s’occupait, avant tout, de la tinance et de la bataille. Ce fut son fils, le roi Louis XIII, esprit bienveillant et malade, homme timide, qui a attaché son nom aux choses les plus hardies de notre histoire; ce fut Louis XIII qui, le premier, eut l'honneur d’acheter de ses deniers, dans le faubourg Saint-Victor, loin, bien loin de tous les bruits et de tous les mouvements de la ville, vingt-quatre arpents d’une terre inculte et négligée.
Tel fut l’humble et modeste commencement du Jardin des Plantes.
Le docteur Bouvard, premier médecin du roi, fut le vieil Evandre de cette Rome nouvelle et verdoyante qui s’élevait sur ces hauteurs. Le premier parterre de ce jardin se composait de quarante-cinq toises de longueur sur trente-cinq toises de largeur; il était encore trop vaste pour les plantes qu’on avait à y mettre; mais peu à peu les plantes ont poussé, le Jardin s’est étendu, une petite serre a été bâtie. Gaston d'Orléans, qui aimait les plantes et les Heurs, envoya au Jardin nouveau-né quelques frais échantillons de son jardin de Blois, jusqu’à ce qu’enfln arriva Colbert, cet homme qui a deviné tant de choses. Colbert, d’un coup d’œil, eut bientôt compris tout l’avenir des vingt- quatre arpents du faubourg Saint-Victor. Fagon, le médecin du roi Louis XIV, présenta Tournefort à Colbert. Tournefort est le premier historien des plantes ; il nous a appris à les aimer, à les connaître; il a deviné leur famille, il a in¬ diqué les premiers noms qu elles ont porté; pour tout dire, il est le loyal et net prédécesseur d’Antoine de Jussieu, le grand naturaliste. A vingt-trois ans, M. de Jussieu était professeur au Jardin du Roi ; il avait parcouru l’Espagne et le Portugal, ramassant avec une curiosité pleine de dévotion les moindres brins d’herbes que produit cet air brûlant. Antoine de Jussieu est une des plus gran¬ des créations de Fagon le médecin ; c’est au Jardin du Roi que se retira ce sé¬ vère serviteur du roi Louis XIV ; c’est là qu’il voulut mourir. Le Jardin, recon¬ naissant, a conservé avec respect la mémoire de Fagon. Enfin, en 1759, le roi véritable du Jardin, celui qui l’a agrandi, qui l’a sauvé, celui-là même qui en est l’hislorien et le démonstrateur tout puissant, M. de Buffon, devait porter pendant quarante neuf ans cet illustre et utile fardeau. Certes, sans être un